Dialogue de M. Jacques CHIRAC Président de la République avec des jeunes et des intellectuels de l'université Humboldt.

Dialogue de M. Jacques CHIRAC Président de la République avec des jeunes, des étudiants et des intellectuels de l'université Humboldt en Allemagne.

Berlin- (Allemagne), lundi 26 juin 2000


LE PRÉSIDENT DE L'UNIVERSITÉ - Monsieur le Président, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au nom de l'université Humboldt de Berlin.

Sa création en 1810 en tant qu'université des réformes, et cela va peut-être vous surprendre, n'aurait pas été possible sans votre peuple. Ce n'est qu'avec la défaite de la Prusse contre Napoléon que les réformateurs prussiens ont eu la voie libre. Si toutes les défaites avaient été si productives, on se soucierait moins des victoires que des défaites !

Wilhem von Humboldt faisait partie de ces réformateurs, et c'est avec son frère, Alexander von Humboldt, qu'ils ont donné leur nom à cette Université. Tous deux avaient une pensée ouverte sur le monde, ce qui, à l'époque, voulait dire une pensée européenne. Ces recherches ont conduit Alexander von Humboldt à effectuer son fameux voyage de cinq ans avec son ami français Bonplan, à travers l'Amérique centrale et l'Amérique du sud. Alexander von Humboldt préférait passer ses journées à Paris plutôt qu'à Berlin.

À l'époque, déjà, l'Europe était présente en tant que société civile, et ce n'est qu'avec la montée des pensées nationalistes que nous, européens, connaîtrons deux guerres effroyables, avant que nous ne revenions à la raison. C'est un bon signe de voir qu'un Président de la République français parle de la société civile, cela nous montre combien nous avons pris nos distances par rapport aux terribles chapitres de l'histoire européenne et que nous avons su renouer avec des temps meilleurs.

Monsieur le Président, vous êtes le bienvenu.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais, tout d'abord, remercier le Président de l'Université pour son propos de bienvenue. Je crois comprendre que tout le monde parle français ici, alors j'ai un petit peu honte de ne pas parler allemand. Pour moi, il a fallu une traductrice. Mes félicitations.

Je voudrais remercier le Président de son accueil, et saluer toutes celles et tous ceux qui ont bien voulu répondre à son invitation, des lycéens, des étudiants, des professeurs, des intellectuels qui, dans cette prestigieuse université, s'il en est en Europe, s'intéressent notamment au rapport franco-allemand, à sa vocation et à son rôle dans la construction d'une Europe qui soit à la fois celle de la paix, de la démocratie, celle du progrès économique et social, également, bref, qui veulent apporter leur contribution à la réflexion dans ce domaine.

Alors je n'ai pas l'intention, naturellement, de vous faire un long discours, mais d'avoir quelques instants de dialogue avec vous, à l'occasion de ma visite ici, à Berlin, dans votre beau pays, et par conséquent, je pense que le mieux, c'est de vous donner la parole et d'essayer de répondre aux questions que vous vous posez, et que vous me poserez.

QUESTION - Monsieur le Président, ne serait-il pas utile, de façon très concrète, de commencer à harmoniser les systèmes d'éducation des différents pays de l'Europe, étant donné qu'il y a quand même des antagonismes au sujet de la formation et de l'éducation ?

LE PRÉSIDENT - Oui, sans aucun doute. Il est vrai que c'est plus vite dit que fait, même s'il apparaît clairement que c'est souhaitable. L'éducation, c'est d'abord une langue, c'est une culture, c'est un système organisé, tout cela est difficile à modifier, à harmoniser, même si tous les efforts nécessaires doivent être faits. Nous avons commencé, nous, les Européens, mais cela ne va pas très vite. Il y a une deuxième raison, c'est que, dans le cadre de cette identité de chaque État, les responsabilités ne sont pas les mêmes. Par exemple, en Allemagne, tout ce qui touche à l'éducation relève de la compétence des Länder. En France, cela relève du gouvernement, du pouvoir central. Et il est toujours difficile, dans notre système aujourd'hui, de trouver un accord qui puisse être souscrit par tous les Länder, plus les quatorze autres pays de l'Union.

Alors, cela ne nous décourage pas, nous avancerons, mais nous sommes obligés de le faire en respectant l'identité de chacun, parce que les avantages qu'il y a, évidents, à harmoniser nos systèmes d'éducation, pourraient être compensés par les inconvénients qu'il y aurait à créer une certaine anarchie dans ce système. Donc, il faut y aller prudemment.

Je voudrais vous dire autre chose.

Je viens de passer quelques heures à Berlin. Ce n'est pas la première fois que je venais à Berlin, naturellement. Quand j'étais maire de Paris, nous avions signé un accord avec le maire de Berlin, il y a de cela plus de treize ans, et nous avions des contacts permanents. Mais je suis à Berlin depuis quelques heures. J'ai remarqué deux choses. La première, c'est l'accueil particulièrement agréable et chaleureux des Berlinois, que j'avais déjà également remarqué hier à Hanovre. J'ai vu des gens sur les trottoirs qui ont le sourire, qui disent bonjour gentiment. Ce n'est pas partout pareil, ne croyez pas cela. En tant que responsable politique, je fais des voyages, et très souvent, on se heurte à l'indifférence, rarement à l'hostilité, mais généralement à l'indifférence. Les gens continuent leurs occupations. Ici, les gens disent bonjour. Comme je ne pense pas que ce soit strictement réservé à ma personne, je pense que cela exprime une sensibilité chaleureuse des Allemands à l'égard de la France.

Ceci est confirmé par un sondage qui a été très largement diffusé en France, hier, et qui je crois sera diffusé en Allemagne aujourd'hui ou demain, qui a été fait par un grand institut de sondage allemand et qui indique que 83% des Allemands interrogés trouvent que les Français sont sympathiques, ce qui est vrai d'ailleurs, mais bon, mais je remarque que ce chiffre monte de 95% à 96% pour les jeunes et je suis tout à fait persuadé, aux différences de chiffres près, qu'un sondage identique aurait des résultats identiques en France.

Petit à petit, il s'est forgé une vraie convivialité germano-française. C'est important. Nous voyons d'ailleurs nos échanges politiques de plus en plus importants et confiants. Il en va de même pour nos échanges économiques, de plus en plus importants aussi et confiants, de nos échanges culturels, cela va de soi. Il nous reste une barrière, c'est celle de la langue. C'est un vrai problème, parce que c'est très difficile pour les Français d'apprendre l'allemand et assez difficile pour les Allemands d'apprendre le français. Et cela, c'est un vrai problème qu'il faudra régler, c'est une barrière que nous devrons franchir. Et la meilleure manière de la franchir -je réponds là aussi à la jeune femme qui a évoqué l'harmonisation des systèmes d'éducation-, ce serait que les Européens, les Quinze, aujourd'hui, et plus, demain, décident ensemble le trilinguisme. C'est-à-dire que dès le plus jeune âge, chaque enfant serait en mesure d'apprendre deux langues en plus de la sienne. Vous verriez, à ce moment-là, un nombre considérable d'Allemands apprendre le français et un nombre considérable de Français apprendre l'allemand. Ce serait probablement le meilleur moyen, avec les échanges de professeurs que cela suppose, de franchir cette barrière, qui est la seule qui reste encore entre nos deux pays.

Et puis, j'ai fait une deuxième observation. Je suis allé mettre une couronne de fleurs au monument, tout près d'ici, en hommage aux victimes des guerres et des tyrannies au XXe siècle. Je me suis recueilli un moment devant ce monument et je disais : mais c'est effrayant de voir le nombre de morts, de blessés, le nombre de drames humains qui ont été créés pour rien, strictement pour rien. C'est vrai de la Première Guerre mondiale, où trois millions de soldats, allemands ou français, ont été tués, pour rien. C'est vrai pour la Seconde Guerre mondiale, qui a été encore pire.

Et donc, je me disais que, ceux qui, en 1945, ont eu l'idée de construire une Europe organisée ont eu une très grande vision. Ils ont été des visionnaires. Ils se sont dit : ce que nous voulons, c'est enraciner la paix et la démocratie, l'un n'allant pas sans l'autre, en Europe. Et comme c'était aussi des pragmatiques, ils n'ont pas essayé de tout faire en même temps. Ce n'était pas des hommes qui faisaient des discours, ils ont commencé petit, ils ont commencé avec six pays, ceux qui étaient d'accord pour faire ce chemin ensemble, et puis ils ont commencé par une petite chose, le charbon et l'acier. C'était donc à la fois une vision, une grande vision, et une méthode pragmatique. Et tout cela s'est développé.

Alors, souvent, nous avons l'idée que cette Europe comporte des difficultés. Il y en a qui grognent, qui ne sont pas contents. Vous savez, la vision des Pères fondateurs de l'Europe reste valable. Ce qui est le plus important pour nous, et en particulier pour les jeunes, c'est que nous ne soyons plus tentés de faire la guerre en Europe, et dans le monde aussi naturellement, mais enfin, en Europe pour ce qui nous concerne. On ne peut jamais être sûr de rien, les hommes étant ce qu'ils sont. Ils se sont toujours battus depuis qu'ils existent ou plus exactement depuis qu'ils ont commencé à accumuler des richesses. Nous devons faire en sorte que ce soit pratiquement impossible. C'est cela l'ambition de l'Europe. Cela suppose, je le répète, d'enraciner la démocratie, aussi et ensuite, naturellement, de développer les coopérations qui nous permettent d'améliorer le progrès économique et la croissance, d'avoir un modèle européen dans ce domaine, mais ceci, pas simplement pour le plaisir de faire de l'argent, mais pour avoir aussi un modèle social qui soit exemplaire, c'est-à-dire que cette richesse que nous créerons plus importante et plus rapide ensemble qu'isolément, nous puissions la mettre au service d'une amélioration générale de la condition humaine sur notre continent. Ce qui n'est pas toujours le cas et ce qui est un grand défi à relever.

Voilà, je voulais surtout le dire aux jeunes, ne soyez pas sceptiques. D'abord, le scepticisme n'est pas une qualité de la jeunesse. La jeunesse, c'est un engagement ou alors c'est qu'il y a quelque chose qui ne marche pas. Ne soyez pas sceptiques, engagez-vous à construire tous ensemble cette Europe qui nous assurera la paix, la liberté et le progrès.

Voilà, c'était mon introduction, j'espère que quelqu'un acceptera de dire quelque chose.

QUESTION - Quelle mesure va-t-on prendre pour réduire les problèmes de criminalité parmi les jeunes ?

LE PRÉSIDENT - Alors, d'abord, quelle que soit l'importance du phénomène de la criminalité parmi les jeunes, je dirai que quand elle est parmi les vieux ce n'est pas mieux. Donc, c'est la criminalité dans son ensemble qu'il faut essayer de maîtriser, voire d'éradiquer. Il y a au moins une chose qui est importante dans un monde où cette criminalité se développe, et en particulier chez des jeunes, pour des raisons qui tiennent à des modes de vie inadaptés, une chose de positif, c'est qu'on progresse pas après pas, je dirais de façon sérieuse et assez rapide, vers une appréciation globale, une approche globale européenne de ces problèmes. Et je pense que l'on aura des résultats concrets assez rapidement. C'est un des sujets qui a été traités par la Présidence portugaise à Lisbonne, la Présidence française en hérite. Nous allons là aussi essayer de progresser pour avoir une meilleure coopération dans le domaine, à la fois de la prévention et de la répression pour ce qui concerne la criminalité, ou plus exactement la délinquance et la criminalité, notamment chez les jeunes, et j'espère que nous y arriverons. Ce sera long et difficile.

QUESTION - Je dois vous poser une question concernant l'enseignement des langues étrangères. J'ai lu dans un journal que les élèves français préfèrent apprendre la langue espagnole plutôt que la langue allemande, et donc le taux d'apprentissage a baissé de 50% à 22%. Je sais bien que la langue espagnole est plus facile que la langue allemande, mais y-a-t-il une autre raison, que pourrait en être la conséquence ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, l'espagnol est la langue qui progresse le plus rapidement aujourd'hui dans le monde. Si vous regardez CNN, au moment des grands événements de la campagne électorale pour la présidentielle américaine, vous verrez George Bush Junior faire campagne en espagnol, dans son État naturellement, ou en Floride, ou en Californie du sud. Un candidat américain qui fait campagne en espagnol, cela veut dire simplement que l'espagnol est une langue qui se développe très vite et très fort, notamment de plus en plus aux États-Unis. Alors, deuxième raison, comme vous l'avez dit, l'espagnol, pour un français, est une langue latine, et c'est évidemment plus facile que l'allemand. Et donc, on peut être tenté effectivement d'apprendre l'espagnol. C'est un peu une facilité. Mais l'expérience prouve qu'un nombre croissant de jeunes français s'intéressent à l'allemand.

Je le répète, si l'on imposait le trilinguisme dès la première école, je suis persuadé qu'une grande partie de ceux qui, plus tard, pour des raisons de facilité, choisissent l'espagnol, choisiraient sous l'impulsion de leurs parents l'allemand comme deuxième langue, avec l'anglais. Et c'est la raison pour laquelle, je le répète, je pense qu'on ne peut pas obliger les gens. Mais je pense que la bonne réponse pour faire sauter cette dernière barrière, dont je parlais tout à l'heure, c'est le trilinguisme. Il y a beaucoup de pays en Europe qui sont trilingues, enfin il y a beaucoup de gens qui sont trilingues. Les Luxembourgeois parlent tous quatre langues, les Belges, les Hollandais parlent très souvent trois langues. Ce n'est pas un effort extraordinaire. Je crois que c'est la bonne réponse.

Le deuxième élément, c'est que nous manquons de professeurs d'allemand compétents. De même que vous manquez de professeurs de français compétents. Je ne dis pas que ceux qui existent ne sont pas compétents, naturellement. Je dis qu'il n'y en a pas assez qui soient compétents. Pour enseigner une langue, il vaut mieux avoir un professeur qui soit originaire du pays de cette langue. Un professeur de français en Allemagne, c'est mieux s'il est français que s'il est allemand, et réciproquement. Et donc nous avons aussi un grand effort à faire dans ce domaine pour améliorer la formation des professeurs et les échanges de professeurs.

QUESTION - Monsieur le Président, tout à l'heure vous avez parlé des problèmes concernant l'éducation et des problèmes qui restent pour harmoniser les différentes façons d'enseigner dans les pays européens. Il y a justement six semaines, le ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, a tenu un discours dans cette salle. Il a évoqué le thème de la supranationalité et je me demande ce que peut être cette supranationalité. Un gouvernement européen supranational ne serait-il pas plus capable de résoudre ces problèmes, et un exemple pour ça serait peut-être le thème de l'éducation ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord dire que le discours prononcé par Joschka Fischer était à tous égards un excellent discours. Il était excellent parce qu'il arrivait à point nommé. Il arrivait au bon moment. C'est-à-dire au moment où les Quinze commencent à se rendre compte de la nécessité de faire tous un effort si l'on ne veut pas que l'élargissement conduise à une Europe qui tomberait en panne, en quelque sorte. Et il a posé clairement le problème. Cela a été le premier mérite de ce discours.

Le deuxième mérite, c'est qu'il n'a pas imposé une solution. Il n'a pas dit : il faut un gouvernement supranational. Il a évoqué une série de possibilités, toutes très intelligentes, toutes très intéressantes, mais qui posaient toutes des questions. Autrement dit, il a montré un certain nombre de chemins et il a dit : ensemble, il faut que nous choisissions celui qui nous convient le mieux. Ce qui est une bonne démarche et ce qui certainement aura fait prendre conscience à beaucoup d'Européens du problème actuel de l'Europe.

Alors, dernier point, je le répète. Je ne crois pas qu'un gouvernement supranational, que M. Fischer d'ailleurs évoquait comme une hypothèse dans un deuxième temps, puisse aujourd'hui être retenu comme la solution. Tout simplement parce que, d'abord, je ne pense pas qu'il y ait de pays qui l'acceptent. Et si je prends le problème que vous évoquez, celui de l'éducation, est-ce que vous croyez vraiment qu'aujourd'hui les Länder allemands, qui ont fait un énorme effort en matière d'éducation, de façon intelligente, dynamique, accepteraient que ce soit une autorité extérieure, extérieure même à l'Allemagne, qui fixe des règles identiques pour tout le monde ? Cela ne marcherait pas. Et donc c'est par d'autres voies qu'il faut, je crois, avancer.

QUESTION - Je voudrais savoir si vous pensez que les jeunes Européens ont les mêmes chances aujourd'hui partout en Europe ? Et si vous pensez que les jeunes pourront un de ces jours avoir les mêmes chances, même si on reste dans cette société dans laquelle on vit en ce moment. Est-ce que cela sera possible un de ces jours, parce que je pense que cela n'est pas le cas ?

LE PRÉSIDENT - C'est un bel objectif, cela doit être une impérieuse volonté mais ce n'est pas pour demain malheureusement. Même dans chacun de nos pays de l'Europe des Quinze, nous voyons bien les problèmes qui se posent et qui sont un peu masqués, notamment en période de croissance. Nous voyons aujourd'hui une croissance forte. Nous voyons le chômage baisser, nous nous en réjouissons à juste titre. Mais nous avons aussi une exclusion qui s'accroît et elle s'accroît tout simplement parce qu'un nombre de plus en plus grand de jeunes ou de moins jeunes mais beaucoup de jeunes, sont marginalisés par le fait qu'ils n'ont pas acquis les connaissances suffisantes pour être intégrés dans la société. Alors, petit à petit, se produit un phénomène de marginalisation qui se termine par un phénomène d'exclusion. Et dans toute l'Europe aujourd'hui, l'exclusion s'accroît malgré la croissance. Et l'une des origines principales de l'exclusion, c'est l'insuffisance d'éducation. Alors à cela il y a beaucoup de raisons naturellement, qu'il faudrait étudier. Mais donc ce n'est pas pour demain, même dans nos pays riches, que tout le monde bénéficiera des mêmes chances.

J'ajoute qu'il y a maintenant un danger. C'est qu'il vient de se produire en matière d'écriture la plus grande révolution depuis Gutenberg. C'est l'écran, c'est l'Internet. Mais pour pouvoir bénéficier de ces techniques, ce qui va être nécessaire, aujourd'hui déjà un travailleur sur deux d'une façon ou d'une autre utilise un écran, pour pouvoir bénéficier de ces technologies et ne pas être rejeté, il faut avoir d'abord une bonne connaissance de l'écriture. Or l'analphabétisme ne recule dans aucun de nos pays, depuis cinquante ans, dans aucun de nos pays. Il y a là un phénomène de marginalisation qui risque de se développer encore. On parle maintenant d'un fossé numérique, appelons cela comme on le veut mais il y a un problème majeur d'exclusion. Donc, les efforts pour faire en sorte que tout le monde ait les mêmes chances sont beaucoup plus importants et urgents aujourd'hui qu'hier.

Alors, j'ajoute naturellement que l'ambition de l'Europe c'est de s'élargir. De s'élargir à un certain nombre de pays qui ont une culture, des traditions, mais surtout un niveau de vie différent du nôtre et, pour le niveau de vie, nettement plus bas. Là aussi, cela va poser un problème. Comment donner à ces pays qui ont un niveau de vie plus bas que le nôtre, comment donner à leurs jeunes qui seront demain des jeunes Européens, comme vous toutes ici et vous tous, comment leur donner les moyens d'accéder aussi à la connaissance jusqu'au net ?

Alors, vous voyez, c'est une ardente obligation, comme aurait dit le général de Gaulle, c'est une ardente obligation, mais il faudra vraiment y mettre beaucoup de volonté et beaucoup de courage.

QUESTION - Monsieur le Président, quelle idée avez-vous d'une Constitution européenne ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, le problème que nous avons aujourd'hui en Europe, qui est très sensible à beaucoup d'Européens, c'est qu'on ne sait pas toujours très bien qui fait quoi. C'est d'ailleurs un problème posé de façon pressante par la plupart des ministres-présidents des Länder allemands dont certains, comme le ministre-président de Bavière, souhaitaient même que ce sujet soit inscrit dans la réforme institutionnelle qui doit aboutir sous présidence française, pour essayer de dire qui fait quoi. Alors, nous ne pourrons pas faire cela sous présidence française, la barque est déjà trop chargée, mais il faudra le faire très rapidement. Ce n'est pas seulement les Allemands qui le réclament, c'est tout le monde, c'est une nécessité. Or qui fait quoi, cela veut dire avoir un cadre, c'est en quelque sorte une constitution européenne. Le mot n'est peut-être pas le bon pour les juristes, je n'en sais rien et je n'ouvrirai pas là dessus naturellement un débat qui relève des experts en matière de droit. Mais il faut une règle : qui fait quoi. Et cela, c'est une forme de constitution. Ce sera nécessaire, et rapidement.

QUESTION - Je voudrais revenir à la question de l'éducation puisqu'il me semble que l'amitié entre les peuples passe principalement par l'éducation et notamment commence dès l'enfance. Vous avez parlé du trilinguisme. Je voudrais revenir à un thème assez précis qui concerne les voyages scolaires qui forment énormément la jeunesse et qui font beaucoup pour l'apprentissage d'une langue. Or, on sait qu'en France en ce moment, c'est peut-être le cas en Allemagne, je ne suis pas informée sur la question, les professeurs sont confrontés à des difficultés croissantes en ce qui concerne l'encadrement des voyages scolaires et on a constaté que le nombre des voyages scolaires baissait dramatiquement. Ne serait-il pas temps de relancer le débat ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas de chiffres ou de statistiques, mais si tel est le cas, il faut effectivement relancer rapidement le débat. Surtout entre la France et l'Allemagne, prioritairement entre la France et l'Allemagne. Parce que, je vous le disais tout à l'heure, il y a entre nos deux pays des choses dont on peut tranquillement parler, dont on ne peut pas parler de la même façon avec d'autres pays. Et nous avons simplement cette difficulté de la langue qu'il faut vaincre et les voyages scolaires sont un très bon moyen d'initier, surtout quand ils sont jeunes, les enfants à la langue de l'autre. Donc je suis pour ma part très favorable au développement des voyages scolaires et si nous n'avons pas suffisamment d'argent pour les développer partout, eh bien, au moins donnons une grande priorité aux voyages entre l'Allemagne et la France.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais vous poser deux questions. D'abord, le triangle de Weimar. Est-ce que cela sera demain ce que la France et l'Allemagne sont aujourd'hui ? Et, deuxièmement, avec la construction de l'Europe-puissance, on a vu une coopération plus étroite entre la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Est-ce que cela représente à votre avis une confirmation du couple franco-allemand avec des associés-tiers qui sont flexibles ou bien est-ce que cela montre plutôt une faiblesse du moteur franco-allemand ?

LE PRÉSIDENT - Le triangle de Weimar, c'est un accord de coopération, d'échanges entre l'Allemagne, la Pologne et la France. Bien. Et qui donne lieu à une réunion à peu près annuelle. C'est une bonne méthode, mais une méthode de transition. La Pologne, aussi rapidement qu'elle pourra le faire, je l'espère, va adhérer à l'Union européenne. Et donc, l'esprit du triangle de Weimar, naturellement, changera et ses objectifs ne seront plus les mêmes. Il n'en reste pas moins que, dans une Europe élargie, un rapport amical, fort, entre la Pologne, l'Allemagne et la France garde toute sa justification. À condition, naturellement, de s'inscrire parfaitement dans les règles et les usages de l'Union européenne.

Pour ce qui concerne la défense, ce n'est pas seulement la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Cela a commencé avec la déclaration de Saint-Malo entre la France et l'Angleterre, et l'Allemagne très rapidement s'est jointe à l'effort franco-anglais. Et cela a été pour nous naturellement une très grande satisfaction. Et à trois, nous avons petit à petit convaincu tous nos partenaires de s'associer à cet effort, pour qu'il y ait, effectivement, moi je n'ai pas peur du terme, une Europe-puissance. Pour moi, l'Europe doit être une Europe qui a les moyens, en tant que de besoin, d'assurer sa défense si nécessaire. Soit dans le cadre de l'OTAN, soit, si les Américains ne sont pas concernés, ou ne sont pas intéressés, par elle-même, de sa propre initiative, sous son propre commandement et sous sa propre direction. Et je crois que, maintenant, beaucoup de choses ont été faites en moins de deux ans.

L'ensemble des Européens, des Quinze, ont adopté ce point de vue et nous avons tout récemment fait des progrès considérables qui vont s'achever avec la Présidence française. Et, deuxièmement, nos amis américains ont compris qu'il n'y avait pas du tout, du tout, dans ce processus, quelque chose qui serait contradictoire avec l'Alliance. Nous sommes tous, par définition, profondément attachés à l'Alliance atlantique et, par conséquent, il n'y a pas de contradiction dans notre esprit. Et je dirais même, au contraire, l'existence d'une défense européenne autonome renforce en réalité l'Alliance. Et, petit à petit, cette vérité aussi s'est imposée. Donc, de ce point de vue, je suis assez optimiste.

Voilà. Eh bien, écoutez, je voudrais vous dire toute ma reconnaissance pour être venus nombreuses et nombreux. Je voudrais dire que je souhaite vraiment que nos échanges fassent disparaître les dernières barrières qui existent entre nous. Soyez certains qu'il n'y a pas d'alternative en termes de paix et en termes de démocratie, ni d'ailleurs en termes de progrès, à la construction européenne et qu'il n'y aura pas de construction européenne sans un moteur, quelqu'un a utilisé ce mot, franco-allemand, qui fonctionne bien.

Il a toujours fonctionné bien, il fonctionne particulièrement bien aujourd'hui comme nous avons pu l'observer lors de notre séminaire de Rambouillet et du sommet franco-allemand de Mayence. D'abord parce que nous partageons les mêmes ambitions, les mêmes inquiétudes aussi, et ensuite parce que nous voyons bien que nous sommes, une fois de plus, à l'un de ces tournants qui émaillent en permanence la route de l'Histoire. Et nous allons nous élargir si nous voulons que l'Europe poursuive, dans le progrès, sa construction. Alors il faut prendre un certain nombre de décisions. Et ces décisions qui sont, je l'ai dit tout à l'heure, peut-être un peu douloureuses pour nous tous, pour chacun d'entre nous, ne pourront réellement être prises que si le moteur franco-allemand marche bien.

Eh bien écoutez, je vous rassure, et je suis heureux d'en témoigner ici, dans cette superbe et prestigieuse université, Monsieur le Président de l'Université, je vous rassure, le moteur franco-allemand marche remarquablement bien et, les uns et les autres, nous nous en réjouissons. Et je souhaite que les jeunes, et notamment les plus jeunes ici rassemblés, voient dans quelques années les fruits goûteux du travail que nous faisons aujourd'hui.

Je vous remercie.





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