Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la rencontre avec la communauté française à Dakar.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réception de la communauté française à Dakar.

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Résidence de France - Dakar - Sénégal - Dimanche 23 juillet 1995.


Mes chers compatriotes,

Permettez-moi de vous dire combien je suis sensible à votre présence, si nombreux ce soir à l'invitation de Monsieur l'ambassadeur et de Mme Alla, que je suis heureux de remercier en votre nom à tous et en présence de notre ministre de la Coopération, Monsieur Jacques Godfrain, qui a déjà parcouru en tous sens les pays africains, et ceci à l'occasion d'un voyage que j'ai voulu faire aussi rapidement que possible, le premier dans le cadre bilatéral et consacré à l'Afrique. Ceci n'étant pas, bien entendu, un hasard mais le témoignage d'une fidélité et d'une volonté, d'une fidélité à une certaine vision des relations franco-africaines et une volonté qui est celle de l'aide au développement que les Nations industrialisées des riches doivent pour des raisons morales et pour aussi des raisons politiques aux Nations qui en ont besoin.

J'ai commencé donc ce voyage africain par Yamoussoukro pour les raisons que chacun comprendra et qui tiennent aux liens très forts que j'avais avec le président Félix Houphouët-Boigny. J'ai poursuivi à Libreville chez le doyen de l'Afrique francophone et puis tout naturellement je suis venu à Dakar, la plus ancienne terre africaine d'expression française. Dakar où j'ai été infiniment sensible à l'accueil qui m'a été réservé une fois de plus par le président de la République du Sénégal, Abdou Diouf, qui est pour moi un ami de très longue date et qui a fait de moi un cas très particulier puisque comme vous le savez, Abdou Diouf est musulman, que ses enfants sont musulmans, notamment sa fille Yassine et que néanmoins je suis le parrain de sa fille, ce qui veut dire que je suis un chrétien parrain d'une musulmane, ce qui n'est peut être pas de la plus stricte orthodoxie. Je le reconnais bien volontiers mais il y a maintenant bien longtemps que ce fait existe, il est donc prescrit et considéré comme naturel.

J'ai évoqué la situation de ces pays africains qui connaissent aujourd'hui une situation contrastée. Elle est jugée par beaucoup de pessimistes comme mauvaise, et bien des observateurs superficiels, s'accordent à nous expliquer que l'Afrique, c'est une terre de famine, de maladie, de conflits, en quelque sorte de désespoir.

Je crois entendre les propos que tenaient les mêmes experts ou leurs parents sur l'Asie il y a de cela trente ans, et l'on voit aujourd'hui la situation de la région du Pacifique qui connaît des taux de croissance à deux chiffres, et nous serions très heureux d'avoir des performances équivalentes à la moitié ou même au tiers de ce qu'ils connaissent.

Ceci pour dire qu'il n'y a pas de fatalité. Ce n'est pas vrai. Il y a la volonté des hommes et cette volonté, elle existe ici en terre africaine. Je l'ai rencontrée dans presque tous les pays notamment d'expression française. Elle se traduit par un progrès indiscutable dans la gestion des affaires et pour témoigner de ce progrès je ne ferai que référence aux accords passés en matière d'adaptation avec les institutions internationales, accords qui aujourd'hui existent pour presque tous les pays africains, et qui dénotent et témoignent d'une évolution importante vers une forte amélioration de la gestion, qui bien entendu est de nature à inspirer la confiance. Effort également dans le domaine de l'établissement de l'état de droit. Je n'ouvrirai pas la polémique inutile sur la façon dont les pays africains doivent accéder à la démocratie. Je dirai simplement que nous n'avons pas de leçons à donner, que nous pouvons tout au plus donner quelques encouragements mais en revanche, ce que nous ne pouvons pas contester, ce sont les progrès.

Nos pays européens ont mis deux siècles pour faire ce que les pays africains font ou vont faire en quelques décennies. Cela mérite le respect et cela justifie également l'espoir, car l'état de droit est indispensable pour permettre le développement, car seul il génère la confiance, là aussi, la bonne gestion, l'état de droit sont des évolutions qui génèrent la confiance, et qui par conséquent permettront demain, j'en suis sûr, aux pays africains de s'intégrer davantage dans l'économie internationale et de jouer mieux la carte qui est la leur. Tout ça pour vous dire que je ne partage pas le conformisme dans lequel sombrent beaucoup d'observateurs. Je suis persuadé que l'Afrique dans les vingt, trente, quarante ans qui viennent nous réserve en matière de développement des surprises. Quand je dis que j'en suis convaincu, je le souhaite également très profondément. Je le souhaite pour les Africains et je le souhaite pour nous car si nous ne trouvons pas le moyen, compte tenu des évolutions démographiques qui promettent un doublement de la population africaine dans les trente ans qui viennent, si nous ne trouvons pas le moyen de permettre le développement, alors nous ne pourrons pas fixer - ou les populations africaines ne pourront pas se fixer - sur un sol qui serait trop ingrat et les chiffres démographiques en cause conduisent alors à des perspectives incontrôlables et qui provoqueraient sur le plan international des mouvements et des tensions que personne ne pourrait véritablement maîtriser.

Il y a donc, je le répète, une exigence impérative de nature politique, c'est-à-dire d'organisation de notre société internationale, à permettre le développement des pays qui en ont besoin et notamment de l'Afrique.

C'est pourquoi je juge sévèrement les grandes nations qui aujourd'hui, cédant à l'égoïsme, arguant de la crise, tentent de se dégager ou de se désengager en matière de développement. Tout en prétendant qu'elles représentent, en tous les cas certaines d'entre elles, les principes de la démocratie des droits de l'homme, et bien, je dis à tous nos amis des grandes nations industrielles, je le leur ai dit à Halifax pour la réunion du G7, je le redirai pour la prochaine réunion du G7 sous la présidence française à Lyon dans quelques mois, nous ne pourrons pas indéfiniment être porteurs ou nous prétendre porteurs des valeurs de la démocratie, des valeurs de l'humanisme, des valeurs de défense de droits de l'homme si nous n'assumons pas nos devoirs en matière de solidarité. C'est donc une exigence capitale et je tiens pour ma part ce point comme l'un des plus essentiels dans l'évolution de notre monde instable et difficile.

Alors naturellement, cette solidarité, cette aide au développement est considérablement relayée par la présence de nombreuses communautés étrangères notamment en Afrique et en particulier française. Nombreux sont nos compatriotes qui font des séjours ou qui se sont installés en terre africaine et notamment au Sénégal. Je voudrais leur rendre hommage, ce sont naturellement toujours les meilleurs qui s'expatrient, ceux qui ont le plus de tempérament, le goût, l'audace et (applaudissements) oui, c'est vrai enfin dans l'ensemble ! Et je voudrais leur témoigner la reconnaissance de notre pays, car si nous sommes présents, si la langue française est parlée aux quatre coins du monde, si nos valeurs de civilisation sont portées ici et là souvent dans des conditions extrêmement difficiles, cela tient pour une large part à la présence de nos communautés françaises un peu partout. Alors étant devant la communauté française du Sénégal, je voudrais lui témoigner mon estime, mon amitié, ma reconnaissance. S'agissant de l'Afrique, je sais que vous êtes confrontés à un certain nombre de problèmes, notamment ceux issus de la dévaluation du franc CFA qui s'est faite dans des conditions qui n'ont pas toujours permis de régler un certain nombre de modalités d'application. Je connais vos inquiétudes pour les problèmes de l'éducation, de la protection sociale pour les entreprises frappées par des difficultés de transfert, des arriérés de paiement, des réévaluations de bilans difficiles. Je ne suis pas venu parler de tout cela mais si je l'évoque, c'est simplement pour vous dire que le ministre de la Coopération, le Gouvernement et moi-même sommes parfaitement conscients de ces problèmes et décidés à tout faire pour essayer de leur apporter une solution aussi équitable que possible et éviter ainsi le découragement de trop nombreux de nos concitoyens.

Je voudrais enfin en terminant vous dire que la France s'est engagée dans un effort de redressement qui sera long, qui sera difficile mais qui est prometteur et qui exigera d'abord et avant tout qu'elle maîtrise mieux ses finances publiques. Vous voyez qu'il n'y a pas que les pays africains qui ont des problèmes de cette nature, ce qui doit d'ailleurs, je le souligne, nous permettre être plus modestes parfois dans nos jugements à l'égard de leur propre gestion. Nous avons, nous aussi, commis des erreurs que nous devons redresser et qui exigeront de l'ensemble de la Communauté nationale un certain effort. L'important est que cet effort soit justement et équitablement réparti et qu'il ait pour souci essentiel de préserver ce qui est en cause aujourd'hui, c'est-à-dire notre cohésion sociale et donc notre cohésion nationale, qu'il ait pour souci principal de lutter contre le chômage, contre l'exclusion qui sont tout à fait contraire aux principes qui sont les nôtres, comme notre pacte républicain, et qui expliquent un certain nombre des faiblesses que nous connaissons aujourd'hui. Mais je vous rassure tout de suite, ce n'est pas dans le domaine du développement que nous ferons porter nos efforts. Sur ce plan nous continuerons et j'ai essayé d'en apporter la démonstration au Conseil européen de Cannes en permettant de régler enfin le problème du VIIIe Fonds européen de développement. Dans ce domaine, nous apporterons une contribution toujours plus importante au développement et nous essaierons être porteurs de cette grande idée auprès de toutes les autres nations industrialisées.

Et puis enfin, s'agissant du Sénégal, je voudrais encore exprimer aux autorités de ce pays le très fort attachement que je porte à cette terre, l'amitié que j'ai pour elle et notamment remercier le président Abdou Diouf et souhaiter que cette coopération franco-sénégalaise, exemplaire sur le plan des Etats se développe encore et davantage sur le plan des activités de toute nature que vous représentez et que demain vous soyez plus heureux encore et plus fiers être la France au Sénégal que vous ne l'êtes aujourd'hui. Voilà le vœu que je voulais faire en vous remerciant encore être venus si nombreux.





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