Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la réunion des Ambassadeurs (Palais de l'Elysée)

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réunion des Ambassadeurs.

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Palais de l'Elysée, Paris le jeudi 31 août 1995.


Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Le rendez-vous annuel instauré par Alain Juppé et confirmé par Hervé de Charette, me vaut, pour la première fois, le plaisir de vous rencontrer tous ensemble.

Je suis heureux de vous saluer, de vous présenter en quelques mots les grandes orientations de notre politique étrangère et puis tout simplement de vous dire ce que j'attends de vous.

Vous avez la chance d'appartenir à une administration de qualité, dont les agents sont toujours prêts à se mobiliser au service de l'Etat. Prêts aussi à prendre des risques s'il le faut. Je pense en particulier à ceux d'entre vous qui servent dans les postes les plus exposés et aux personnels qui ont payé de leur vie le service de notre pays.

Vous avez l'honneur de représenter la France. C'est une responsabilité exigeante puisqu'il s'agit d'incarner un pays singulier, qui a beaucoup apporté au monde et qui a encore beaucoup à lui offrir ; un pays qui porte des valeurs devenues des références universelles, et qui entend rester en première ligne du combat pour faire reculer l'injustice, l'intolérance et la guerre ; un pays enfin qui dispose d'atouts culturels, économiques, militaires, lui donnant la capacité d'influer sur le cours des événements.

Pour autant, la France ne conservera son rang de puissance mondiale que par un effort constant de volonté, d'adaptation, d'imagination, à partir d'une vision lucide et d'une approche pragmatique des grandes évolutions de notre monde.

Je veux que vous donniez de la France l'image d'un pays généreux, d'un pays qui ne transige pas lorsque la démocratie, la liberté, les droits de l'homme sont en jeu, l'image aussi d'un pays ouvert au dialogue, et respectueux de l'identité de chacune des nations.

Je veux que vous souteniez sans relâche le rayonnement culturel de notre pays, que vous défendiez sans faiblir ses intérêts économiques, que vous soyez en permanence prêts à épauler nos concitoyens expatriés qui sont les artisans irremplaçables de notre influence dans le monde. A un moment où la France est engagée dans la bataille nationale pour l'emploi, j'attends de vous une mobilisation exceptionnelle pour appuyer nos efforts économiques. Alors que la compétition commerciale internationale fait rage, vous avez un rôle éminent à jouer sur le terrain chaque jour. Ce combat qui est celui de la France est aussi le vôtre.

J'attends de chacune et chacun d'entre vous des analyses approfondies et des propositions d'actions novatrices. N'hésitez pas à sortir des sentiers battus. Soyez à l'écoute des grands mouvements qui agitent le monde. Allez à la rencontre des forces sociales montantes. J'attends de vous des initiatives qui témoigneront, dans vos pays, du dynamisme et de la modernité de la France.

Notre pays dispose du deuxième réseau diplomatique et consulaire au monde. Je compte m'appuyer sur ce réseau incomparable et sur les directions de l'administration centrale, qu'Alain Juppé a su moderniser et qui doivent, sous l'autorité et l'impulsion d'Hervé de Charette, être de plus en plus actifs.

J'attends enfin de vous un effort permanent de communication. Ce thème a été, à juste titre, retenu pour vos travaux de cette année. Les réactions suscitées par l'annonce de l'achèvement de nos essais nucléaires montrent, s'il en était besoin, l'importance de votre mission dans le domaine de la communication. Parce que nous sommes une démocratie, nous devons jouer la transparence et expliquer, expliquer encore, expliquer inlassablement. Il y va de l'intérêt de la France. Nos arguments sont forts et légitimes. A vous de les utiliser en sachant vous adapter aux sensibilités locales. Je compte sur vous pour démultiplier la voix de la France dans vos pays de résidence. Soyez présents partout, sur le terrain, sur les écrans de télévision, à la radio, dans les colonnes des journaux.

Je vous demande enfin de représenter notre pays dans toutes ses composantes et dans toute sa diversité. Je pense en particulier aux personnalités politiques, de la majorité comme de l'opposition, qui toutes, sans différence, doivent bénéficier du meilleur traitement lorsqu'elles se déplacent en dehors de nos frontières.

C'est sur tous ces critères que j'apprécierai votre action.

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, j'ai, comme vous-mêmes, une haute idée de la mission qui vous est confiée. C'est pourquoi je compte renouer avec une pratique instaurée par le Général de Gaulle et qui s'est perdue depuis, je crois, en recevant, avant leur départ, chaque ambassadeur nouvellement nommé.

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Conduire la politique étrangère de la France, c'est d'abord porter un regard lucide sur le monde.

Un monde qui a perdu ses repères et qui est dans une ère de changement, d'instabilité, de brutale résurgence de conflits d'un autre âge nés de rivalités ethniques, tandis qu'à nos portes l'extrémisme religieux se nourrit de certaines faillites économiques et sociales.

Un monde confronté aux déséquilibres démographiques et marqué par une redistribution de la puissance économique.

Un monde, pourtant, qui reste riche de progrès, de possibles, d'espérances.

Face à cet univers déstabilisé et contradictoire, trois évidences simples doivent être affirmées avec force :

- Première évidence : l'intérêt de la France est de contribuer à l'instauration progressive d'un ordre mondial multipolaire. Un équilibre plus souple pourrait ainsi remplacer la rigidité bipolaire que nous avons subie pendant près de cinquante ans. Les pôles nouveaux seront constitués par des puissances émergentes telles que la Chine, l'Inde, mais aussi par des regroupements régionaux tels que le Mercosur, l'ASEAN, le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe.

La France doit accomplir un très grand effort pour accroître sa présence dans ces ensembles qui tireront la croissance mondiale au cours des prochaines décennies. Elle doit notamment être particulièrement active lors de la préparation du premier sommet Europe/Asie, qui se tiendra à Bangkok au printemps prochain. Elle devra aussi prendre des initiatives en direction de l'Amérique latine, dont je compte recevoir les principaux dirigeants au cours des prochains mois.

- Deuxième évidence : l'Union européenne a vocation à devenir l'un de ces pôles et sans doute l'un des deux ou trois plus puissants de la planète, compte tenu de la qualité de la formation de ses hommes, de la richesse et de la diversité de sa création culturelle comme de sa recherche scientifique, compte tenu enfin de son poids économique.

- Troisième évidence : dans cet ensemble européen, la France dispose de tous les atouts pour demeurer au premier rang, entraîner ses partenaires, leur faire partager sa vision et son ambition.

Réussir l'Union, faire de l'Europe une zone de paix et de prospérité, construire un partenariat stable avec la Russie, rééquilibrer l'Alliance atlantique en développant son pilier européen, renforcer la solidarité de l'Europe avec la Méditerranée et l'Afrique, prendre l'initiative sur les grands sujets de notre temps, notamment le combat contre le racisme et l'exclusion mais aussi la lutte contre la drogue et le Sida. Telles sont les priorités qui s'imposent à notre diplomatie et dont je vais brièvement évoquer devant vous quelques points.

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Réussir l'Union, c'est d'abord réussir la conférence intergouvernementale de 1996, avec trois objectifs majeurs : une Europe plus efficace ; une Europe plus démocratique ; une Europe plus forte dans le monde.

Dans les domaines de compétence communautaire, le Conseil doit pouvoir prendre ses décisions plus rapidement et plus facilement. La France se montrera ouverte à un recours accru au vote à la majorité, à deux conditions : préserver la possibilité pour un Etat membre d'invoquer ses intérêts vitaux ; et revoir la pondération des voix de manière à prendre en compte les réalités démographiques, économiques et financières.

La composition de la Commission devra être réexaminée afin d'éviter qu'elle ne devienne pléthorique à l'occasion des prochains élargissements. Son rôle d'initiative, de proposition, de mise en œuvre des décisions du Conseil devra être maintenu, mais il conviendra qu'elle agisse toujours sur la base de mandats précis adoptés par le Conseil, sans pouvoir s'en écarter.

Les procédures de décision du Parlement européen, beaucoup trop longues et complexes, devront être adaptées. Il conviendra parallèlement de donner des compétences accrues aux Parlements nationaux, qui devront notamment devenir les garants de la subsidiarité et jouer un rôle plus important pour tout ce qui touche au "troisième pilier", c'est-à-dire aux affaires intérieures et de justice.

Il faudra enfin renforcer la politique étrangère et de sécurité commune. Point capital, cette politique devra conserver un caractère intergouvernemental et continuer de relever du seul Conseil. Mais la France proposera l'institution, dans ce domaine, d'un haut représentant ou d'un secrétaire général, chargé de représenter l'Union à l'extérieur et de mettre en œuvre les mandats qui lui seraient confiés par le Conseil européen. Ainsi, l'Europe aurait un visage et une voix.

Réussir la conférence intergouvernementale permettra l'élargissement rapide de l'Union à nos voisins d'Europe centrale, orientale et méridionale qui ont, pour la première fois, été conviés à l'occasion du Conseil européen, le 27 juin à Cannes : 26 pays au total, 30 peut-être si la paix revient en ex-Yougoslavie et permet l'adhésion des pays qui la composent.

Pour réussir une Europe élargie, il faudra introduire toute la souplesse nécessaire dans les traités, de manière à permettre aux Etats membres qui en ont la capacité et la volonté de renforcer leur solidarité et leur coopération. Cette approche n'est pas nouvelle, mais elle s'imposera avec plus de force encore dans l'avenir en raison de l'élargissement.

Un domaine majeur de solidarité renforcée sera naturellement celui de l'Union économique et monétaire. Des décisions concrètes ont été prises et un calendrier précis a été fixé en vue de l'introduction de la monnaie unique. Le gouvernement français prend toutes les mesures nécessaires pour respecter les critères de convergence dans les délais prévus. Il a demandé et obtenu à Cannes qu'une réflexion soit engagée aussi sur les relations entre les pays à monnaie unique et les autres Etats membres de l'Union.

Sur l'ensemble de ces dossiers, nous devrons tenir le plus grand compte de la position de chaque pays. Mais il est clair que demain plus que jamais, la France et l'Allemagne devront montrer la voie et, par leurs initiatives, maintenir l'élan de la construction communautaire.

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Faire de l'Europe une zone de paix et de prospérité, c'est d'abord s'attacher à traiter convenablement l'un des drames les plus complexes que nous ait légué l'Histoire : je veux parler de la tragédie qui dévaste l'ex-Yougoslavie. Si l'Europe restait plus longtemps incapable de restaurer la paix sur son sol, comment pourrait-elle développer, au sein de l'Union, une défense commune, tandis que le cancer de la purification ethnique menacerait en permanence de gagner, de proche en proche, les espaces voisins ?

Il n'y aura de paix durable que si nous parvenons à faire respecter nos valeurs, en nous appuyant sur un outil militaire crédible et sur une action coordonnée de la communauté internationale.

Pour la France, la recherche d'un règlement doit être fondée sur les principes qui constituent le socle de nos démocraties et sont aujourd'hui les références communes de tous les pays européens membres du Conseil de l'Europe et de l'OSCE. Le rappeler, alors que les armes ont déjà imposé des transferts massifs de populations, a une signification précise : la France n'acceptera pas un partage de la Bosnie-Herzégovine qui se traduirait par une nouvelle tragédie pour les musulmans et les autres communautés de Bosnie, pas plus qu'elle ne peut accepter les initiatives barbares, d'où qu'elles viennent, qui se traduisent par des transferts forcés de population ou des actes d'épuration ethnique.

Sans exclure des arrangements institutionnels souples, il faut imposer comme une exigence non négociable le maintien d'une Bosnie-Herzégovine que la communauté internationale a reconnue en tant qu'Etat et qui doit redevenir le trait d'union entre les communautés qui composèrent pendant plusieurs décennies un pays vivant en paix. Toute autre solution serait une insulte à nos valeurs et à l'avenir.

Parvenir à un règlement fondé sur nos valeurs, c'est tirer avec lucidité les leçons de notre échec collectif jusqu'à ce jour. La principale leçon concerne l'ONU. La France, je l'ai dit avec force le 5 juillet à Genève à l'occasion du cinquantenaire de l'Organisation, apporte un soutien déterminé aux Nations unies et à leur secrétaire général. Elle est, avec la Grande-Bretagne, le premier contributeur de troupes et c'est elle qui déploie, avec ce pays, les contingents les plus nombreux et les plus actifs dans l'ex-Yougoslavie.

Il n'y a pas de fatalité de l'échec ni de faiblesse intrinsèque de l'ONU. Il y a, en l'occurrence, une erreur fondamentale qui a été commise dès l'origine. Les Nations unies ont réussi en Namibie, puis au Cambodge parce qu'elles se sont déployées sur la base d'un règlement négocié au préalable, entériné par les parties et par le Conseil de sécurité. Leur mandat était clair et les moyens adaptés.

Rien de tel dans l'espace yougoslave. Confier des missions humanitaires à des soldats peu armés ne peut qu'en faire, au mieux les témoins impuissants, au pire les complices humiliés d'actes de barbarie unanimement condamnés. La France a corrigé, autant que faire se pouvait, cette erreur initiale en créant, avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, la Force de réaction rapide, complétée si nécessaire par les moyens aériens de l'OTAN selon des modalités adaptées. Solidement implanté à Sarajevo, notre pays peut désormais appuyer sa démarche diplomatique sur des moyens militaires crédibles, capables de défendre la capitale symbole de cette Bosnie dont nous refusons la disparition.

Le premier objectif assigné à nos forces est de faire disparaître la menace que faisait peser sur la capitale de la Bosnie la présence d'armes lourdes à l'intérieur de la zone de sécurité.

La France estime qu'il faut aujourd'hui aller au-delà. Elle propose que le second objectif à atteindre dans le cadre de l'opération actuelle soit le désenclavement de Sarajevo. Le libre accès à la ville devra être assuré dans un premier temps non seulement par la sécurisation totale de la route du Mont Igman mais aussi par la réouverture contrôlée de la route normale d'accès à la capitale, à partir de Kiseljak. Cette voie d'accès devra désormais être garantie en permanence, et ceci par tous les moyens appropriés.

La réalisation de ces objectifs contribuera à crédibiliser la relance actuelle de la négociation de paix. Cette relance devrait, selon la France, permettre d'achever ce désenclavement de Sarajevo et le retour à une vie normale dans la capitale ainsi que dans les autres zones de sécurité. Il conviendra enfin de déboucher dans les meilleurs délais sur un cessez-le-feu durable et vérifiable sur l'ensemble du territoire de la Bosnie.

Telles devraient être, selon la France, les premières étapes vers un règlement global.

Je saisis actuellement nos principaux partenaires, à commencer par ceux du groupe de contact et le secrétaire général de l'ONU, de ces propositions françaises. J'aurai l'occasion de les indiquer également au président du groupe de contact de l'organisation de la conférence islamique, que je reçois aujourd'hui même.

La France ne réussira pas seule. Elle ne ménagera aucun effort pour rassembler la communauté internationale, à commencer par ses principaux partenaires de l'Union européenne. Elle se félicite de l'engagement récent mais déterminé des Etats-Unis. Elle poursuivra avec la Russie un dialogue indispensable. Elle souhaite enfin mieux associer au processus diplomatique les pays qui disposent d'importants contingents sur le terrain, et notamment les Etats islamiques. Nous devons, en effet, mesurer l'émotion croissante de ces pays et les risques graves qui peuvent en résulter tant pour l'évolution du problème bosniaque que pour les relations entre l'Europe et le monde musulman.

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La recherche immédiate d'un règlement en ex-Yougoslavie souligne l'urgence de la construction d'une architecture européenne et transatlantique prenant pleinement en compte les conséquences de la révolution démocratique de 1989 et la lente émergence d'une politique de sécurité à l'échelle de l'Union européenne. Les deux démarches sont, en réalité, indissociables.

L'Eurocorps, comme les initiatives récemment lancées avec l'Espagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, dessine les contours d'une future Force d'intervention rapide européenne, qui bénéficiera des capacités d'observation spatiale que nous devons construire avec nos partenaires allemand, italien et espagnol. L'UEO doit progressivement devenir à la fois la composante de défense de l'Union européenne et le pilier européen de l'Alliance atlantique. Elle devrait, dans un premier temps, s'attacher à développer une véritable industrie européenne de l'armement, condition d'une coopération efficace de nos armées. La France estime que ces progrès, pour réels qu'ils soient, demeurent beaucoup trop lents. Elle proposera à ses partenaires de donner une nouvelle impulsion à la construction de l'Europe de la défense.

L'Alliance atlantique devra reconnaître à l'Europe la place qui lui revient. Elle a déjà décidé de nouveaux mécanismes permettant, notamment aux Européens, d'utiliser sous leur commandement certains moyens de l'OTAN. Il faut les mettre en œuvre avec détermination, ce qui n'est toujours pas le cas un an et demi après le sommet de Bruxelles. Cette évolution permet aujourd'hui à la France, sans revenir dans la structure intégrée, de participer à toutes les instances de l'Alliance fondées sur le respect de la souveraineté des Etats. Il faut aller plus loin : le gouvernement français prendra des initiatives au cours des prochains mois.

La réforme nécessaire de l'Alliance et son élargissement vers l'Est ne doivent en aucun cas affaiblir le lien fondamental qui unit l'Europe et les Etats-Unis. C'est pourquoi j'ai proposé qu'une nouvelle Charte transatlantique refonde, le moment venu, notre alliance tout en consacrant le nouveau partage des responsabilités qu'appelle l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale.

Vers l'Est, c'est une relation de véritable partenariat que l'Union doit construire avec ce très grand pays qu'est la Russie. L'établissement de liens solides entre celle-ci et ses partenaires de la Communauté des Etats indépendants doit être encouragé dès lors que ce rapprochement s'effectuerait dans le respect des souverainetés et des intérêts de chacun. Ce vaste ensemble formerait, aux côtés de l'Union européenne, le second pilier d'une architecture continentale fondée, non sur l'antagonisme des blocs, mais sur la coopération de deux grands ensembles, partenaires dans une OSCE qui pourrait progressivement devenir l'Organisation de l'Europe continentale, gage de paix et de sécurité pour tous ses peuples.

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C'est dans ce contexte radicalement transformé que doit être conduite notre réflexion sur la force de dissuasion française.

Depuis trente-cinq ans, sous l'égide du Général de Gaulle et de tous ses successeurs, notre pays a consenti un effort considérable pour développer des armes nucléaires qui assurent sa sécurité. Avec la fin de la guerre froide, les menaces sont devenues plus incertaines. Mais qui peut prétendre qu'elles ont disparu ? L'instabilité des pays issus de l'ex-Union soviétique, sur le territoire desquels subsistent des milliers d'armes nucléaires, la résurgence en Europe même de conflits ancestraux, ailleurs la tentation de la prolifération que ne fera pas disparaître la signature de traités, aussi contraignants et vérifiables soient-ils, tout cela doit être pris en compte.

Responsable devant la Nation de l'avenir et de la sécurité de notre pays, il est de mon devoir de rappeler aux Français que seule la force de dissuasion garantit la France contre l'éventuel recours à des armes de destruction massive, quelle qu'en soit leur nature. La notion de dissuasion face à toutes les menaces d'où qu'elles viennent conserve - et conservera longtemps encore - tout son sens.

Ce qui peut évoluer, en revanche, c'est sa signification géographique. A mesure qu'elle construira sa défense, l'Union européenne pourrait souhaiter que la dissuasion française joue un rôle dans cette défense. La France prendra, le moment venu, une initiative sur ce sujet avec ses principaux partenaires.

Pour autant, il n'est pas question, pour nous, de développer des armes nucléaires nouvelles et si j'ai décidé de procéder à une ultime et indispensable série d'essais, c'est pour garantir la crédibilité de notre force de dissuasion telle qu'elle est, pour vérifier la sécurité et la fiabilité de nos armes, pour nous doter enfin des données indispensables à la mise au point des instruments de simulation et pouvoir ainsi nous passer définitivement d'essais à partir de 1996.

Je vous demande de rappeler sans cesse qu'en agissant ainsi notre pays respecte strictement ses engagements et qu'il s'est mis en mesure de participer à la négociation du traité d'interdiction des essais nucléaires en adoptant, le premier, la position la plus exigeante.

Quant à nos derniers essais, je vous invite à souligner sans relâche, devant tous vos interlocuteurs, qu'aucun pays n'a accompli un tel effort de transparence. Aucun n'a invité les scientifiques choisis par l'AIEA à venir constater sur place leur totale innocuité.

La situation dont j'ai hérité ne m'a laissé ni le choix du nombre des essais nécessaires, ni celui du moment pour y procéder, ni même celui de l'annonce, compte tenu des délais de remise en état du site. Après avoir largement consulté tous les experts compétents et responsables, j'ai assumé mes propres responsabilités en sachant quelles pourraient être certaines réactions internationales. J'ai choisi de pratiquer le dialogue avec tous les interlocuteurs de bonne foi. Il vous revient d'incarner dans vos pays cette volonté de dialogue, avec la conviction que notre effort d'explication portera ses fruits et que, pour finir, la raison l'emportera sur l'émotion.

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Réussir l'Union, préserver la paix, assurer notre défense sont des tâches essentielles. Renforcer la solidarité de l'Europe avec la Méditerranée et l'Afrique n'est pas moins important.

Ces trois ensembles sont les espaces historiques de rayonnement politique, culturel et linguistique de la France. L'avenir de la langue française, qui constitue pour nous tous un objectif et une ambition prioritaires et sur lequel j'aurai l'occasion de revenir en détail lors du Sommet de Cotonou, avec Madame le ministre chargé de la Francophonie, se jouera dans ces trois espaces.

C'est en ancrant la Méditerranée et l'Afrique à l'Europe que notre pays contribuera le mieux à leur développement économique comme à leur progrès social. Cette conviction explique l'acharnement que la présidence française a déployé pour obtenir, lors du Conseil européen de Cannes, les moyens financiers d'une politique de coopération ambitieuse en Europe orientale certes, mais aussi en Afrique et, pour la première fois, en Méditerranée.

La France ne ménagera aucun effort pour que, fin novembre, la Conférence de Barcelone, rencontre sans précédent entre les deux rives de la Méditerranée, marque le point de départ d'un rapprochement entre deux mondes que menacent aujourd'hui l'incompréhension et l'intolérance et qui doivent au contraire dialoguer et mieux s'enrichir de leurs différences. Au-delà de la coopération économique et du dialogue culturel, c'est à un pacte de stabilité pour la Méditerranée que j'ai proposé à nos partenaires de réfléchir, notamment à l'occasion de ma récente visite au Maroc. Plus que jamais, alors que la situation de l'Algérie reste au cœur de nos préoccupations, la stabilité et le développement du Maghreb doivent être considérés comme une priorité.

Notre volonté de voir l'Europe assumer des responsabilités politiques à la hauteur de ses engagements financiers dans un Proche-Orient où, pas à pas, progresse la paix, notre souhait d'affirmer entre les pays du Maghreb et ceux de l'Union européenne une relation privilégiée, appellent une étroite concertation entre les trois présidences méditerranéennes successives de l'Europe. La France y est d'autant plus attachée qu'elle y voit aussi le moyen de préserver l'équilibre de l'Union à l'approche d'un nouvel élargissement.

Notre politique africaine s'inscrit dans la même démarche inspirée par la solidarité. De Yamoussoukro à Libreville et Dakar, j'ai souligné récemment la fidélité de la France à ses amis de toujours, son ouverture vers les pays qui n'ont pas avec elle de liens forts tissés par l'histoire, sa détermination à lutter contre l'afro-pessimisme et la forte tentation du désengagement. La France croit en l'avenir de l'Afrique. Elle ne ménagera pas ses efforts pour en convaincre ses partenaires, en Europe et à travers le monde. Je suis convaincu que l'Afrique s'éveillera à l'instar de l'Asie, à sa manière, et que ceux qui dénigrent ou mettent en cause nos actions de coopération s'apercevront alors de leur grave erreur de jugement.

L'Afrique est sur la bonne voie. Elle aspire à la stabilité et au développement. Elle s'en donne petit à petit les moyens. Le développement suppose la confiance, la confiance des opinions publiques et celles des responsables politiques ou économiques intérieurs ou internationaux. Les conditions de cette confiance s'affirment aujourd'hui. La gestion des affaires publiques s'améliore comme en témoignent les accords conclus par de nombreux pays avec les institutions financières internationales.

L'Etat de droit progresse dans la plupart des Nations africaines. La réflexion s'y poursuit efficacement sur la nécessité de renforcer les coopérations régionales ainsi que la diplomatie préventive sur le continent. Sur ce chemin difficile mais prometteur, la France accompagnera ses partenaires africains.

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Mais la France ne saurait borner sa réflexion et son action aux espaces de solidarité naturelle que la géographie ou l'histoire lui ont légués. Puissance à vocation mondiale, hôte du prochain Sommet du G7, en juin 1996 à Lyon, elle doit animer la recherche de solutions aux problèmes les plus graves de notre temps.

Le premier concerne l'efficacité de l'aide au développement. En raison de la diversification de la situation des pays du Sud, et cinquante ans après la création des Nations unies et des Institutions de Bretton Woods, des réformes sont indispensables. Une démarche imaginative et ambitieuse est nécessaire sous l'impulsion des pays qui apportent l'essentiel du budget de l'aide.

Cette démarche doit porter à la fois sur la concentration de l'aide, sur ses modalités en renforçant les dimensions humaines et sociales des programmes économiques, sur ses montants qui ne doivent en aucun cas diminuer, et sur une meilleure articulation entre les actions bilatérales et les actions multilatérales. Les propositions françaises seront précisées à la fin de l'automne.

Pour faire progresser ce dossier dans un esprit de véritable dialogue, je compte convier le secrétaire général des Nations unies, le président de la Banque mondiale et le directeur général du Fonds monétaire international à participer à l'une des séances de travail du Sommet de Lyon.

Le deuxième grand sujet qui devra être abordé concerne les relations entre les monnaies des principales économies. Des progrès vers un commerce mondial plus ouvert et plus équitable ont été enregistrés lors de la signature des accords du GATT à Marrakech. Ils devront être mis en œuvre et complétés dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Mais que représentent ces progrès, lorsque des monnaies importantes peuvent subir des variations aussi fortes qu'injustifiées ? Le Sommet de Halifax a permis un accord pour prévenir et, le cas échéant, traiter sans délai des crises telles que celle qui a frappé le Mexique. Il reste à renforcer la concertation et la surveillance multilatérale des changes. Avec prudence, mais avec détermination, la France présentera ses idées au cours des prochains mois.

Le commerce, la monnaie doivent avoir, au niveau international comme dans notre pays, une seule fin : l'emploi. C'est pourquoi j'ai proposé, et obtenu, que se tienne en France, au début de l'an prochain, une Conférence ministérielle du G7 consacrée à l'emploi. Sa préparation est engagée, en liaison notamment avec les Etats-Unis qui ont accueilli, vous le savez, la première rencontre consacrée à ce sujet, en 1994 à Détroit.

Restent enfin deux dossiers majeurs que nous allons aborder avec la Russie, en formation de G8 : la sécurité du nucléaire civil, qui fera l'objet d'un Sommet à Moscou au printemps prochain, et aussi et surtout la lutte contre la criminalité transnationale organisée, notamment contre le développement de la production et du commerce de la drogue, qui seront traités par un groupe d'experts dont les propositions seront examinées lors du sommet de Lyon.

Monsieur le Premier ministre,

Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Vous l'aurez compris, le destin de la France n'est pas, à mes yeux, de gérer au mieux le souvenir de sa grandeur passée. Les Français sont du fond d'eux-mêmes exigeants pour leur patrie. Ne les décevons pas.

Face aux dangers, mais aussi aux opportunités d'un monde nouveau qui cherche ses marques et son équilibre, la vocation de notre pays doit être, dans la droite ligne de l'enseignement que nous a légué le Général de Gaulle, de faire prévaloir, par un effort d'imagination et de volonté, des solutions aux problèmes de notre temps conformes aux valeurs qui nous inspirent : la liberté, la paix et la solidarité.

Je vous remercie.





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