Sommet du " Triangle de Weimar " : conférence de presse conjointe.

- VIe SOMMET TRIPARTITE DU TRIANGLE DE WEIMAR -

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République et de M. Gerhard SCHROEDER, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne et de M. Aleksander KWASNIEWSKI, Président de la République de Pologne.

Nancy - (Meurthe et Moselle ) le jeudi 19 mai 2005..

LE PRESIDENT: - Mesdames, Messieurs, je tiens à saluer et à remercier tous les journalistes, notamment polonais, allemands, français qui ont répondu à notre invitation. Et c'est avec plaisir que nous allons leur rendre compte et, le cas échéant, répondre à leurs questions.

Je voudrais dire d'abord que je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui, ici, à Nancy, pour notre sixième sommet de Weimar, le Président KWASNIEWSKI, Président de Pologne, et le Chancelier allemand Gerhard SCHROEDER.

Et je voudrais remercier la ville de Nancy, ses habitants, son maire pour l'accueil qu'ils nous ont réservé et aussi les féliciter, féliciter tous les Nancéens très chaleureusement pour la superbe restauration de la place Stanislas réalisée à l'occasion de son 250ème anniversaire. C'est une belle image donnée par Nancy au monde de la France, de son art et de son histoire.

Cette rencontre à trois se tient à un moment particulièrement important puisque nous sommes tous les trois, parmi les vingt-cinq, engagés dans un processus de ratification du traité constitutionnel. L'Allemagne est en train d'achever, de franchir cette étape après le vote du Bundestag et juste avant le vote, dans quelques jours, le 27 mai, du Bundesrat. Le peuple français se prononcera le 29 mai. Et la Pologne se prononcera, probablement par voie de référendum, dès l'automne.

Depuis cinquante ans, l'Europe s'est considérablement développée. Elle a d'abord apporté l'essentiel, c'est-à-dire la paix, la démocratie, la liberté, un certain modèle social et le développement économique aux six pays fondateurs. Puis, petit à petit, elle s'est élargie comme il était à la fois nécessaire et utile pour tous. Nous avons aujourd'hui un ensemble qui est déterminé à enraciner définitivement, sur l'ensemble de notre continent, la paix, la démocratie, la liberté, déterminé à conforter le modèle de développement économique et de progrès social, le modèle social européen, particulièrement incarné par la position notamment allemande et française et à renforcer le poids de l'Europe dans le monde. C'est le sens de l'ambition du traité constitutionnel qui est en voie de ratification chez les vingt-cinq Européens. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes tous les trois engagés avec fermeté et conviction sur la voie de cette ratification.

Notre réunion de ce matin a confirmé tout l'intérêt que nous avions à cette réunion régulière du sommet de Weimar, à la fois pour examiner ensemble les problèmes bilatéraux ou trilatéraux, mais aussi les problèmes plus généraux qui se posent à l'Europe et à la construction européenne et enfin, les problèmes du monde et de la solidarité internationale.

S'agissant des problèmes européens, nous avons évoqué notamment le problème des perspectives financières que nous souhaiterions naturellement, si c'est possible, voir arrêtées dans les meilleurs délais possibles, même s'il apparaît que c'est un travail difficile.

Nous sommes arrivés sans difficulté tous les trois à un accord sur quelques principes. D'abord, la discipline budgétaire qui est indispensable et dans l'intérêt de tous, telle qu'elle a été notamment affirmée par une lettre cosignée par six des pays européens, à l'initiative du Chancelier et à la mienne. Deuxièmement, une exigence de solidarité à l'égard des nouveaux membres. Il est évident que cette solidarité, que nous avons connue à l'égard des membres qui sont arrivés avant, doit s'exprimer dans le même esprit et dans les mêmes conditions à l'égard des nouveaux membres. Troisièmement, nous avons rappelé que nous étions favorables et nous demandions le respect intégral de l'accord qui a été réalisé en 2002 sur la politique agricole commune. Enfin, nous avons conclu qu'il fallait, pour pouvoir intégrer toutes ces exigences, avoir un financement plus équitable du budget européen, financement plus équitable qui, incontestablement, exige de rediscuter et de réaménager le problème du chèque britannique.

Nous avons ensuite évoqué la relation entre la Russie et l'Union européenne, en soulignant l'importance capitale que cette relation avait pour l'équilibre de notre région et, plus généralement, pour l'équilibre du monde. Nous nous sommes réjouis des accords qui ont été passés au sommet Union européenne/Russie, il y a quelques jours et qui ont permis de signer les quatre feuilles de route qui avaient été arrêtées au sommet de Saint-Pétersbourg. Nous avons parfaitement conscience des difficultés que la Russie est en train de surmonter et de la nécessité d'avoir des liens de coopération aussi solides que possible avec ce grand pays.

Nous avons évoqué l'Ukraine et la nécessité de la mise en oeuvre du plan d'action qui a été arrêté, dans ses principes, entre l'Union européenne et l'Ukraine.

Nous avons évoqué le Proche-Orient, avec l'échéance essentielle que constitue le retrait de Gaza et la nécessité pour l'Europe d'être plus présente sur le terrain et de participer plus activement, plus fortement, à la relance d'un processus de paix et de stabilité dans la région qui nous paraît, aujourd'hui, un peu compromis et qui doit être réhabilité.

Nous nous sommes réjouis de la situation au Liban qui va retrouver son indépendance, dans un système à nouveau démocratique.

Et nous avons évoqué les problèmes de l'Irak avec la prochaine réunion qui se tiendra dans un mois et qui concerne l'appui que la communauté internationale doit apporter à ce pays, malgré les difficultés extrêmement grandes auxquelles il est confronté.

Enfin, nous avons évoqué la préparation du prochain sommet des Nations Unies en septembre prochain, en rappelant tout ce qui nous préoccupait, à la fois dans le domaine du protocole de Kyoto et de sa mise en œuvre que nous évoquerons également au G8 de Gleneagles et aussi dans le domaine de l'aide publique au développement et des financements nouveaux innovants qui doivent aujourd'hui être mis en œuvre si nous voulons assumer la responsabilité qui est la nôtre dans la répartition de la richesse et des capacités de développement dans le monde, notamment au profit des pays les plus pauvres.

Voilà les sujets que nous avons abordés aujourd'hui. Nous allons continuer sur les problèmes de politique internationale à l'occasion de notre déjeuner de travail. Je laisse maintenant la parole au Président KWASNIEWSKI.

M. ALEKSANDER KWASNIEWSKI: - Merci beaucoup. Tout d'abord, je tiens à remercier Monsieur le Président Jacques CHIRAC de m'avoir invité et pour son hospitalité. Je tiens aussi à exprimer ma joie car nous pouvons à nouveau nous rencontrer à Nancy, dans une ville qui est très proche de la Pologne grâce au roi Stanislas LESZCZYNSKI. Je me réjouis aussi beaucoup du fait que la ville est devenue encore plus belle au cours de ces dernières années, qu'elle est vraiment très belle. Je suis très content que les spécialistes polonais, les conservateurs de monuments polonais aient pu apporter leur modeste contribution à cette œuvre de restauration.

Mesdames et Messieurs, je ne voudrais pas répéter les sujets que vient de mentionner Monsieur le Président CHIRAC, mais je tiens à vous dire que, pour nous, pour la Pologne, ce sommet du Triangle de Weimar est particulièrement important. C'est la première fois que nous nous rencontrons, tous les trois membres de l'Union européenne. C'est l'occasion de remercier nos partenaires français et allemands pour le soutien qu'il nous ont accordé aussi bien dans la perspective de l'élargissement de l'Union que pour toutes les questions précises qui ont permis que le 1er mai 2004, la Pologne a pu revenir dans à la famille européenne, aux structures de cette famille européenne. Et nous pouvons ensemble discuter, débattre aussi bien au sujet du présent que de l'avenir de notre continent.

Cette première année de présence de la Pologne au sein de l'Union européenne est un succès, une réussite. Je vous le dis avec une grande satisfaction, car vraiment, aucune des objections formulées par les adversaires ou par les sceptiques, lorsque nous parlions de l'élargissement, de la situation en Pologne ne s'est vérifiée. Notre économie se développe. Les exportations vers l'Union européenne se sont développées cette année, avec plus de 30%. De même les exportations de l'Union européenne vers la Pologne ont augmenté de 25%. Les investissements des firmes étrangères se sont accrus aussi.

De fait, il n'y a pas d'exode de main d'œuvre de la Pologne vers les pays de l'Europe occidentale. La différence, c'est 18%, c'est-à-dire 100 000 personnes. Je sais que cet argument du "plombier polonais" est en France très souvent utilisé, exploité, mais je vous dis que c'est vraiment une exagération. Ce n'est pas vrai qu'une main d'œuvre bon marché des nouveaux membres de l'Union européenne est venue inonder les autres pays. Nous non plus, nous ne sentons pas qu'il y ait un exode de main d'oeuvre polonaise hautement qualifiée vers les autres pays, ce qui rendrait plus difficile le développement économique de notre pays. Ne sont pas non plus vérifiées les informations sur le fait que la Pologne et les structures de l'administration de l'Etat, des pouvoirs locaux n'étaient pas préparés pour notre adhésion à l'Union, pour absorber les fonds communautaires. La Pologne utilise ces fonds dont ont besoin aussi bien l'agriculture polonaise que les régions nécessitent un soutien économique. Ces moyens, ces fonds sont aussi utilisés pour des investissements dans le domaine des infrastructures.

Je pourrais développer cette liste. Mais très brièvement, je tiens à vous dire que la première année de la présence de la Pologne au sein de l'Union européenne, c'est l'histoire d'un succès. Et je suis convaincu que l'Union européenne peut dire aujourd'hui avec satisfaction que l'idée de l'élargissement et les conséquences de l'élargissement sont positives pour l'ensemble de l'Europe, que cette activité dans le cadre de ce grand marché qui embrasse plus de 450 millions de personnes donne des perspectives importantes pour l'ensemble de l'Europe.

A partir de là, je tiens à vous dire qu'il est fondamental d'adopter le traité constitutionnel européen. Je suis convaincu, en tant que Président de la République de Pologne, mais je le dis aussi au nom de la majorité des Polonais, car tels sont les résultats des enquêtes, qu'il faut se prononcer pour l'adoption de ce traité constitutionnel. Nous avons besoin de ce document dans cette étape du développement de l'Union européenne à vingt-cinq et très bientôt à vingt-sept, vingt-huit. C'est un document qui met en ordre aussi bien l'organisation interne de l'Union européenne que ses possibilités d'action. C'est un document qui renforce, qui consolide les citoyens dans les structures de l'Union européenne, donc qui répond à des arguments fréquents sur le déficit démocratique de l'action communautaire.

Et d'après moi, ce traité constitutionnel crée un cadre important pour l'Europe du début du XXIème siècle, un cadre qui résulte aussi bien des expériences du passé, que l'ouverture aux défis futurs, aux événements nouveaux que nous vivons aujourd'hui en Europe et avec lesquels nous devrons nous confronter. C'est pourquoi je suis profondément convaincu qu'en France, le traité constitutionnel sera ratifié. En Pologne, nous suivons avec attention les débats qui se déroulent en France, ici, à ce sujet. Pour nous aussi, c'est un débat très important, car la majorité des arguments soulevés en France ressemblent à ceux qui sont soulevés dans notre pays. Je voudrais de toutes façons souhaiter à moi-même, à la France et à nous tous que ce traité constitutionnel soit adopté le 29 mai. Ce sera vraiment un indice très important pour le référendum polonais qui, j'espère, aura lieu en automne cette année.

Je voudrais aussi vous dire que la Pologne est intéressée par l'adoption des nouvelles perspectives financières, le plus vite possible. Nous avons échangé un certain nombre d'arguments à ce sujet. Pour la Pologne, la question fondamentale est de maintenir, hormis le principe de la discipline budgétaire, également le principe de solidarité. Nous sommes convaincus que, pour les nouveaux pays qui ont adhéré à l'Union européenne, ce principe de solidarité fondamentale constitue une garantie pour rattraper l'écart de développement qui sépare aujourd'hui les nouveaux pays membres de l'Union européenne des Quinze.

Nous espérons que de ces débats, de ces discussions que nous avons eus, un tel projet financier verra le jour, qui va soutenir ce principe de solidarité pour ces pays qui ont un niveau de développement moins élevé.

En ce qui concerne les autres questions internationales, le Président CHIRAC a eu l'amabilité de dire que la Pologne est très intéressée à construire la politique orientale de l'Union européenne. Nous souhaitons que l'Union européenne développe activement ses contacts avec la Fédération de Russie, avec l'Ukraine, avec la Moldavie, et qu'elle elle ait une politique commune vis-à-vis du Belarus. Chacun de ces pays se trouve dans une étape particulière de son histoire. Je me réjouis beaucoup que, vis-à-vis de l'Ukraine, l'Union européenne ait décidé d'adopter le plan d'action qui est à l'heure actuelle mis en oeuvre par les deux parties.

Je tiens à vous dire aussi que la Pologne accueille avec une grande satisfaction la signature des quatre feuilles de route dans les relations entre l'Union européenne et la Fédération de Russie qui a eu lieu au dernier sommet à Moscou le 10 mai.

J'ai exprimé mon inquiétude sur ce qui se passe au Belarus, comptant que l'Union européenne va profiter de son autorité et de ses possibilités pour maîtriser ces événements qui menacent les minorités ethniques en Belarus et qui violent les règles démocratiques dans ce pays. Nous sommes inquiets des incidents qui ont lieu, qui touchent aussi la minorité polonaise qui vit au Belarus.

J'espère que l'Union européenne, dans le cadre de sa politique étrangère va manifester beaucoup plus de fermeté en ce qui concerne le problème de la Transnistrie. Je me réjouis qu'un dialogue actif ait lieu entre la Moldavie et l'Ukraine. Je suis convaincu aussi que ce dialogue, renforcé par le soutien de la part de l'Union européenne ainsi que par une position ouverte et positive de la Fédération russe, peut amener à éliminer ce conflit qui dure déjà depuis treize ans, et qui, d'après moi, vraiment, devrait nous faire honte. Aussi longtemps que le partage d'un Etat, sur la carte de l'Europe, fait un trou noir, un lieu d'activités de groupes criminels organisés, de contrebande, de trafics d'armes, de personnes, il faut manifester beaucoup plus de détermination, de fermeté dans la recherche d'une solution à ce problème.

Concernant les autres questions, le Président CHIRAC a eu l'amabilité d'en parler, je me réjouis beaucoup que ce sixième sommet germano-polono-français, ce sommet du Triangle de Weimar ait lieu. Cette institution, du point de vue polonais, a joué un rôle très important aussi bien sur notre chemin vers l'Union européenne que vers l'OTAN. Il s'avère que cette année est la dernière de ma Présidence. J'espère que l'initiative sera poursuivie, qu'il y aura d'autres rencontres que je pourrai regarder d'un autre point de vue, mais avec la satisfaction personnelle d'y avoir apporté ma contribution.

J'associerai Nancy au lieu symbolique des relations polono-françaises, au grand patrimoine de Stanislas LESZCZYNSKI et de la grande contribution du Triangle de Weimar. Merci beaucoup de votre attention.

M. GERHARD SCHROEDER: - Quelques brèves remarques complémentaires : la Place Stanislas est magnifique, c'est l'une des plus belles places au monde, et voilà pourquoi je suis convaincu que vous allez certainement apprécier la beauté de cette place autour d'une tasse de café ou de thé, après la conférence de presse. Nous, nous ne pourrons pas le faire, nous n'en aurons pas le temps.

Ces entretiens se sont déroulés dans un esprit très européen. Si cela a été possible, ce n'est pas seulement parce que nous sommes des Européens sur le papier, mais parce que nous avons beaucoup de points communs, au fond.

Par exemple, la conception d'un modèle de société européen, un modèle de société qui, à la différence d'autres régions du monde, se fonde sur l'efficacité économique -qui est nécessaire et qu'il faut développer bien sûr-, mais aussi une sensibilité sociale qui est aussi nécessaire que cette efficacité économique. Et pour continuer de développer, de promouvoir ce modèle de société, nous avons besoin d'une Europe forte, d'une Europe intégrée. Tous ceux qui sont à l'œuvre et qui font partie de cette Europe doivent y mettre leur cœur.

A l'heure de la mondialisation, il faut comprendre que l'Europe, lorsqu'elle parle d'une seule voix ici, ou sur d'autres dossiers importants, est plus forte que si chacun s'exprime pour son compte et chacun pour soi. Voila ce qu'il faut sans cesse rappeler. Si cette contribution culturelle, économique, mais également en matière de dimension sociale, cette contribution de l'Europe au monde, nous voulons vraiment l'assurer, la développer, la promouvoir, cela ne sera possible qu'à travers une Europe forte et unie, une Europe d'une grande cohésion.

Cette constitution, qui est l'enjeu aujourd'hui, offre le cadre le plus propice pour que cette Europe soit plus efficace économiquement parlant, qu'elle ait plus de sensibilité sociale et puisse faire entendre sa voix dans le monde. Et c'est pour cette raison que je me bats pour l'adoption de cette Constitution. Dans mon pays, cela ne devrait pas poser de problème : il y a eu une écrasante majorité au Bundestag, à la chambre haute et les forces qui sont représentées au Bundesrat ont fait comprendre qu'elles ratifieront la Constitution.

Si nous voulons promouvoir cette Europe, nous avons besoin de tous, mais nous avons surtout besoin de la France. Je ne veux pas, par là, reléguer au second plan tout autre pays, mais il faut bien comprendre qu'après la Seconde guerre mondiale, les idées européennes, ce qui a fait et ce qui continue de faire l'Europe, ont vu le jour ici, en France. La France peut en être fière, mais en cela, la France assume une grande responsabilité : la responsabilité de ne pas laisser tomber les autres Européens dans le domaine de la Constitution européenne. C'est la requête que nous vous adressons en ayant le plus profond respect pour la souveraineté du peuple qui va voter. Voilà notre demande, voilà notre requête, qui s'inspire de cette expérience de plusieurs décennies de coopération entre la France et l'Allemagne, mais également avec d'autres.

Lorsque nous mettons en avant l'amitié, la coopération franco-allemande, nous ne voulons jamais exclure autrui. Mais nous savons simplement que, dans les étapes les plus importantes du développement européen, il a toujours été essentiel de coopérer très étroitement. Et nous avons l'impression que nous traversons de nouveau une telle étape et nous sommes heureux de voir que la Pologne nous a ici rejoint et partage notre appréciation quant à l'importance et au contenu du processus constitutionnel.

Voilà ce que je voulais ajouter et je peux pleinement confirmer les propos du Président Jacques CHIRAC quant à l'attitude que l'Europe doit adopter face à la Russie, à la coopération entre l'Europe et la Russie. J'ai été personnellement très touché par les commémorations du 60ème anniversaire de la Seconde guerre mondiale, qui a fait plus de cinquante millions de morts suite à une guerre provoquée par l'Allemagne dans l'Europe tout entière, dont la moitié dans l'Union soviétique de l'époque.

Aujourd'hui, nous avons une Russie qui est prête à coopérer étroitement afin de créer de cette façon un continent où la paix et le bien-être des hommes et des femmes seront assurés durablement. Et il est évident que ceux qui font partie de l'Union européenne et de l'OTAN ne doivent jamais oublier que l'histoire et ce qu'elle a été pourraient peut-être se répéter. Mais c'est cela le grand progrès de la construction européenne : parce que nous sommes aussi nombreux dans l'Union européenne, parce que les pays baltes en font partie, parce que la Pologne en fait partie, parce que la République tchèque en fait partie, nous avons beaucoup d'autres possibilités d'aller de l'avant dans la coopération avec notre grand et puissant voisin, sans le redouter, sans en avoir peur. Et c'est en cela qu'il faut utiliser cette occasion historique sans précédent, sans se réfugier dans des peurs, dans des craintes qui sont levées par l'adhésion de ces Etats à l'Union européenne et à l'OTAN.

Le Président Jacques CHIRAC l'a souligné expressément et c'est extrêmement important. Voilà ce que j'avais à ajouter, mesdames et messieurs, merci.

LE PRESIDENT: - Je vais demander d'abord à un journaliste polonais de poser une question, puis à un journaliste allemand, puis un journaliste français. Ensuite, on verra.

QUESTION : - Bonjour, je voudrais demander au Chancelier SCHROEDER et au Président CHIRAC, mais aussi au Président KWASNIEWSKI : y a-t-il déjà un accord pour qu'au prochain sommet de l'Union européenne, on arrête le budget et la Pologne a-t-elle accepté le postulat allemand et français que ce soit 1 % du PIB ?

M. ALEKSANDER KWASNIEWSKI: - Après nos entretiens, il résulte que le sujet reste toujours ouvert. Nous connaissons la position allemande et ses capacités financières pour pouvoir financer l'Union dont a parlé le Chancelier. Il y a aussi notre position, nous attendons une solution qui permettra de mettre d'accord ces deux objectifs, la discipline budgétaire et la solidarité européenne. La Pologne attend qu'il y ait des fonds, des moyens pour diverses sortes de programmes, tout au moins au niveau de l'Espagne, vu la grandeur de notre pays, ce sont des questions comparables. Mais cette discussion, ce débat va se poursuivre encore.

En second lieu, je suis convaincu que ce serait beaucoup mieux si nous pouvions trouver des solutions appropriées au plus vite, mais je reconnais que les positions peuvent être diverses. Aujourd'hui, nous n'avons pas adopté de décision concrète et définitive.

M. GERHARD SCHROEDER: - Je voudrais profiter de l'occasion pour vous dire clairement ce que recouvrent réellement ces négociations budgétaires. Aujourd'hui, l'Allemagne paye, en termes bruts, chaque année, 22 milliards d'euros apportés au budget de l'Union. Il y a naturellement des retours, ce qui fait que la contribution nette est plus faible. Si l'on réalise l'objectif de 1%, en 2013, l'Allemagne payera annuellement 32 milliards d'euros en brut au budget de l'Union. Si l'on se basait sur le chiffre de la Commission de 1,20 ou 1,24%, je ne sais pas, l'Allemagne devrait, à partir de 2013, payer annuellement 42 milliards d'euros au budget de l'Union.

Si j'avais cet argent, je le dépenserai dans l'intérêt de l'Europe. Mais cet argent, je ne l'ai pas. C'est vrai que l'échéance est éloignée et qu'aucun de mes successeurs n'aurait ces moyens, ces ressources. En tout état de cause, voilà pourquoi nous devons impérativement nous en tenir à cet objectif de 1%. Et je suis tout à fait d'accord avec le Président polonais : il faut de la solidarité, notamment à l'endroit des plus faibles, qui ont les plus grands retards en matière de développement. Ce sont les nouveaux entrants. Cette solidarité doit aussi être exercée par ceux qui, jusqu'à présent, en ont profité, en ont tiré bénéfice. C'est cela la solution. Simplement, rajouter quelque chose par dessus le marché pour satisfaire tout un chacun, personne ne peut se payer ce luxe en Europe. Et comprenez bien qu'il ne s'agit pas là de l'expression d'une mauvaise volonté, mais c'est tout simplement l'expression d'une capacité limitée en Allemagne. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, c'est simplement les limites de nos capacités. Voila pourquoi j'espère que nous pourrons conclure en juin, si les objectifs que j'ai évoqués se réalisent, c'est-à-dire si l'on s'en tient à 1%. A ce moment-là, nous pourrons conclure rapidement. Si ce n'est pas le cas, j'entrevois des difficultés.

LE PRESIDENT: - Juste un mot pour dire que je souscris tout a fait à ce qu'a dit le Chancelier. Premièrement, il faut nous faut une discipline budgétaire. Personne n'aurait intérêt à ce que la contribution allemande augmente dans des proportions telles qu'elle arriverait à être rejetée par les Allemands. C'est donc un mauvais calcul, d'où la discipline budgétaire qui s'impose. Deuxièmement, la solidarité s'est toujours imposée au sein de l'Union, elle doit s'imposer également aujourd'hui à l'égard des nouveaux entrants. Troisièmement, j'ajoute, permettez aux Français de le faire, que nous sommes bien d'accord pour respecter l'accord de 2002 sur la politique agricole commune. C'est, pour la France, une condition impérative. Et je remercie de sa solidarité l'Allemagne à ce sujet. Et dernier point, qui conditionne une capacité d'accord permettant d'intégrer toutes ces contraintes : il faudra bien trouver une marge quelque part. Cette marge ne peut être trouvée qu'en réexaminant les modalités de mise en œuvre du chèque britannique. Et c'est la raison pour laquelle personne ne peut dire aujourd'hui si nous arriverons à la fin de ce semestre, c'est-à-dire sous présidence luxembourgeoise, à trouver un accord ou s'il faudra un peu plus de temps.

QUESTION : - Monsieur le Président, vous êtes l'homme politique le plus apprécié par le peuple allemand. Que direz vous au peuple allemand si, le 29 mai, une majorité de Français dit « non », et est-ce que c'est la fin d'une étroite coopération franco-allemande ?

LE PRESIDENT: - La solidarité franco-allemande est, en réalité, un fondement même de la construction européenne. Et au cours des ans, cette solidarité s'est considérablement renforcée, au point de créer entre nous une véritable amitié, ce que l'on discerne facilement aujourd'hui au niveau des jeunes qui ne sont naturellement pas marqués par l'histoire. Cette amitié, cette solidarité sont essentielles pour l'avenir de l'Europe.

Alors, naturellement, les choses ne changeront pas. L'amitié c'est l'amitié et s'il y avait un accident politique, je suis sûr que cette amitié persisterait. Mais ses manifestations et ses conséquences seraient probablement différentes. Et il est certain que la solidarité franco-allemande qui est le moteur et le fondement de l'Europe de demain serait, qu'on le veuille ou non, malheureusement atteinte. C'est un vrai danger pour l'Europe de demain. Je ne veux pas croire aujourd'hui que les Français puissent prendre la responsabilité de mettre en cause l'un des grand acquis mondiaux en terme de paix, en terme de démocratie qu'est l'amitié franco-allemande pour des raisons qui ne seraient pas totalement justifiées.

QUESTION : - Monsieur le Président et vous aussi Monsieur le Chancelier, vous avez longuement insisté sur la nécessité de développer, de continuer à développer un modèle social européen, économique et social. Or, le Président de l'UMP, Monsieur Nicolas SARKOZY, expliquait la semaine dernière au cours de l'un de ses meetings qu'il fallait au contraire remettre en cause ce modèle social qui provoquait le chômage dans nos deux pays. Qu'en pensez-vous ?

LE PRESIDENT: - Je vais peut-être d'abord répondre. Construire une société suppose d'avoir quelques objectifs. Alors il est vrai qu'on peut avoir pour objectif et certains dans le monde, pas en France d'ailleurs ni en Allemagne, l'ont et peuvent espérer une société où tout serait fonction des initiatives et des intérêts économiques et financiers. Ce n'est pas notre vision des choses : ni celle du Chancelier, ni la mienne. Le Chancelier et moi, nous sommes profondément attachés à ce que le Chancelier appelait le "modèle social européen", c'est-à-dire un équilibre entre l'efficacité économique nécessaire pour créer les richesses indispensables, mais également la justice, c'est-à-dire le respect de l'homme et de sa dignité. Et sur ce point, nous sommes absolument d'accord et sans réserve.

Alors pour nous Français, qu'est-ce que c'est ce "modèle social européen" ? Pour nous Français, c'est essentiellement trois choses. C'est notre système de sécurité sociale, c'est notre droit du travail et c'est le service public. Ce sont trois éléments vitaux de notre équilibre social et qui, pour moi, ne sont pas discutables.

Pendant toute l'élaboration du traité constitutionnel, je me suis battu, souvent dans des conditions difficiles, souvent isolé, sauf l'appui du Chancelier qui ne m'a jamais manqué, pour défendre ce que nous estimions être nos acquis sociaux. De la même façon, je me suis battu, nous nous sommes battus pour les services publics, pour la diversité culturelle. Tout cela étant lié à la dignité de l'homme et au respect qu'on lui doit. Je n'imagine pas que l'on puisse faire autrement.

Et c'est vrai que cette Constitution, ce traité constitutionnel, met en exergue l'ensemble de cette vocation. Il met en exergue la finalité sociale, la clause sociale généralisée. C'est un des grands progrès de ce texte. C'est ce qui permet à la Confédération Européenne des Syndicats qui représente 68 ou 70 syndicats et un grand nombre de millions de travailleurs de dire que cette Constitution est la meilleure que l'on pouvait avoir. Et un élément déterminant du respect que l'on doit avoir pour une certaine vision sociale de notre Europe de demain.

Vous savez, si tel n'avait pas été le cas, le Chancelier a dit : "je ne l'aurais pas signé". Et j'ajoute : moi non plus. Nous n'avons signé, le Chancelier et moi, que parce qu'elle exprimait une certaine vision du modèle social auquel nous sommes attachés et auquel je viens de faire référence. C'est la raison pour laquelle je pense et j'imagine que les Françaises et les Français, conscients et attachés à cette vocation sociale de la France, comprendront et approuveront l'effort qui a été fait pour le confirmer dans des textes constitutionnels, ceux qui sont en cause entre nous actuellement.

Je ne sais pas si Monsieur KWASNIEWSKI veut rajouter quelque chose sur ce point.

M. ALEKSANDER KWASNIEWSKI: - Je vais ajouter juste un mot de la part de la Pologne. Je suis parfaitement d'accord avec ce que vient de dire le Chancelier SCHROEDER : en Europe, nous avons tous besoin de la France. Nous avons besoin de la France en tant que pays très important, architecte de cette idée, de cette conception européenne où nous vivons depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Je pense aussi que c'est l'effet du grand intérêt que nous portons au référendum en France et la conviction qu'en fin de compte, les Français vont dire oui au traité constitutionnel.

Et j'encourage les autres, y compris les électeurs polonais à suivre cette voie, cette voie de l'Europe qui est forte, qui est solidaire, qui est prête au défi du XXIème siècle. L'Europe doit devenir l'un des centres mondiaux les plus importants. Si l'Europe n'est pas prête à cela, elle sera mise en marge, elle sera un très beau continent, mais une sorte de musée des civilisations. Et nous, nous voulons être un participant vif, actif, des processus mondiaux.

Donc, en accord avec ce que vient de dire Monsieur le Président de la République, Monsieur le Chancelier, nous avons en Pologne besoin de la France, de la France en tant qu'architecte actif de l'Europe du XXIème siècle.

M. GERHARD SCHROEDER: - Un mot sur la question qui a été posée. J'adhère totalement au principe rappelé par le Président CHIRAC. Je n'ai vraiment rien à ajouter. Ce sont également mes principes et c'est bien ainsi que j'ai jugé le traité constitutionnel. Et tout comme lui, et pour les deux raisons que j'ai évoquées tout à l'heure. J'ai considéré que ce texte était une base favorable à la poursuite de l'action européenne, de l'intégration européenne.

Avec l'agenda 2010, j'ai mis en œuvre une vaste réforme des systèmes de protection sociale en Allemagne qui a été votée par le Parlement non sans difficulté parce que, face à des changements, parfois nécessaires, les hommes et les femmes sont parfois sceptiques et c'est un euphémisme. Cet agenda 2010 a pour seul objectif de préserver nos systèmes de protection sociale qui nous paraissent à l'un et à l'autre importants et essentiels. Et ceci dans le souci de la dignité des hommes. Ce traité constitutionnel en offre le terreau. C'est pourquoi ce texte est aussi important. Et il ne faut jamais opposer la Constitution à nos systèmes sociaux, à nos Etats sociaux. C'est vraiment l'élément central pour cela à l'échelle européenne et pas seulement nationale.

QUESTION : - Ma question s'adresse à la fois à Monsieur le Président et à Monsieur le Chancelier. Comme vous le savez, l'Union européenne commence à négocier avec Pékin sur le problème du textile et elle est prête à aller plus loin. Selon vous, comment peut-on faire à la fois pour résoudre ce problème et ne pas détériorer les relations de plus en plus serrées, ces dernières années, entre la Chine et l'Europe ?

LE PRESIDENT: - Nous avons un vrai problème en Europe. L'accroissement considérable des exportations textiles chinoises dans nos pays se traduit par la mise en cause de millions de travailleurs, d'emplois. Et donc, nous ne pouvons naturellement pas l'accepter sans rien faire. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité que la Commission réagisse et qu'elle entame des consultations, ce qui est un terme technique permettant d'arriver à une solution avec les autorités chinoises pour permettre de trouver un équilibre qui sauvegarde nos emplois auxquels nous sommes évidemment attachés, ceci, naturellement, dans le cadre des règles de l'OMC.

La Commission s'est engagée dans ce processus en le décidant hier, déjà pour deux catégories de textile. C'est important, ce n'est pas encore suffisant et nous souhaitons que l'on puisse trouver très rapidement un accord qui sauvegarde nos intérêts légitimes. J'ai eu l'occasion à Moscou, il y a quelques jours, d'en parler avec le Président HU JINTAO. J'ai entendu les déclarations faites ces derniers jours par les autorités chinoises. Je les ai trouvées ouvertes et donc de nature à permettre une discussion. Je souhaite bien entendu que cette discussion puisse aboutir dans les meilleurs délais car, je le répète, nous ne pouvons pas accepter de mettre à mort, si j'ose m'exprimer ainsi, l'activité d'un nombre important de travailleuses et de travailleurs dans notre pays.

M. GERHARD SCHROEDER: - En Allemagne, le problème ne se pose plus avec la même dimension qu'en France, car dans l'industrie textile allemande, la restructuration a eu lieu dans les années 60 et 70, mais avec d'énormes problèmes d'adaptation et d'ajustement dont vient de faire état le Président de la République. Voilà pourquoi nous serons aux côtés de la France lorsqu'il s'agira d'aboutir avec la Chine à un compromis équitable sur la base des règles de l'OMC. Nous soutenons la position de la France, aussi bien en ce qui concerne les efforts entrepris par la Commission qu'en ce qui concerne les négociations qui devront être conduites. Et je suis convaincu que nous aboutirons à une solution raisonnable. Vous le savez, le Président de la République a de très bonnes relations avec les dirigeants chinois, c'est aussi vrai pour l'Allemagne. Et nous espérons que nous pourrons utiliser ces très bonnes relations pour arriver à une solution de compromis afin de lever ces risques réels, dont le Président a fait état.

QUESTION : - Une question pour le Président KWASNIEWSKI et pour M. CHIRAC. D'abord, ces derniers jours en France, on a beaucoup parlé des conséquences économiques d'une victoire du "non" le 29 mai. Selon les investisseurs, les pays le plus affectés seraient la Pologne et les nouveaux pays membres, et aussi la Turquie. Avez-vous de réelles craintes à ce sujet ? Au cas où les sondages auraient raison et que le "non" l'emporterait, avez-vous un plan pour minimiser son effet sur votre économie ? Par ailleurs, François HOLLANDE attribue la montée du "non" en partie à vos interventions sur la directive BOLKESTEIN et sur les délocalisations, qui auraient fait peur aux Français. Quelle est votre réaction ? A quoi attribuez-vous la montée du "non" ?

M. ALEKSANDER KWASNIEWSKI: - J'avoue que la situation de la Pologne et de la Turquie sont différentes. La Pologne est membre de l'Union européenne, la Turquie n'a fait que commencer les négociations d'adhésion. Je pense que nos situations seraient également différentes dans le cas d'un vote négatif au référendum français. Si nous craignons en Pologne un vote négatif en France, c'est pour deux raisons. La première, que j'ai déjà mentionnée, c'est que l'Europe a besoin de coopération, de collaboration, elle a besoin de la France à cette étape de son développement, surtout après l'élargissement. Nous craignons que la non-adoption du traité constitutionnel puisse alourdir certains processus, causer des problèmes à certaines choses qui ont déjà lieu. Le deuxième problème, c'est l'effet direct sur le référendum en Pologne. La France a toujours été un point de repère très important pour nous et le traité constitutionnel est considéré en Pologne comme un enfant français, car il résulte pour beaucoup de l'expérience française, de beaucoup d'initiatives françaises, et la Convention européenne était présidée par le Président GISCARD D'ESTAING. Tout cela fait que cette réponse négative française pourrait être difficile à expliquer à l'opinion publique polonaise et pourrait par exemple provoquer une diminution de l'intérêt des Polonais pour le référendum, ou une augmentation de l'euro-scepticisme dans notre pays.

Mais comme je l'ai dit, je crois que le 29 mai, la France dira non seulement "oui" au traité constitutionnel, mais aussi "oui" à notre Europe commune. Car c'est bien la question : comment consolider cette Europe forte et solidaire. C'est là que nous avons besoin du "oui". Cela ne concerne pas l'un ou l'autre article, la Pologne a présenté jusqu'au bout ses remarques et certaines ont été acceptées, d'autres non. Mais je vous engage à voter en faveur de ce traité car il est un bon fondement pour l'Europe. Nous comptons donc sur une réponse positive pour une Europe forte.

LE PRESIDENT: - Je voudrais reprendre une réflexion du Chancelier sur la libre-circulation, nécessaire dans ses principes. S'agissant des marchandises, ce sont des objets. S'agissant des services, ce sont des hommes ou des femmes et c'est évidemment tout à fait différent. Cela ne peut pas être traité de la même façon. D'où une position commune entre l'Allemagne et la France à ce sujet, et qui a été d'ailleurs approuvée par une majorité du Conseil. Approuvée aussi par une majorité du Parlement européen. Or, je vous rappelle que, dans nos institutions, la Commission propose, le Parlement et le Conseil décident.

Simplement pour vous dire que la directive BOLKESTEIN n'existe plus et qu'elle n'est aujourd'hui utilisée que comme une sorte d'épouvantail au profit de telle ou telle thèse que des hommes ou des femmes politiques veulent défendre. Mais la réalité, c'est qu'elle n'existe plus et qu'elle n'a aucune chance de revenir, notamment compte tenu de la position du Parlement et d'une majorité des membres du Conseil. Il est inutile de sortir des épouvantails qui n'ont pas lieu d'être. Le Chancelier veut peut-être ajouter quelque chose.

M. GERHARD SCHROEDER: - Quelqu'un a demandé s'il existait un "plan B". C'est une question qui me paraît purement théorique. Lorsque l'on se bat pour quelque chose, on veut atteindre cet objectif, sinon à quoi bon se battre. Nous nous battons pour un "oui" à la Constitution, alors ne commençons pas à réfléchir à ce qui se passerait si ce n'était pas la cas. Réfléchissons à ce que nous pouvons faire pour que le "oui" soit possible.

D'autre part, quand on parle de ce fameux « plan B »; on se demande s'il y aurait une possibilité de renégocier tout ou partie de la Constitution. Croyez-moi et je le dis clairement : c'est une pure illusion. Il n'y a pas l'ombre d'une chance de rouvrir le processus constitutionnel. Tous ceux qui y ont pris part sont d'accord avec cette analyse. Cela me ramène à cette métaphore de l'épouvantail qui colle précisément à la situation. Soit nous aurons cette Constitution, qui est le meilleur compromis concevable, possible, soit on devra se contenter de beaucoup moins que cela, et cela ne serait pas bon. Tout le reste n'est qu'illusion et spéculation, il vaut mieux s'en abstenir dans l'action politique.

QUESTION : - Très souvent, vous soulignez l'importance du devoir de mémoire. Pourquoi certains discours officiels qui manipulent la vérité historique du passé et du présent ne suscitent pas vos réactions ? Monsieur SCHROEDER, quand l'Allemagne fêtera-t-elle officiellement la Victoire du 8 mai devant la Porte de Brandebourg à Berlin ? Monsieur KWASNIEWSKI, est-ce que la Pologne envisage de porter plainte auprès du tribunal de La Haye pour le génocide de Katyn, au moment où toutes les démarches diplomatiques à l'égard de la Russie ont échoué ?

LE PRESIDENT: - Je suis très attaché au devoir de mémoire, car la mémoire c'est en quelque sorte l'âme d'un peuple. Je suis également très attaché à la paix, et à renforcer en permanence l'enracinement de la paix dans le monde. Par conséquent, je ne suis pas du tout partisan de juger l'avenir en ayant le regard fixé sur le rétroviseur. Tout cela est, en réalité, un équilibre à rechercher.

M. GERHARD SCHROEDER: - Il n'y a pas de victoire à fêter le 8 mai. Apparemment, vous n'avez pas tout à fait bien compris l'histoire. Pour l'Allemagne, pour l'Europe, le 8 mai est le jour de la libération du fascisme, et notamment du fascisme allemand. Nous avons dit clairement que les choses étaient ainsi, je l'ai dit en France, à Caen, aux côtés du Président de la République. Je l'ai dit clairement aux côtés du Président KWASNIEWSKI lors des commémorations de l'anniversaire du soulèvement de Varsovie. Et je viens de le redire aux côtés du Président POUTINE, à l'occasion du soixantième anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale.

Voilà ma position, tous en Europe la connaissent, hors d'Europe aussi. Et l'Allemagne, en ce qui concerne son devoir de mémoire, sait parfaitement l'assumer. Et cela rejoint, en ce qui concerne l'avenir de notre pays, tout à fait les propos du Président de la République. En effet, à travers sa mémoire, à travers son souvenir, chaque pays devra faire son propre travail et trouver les racines de sa propre identité. Dans ce domaine, les leçons venues de l'extérieur sont rarement constructives, c'est en tous cas mon expérience.

M. ALEKSANDER KWASNIEWSKI: - En ce qui concerne les crimes de Katyn, la justice en Pologne, le Procureur général, sur motion de l'Institut national de la mémoire, a entrepris une enquête au titre de crime de génocide. Nous attendons que l'ensemble des documents nous soit transmis par la partie russe, une telle promesse nous a été faite en octobre dernier par le Président POUTINE. Bien sûr, je pense que tout cela a aujourd'hui un caractère symbolique et juridique, vu le temps qui s'est écoulé. Cela est compréhensible, il est difficile de parler des auteurs directs ou participants de ce crime. Mais je veux aussi vous informer, Madame, que nous tâchons que les travaux se poursuivent sur l'identification du lieu du crime de dix mille officiers que nous savons avoir été assassinés, mais dont nous n'avons pas trouvé les tombes. Nous comptons sur la collaboration de la partie russe.

Dernière remarque, chaque peuple doit former sa propre culture de mémoire, je suis d'accord avec mes collègues. Mais, souvent, ces événements n'ont pas de caractère national, ils ne concernent pas une seule nation mais plusieurs nations, ils concernent les relations entre les nations. C'est pourquoi il est utile de suivre de bons exemples, et je pense que la réconciliation, l'entente franco-allemande, comme ce que nous avons réussi à obtenir entre la Pologne et l'Allemagne ces derniers temps, sont de bons exemples. En faisant certains efforts, des hommes politiques, des journalistes, des enseignants, des professeurs mais aussi les efforts des gens simples, des simples citoyens, on peut certainement arriver à surmonter beaucoup d'éléments négatifs du passé contre les clichés pour bâtir cette culture de la mémoire. Je pense que le Chancelier, le Président et moi-même, en ce qui concerne les questions polono-allemandes, polono-ukrainiennes, polono-juives, nous pourrions offrir nos conseils à ceux qui sont intéressés dans divers lieux dans le monde car ces conflits existent, ici, en Europe mais aussi dans le monde entier. Cela est possible, il est possible de bâtir cette culture de la mémoire.

LE PRESIDENT: - Je voudrais revenir sur un point qui a été soulevé tout à l'heure par le Chancelier, sur ce que certains appellent la renégociation ou le "plan B".

Je voudrais rapidement dire une ou deux choses dans ce domaine. Parce que je suis impressionné par le manque de réalisme de ceux qui évoquent ces hypothèses. Je voudrais d'abord faire remarquer que la quasi totalité des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne et notamment ceux qui nous sont le plus proches géographiquement parlant, ont tous indiqué de la façon la plus claire, qu'il ne saurait être question de renégocier, qu'il n'y avait aucun "plan B" possible, ni juridiquement, ni politiquement.

Comment imaginer en effet, qu'après un an et demi de discussions au sein de la Convention, entre un certain nombre de personnalités représentatives d'ailleurs aussi bien de la gauche que de la droite, après être arrivé à un résultat qui a été approuvé par cette Convention à la quasi unanimité, comment imaginer qu'après que vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement dans le Conseil européen aient passé un très grand nombre d'heures, de journées, de semaines, de mois, à évoquer l'ensemble du détail de cette construction européenne, où chacun est allé naturellement aussi loin qu'il lui était possible, où chacun a fait évidemment des sacrifices par rapport à ce qu'il aurait souhaité, où chacun est allé un peu à la limite de ce que son opinion publique pouvait accepter, comment imaginer un instant que, parce que la France aurait dit "non", nos partenaires diraient : "eh bien très bien, on va recommencer".

Il faut vraiment ne pas connaître le fonctionnement de l'Union européenne ou d'ailleurs le fonctionnement, en règle générale, de la diplomatie, ou il faut vraiment vouloir tromper les Françaises et les Français en faisant ce genre d'affirmation.

Non, il n'y aura évidemment pas de renégociation. Et d'ailleurs, nos partenaires auraient beau jeu de nous dire : "mais sur quelle base voulez-vous renégocier, sur les propositions du Front national, ou bien sur les propositions du Parti communiste français, ou sur un cocktail entre les deux"? Je vous le demande. On peut dire "oui", on peut dire "non". On peut être pour l'Europe ou on peut être contre l'Europe. Mais on ne peut pas dire : "on va renégocier". On ne renégociera pas parce que nous n'aurons personne avec qui renégocier.

Je tenais à le dire, pour que les choses soient claires, et être franc.





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