Conférence de presse du Président de la République à l'issue du Conseil européen.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue du Conseil européen.


Bruxelles (Belgique) - le 23 mars 2005.

LE PRESIDENT - C'est rare, nous avons terminé en avance et dans un excellent état d'esprit, que nous devons à la présidence luxembourgeoise. Je voudrais commencer par dire que la présidence luxembourgeoise a été exemplaire d'intelligence et d'efficacité. J'ai assisté à beaucoup de Conseils européens, et rarement -pour ne pas dire jamais- j'ai trouvé un Conseil aussi intelligemment et efficacement mené, dans la bonne humeur malgré l'importance des sujets traités, de bout en bout dans la bonne humeur. Et le résultat, c'est que nous avons terminé en avance.

Je voudrais donc vraiment exprimer -et je crois que c'est un sentiment très généralement partagé, même unanimement partagé- notre estime et notre reconnaissance à la présidence luxembourgeoise, c'est-à-dire naturellement au Président du Conseil en exercice, Monsieur Jean-Claude JUNCKER, mais également à l'ensemble de ses collaborateurs qui ont été, dans la préparation et le déroulement de ce Conseil, absolument parfaits et dignes d'un maximum d'éloges.

L'objectif de ce Sommet, c'était en réalité de mobiliser l'Europe pour améliorer la croissance, l'emploi et pour garantir ce qui est essentiel pour nous tous, c'est à dire le modèle social européen. Dans cet esprit, nous avions deux points essentiels à l'ordre du jour : d'une part, la réforme du pacte de stabilité et d'autre part, la révision de ce que l'on appelle la Stratégie de Lisbonne.

Sur le pacte de stabilité, chacun sait que depuis le Sommet d'Amsterdam en 1997, nous avions un pacte. Ce pacte avait été négocié dans des conditions, -j'en ai gardé un clair souvenir-, qui n'étaient pas faciles. A Amsterdam, qui s'est terminé tard dans la nuit, on a adopté le pacte de stabilité et je me souviens que toute la soirée jusqu'à la décision finale, le Premier ministre français de l'époque, M. Lionel JOSPIN et moi-même, nous sommes battus pour obtenir, à tout le moins, que ce pacte s'appelle "pacte de stabilité et de croissance". Nous avions, à l'époque, l'un comme l'autre souligné l'importance qu'il y avait à intégrer la notion de croissance dans cette règle du pacte de stabilité. Nous avions, en toute fin de Conseil, obtenu satisfaction sur la forme, la vérité c'est que sur le fond, nous n'avions pas réellement convaincu. Donc, il s'est appelé "pacte de stabilité et de croissance", mais l'impératif croissance était passé un peu en pertes et profits.

Il était alors indispensable de revenir sur ce point. On a bien vu que les contraintes telles qu'elles étaient arrêtées dans ce pacte avaient, notamment lorsque la croissance n'est pas très bonne, des conséquences fâcheuses sur l'emploi, sur les problèmes sociaux. Par conséquent, il fallait réintégrer réellement cette notion d'exigence de croissance dans la stabilité. C'est ce qui était demandé par un certain nombre de pays, c'est ce qui a été négocié de façon, je dois le dire, tout à fait remarquable par les ministres des finances, notamment, je le souligne, sous l'impulsion du ministre français et du ministre allemand. C'est ce qui a été décidé d'abord au sein de l'Eurogroupe, puis de l'ensemble des vingt-cinq de l'ECOFIN et c'est ce qui nous a finalement permis d'adopter aujourd'hui, sans les modifier, les conclusions des ministres des finances.

Nous aurons donc un pacte qui prendra mieux en compte, d'une part la situation économique générale et, d'autre part, la situation propre à chacun des pays concernés. C'est-à-dire, notamment, que l'on tiendra compte du niveau général de la croissance dans les périodes de haute conjoncture, de "vache grasse", comme certains ont dit. Alors, on sera naturellement plus attentifs aux efforts faits par les uns et par les autres pour le sérieux de la gestion de leurs dépenses et, au contraire, dans les périodes de faible croissance, lorsqu'il y a des difficultés ou des problèmes, on prendra garde de ne pas ajouter des contraintes mécaniques aux contraintes économiques, pour éviter d'accroître les difficultés économiques et donc sociales.

Nous aurons également un pacte qui sera un outil pour la croissance et les objectifs politiques de l'Union. En effet, on a décidé de réserver un sort particulier à certaines des dépenses. Il est évident qu'une chose est d'augmenter indéfiniment, par exemple, les dépenses de fonctionnement, une autre chose est de prévoir l'avenir avec des dépenses de recherche, d'investissement, des dépenses de sécurité et des dépenses d'aide publique au développement, c'est-à-dire de solidarité internationale.

Nous avons donc adopté une solution qui nous permette de tenir compte de la qualité de ces dépenses et en particulier de traiter de façon différente les dépenses liées à ces objectifs prioritaires : recherche, investissement, aide publique au développement parce que c'est la solidarité internationale, dépenses militaires aussi bien de recherche que de fonctionnement, parce que ce sont les objectifs politiques, les engagements notamment sous le contrôle de l'ONU, de l'Union européenne. Et donc cette approche un peu différente permettra d'être beaucoup plus réaliste dans les conséquences des dépenses et notamment sur les budgets.

Alors, ça ne veut pas dire que l'on va balayer d'un revers de la main les disciplines budgétaires, c'est évident. La règle des 3% reste d'actualité ; elle s'impose. La règle des 60% pour ce qui concerne l'endettement est également maintenue. Mais le Conseil se réserve d'apprécier, compte tenu de ce que je viens d'évoquer, les dépassements éventuels qui pourraient être la conséquence d'un effort particulier sur l'investissement, sur la recherche, sur la solidarité internationale, sur la défense de l'Union européenne, pour porter son jugement.

C'est donc en réalité un pacte qui sera moins mécanique et qui sera plus économique, et sans aucun doute mieux respecté parce que mieux accepté.

Le deuxième point que nous avons évoqué, c'est la stratégie de Lisbonne. Nous avons adopté un nouveau partenariat. Nous avions prévu une Stratégie de Lisbonne qui devait avoir pour ambition de nous mettre au premier rang dans le monde pour ce qui concerne l'activité et l'emploi. Nous nous sommes bien aperçus que nous n'avions pas atteint cet objectif et que, par conséquent, il fallait un nouvel effort, une nouvelle réflexion, qui nous permette de renforcer cette action économique. Mais la grande caractéristique de l'Union européenne, c'est le respect d'un modèle social européen. Par conséquent nous devons trouver un modèle amélioré de développement, de croissance, avec le respect du modèle social européen, c'est-à-dire des droits sociaux qui doivent en permanence être tirés vers le haut et en aucun cas vers le bas.

Dans ce domaine, l'Europe renforce ses moyens pour une véritable politique industrielle, pour promouvoir l'emploi, pour lutter contre les délocalisations avec la relance des efforts de recherche que nous avons décidée et qui sera facilitée par la réforme du pacte de stabilité, avec la création des pôles de compétitivité, qui sont une formule moderne de développement de l'efficacité, et avec le lancement de grands projets, tels que GALILEO qui a été lancé, de ITER qui va l'être, -nous avons décidé là aussi de lancer ITER dans les plus brefs délais-, bref ; nous avons donné une impulsion nouvelle à tout ce qui serait la réalisation des grands projets qui ont fait la force de l'Europe d'hier. On pense à Airbus, on pense à Ariane, on pense à d'autres, qui doivent faire la force de l'Europe de demain à condition qu'ils soient engagés dès maintenant.

C'est d'ailleurs l'esprit de la réforme récente adoptée par la France, avec la création de l'Agence d'innovation industrielle qui a, je dirais, orienté l'ensemble des réflexions et des décisions du Conseil. Cette agence de l'innovation industrielle voulue et engagée par la France a servi de base à la réflexion de l'ensemble de nos partenaires et va, en réalité, servir de modèle pour une ambition nouvelle de l'Europe, notamment dans le domaine des hautes technologies et des sciences du futur.

Deuxièmement, la jeunesse. Nous avons parfaitement conscience, et j'ai développé ce thème déjà depuis un certain temps, que nous avons un problème de jeunesse. Nous avons un problème qualitatif et quantitatif de jeunesse en Europe. Pour des raisons que chacun connaît, la démographie européenne est insuffisante, par conséquent, l'âge moyen des Européens s'accroît. Cet âge moyen s'accroissant, la solidarité que l'on doit aux personnes âgées et retraitées, dans les domaines de la retraite, de la santé, s'accroît.

C'est légitime et normal, mais cela veut dire que des sommes de plus en plus considérables sont affectées à cette solidarité due à la démographie et que, par voie de conséquence, ce qui reste pour les jeunes s'avère insuffisant. En tous les cas insuffisant si l'on se compare aux grands pays qui nous sont semblables, par exemple les Etats Unis, où l'on voit que le nombre de jeunes privés d'emploi, en pourcentage naturellement, est très inférieur à ce que l'on connaît en Europe. Et où l'on voit également que le revenu moyen des jeunes est sensiblement supérieur à celui que l'on connaît en Europe. Il y a donc un vrai problème en Europe, qui explique notamment une insuffisante compétitivité, une insuffisante activité de l'économie européenne, parce qu'on ne fait pas pour les jeunes suffisamment pour les motiver, pour les engager dans le travail, dans l'emploi, dans la création de richesse.

Nous avons donc proposé à l'origine à nos amis allemands une initiative qui a été tout à fait adoptée par le Chancelier. Nous l'avons ensuite proposée et fait adopter par le Chef du gouvernement espagnol, puis par le Chef du gouvernement suédois, puis par l'ensemble du Conseil. Nous avons ensuite saisi la Commission et ce pacte européen pour la jeunesse a été définitivement adopté hier. C'est un pari sur la jeunesse. Avec ce pacte, nous affirmons la volonté de l'Europe d'avoir une démographie plus dynamique et donc une conciliation meilleure de la vie professionnelle, personnelle et familiale, notamment avec pour objectif de permettre ou d'inciter les jeunes ménages à avoir le nombre d'enfants qu'ils souhaitent, et non pas le nombre d'enfants qu'ils peuvent assumer. Il y a, vous le savez, toutes les enquêtes européennes en témoignent, une différence sensible entre le désir d'enfants des ménages et leurs possibilités d'assumer ce désir.

Deuxièmement, nous voulons faire davantage pour répondre aux attentes des jeunes, notamment en matière d'éducation, de formation, d'emploi, de mobilité, de promotion sociale. Dans tous ces domaines, nous avons un effort important à faire, qui ne peut être qu'un effort collectif. Voilà donc les décisions que nous avons prises et qui sont reflétées par ce pacte européen pour la jeunesse.

J'ai d'ailleurs été sensible à la remarque de la Présidence luxembourgeoise, du Président JUNCKER, qui, alors que dans les propositions, en annexe, il y avait d'abord le pacte de stabilité et ensuite le pacte pour la jeunesse, a fait remarquer en séance que ça n'est pas normal, qu'il faut d'abord mettre le pacte pour la jeunesse, et puis ensuite seulement le pacte pour la stabilité. Ce qui est normal et naturel et a été fait.

Dernier point, j'ai également souligné fortement que la croissance économique et la cohésion sociale vont de pair dans le projet européen. C'est même ce qui fait la force, l'originalité, la valeur du projet européen, c'est que la croissance économique et la cohésion sociale doivent aller de pair. C'est ce que l'on appelle le modèle social européen. Et c'est dans cet esprit que j'ai dû rappeler l'opposition complète de la France à la directive sur les services. J'ai indiqué qu'il y avait un nombre important de pays qui partageaient la même position que nous, à commencer par l'Allemagne, et que l'on ne pouvait pas ignorer les réactions actuelles du Parlement européen. Le Parlement européen va notamment, avec le nouveau traité constitutionnel, voir ses attributions et son importance s'accroître. Et chacun sait qu'aujourd'hui il y a au sein du Parlement européen une critique très forte à l'égard de ce qui avait été initialement proposé par la directive sur les services.

Enfin, j'ai indiqué que l'on ne pouvait pas ignorer que la totalité des organisations syndicales de travailleurs salariés de toute l'Europe, c'est-à-dire des Vingt-cinq, ont toutes pris position, et l'ont toute exprimée par des dizaines de milliers de manifestants, il y a quelques jours, à Bruxelles, dans une manifestation qui était à la fois parfaitement digne et parfaitement déterminée.

Cela veut dire, tout de même, qu'il y avait des raisons de mettre en cause cette directive. Alors je sais bien que l'on nous disait : "mais cela n'a pas d'importance, parce c'est une proposition de la Commission et qu'une proposition de la Commission n'est qu'une proposition, que la décision appartient aux gouvernements et au Parlement". Ce qui est vrai : c'est le Conseil et le Parlement qui décident, et non pas la Commission. Il n'en reste pas moins que le caractère outrancier de ces propositions initiales avait eu pour effet de mobiliser l'opinion publique et, je le répète, à juste titre, de créer une indignation aussi bien au Parlement que dans les organisations syndicales, que dans un grand nombre de pays.

Par conséquent, on ne pouvait pas laisser les choses aller en l'état. La France n'est pas hostile naturellement à un marché commun des services dont elle sera la principale bénéficiaire, puisque nous sommes les exportateurs de services les plus importants en Europe ; ça n'est certainement pas nous qui allons être hostiles à un marché unique des services, à condition naturellement que cela soit un marché où les règles permettent de tirer tout le monde vers le haut, non pas vers le bas, ce qui était le cas du précédent texte.

C'est la raison pour laquelle nous avons demandé une remise à plat de cette directive sur les services. Nous en avons fait l'essentiel de nos discussions du dîner d'hier -là encore mené avec beaucoup d'élégance et d'intelligence par la présidence luxembourgeoise- ce qui nous a permis d'aboutir hier soir, à l'issue du dîner, je dois dire sans difficulté majeure, à un texte permettant la remise à plat complète de la directive en question, pour qu'une nouvelle directive conforme au modèle social européen puisse être, le moment venu, proposée par la Commission. Bien entendu étudiée et décidée par le Conseil des ministres, le Conseil européen et par le Parlement qui, je le répète, sont seuls à décider dans ce domaine.

Voilà les principaux sujets de nos débats et, je répète une fois encore, ils se sont passés de façon particulièrement efficace et rapide.

QUESTION - N'avez-vous pas l'impression tout de même que vos collègues vous ont donné un sérieux coup de pouce pour votre campagne en faveur du "oui" pour la Constitution ?

LE PRESIDENT - Je ne sais pas si l'on peut dire cela. Je n'ai pas le sentiment que c'était leur préoccupation première. Parce que, pour dire la vérité, je n'en connais aucun qui imagine que la France pourrait rejeter le traité constitutionnel. On peut se tromper naturellement, mais enfin, ce n'est donc pas leur motivation.

J'ajoute qu'ils ont parfaitement conscience que cela n'a pas de rapport, je dirais même que si cela en a un, il est positif. Le nouveau traité constitutionnel va augmenter très sensiblement les exigences sociales, les garanties sociales, et par conséquent diminuer les risques de dérive sociale que l'on peut imaginer si l'on appliquait telle qu'elle avait été initialement prévue la directive sur les services. Donc, s'il devait y avoir un lien entre cette directive et la consultation référendaire, il devrait être positif, car il montre la capacité de l'Europe précisément à éviter que, dans l'avenir, les droits sociaux puissent être de façon un peu légère mis en cause, avec les conséquences que cela comporte.

QUESTION - Auriez-vous préféré que la Commission retire la proposition de directive sur les services ? Et puis si l'on parle de modèle social, vous pensez à quoi ? L'application polonaise, allemande ?

LE PRESIDENT - Le mot "retirer" n'a pas de sens sur le plan des procédures européennes. Le fait qu'on la reprend entièrement, c'est la même chose que si on la retirait, en réalité. On ne peut pas retirer un texte qui avait été déposé et dont la procédure est en marche, en particulier soumis au Parlement européen.

Sur le modèle social, vous savez, je viens de le dire tout à l'heure, les syndicats polonais, des pays que vous venez de citer, étaient dans la rue, à Bruxelles, il y a quelques jours. Ils avaient exactement les même propos et les mêmes propositions que les syndicats allemands ou français. En réalité, les travailleurs, les citoyens qui entrent dans la nouvelle Union, ne souhaitent pas avoir une situation sociale au rabais, ils veulent justement -et c'est là leur motif- se trouver dans un système qui garantisse un certain modèle social, c'est-à-dire une certaine dignité dans les rapports avec le travail. Il n'y a donc pas de contradiction.

QUESTION - Monsieur le Président vous avez parlé à plusieurs reprises de tirer l'Europe vers le haut. Est-ce que vous avez évoqué les moyens budgétaires qui seront nécessaires pour le faire ? Et est-ce que vous pensez que l'on pourra le faire avec un budget limité comme la France le souhaite ?

LE PRESIDENT - D'abord, le budget n'est pas extensif et c'est, au total, de l'argent payé par les contribuables de tous les pays. Cela s'intègre donc dans les choix globaux de chacune des nations. Le sentiment d'un certain nombre de pays, notamment de l'Allemagne et de la France et de quelques autres, c'est que, dans la limite de 1%, on doit pouvoir assumer les exigences du futur budget européen. Naturellement, nous en discuterons le moment venu et l'ambition de la Présidence luxembourgeoise, c'est que l'on puisse trancher ce problème, prendre cette décision au prochain Conseil européen. Je le souhaite, je ne suis pas absolument certain que cela sera possible. Nous avons des exigences d'économie qui s'imposent à tous les pays, on ne peut pas dire aux pays "vous êtes obligés de faire des économies pour gérer convenablement votre monnaie" et leur dire que c'est vrai pour tout le monde sauf pour les dépenses communautaires.

Donc, il y a cette exigence. Et naturellement, il y a quelques autres exigences : celle de la solidarité, notamment à l'égard des pays nouvellement entrants ; il y a la solidarité, également au profit des régions qui en ont, de la façon la plus évidente, le plus besoin. On s'aperçoit rapidement que l'on ne pourra véritablement avoir un équilibre convenable que si l'on remet en cause le chèque britannique, qui ne se justifie plus aujourd'hui. Il a pu avoir sa justification dans le passé, quand Madame THATCHER et Monsieur MITTERRAND l'avaient adopté, mais qui ne se justifie plus aujourd'hui. Il est en réalité l'élément qui doit permettre de donner le mou nécessaire à une décision définitive dans le cadre d'un esprit d'économies qui s'impose.

QUESTION – Monsieur le Président, vous avez dit tout à l'heure que l'objectif de Lisbonne était d'améliorer la croissance, l'emploi, et de garantir le modèle social européen. Si l'on constate les résultats extrêmement négatifs en matière de croissance, d'emploi et l'augmentation permanente du chômage depuis déjà de nombreuses années, est-ce que vous ne pensez pas que vous êtes dans un cercle vicieux, que l'obstination à garantir le modèle social européen, finalement, est ce qui empêche la croissance de se développer et l'emploi de progresser?

LE PRESIDENT – Je ne le pense pas du tout. Nous avons connu une période de faible croissance, c'est un fait. On peut l'attribuer à un certain nombre de raisons. La rigueur budgétaire étant l'une de ces raisons car elle est inadaptée aux évolutions. C'est d'ailleurs ce qui nous a conduit à la réforme du pacte de stabilité. Mais la thèse selon laquelle la bonne solution pour permettre le développement de l'économie serait de réduire les acquis sociaux ne m'a jamais paru une solution utile ou possible.

D'abord parce qu'elle est tout à fait contraire à une certaine idée que nous nous faisons de l'équilibre économique et social en Europe. Ensuite, parce que je n'ai pas observé qu'elle ait été réellement efficace là où elle a été appliquée. Donc je persiste à penser que c'est dans un équilibre entre d'une part, le respect que l'on doit à un certain modèle social qui donne un minimum de garanties à l'ensemble des travailleurs, et d'autre part, l'impulsion économique que l'on doit donner, notamment grâce à une certaine souplesse budgétaire lorsque c'est nécessaire, que l'on peut trouver la voie qui nous conduira à la réussite. C'est bien dans cet esprit que l'on a justement modifié la Stratégie de Lisbonne. On s'est aperçu de ce que vous disiez et donc on l'a modifiée.

QUESTION – Monsieur le Président, est-ce que dans ce débat sur la directive services, on pourrait sortir d'une certaine imprécision et de ce que le commissaire français, M. BARROT, a appelé une certaine désinformation. Précisément, demandez-vous le retrait du principe du pays d'origine de cette directive, sachant que ce principe est un des points directeurs du traité, puisqu'il touche à la reconnaissance mutuelle et à la liberté d'établissement ?

LE PRESIDENT - C'est une approche un peu superficielle des choses ; le principe du pays d'origine, tel qu'il a été arrêté et compris dans la directive sur les services n'est pas acceptable pour la France et pour un certain nombre d'autres pays. Et donc nous l'excluons.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous ne trouvez plus de référence au pays d'origine dans la décision qui a été prise aujourd'hui. Ce qui veut dire clairement que nous n'acceptons pas cette référence. A partir de là, nous sommes tout à fait prêts, je le répète, à étudier avec l'ensemble de nos partenaires, les modalités de mise en œuvre d'une ouverture des services, à laquelle la France ne peut être que favorable, pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure.

QUESTION – Il semble que les Britanniques aient changé ces derniers jours leur approche sur la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine. Etes-vous surpris et en avez-vous parlé avec le Premier ministre britannique ?

LE PRESIDENT - Ce n'était pas le sujet du Conseil, nous ne l'avons donc pas évoqué. Je vous rappelle que le Conseil a pris, en janvier dernier je crois, une décision aux termes de laquelle la Présidence doit assumer la levée de l'embargo sur la Chine dans des conditions qui ont été mises au point et développées, et qui sont connues. Rien ne permet de penser qu'il y a un changement dans ce domaine.

QUESTION – Pardon de revenir aux deux sondages français qui donnent le "non" gagnant. Ce ne sont que des sondages, mais du coup, beaucoup de gens se tournent vers vous et se demandent ce qui, selon vous, serait l'argument le plus fort pour convaincre les Français de voter "oui" à la Constitution européenne ?

LE PRESIDENT - J'ai voulu un référendum. Je l'ai voulu pour plusieurs raisons : la première, c'est par respect pour l'opinion publique, s'agissant de l'avenir de notre pays et de celui de l'Europe, donc de nos enfants. J'ai pensé qu'il s'agissait d'un sujet suffisamment important pour qu'il soit traité au plan national par chacune et chacun des électrices et des électeurs français.

Deuxièmement, je crois que le référendum en soi est une technique démocratique, une approche démocratique de nos régimes et de nos pays. Et que, par conséquent, il faut l'encourager. Naturellement, cela suppose -et c'est toute une culture qui s'en trouve quelque peu remise en cause- que lorsque l'on vote pour un référendum, on ne veuille pas répondre à des questions différentes de celle qui est posée. Mais cela viendra petit à petit, c'est un problème culturel.

Le référendum n'est pas un choix politique, la question qui est posée est une question européenne, ce n'est pas l'alternance politique qui est en cause, ce n'est pas un plébiscite. Par conséquent, c'est, je le répète, là aussi un problème culturel. Il faut donc un certain temps pour que cette évolution ait lieu, je suis sûr que l'actuel référendum sera une étape vers une technique démocratique plus populaire et plus républicaine.

A partir de là, il y a des gens qui veulent voter "oui", des gens qui veulent voter "non" et d'autres s'abstenir. Je vais vous dire une chose : j'ai le plus grand respect, à partir du moment où l'on interroge les Françaises et les Français, par définition, pour ce qu'ils pensent et ce qu'ils vont dire. Je respecte ceux qui veulent dire "non", je respecte ceux qui veulent s'abstenir parce qu'il n'ont pas encore ou pas pu arrêter leur choix. Je respecte ceux qui veulent voter "oui". C'est un principe de base. Et je n'ai aucune intention de stigmatiser les uns ou les autres, bien évidemment.

En revanche, j'ai une conviction : j'ai la conviction que l'actuel traité constitutionnel est un progrès important pour l'Europe sur le plan social, économique et en matière de politique étrangère. J'ai la conviction que nous serons avec ce nouveau traité, à la fois plus solidaires, plus dynamiques et que l'on nous respectera davantage. J'ai la conviction que dans ce nouveau système, la France a tout à gagner et rien à perdre puisque son poids spécifique dans l'Europe, qui n'est pas négligeable, sera encore augmenté.

Dans ce contexte, je me propose, le moment venu, de dire aux Françaises et aux Français -non pas pour orienter leur choix ou pour changer leur sensibilité que je le répète, je respecte mais simplement parce que j'ai une certaine expérience dans ce domaine- "voilà pourquoi ce traité constitutionnel est un progrès sur le plan économique, sur le plan social, sur le plan de la paix, de la démocratie, des droits de l'homme, dans un certain nombre de domaines pour votre sécurité, pour le respect que l'on vous portera dans les grands mondes qui se développent aujourd'hui autour de nous. Et voilà pourquoi l'on a intérêt à ce que ce traité constitutionnel soit adopté". Je les informerai en général et de ma position en particulier. Et puis ensuite, nous respecterons leur choix.

Mais ce que je peux dire, c'est que s'il est certain que, si la France bloquait la construction européenne aujourd'hui, les conséquences n'en seraient pas négligeables et qu'elle perdrait une grande part de son autorité, par ailleurs nécessaire, dans l'Europe de demain.

QUESTION - Sur les conséquences d'un éventuel "non" français, vous imaginez quel genre de solution ? Est-ce qu'il faudrait renégocier le traité constitutionnel? Est-ce que la France demanderait des "opting out" ? Est-ce que la France pourrait quitter l'Union européenne ?

LE PRESIDENT - Vous voulez que je vous dise tout à fait le fond de ma pensée ? Eh bien, je n'imagine pas que l'on se trouve dans cette situation.

QUESTION - Monsieur le Président, si le néo-libéralisme est le nouveau communisme, qui est donc Tony BLAIR, qui mène ce néo-libéralisme ?

LE PRESIDENT - Je ne sais pas exactement ce à quoi vous faites allusion, mais je vais quand même vous répondre : je veux simplement vous mettre en garde contre les bruits de couloir, c'est une règle générale.

Ceci étant, nous sommes aujourd'hui face à un vrai problème Il est évident que la mondialisation se développe de plus en plus, que c'est au profit de beaucoup de monde et notamment de gens qui assument les responsabilités. C'est d'ailleurs un processus qui facilite sans aucun doute les échanges, donc l'enrichissement de tous, il n'y a pas de doute sur ce point. La mondialisation est effectivement une évolution que l'on peut estimer positive, ou que l'on pourrait estimer positive, si elle était réellement contrôlée, maîtrisée, humanisée, ce qui, hélas, n'est pas le cas. Rares sont celles et ceux qui soulignent cette situation et qui essaient d'y remédier.

Le résultat, c'est que, aujourd'hui, une petite partie du monde, dont globalement la population a plutôt tendance à diminuer, accapare une grande partie des richesses, bénéficie de l'accroissement des richesses et devient de plus en plus riche Et vous voyez une autre partie du monde, beaucoup plus importante, qui ne devient pas de plus en plus pauvre, cela ce n'est pas vrai, mais qui ne s'enrichit pas, qui stagne, alors que sa population, elle, augmente énormément.

Donc, la mondialisation libérale telle qu'elle est aujourd'hui appliquée, je le dis depuis longtemps, notamment dans le cadre de notre politique africaine, a pour conséquence d'accumuler les richesses en un endroit et la population dans un autre endroit. Vous pouvez m'expliquer ce que vous voulez, ce système ne peut pas durablement marcher ; il provoquera forcément des affrontements dangereux, c'est évident. Autant essayer de les prévoir maintenant.

J'ai eu, à ce titre, un intéressant entretien avec Tony BLAIR, qui est parfaitement conscient de ce problème et a fait du développement et de l'Afrique en particulier l'un des deux thèmes majeurs du Sommet du G8 de Gleneagles. Il a proposé d'ailleurs une initiative que nous avons été les premiers à soutenir, et pendant longtemps les seuls -nous ne sommes pas encore très nombreux d'ailleurs- qu'il appelle l'IFF et qui devrait rapidement -en tous les cas c'est notre proposition- être expérimentée au profit de la lutte contre le SIDA et les grandes pandémies.

Je lui disais encore tout à l'heure, -je l'ai dit d'ailleurs au Conseil lui-même, et c'est à l'initiative de Tony BLAIR que l'on a fait une mention particulière de l'Afrique dans le texte-, qu'il convient d'être conscient qu'il n'y aura pas de développement en Afrique si l'on ne développe pas les infrastructures qui sont à l'origine même du développement économique : la santé, l'information, les transports, les routes etc···, Toutes ces infrastructures ne sont, par définition pas rentables au sens que la mondialisation donne à ce terme, mais si elles n'existent pas, il ne peut y avoir de développement. Et on ne pourra pas assumer ce développement si l'on n'a pas davantage d'argent.

Il faut en gros, tous les experts le reconnaissent, doubler l'aide publique au développement. Or, qu'on le veuille ou non, -et on peut le regretter ou dire que nous sommes égoïstes- on ne doublera pas l'aide publique au développement par le biais budgétaire. On ne le fera pas. Donc, si on ne le fait pas le biais budgétaire, il faut le faire autrement. C'est la raison pour laquelle j'ai approuvé le premier la proposition britannique d'IFF. Mais en disant qu'on ne peut pas indéfiniment financer le futur par des emprunts.

Cela suppose donc qu'il y ait des financements innovants particuliers, c'est-à-dire une forme de taxation internationale. J'ai proposé tout une série de taxations de cette nature, de façon à pouvoir avoir l'argent nécessaire, soit pour rembourser l'IFF, soit tout simplement pour directement assumer le coût, notamment, des infrastructures nécessaires pour le développement des pays en question et en particulier africains. On ne sortira pas de cela. Dire que l'on va faire des choses mais qu'on ne met pas d'argent, cela ne peut pas durer. Aujourd'hui, je le répète, nous ne pouvons pas continuer à avoir un système où l'argent se concentre chez les riches et où la population se concentre chez les pauvres, cela ne durera pas, cela explosera.

QUESTION - Monsieur le Président, il y a eu hier une deuxième bombe qui a éclaté au Liban. Est-ce vous êtes inquiet des risques liés à l'instabilité de ce pays ? Est-ce que, d'un autre côté, le retrait entamé par les Syriens est satisfaisant ?

LE PRESIDENT - D'abord, je voudrais rappeler qu'il y a une position de l'Europe sur les problèmes du Liban, qui est d'ailleurs partagée par les Etats-Unis et qui va à nouveau s'exprimer dans le relevé des conclusions qui vient d'être adopté et qui va vous être distribué.

Deuxièmement, ce que nous souhaitons tous, c'est que le Liban retrouve son autonomie, son indépendance, son intégrité et la démocratie. Dans ce contexte, nous n'attaquons pas la Syrie, nous exigeons, conformément à la résolution 1559, que la Syrie se retire entièrement du Liban, dans les délais les plus brefs. Et quand je dis "se retire", ça veut dire retire ses forces armées et ses services ; je dirais même que les services sont encore plus importants que les forces armées. Qu'ils se retirent immédiatement. On ne peut pas imaginer que des élections libres se déroulent sur un territoire occupé militairement par une autre puissance. C'est donc un point capital.

Par ailleurs, je souhaite que ceux qui jouent la carte du pire et qui voudraient essayer de dire que, sans la présence syrienne, c'est l'anarchie et les attentats qui reviennent au Liban, je souhaite que ceux qui jouent ce petit jeu soient rapidement démasqués et condamnés. Je suis tout à fait persuadé qu'ils le seront. J'ai toute confiance aujourd'hui dans le grand mouvement d'unité nationale qui regroupe de plus en plus les Libanais qui affirment, je le répète, non pas une hostilité à l'égard de quiconque et notamment de la Syrie, mais qui affirment clairement leur droit à vivre dans une démocratie à eux.

Troisièmement, nous avons tous été extrêmement choqués par l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, qui était un homme d'envergure, de sagesse et qui avait une vision du Liban et une capacité à répondre aux problèmes des Libanais. Il a été assassiné dans des conditions qui doivent être clairement mises à jour. D'où notre demande d'une enquête internationale qui permette de trouver qui est responsable de cet assassinat.

Nous nous sommes réjouis, à cet égard, de la mission de Monsieur Fitzgerald, commandité par l'ONU, et nous attendons avec confiance son rapport sur la mise en œuvre d'une grande investigation internationale pour ce crime, parce que ces problèmes sont complexes, difficiles et longs à élucider.

Enfin, dernier point, il faut que les élections puissent avoir lieu, ce qui suppose d'ailleurs qu'il y ait un gouvernement, et le mieux serait aujourd'hui d'avoir un gouvernement de techniciens, ou en tous les cas un gouvernement d'hommes et de femmes qui ne soient pas candidats aux élections, ne serait-ce que pour les organiser. Il faut avoir des élections libres, pour cela il faut un gouvernement neutre.

Voilà quelques réflexions que m'inspire le Liban. Je suis naturellement outré par les actes irresponsables du type de celui que vous avez évoqué à l'instant, cette voiture piégée qui a éclaté, hier, à Beyrouth.

Je vous remercie.





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