Conseil européen: Conférence de presse du Président de la République.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue du conseil européen.

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Bruxelles (Belgique), le vendredi 24 mars 2006

LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs, les choses ont été bien conduites, la preuve, c'est que nous avons terminé à l'heure, ce qui n'est pas toujours le cas !

Je voudrais d'abord remercier, saluer les journalistes français et étrangers qui ont fait le déplacement, ou qui étaient présents ici. Je voudrais saluer tout particulièrement la Présidence autrichienne qui a été, vraiment, une excellente Présidence, sur le plan de l'imagination, sur le plan du dynamisme, sur le plan de l'autorité, elle a été une très très bonne Présidence.

Le Conseil avait été bien préparé, sur des sujets particulièrement importants et il s'est déroulé dans les meilleures conditions possibles. J'ai, à la fin du Conseil, salué et remercié, particulièrement, la Présidence autrichienne et je crois que cela a été approuvé de façon tout à fait unanime.

Ce Conseil a permis de progresser sur un certain nombre de points concrets, mais surtout essentiels pour l'avenir de l'Europe. Je sais bien qu'il est de bon ton d'exprimer des doutes ou du scepticisme mais la vérité, c'est que l'Europe progresse. Elle a toujours progressé en surmontant ses difficultés, elle continue !

Dans le cas particulier, elle est, à l'évidence, confrontée à un problème majeur, dont on a vu, au début de cette année, les conséquences potentielles, et qui est le problème de l'absence d'une politique énergétique européenne. Il y a un certain temps que l'on se doutait qu'il allait falloir prendre des initiatives dans ce domaine. Mais les événements récents ont conduit à souligner l'urgence de ces initiatives. Il faut, en effet, que l'Europe se dote d'une politique énergétique.

Depuis un certain temps, la France a été en initiative permanente dans ce domaine, pour convaincre. Elle l'a été en faisant voter sa loi sur l'énergie de juillet 2005. Elle l'a été lorsque, à l'occasion de la rencontre franco-britannique à Paris pour la préparation du sommet de Hampton Court, nous avons, je peux le dire, convaincu nos amis britanniques que c'était un point essentiel à mettre à l'ordre du jour de la réunion de Hampton Court. Ce qui a été fait.

J'avais également, lors des vœux de 2006, souligné l'importance qu'il convenait d'attacher à l'énergie en général, à une politique européenne de l'énergie en particulier. J'avais d'ailleurs, sur le plan strictement français, parlé et annoncé les études sur la quatrième génération.

Nous avions fait notre mémorandum au mois de janvier, qui a été apprécié et approuvé, dans ses grandes lignes, par l'ensemble de nos partenaires, et qui a largement inspiré le livre vert de la Commission. Livre vert que, d'ailleurs, nous avons nous-mêmes approuvé dans ses grandes lignes et dans ses principes. Et tout ceci a conduit à une prise de conscience de la nécessité d'avoir une politique de l'énergie. C'était un pas en avant, très important à faire, pour la construction d'une Europe dynamique et organisée.

Le Conseil a lancé aujourd'hui une stratégie ambitieuse en faveur d'une énergie sûre, compétitive et durable pour l'Europe. Ce sont les trois axes : structurer les efforts qui seront faits dans ce domaine, et qui impliquent de renforcer la sécurité de nos approvisionnements, qui est loin d'être garantie aujourd'hui ; identifier les nouvelles capacités nécessaires à la fois dans le domaine de la production, et dans le domaine des transports d'énergie ; développer les énergies produisant peu ou ne produisant pas de gaz à effet de serre, pour des raisons que je n'ai pas besoin de souligner. Et enfin, pour mettre en place une politique extérieure énergétique, qui nous permette d'avoir une voix cohérente face à l'ensemble des grands partenaires qui sont les nôtres, soit en tant que producteurs, soit en tant que consommateurs dans le monde. Je me réjouis que la Commission ait été chargée d'élaborer un cadre stratégique pluriannuel pour coordonner les efforts des Etats membres dans le domaine de l'énergie.

La Présidence autrichienne, le Président SCHÜSSEL, a souligné que, de ce point de vue, ce Conseil, sur le plan de la politique européenne, serait un Conseil fondateur. Le mot n'est pas excessif, il n'a pas été prononcé pour se faire plaisir, c'est une réalité.

Le deuxième thème qui a été développé c'est la recherche et l'innovation. Chacun sait, chacun voit que l'Europe, en terme d'efforts pour la recherche et l'innovation perd des places actuellement, par rapport à ce que l'on voit dans un certain nombre de grands pays, y compris les grands pays émergents, et que cela conditionne son avenir, je n'ai pas besoin de le souligner. Que, par conséquent, il est très important de faire un effort particulier, européen, pour développer les moyens de la recherche et de l'innovation.

C'est aussi l'un des thèmes dont nous avions demandé l'inscription à l'ordre du jour du Conseil d'Hampton Court, et pour lequel nous avons fait un certain nombre de progrès. En particulier sur le plan des moyens, j'avais proposé à Hampton court, empruntant d'ailleurs cette idée à Jean-Claude JUNCKER, qui l'avait exprimée quelques temps avant, que l'on mette en œuvre une facilité importante, financière, pour le développement de la recherche et de l'innovation, dont l'objectif était de doubler les moyens de recherche et d'innovation sur la période 2007-2013.

Pour cela, j'avais proposé d'avoir recours à la Banque Européenne d'Investissements dont les fonds propres sont excessifs ou pas nécessaires au niveau où ils sont. J'avais proposé que la Banque Européenne, sur ses fonds propres, dégage un milliard d'euros, complété par un milliard d'euros, sur la période, par la Commission sur le budget communautaire, ce qui faisait deux milliards d'euros. Ces deux milliards d'euros permettant de faire dix milliards de prêt aux entreprises, notamment aux petites et moyennes entreprises qui ont le plus besoin d'être encouragées dans le domaine de l'innovation et de la recherche. Ces dix milliards d'euros avec le capital privé qui s'y associe permettant de faire trente milliards d'investissement en matière de recherche et d'innovation, ce qui en clair, consiste à doubler, sur la période 2007-2013 du prochain budget, les moyens de la recherche et de l'innovation pour l'Europe.

C'est donc un pas extrêmement substantiel qui devait être franchi et que j'avais proposé. Cela a été discuté et finalement les conclusions ont été positives. Vous verrez dans celles du Conseil qu'il y a l'approbation du principe de ces trente milliards d'euros, c'est-à-dire un doublement de l'effort de recherche et d'innovation sur la période 2007-2013 à partir de la technique financière que je viens d'évoquer.

Par ailleurs, nous avons soutenu le projet de la Commission de lancer un Institut Européen de Technologie, qui se mettra en réseau et qui permettra une meilleure cohérence dans le domaine de l'étude, dans le domaine du développement de la recherche au niveau, notamment, des grandes écoles, des facultés, des instituts compétents.

Troisièmement, nous avons fait le point sur la situation de l'emploi et en particulier de l'emploi des jeunes, et j'ai souligné, comme mes collègues, d'ailleurs, combien ce problème avait un double aspect, un aspect social et moral d'intégration des jeunes dans la vie active et dans la société, mais aussi un aspect économique. Car l'importance, en Europe, en général, du chômage des jeunes, par rapport à certains autres pays est un élément non négligeable de l'insuffisance de dynamisme économique. On se prive, en quelque sorte, de forces actives qui devraient être mises au service de la société et de l'ensemble des jeunes. Donc exigence sociale, que chacun comprend, et sur laquelle je n'ai pas besoin de développer, mais exigence économique aussi, pour le développement.

Alors, cela suppose et c'est ce que nous avons évoqué, que chaque jeune, dans toute la mesure du possible, qui se trouve au chômage, puisse trouver une solution personnalisée et en même temps que l'on puisse agir en amont, sur la formation, le niveau de la formation qui, incontestablement, dans certains pays, c'est vrai notamment dans le nôtre, en France, n'est pas actuellement suffisant.

Enfin, deux autres progrès ont été enregistrés dans le domaine de l'emploi. Le premier, c'est le Fonds d'ajustement à la mondialisation proposé par la Commission qu'on appelle vulgairement le "Fonds antichoc" mais, dont chacun comprend l'importance qu'il peut avoir, proposition de la Commission qui a été approuvée par le Conseil. D'autre part, l'adoption du Pacte européen pour l'égalité des hommes et des femmes, selon les règles générales, s'appliquera à l'ensemble de la communauté dans le domaine de l'égalité hommes femmes. C'était une initiative qui avait été prise par le Premier ministre suédois, il y a quelques mois, et à laquelle la France s'était immédiatement ralliée.

Voilà les principaux points qui ont été évoqués au cours de ce Conseil, le dîner ayant essentiellement été consacré à l'énergie. Pour l'anecdote, je dirai que j'ai vu arriver ce matin, Mme Angela MERKEL, tout à fait stupéfaite, parce qu'elle avait lu dans la presse française, pas allemande, des réserves qu'elle aurait faites sur le "protectionnisme" français, qui n'a absolument pas été évoqué, qui est absurde et sur les divergences de vues entre l'Allemagne et la France dans le domaine de l'énergie. Alors, je tiens à rassurer ceux qui ont reçu, probablement, un écho déformé de couloir, dans ce domaine, sur ce sujet. Nous avons préparé, le gouvernement allemand et le gouvernement français, ensemble, et pendant près de quatre mois, notre politique commune, en matière d'énergie, sans d'ailleurs l'ombre d'une difficulté. Nous l'avons entérinée au Conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu récemment à Berlin. Mme MERKEL l'a exprimée, puisque c'était elle qui était rapporteur de ce sujet au dîner d'hier soir, dans des termes que je n'ai pu qu'approuver intégralement puisque nous les avions fait élaborer ensemble.

Je voulais donc simplement vous dire que je n'ai absolument pas partagé l'indignation de Mme MERKEL parce que j'ai l'habitude, plus longue qu'elle, de ces choses probablement, mais je rassure tout le monde en disant que la cohérence franco-allemande dans ce domaine, comme dans les autres, a été absolument parfaite et sans l'ombre d'une difficulté.

Voilà, mais je suis tout prêt maintenant à répondre à quelques questions.

QUESTION - Monsieur le Président, je voulais vous poser la question sur la Biélorussie parce qu'il y a une déclaration dans les conclusions du Conseil, notamment, on parle de sanctions. Est-ce que vous pensez, étant donné les élections présidentielles et ce qui s'est passé hier, c'est-à-dire l'arrestation d'opposants, que ce serait envisageable de mettre Alexandre LOUKACHENKO sur la liste d'interdiction de visa ?

LE PRESIDENT - C'est un sujet qui est sérieux et qui sera évoqué par nos ministres des Affaires étrangères dans les jours qui viennent, compte tenu des informations que nous venons juste de recevoir sur les arrestations que nous avons, naturellement, condamnées. Mais aucune décision n'a encore été prise dans ce domaine.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé du chômage des jeunes. Est-ce que l'on peut savoir si, en marge de ce Sommet, vous avez reçu le soutien de certains de vos collègues concernant la situation très tendue que connaît la France actuellement avec l'affaire du CPE, Contrat première embauche ?

LE PRESIDENT - Le soutien, évidemment, mais ce n'est pas une preuve, cela peut être simplement de la courtoisie. Donc, je ne me fonderai pas sur ce soutien quelle que soit la gentillesse avec laquelle il était apporté. En revanche, l'étonnement. C'est vrai que nos collègues ont un peu de mal à comprendre la nature des réactions vives que provoquent les réformes, en général, en France. Mais je leur ai fait remarquer que cela faisait partie du génie français. Nous avons un certain nombre de choses tout à fait admirables sur le plan de la culture, de la civilisation et qui sont reconnues comme telles. Nous avons les défauts de nos qualités. Nous sommes obligés de les assumer.

Plus sérieusement, je voudrais quand même dire deux choses qui sont implicites dans votre question. La première, c'est que nous avons connu, hier, des violences qui sont tout à fait intolérables et inacceptables. Un certain nombre de casseurs se sont mêlés aux manifestations et ont commis des voies de fait contre des passants, contre des biens, contre des personnes, qui sont inacceptables. J'ai demandé au Gouvernement, cela allait de soi d'ailleurs, que ces casseurs, qui n'ont rien à voir avec des manifestants, soient poursuivis et punis avec toute la sévérité nécessaire. Car, cela n'est pas acceptable, et donc, ils le seront.

Ma deuxième observation concerne le Contrat première embauche qui est au cœur de cette discussion. Sur ce contrat, je veux d'abord dire toute l'importance que j'attache aux discussions qui s'engagent aujourd'hui entre le Gouvernement et les organisations syndicales et professionnelles, y compris celles des jeunes. La première réunion d'aujourd'hui doit permettre, je l'espère, d'ouvrir un dialogue pour répondre aux inquiétudes, aux interrogations qui se sont faites jour et qui devront permettre de trouver les solutions conformes à l'objectif fondamental qui, lui, ne saurait dévié, du Gouvernement. A savoir, donner une solution qui soit adaptée aux besoins des jeunes qui sont dans la plus grande difficulté. Car, c'est à ceux-là que s'adresse le CPE et dans des conditions qui puissent être normalement expliquées, défendues et concertées.

Je fais pleinement confiance, dans ce domaine, au Premier ministre et au Gouvernement pour avoir les négociations et les discussions nécessaires, dans un esprit d'ouverture et de compréhension, comme je fais pleinement confiance aux organisations syndicales et professionnelles ou jeunes pour avoir un dialogue social qui soit un dialogue responsable et raisonnable.

Ce qui est en jeu, en réalité, c'est l'emploi des jeunes dont personne ne peut contester qu'il doit être amélioré. Et c'est, plus fondamentalement que l'emploi des jeunes, la réponse à apporter à l'aspiration des jeunes à trouver toute leur place naturelle, légitime dans la société. Naturelle, légitime et également indispensable, car il n'est pas de société qui puisse progresser, se développer dans l'efficacité et l'harmonie si les jeunes n'ont pas conscience d'y avoir toute leur place.

QUESTION - Monsieur le Président, première question. Les présidents d'universités ont demandé à vous rencontrer dans une lettre qu'ils vous ont adressée. Je pense que c'était hier ou avant-hier. La deuxième question : avant la réunion qui se tient à Matignon avec les centrales syndicales et la réunion des étudiants qui va se tenir dans le bureau du ministre de l'Éducation nationale, tous ces syndicats demandent, en fait, le retrait du CPE. Est-ce que vous êtes prêt à aider à trouver une solution pour retirer le CPE ou une solution, en tout cas, sur le plan juridique et constitutionnel ?

LE PRESIDENT - Je ne suis pas partisan d'une démocratie des ultimatums. Nous avons des institutions démocratiques. Nous avons fait la révolution pour les obtenir, pour les développer et j'estime que l'on n'a pas à donner d'ultimatum.

Quand une loi a été votée par le Parlement, conformément à l'esprit et à la règle de nos institutions, elle doit être appliquée. Ce qui n'empêche pas le Gouvernement de discuter telle ou telle modalité. Je suis tout à fait favorable à ce qu'un dialogue permette d'éclairer le sujet, non pas de façon brutale, mais pour tenir compte des observations des uns et des autres, dans le cadre de la loi républicaine.

QUESTION - Monsieur le Président, c'était juste une précision à propos de ce que vous avez dit et que vous venez de répéter sur la nécessité du dialogue. Vous avez parlé du génie français, est-ce qu'il n'aurait pas été possible d'instaurer ce dialogue plus tôt, avant de promulguer la loi ?

LE PRESIDENT - C'est possible. C'est ce que l'on dit, en général, après coup. Alors, vous me direz qu'il faudra peut-être en tenir compte pour la prochaine fois.

QUESTION - Monsieur le Président, en parlant de l'élargissement, j'aimerais connaître votre opinion sur les nouveaux critères qui entrent maintenant en discussion, qui sont l'opinion publique et la capacité d'absorption de l'Union européenne. Quand estimerez-vous que la France pourrait ratifier le Traité d'adhésion roumain et bulgare ?

LE PRESIDENT - Le Traité d'adhésion roumain et bulgare, si j'ose dire, est sur les rails. La France attend normalement la décision de la Commission qui, à mon avis, sera positive. Et à partir de là, je ne doute pas que la ratification sera faite par le gouvernement français.

Pour ce qui est des capacités d'absorption qui vont être l'un des sujets du Conseil de juin, c'est un sujet très important. Je suis favorable à l'élargissement. Pourquoi ? Simplement parce que je pense que l'essentiel du projet européen, c'est d'enraciner la démocratie et la paix, -l'un n'allant d'ailleurs pas sans l'autre-, sur l'ensemble de l'Europe et le plus largement possible.

Nous avons suffisamment souffert tout au long de l'histoire des guerres, des heurts, des difficultés, pour ne pas en tenir compte aujourd'hui. Donc, tout système qui s'élargit, est un système qui conforte la démocratie et la paix. C'est pourquoi j'y suis favorable. Il faut parfois tenir compte des réalités et ne pas confondre hâte et précipitation, car il est évidemment que, à la fois sur le plan financier, économique et politique, il y a une limite à la capacité d'absorption de l'ensemble européen pour ce qui concerne de nouveaux membres. Et c'est cette limite que nous devons examiner au prochain Conseil de juin, non pas dans un esprit de restriction mais dans un esprit réaliste de possibilité.

QUESTION - Monsieur le Président, la Russie occupe une place assez importante dans la sécurité de l'Union européenne, en matière d'énergie. Mais la France, l'Allemagne et certains autres pays de l'Union ont leur dialogue privilégié avec Moscou sur ce sujet là, des relations privilégiées. Est-ce que vous considérez que l'Union va traiter avec la Russie, ensemble ?

LE PRESIDENT - Il y a, vous avez raison de le souligner, d'excellents rapports politiques entre la France et la Russie, entre l'Allemagne et la Russie, entre d'autres pays aussi et la Russie. Sur le plan institutionnel, il y a, en quelque sorte, une organisation de ce dialogue puisque vous savez qu'il y a régulièrement des réunions à trois et qu'il est d'ailleurs question d'élargir entre l'Allemagne, la Russie et la France, au cours desquelles on discute de tout et notamment des problèmes économiques, et en particulier énergétiques.

Mais nous sommes dans une situation que j'évoquais tout à l'heure, en ce qui concerne l'énergie, où le contexte mondial rend absolument nécessaire une diplomatie européenne en matière d'énergie. Cela comporte tout et notamment les relations de l'Europe avec la Russie, avec d'autres pays d'Asie centrale, du Moyen Orient ou d'ailleurs, d'Amérique du sud. Et cette diplomatie est l'un des éléments forts de la décision que nous avons prise de créer une politique énergétique européenne et d'harmoniser nos actions dans ce domaine.

QUESTION - Est-ce que vous pouvez comprendre la critique qui existe, que la fusion entre Gaz de France et Suez est une forme de protectionnisme ?

LE PRESIDENT - Je me doutais bien que la question du protectionnisme me serait posée, et je vous répondrai sur la question de l'affaire Gaz de France/Suez.

D'abord, je voudrais dire que nous avons là une espèce de mode qui s'est développée, notamment chez les observateurs très superficiels des problèmes économiques, selon laquelle la France serait protectionniste. Or, par rapport à sa richesse nationale, la France accueille deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne et trois fois plus que l'Italie. Alors, vous pouvez me dire : mais vous dîtes çà, prouvez-le ? J'ai repris les données, les plus incontestables dans ce domaine et reconnues par tous, qui sont celles du Fonds monétaire international, le dernier rapport datant de 2004, mais ça ne s'est pas substantiellement modifié.

Ce rapport s'appelle "Le stock d'investissements étrangers par rapport au PIB de chaque nation, Fonds monétaire international" et il est, je crois, incontestable. Il en ressort que les investissements étrangers représentent, en France, 42 % des investissements, suit le Royaume Uni avec 36 %, puis l'Allemagne avec 24 %, c'est-à-dire deux fois moins que la France, puis l'Espagne avec 21 %, puis l'Italie avec 13 %, trois fois moins que la France. J'ajoute à cela, toujours le même rapport, qu'en France, un salarié sur sept dans le secteur privé, en général, est employé par une firme étrangère et, dans le secteur industriel, un sur quatre, contre un sur dix au Royaume-Uni, un sur dix en Allemagne, un sur vingt au États-Unis.

Je préciserai aussi que 45 % du capital des grandes entreprises françaises qui figurent au CAC 40 est détenu par des investissements étrangers, 45 %, ce qui est un record en Europe. Alors vous comprendrez que quand j'entends parler de protectionnisme en France, je me dis que, vraiment, on dit n'importe quoi, des contrevérités évidentes. Personne au monde ne peut soutenir cette thèse, personne ayant un minimum de compétence. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me suis beaucoup étonné de voir ou de lire que l'on allait évoquer ces problèmes, qui n'ont pas été évoqués, naturellement, pour une raison simple parce qu'il n'a y a aucun arguments pour les évoquer. Tout le monde sait exactement quelle est la situation de la France qui est le pays le plus ouvert aux investissements étrangers. Donc aucun de nos partenaires sérieux, naturellement, et par essence, documentés ne voudrait faire une réflexion de cette nature, de peur de se voir répondre qu'il faut d'abord qu'il aille à l'école, qu'il apprenne les choses. C'est comme ça. Il y a des bruits comme ça, ça fuse.

La France est d'ailleurs l'un des rares pays à avoir accepté de vendre à des étrangers des banques, comme ce fut le cas pour le CCF, des assurances, comme ce fut le cas pour les AGF et de mettre sous contrôle étranger des éléments essentiels, notamment dans le domaine du transport, comme par exemple EADS. Ce qui vous explique que personne, effectivement, n'a soulevé ce problème malgré des incitations qui pouvaient venir d'observateurs superficiels ou mal intentionnés. Personne n'a soulevé ce problème au cours de ce Conseil.

Deuxièmement, Gaz de France/Suez : il y a eu des bruits qui ont couru selon lesquels la Compagnie ENEL, compagnie sous contrôle total du Gouvernement italien, avait un projet d'OPA hostile sur Suez de façon à le démanteler. Opération strictement financière, n'ayant aucun motif économique et, de surcroît, intéressant deux cultures totalement différentes, s'attaquant non pas à une entreprise européenne mais à une entreprise franco-belge. Pas besoin de souligner, pour la Belgique, l'importance de l'électricité dans ce domaine.

Naturellement, on a regardé à deux fois. On y a d'autant plus regardé à deux fois que cela fait plus de six mois qu'il y a des négociations entre Gaz de France et Suez pour fusionner. Si c'est long c'est parce que c'est compliqué. Notamment doit être absolument garanti l'emploi des travailleurs et le statut des travailleurs, en particulier ceux de Gaz de France, donc ceci ne se traite pas à la sauvette. Le respect du statut des travailleurs de Gaz de France et de l'emploi sont évidemment des éléments déterminants d'un accord éventuel.
Alors voila, je ne vois pas en quoi on peut accuser la France de protectionnisme, tout simplement parce qu'elle ne veut pas céder à une opération purement financière qui est contraire à la volonté des actionnaires et des Etats français et belges, d'où notre position. Je ne sais pas si cela se fera ensuite, nous verrons bien, mais en tout les cas, ce sujet non plus n'a pas été abordé au cours de ce conseil.

QUESTION - C'est parce que vous estimez que Monsieur SEILLIERE est mal intentionné que vous avez refusé d'écouter son discours ou c'est simplement parce qu'il s'est exprimé en anglais ?

LE PRESIDENT - C'est simplement parce qu'il s'est exprimé en anglais. La France a un grand respect pour sa langue. Elle se bat depuis longtemps pour affirmer la présence du Français, que ce soit au Jeux Olympiques, où elle avait été un moment contestée, que ce soit au sein de l'Union européenne, que ce soit à l'ONU. Nous nous battons pour notre langue.

C'est l'intérêt national et pas seulement l'intérêt national, c'est l'intérêt de la culture, c'est l'intérêt du dialogue des cultures. Nous n'allons pas fonder le monde de demain sur une seule langue et donc une seule culture. Ce serait une régression dramatique.

Face à tous ces efforts que nous faisons constamment, notamment au sein de l'Union européenne, des difficultés qu'il y a avec toutes les langues, à maintenir la place de chacune, c'est notre intérêt que chacune ait sa place. Je dois dire que j'ai été profondément choqué de voir un Français s'exprimer à la table du Conseil en anglais. C'est la raison pour laquelle la délégation française et moi-même sommes sortis plutôt que d'avoir à écouter ça. Il n'y a aucune autre raison.

QUESTION - Je voulais vous demander de nous dire quelques mots sur votre prochain voyage au Chili, étant donné que vous avez été invité par le Président LAGOS et c'est Madame Michelle BACHELET qui va vous accueillir.

LE PRESIDENT - C'est le Chili qui m'accueillera, je l'espère. Ma première réflexion est un regret, ayant été invité depuis plusieurs années, que mon programme ne m'ait pas permis d'aller au Chili, qui est un pays que j'admire et que je respecte, notamment pour les progrès qu'il a assumés tant sur le plan politique et démocratique que sur le plan économique et social.

C'est un pays qui peut se poser en modèle, non seulement en Amérique latine mais, je vais dire, dans le monde. Et je répète mon regret de n'avoir pas pu répondre à l'invitation du Président LAGOS avec lequel, de surcroît, j'entretiens des relations très amicales, puisqu'il a été, avec le Président LULA et moi, à l'origine de l'offensive pour l'amélioration de l'aide publique au développement, qui s'est ensuite développée comme vous le savez.

Je me réjouis beaucoup d'être reçu par la nouvelle Présidente dont l'image est très flatteuse. Et je suis particulièrement heureux de la rencontrer car je ne la connais pas. Je suis impatient d'avoir avec elle un certain nombre d'échanges et de pouvoir ainsi profiter de sa propre expérience et de ses propres réflexions sur l'évolution non seulement du Chili et de l'Amérique latine mais, plus généralement, du monde de notre temps.

QUESTION - Monsieur le Président, une question sur le marché du travail mais cette fois-ci pour les travailleurs de l'Europe de l'Est, les huit nouveaux Etats membres. La France, jusqu'au 30 avril, avait fermé ses frontières et peu accueilli des travailleurs de l'Est, de tous les pays européens ; c'est quasiment l'État qui en a le moins accueilli. Que comptez-vous faire à partir du 1er mai ? Est-ce que vous comptez rompre ce qui constitue, pour ces pays-là, un petit mur de Berlin mais un mur quand même ?

LE PRESIDENT - C'est un vrai problème. Il est dans la nature de l'Union européenne qu'il trouve sa solution le plus rapidement possible. Comme vous le savez, nous devons, je crois, le 1er mai, donner notre réponse. Le Gouvernement français s'est réuni. Il a décidé de faire un pas, c'est-à-dire de prendre une position à la fois, progressive et maîtrisée pour ce qui concerne l'ouverture, en privilégiant naturellement les secteurs où il y a insuffisance de main-d'œuvre dans notre pays.

Les modalités de cette politique maîtrisée et progressive sont en cours de discussion, notamment avec les organisations syndicales, organisations de travailleurs salariés. J'espère qu'on arrivera progressivement à améliorer la situation mais nous sommes obligés de tenir compte d'une situation, que chacun connaît, de l'emploi dans notre pays.

Cela me conduit à une deuxième réflexion qui était aussi à l'ordre du jour du Conseil européen d'aujourd'hui, et qui était la directive ex- BOLKESTEIN. Comme vous le savez, la France avait, comme beaucoup de pays, réagi de façon très négative contre cette directive, qui ne tenait, en réalité, aucun compte des exigences en matière de progrès social, de garanties sociales des travailleurs et de garantie des services publics. Cette directive, nous en avions demandé le retrait. Elle a été retirée. Le projet de directive, par ailleurs nécessaire, et je n'oublie pas que la France est le quatrième exportateur mondial de services et donc, une certaine libéralisation dans le domaine des services est forcément à son avantage tant sur le plan économique ou financier que sur le plan social.

Mais encore faut-il que ce soit fait dans des conditions qui garantissent le respect des droits des travailleurs et des consommateurs, et la possibilité de l'adapter à la situation.

Le Parlement européen a été saisi. Il y a eu un long débat et, en grande majorité, il a arrêté le projet d'une autre directive qui n'a plus rien à voir avec la directive, conformément à ce que nous avions souhaité. Cela devait être examiné aujourd'hui, la réaction du Conseil à ce sujet. La Présidence a proposé que nous adoptions purement et simplement ce qui était la thèse de la France, la proposition votée par le Parlement européen. La Commission dont nous attendions avis, par la bouche de M. BARROSO, a confirmé ce point de vue. Il a dit que la Commission ferait une proposition conforme à ce qu'a proposé le Parlement européen, ce qui, évidemment, nous donne satisfaction. Nous en sommes arrêtés là. Quelques voix se sont élevées pour défendre, je dirais, des thèses plus libérales mais elles n'ont pas été suivies et le Conseil s'est prononcé à l'unanimité en soutien de la proposition de la Présidence qui a été adoptée et de la Commission.

Je vous remercie.






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