Discours prononcé par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'UNESCO.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du 50e anniversaire de l'UNESCO.

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Paris le jeudi 16 novembre 1995

Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,

Monsieur le directeur général et Cher ami,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais saluer amicalement et souhaiter la bienvenue aux chefs d'Etats, à Mesdames et Messieurs les chefs de délégations, à Monsieur le directeur général et cher ami, à Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, à chacune et chacun d'entre vous. Et tout particulièrement aux jeunes qui nous ont montré tout à l'heure, à la fois leur talent et leur foi, aux jeunes du Brésil, aux jeunes d'Irlande et à travers eux aux jeunes du monde entier.

Il y a cinquante ans aujourd'hui, prenait corps une belle et grande idée, d'inspiration britannique et française, une idée humaniste, une idée généreuse : l'UNESCO, dont la Charte fut signée à Londres, le 16 novembre 1945. Paris en devenait le siège, après que Léon Blum en eut exprimé le souhait, au nom de la France. Le 4 novembre 1946, se tenait en Sorbonne la première conférence générale de l'Organisation.

Ce choix de la France et la confiance de vos pères fondateurs nous honorent. Ils nous obligent aussi pour l'avenir. Ils nous imposent, à nous Français, un devoir particulier à l'égard de l'Organisation.

Aujourd'hui, cinquante ans après sa création, que représente l'UNESCO ? L'UNESCO, pour quoi faire ? Quel bilan et pour quel avenir ?

Frédéric Rossif avait eu cette merveilleuse boutade : "L'UNESCO ? Inutile comme Mozart".

Unique en son genre, l'UNESCO n'a cessé depuis cinquante ans de veiller à la libre circulation des idées et des oeuvres, de travailler au rapprochement des cultures et des hommes, dans le respect des valeurs qui fondent le système des Nations unies. Comment dès lors mesurer l'utilité et l'ampleur d'une telle mission ? Mais comment ne pas voir aussi combien elle est vitale ?

En 1945, dans un monde dévasté qui comptait ses morts, ses villes anéanties, ses écoles, ses musées, ses hôpitaux détruits, dans ce monde-là, le constat de Paul Valéry s'imposait : " Que serait une Société des Nations sans une Société des Esprits ? "

La Deuxième guerre mondiale l'avait confirmé comme jamais dans l'Histoire : les causes des conflits sont davantage idéologiques que politiques et le président de l'Uruguay a eu raison, à l'instant, de le souligner. L'ignorance et le mépris de l'Autre, le racisme, la haine, le fanatisme, l'intolérance sont à l'origine des guerres. D'où cette formule essentielle de la Charte de l'UNESCO : " les guerres prennent naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ".

L'ambition de départ était immense. Il fallait certes reconstruire les lieux de connaissance et de mémoire, mais d'abord restaurer les consciences blessées ; réaffirmer les notions universelles de liberté, de dignité, d'égalité, de droit au savoir ; rétablir le dialogue et la confiance ; ancrer l'esprit de paix.

Dans cette mission, il était important que les Nations unies disposent, pour l'Education, la Science et la Culture, d'une organisation distincte qui contribue à la compréhension mutuelle et au rapprochement des cultures.

Aujourd'hui, Monsieur le directeur général, cher ami, vous nous demandez de renouveler cet acte de foi. Nous le faisons avec la même conviction et les mêmes espoirs.

D'abord parce que, cinquante ans après, le bilan est incontestable. Avec des moyens limités, l'oeuvre accomplie par l'UNESCO, grâce à ses directeurs généraux successifs est considérable. Elle a su mobiliser la communauté internationale pour la protection du patrimoine de l'Humanité : Abu Simbel, Venise, Borobudur, Angkor, mais aussi par la réhabilitation des passés méconnus et je pense à cette oeuvre unique et magistrale qu'est la grande histoire générale de l'Afrique. Je pense aussi à cette oeuvre qui va se terminer, la grande histoire générale de l'Amérique latine et de ses prestigieuses civilisations et populations précolombiennes. On connaît moins le "quotidien" de l'UNESCO : les campagnes pour l'alphabétisation ou l'éducation permanente, la mise en oeuvre d'une dimension culturelle du développement, la défense des identités culturelles, le lancement de grands programmes de coopération scientifique, le partage du savoir.

Tout au long de ce demi-siècle, l'UNESCO a réussi à tisser un réseau sans pareil d'ententes intellectuelles, d'expériences partagées, englobant, au-delà des Etats, les Commissions nationales, des Organisations non gouvernementales, d'éminentes

Lieu de dialogue, elle s'est trouvée parfois menacée par de regrettables affrontements idéologiques. Avec le recul, ce que certains ont appelé la "crise de l'UNESCO" ne fut-elle pas surtout le signe d'un autre malaise, plus général : celui qui affectait le système des Nations unies dans son ensemble ?

Je souhaite que cet anniversaire marque une renaissance, un nouveau départ de l'Organisation. Je souhaite que l'UNESCO aborde son avenir avec confiance et ambition. Je souhaite d'abord qu'elle renoue avec l'universalité.

Il y a là, en effet, comme un paradoxe. L'Organisation compte aujourd'hui 185 Etats-membres, et je suis heureux de saluer le retour dans cette enceinte de l'Afrique du Sud, démocratique, ouverte, réconciliée avec elle-même. En même temps, de grands Etats qui ont tant à lui apporter, s'en tiennent à l'écart depuis près de dix ans. Je voudrais ici les appeler à nous rejoindre, leur dire combien leur participation nous est nécessaire, leur combien leur absence est aujourd'hui inexplicable.

La vocation globale de l'UNESCO doit aussi s'affirmer dans son action, le directeur général nous y a souvent invité, et je crois qu'il a raison. Evitons la dispersion dans une accumulation de projets sans qu'apparaisse clairement l'intérêt général. Veillons à maintenir un équilibre satisfaisant entre les ressources extrabudgétaires et le budget ordinaire. Conjuguons le rôle de l'Organisation en tant que forum de pensée, et son rôle de catalyseur de projets. Imposons, en amont des opérations, la qualité de son expertise. Démontrons sa capacité d'adaptation à un monde en perpétuel mouvement. Coopérons plus étroitement encore avec les Commissions nationales, les Organisations non gouvernementales et les corps intermédiaires, afin d'associer au mieux les forces vives de nos pays.

L'UNESCO doit se concentrer sur sa vocation et ses métiers, en ayant une vue claire de ses priorités, comme le souhaite son éminent directeur général à qui je tiens à rendre un hommage particulier.

Un vaste champ s'offre à elle : qu'elle s'y investisse ! Elle seule peut le couvrir à l'échelle du monde. Elle seule peut ainsi doter l'ensemble des gouvernements d'un corps de principes pour le siècle à venir.

Elle est dans son rôle quand, s'inquiétant des progrès de la science, de ce pouvoir exorbitant que possède désormais l'homme de modifier sa propre espèce, elle affirme sa mission éthique en préparant une déclaration sur la protection du génome humain.

Elle prépare l'avenir quand, s'interrogeant sur l'essor des nouvelles technologies de la communication, elle explore leurs conséquences sur des pans entiers de notre vie et de nos sociétés. Quand elle en étudie les aspects bénéfiques, mais aussi les dangers. Celui de voir se creuser encore, et de manière irréversible, l'écart entre pays riches et pays pauvres. Celui aussi d'une uniformisation culturelle.

L'UNESCO demeure fidèle à sa vocation quand elle prône le plurilinguisme, fondement de la diversité culturelle ; quand elle propose des orientations pour que les nouvelles technologies de l'information deviennent les instruments du dialogue entre les cultures et surtout de la lutte contre l'exclusion.

Elle assume ses responsabilités dans le domaine de l'éducation quand elle veille à ce que ces technologies ne constituent pas une menace mais deviennent, au contraire, l'auxiliaire de formations scientifiques et humanistes.

L'UNESCO devra s'intéresser de plus en plus aux sociétés elles-mêmes. A la part croissante que doit y prendre la femme accédant, à égalité avec l'homme, au savoir et à la formation. A la jeunesse, confrontée à ses problèmes spécifiques.

Dans tous ces domaines, je souhaite qu'une attention particulière soit portée aux pays les plus pauvres, en particulier ceux d'Afrique. Pour peu que la solidarité internationale joue son rôle, comme il est légitime, les pays africains rejoindront demain ceux qui connaissent le progrès économique et social. Mais il faut que l'action menée, au lieu de reproduire des schémas extérieurs, prenne pleinement en compte les traditions, les cultures, les attentes, les réalités locales.

Cette démarche, faite du respect que l'on doit à tous les hommes, impose la reconnaissance des erreurs du passé et des graves préjudices que certains peuples ont subis à cause de l'intervention d'autres peuples. Je pense en particulier à ce que l'on appelle "les populations autochtones ou indigènes", bien que je n'aime pas ce mot en raison de sa connotation péjorative en français et que je préfère les appeler les "premières nations". Madame Rigoberta MENCHU, que j'ai écoutée tout à l'heure, avec émotion, ambassadeur de l'UNESCO pour la décennie qui leur est à si juste titre consacrée, représente aujourd'hui ces peuples et ces nations et je tiens à la saluer respectueusement de cette tribune.

Que l'organisation aide ces hommes et ces femmes à recouvrer leurs droits et leur dignité. Qu'elle les aide à sauvegarder leurs langues, leurs patrimoines, leurs cultures. C'est cela aussi sa vocation.

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation,

Le Général de Gaulle voyait en l'UNESCO une "Organisation noble et fraternelle". Il l'avait exhortée, lors de son vingtième anniversaire, à "servir l'unité humaine".

En ce Cinquantenaire, je renouvelle son appel et j'invite tous les Etats à témoigner à notre Organisation confiance et soutien. J'encourage l'UNESCO à être plus que jamais le laboratoire d'idées dont le monde a tant besoin ; un pont jeté entre toutes les cultures, dans le respect de chacune d'entre elles. Parce qu'en somme, il y va de l'homme, de sa liberté, de sa dignité, de son avenir, et donc de sa jeunesse que je salue encore ici sur cette tribune.

Je vous remercie.





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