Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Président du Sénégal (Dakar).

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République et de M. Abdoulaye WADE, Président de la République du Sénégal.

Dakar (Sénégal) - mercredi 2 février 2005.

M. ABDOULAYE WADE - Je voulais vous remercier d'être venus nombreux à cette conférence de presse qui suit l'arrivée du Président Jacques CHIRAC au Sénégal. Vous avez suivi l'accueil populaire. Nous avons eu un entretien en tête à tête que nous poursuivrons pendant la durée de son séjour. Alors nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord remercier chaleureusement le Président WADE de son accueil, c'est un grand grand plaisir de venir à nouveau au Sénégal et d'y être accueilli par lui. Je voudrais également dire au peuple sénégalais dans son ensemble et en particulier à la population de la région de Dakar combien j'ai été une fois de plus infiniment sensible, très touché par l'accueil qui nous a été réservé, cet accueil si chaleureux et qui marque bien le caractère très exceptionnel et d'ailleurs très ancré dans l'histoire, et dans nos cœurs et dans nos esprits, de la relation entre le Sénégal et la France, relation ancienne, relation qui a été pétrie à la fois par le sang, et par l'esprit et qui aujourd'hui est plus forte que jamais dans la mesure où notre vision du monde est une vision commune. Notre souci, notamment pour l'Afrique, est un souci commun et notre relation de coopération, notre travail en commun entre le Président WADE et moi-même et les autorités françaises et le gouvernement français sont empreints de confiance, d'amitié et de solidarité.

Voilà dans quel esprit je suis venu ici et voilà dans quel esprit le Président WADE m'a accueilli et bien entendu je serai très heureux de répondre aux questions que vous souhaiterez nous poser.

QUESTION - J'ai une question à laquelle les deux présidents peuvent répondre et j'ai une deuxième question qui intéresse plus particulièrement le Président CHIRAC. Je sais que le Président WADE est aussi sensible à cette question. La première question c'est une question pour tous les deux : De quoi avez-vous parlé concrètement au cours de votre tête-à-tête ? Deuxième question : le NEPAD, au début il a suscité un enthousiasme formidable, tout le monde était emballé, aujourd'hui on a l'impression que la bulle a éclaté et certains parlent de coquille vide. Est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui concrètement quels sont les acquis du NEPAD ? Alors deuxième question, je suis sûr que vous avez parlé de la Côte d'Ivoire, on a comme l'impression que la Côte d'Ivoire est devenue un casse-tête africain, un casse-tête tout court pour la communauté internationale. Alors Monsieur le Président CHIRAC qu'est ce que l'on peut faire aujourd'hui, quelle est la solution aujourd'hui pour sortir la Côte d'Ivoire de cette crise ? Et en ce qui concerne le Président WADE, vous vous êtes beaucoup impliqué dans la crise ivoirienne, est-ce que vous avez aujourd'hui des solutions à proposer pour qu'enfin cette crise puisse connaître un dénouement heureux ? Merci.

M. ABDOULAYE WADE - Nous avons parlé de beaucoup de choses, sur le plan international, en particulier de l'ouverture du Conseil de Sécurité à d'autres pays, son élargissement à l'Afrique. Nous avons eu des échanges sur des propositions qui nous ont été faites. Je peux vous révéler que le Président CHIRAC a toujours soutenu l'Afrique et il soutient des membres permanents avec droit de veto. Je ne veux pas rentrer dans les détails c'est un peu compliqué.

Nous avons parlé de la coopération régionale, du NEPAD, en particulier de l'initiative du Président CHIRAC de la taxation des flux de capitaux pour financer le développement car il n'y a pas d'autres solutions que de trouver des nouvelles voies pour mobiliser des ressources.

Le Sénégal soutient cette idée et l'a déjà soutenue quand le Président l'a exposée à New York et dernièrement à Davos. Il a même proposé une mise en œuvre, parce que la taxation des capitaux, c'est une très bonne chose et il vous dira lui-même qu'il a réussi à convaincre les Etats européens à cette idée que je soutiens.

Le NEPAD c'est vrai qu'il a eu un départ fulgurant soutenu par le G8 lorsque nous sommes allés l'exposer à Gênes. Les experts ont travaillé, les populations y ont adhéré considérant que c'était un grand espoir pour l'Afrique à cause de sa nouveauté, de son originalité parce que le NEPAD a été élaboré par les présidents eux-mêmes et non pas par les experts. Mais il y a eu un moment de flottement, je dois vous le dire, parce que vous m'avez certainement entendu sur les radios après des réunions qui ont eu lieu en Afrique du Sud, parce que nous avions oublié une chose, c'est qu'on prend de l'argent sans pouvoir l'utiliser, il nous manquait les hommes, ceux que l'on appelle des managers, capables quand il y a de l'argent de réaliser un projet. L'argent il y en a, nous avons eu des annonces très importantes, je ne dis pas suffisantes, le Canada a avancé beaucoup d'argent, le Japon, l'Inde, mais nous n'avions personne pour aller les voir et tous les projets ont été identifiés, ils ne font pas l'objet aujourd'hui d'une étude complète de faisabilité. Mais nous savons ce que nous voulons, quels sont les projets prioritaires dans le domaine du NEPAD de l'infrastructure, l'agriculture, de l'industrie, etc ...

Donc nous venons de réparer cette lacune de deux manières, d'abord en ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest qui doit être le banc d'essai de la mise en œuvre du NEPAD. La Banque mondiale va, sur notre demande, détacher neuf experts dont le seul rôle est justement la mise en œuvre et faire des études de faisabilité. J'ai le plaisir de vous annoncer que le consultant a été désigné après une procédure d'appel d'offre sur la base de termes de référence pour définir les différents projets, faire les études et passer à l'exécution. C'est vrai que nous avons perdu un peu de temps mais il ne faut pas désespérer.

Sur le plan africain, le NEPAD va être transféré à cause de problèmes parce que nous avons estimé que le secrétariat qui était en Afrique du Sud avait dépensé beaucoup d'argent, entre treize et quinze millions de dollars depuis qu'il est là, sans une grande efficacité d'autant plus sans la conception même. Alors le secrétariat va être transféré et réduit à sa plus simple expression à Addis Abeba sous la responsabilité du président de la commission et nous créons une agence d'exécution qui, comme son nom l'indique, aura des personnes dont le profil est justement la mise en œuvre. Donc ne perdez pas espoir, je puis vous garantir qu'assez rapidement, vous allez voir des réalisations.

Sur la Côte d'Ivoire, bien entendu, nous avons eu des échanges. Vous devinez combien, tous les deux, nous sommes intéressés. Nous souhaitons une solution en Côte d'Ivoire pour la présence de nombreux Sénégalais d'abord là-bas et par la présence de la France qui a ses citoyens et qui a des intérêts économiques. Mais la Côte d'Ivoire est un problème extrêmement difficile. A l'heure actuelle, je viens d'Abidjan où est M. MBEKI que nous avions chargé de la médiation ivoirienne, parce qu'il est le Président du Comité pour la sécurité du NEPAD. Nous avons fait un rapport auparavant et cette fois-ci son rapport n'a pas été très long parce qu'il pense qu'assez rapidement le désarmement va commencer et que les ministres des forces nouvelles vont retourner au gouvernement. Je ne pense pas que cela puisse se faire de façon aussi rapide, mais notre position, c'est de nous mettre derrière M. MBEKI et tout faire pour que sa mission réussisse. Voilà où nous en sommes pour la Côte d'Ivoire.

LE PRESIDENT - J'ai peu de choses à ajouter. Je voudrais tout de même dire un mot sur le NEPAD et un mot sur la Côte d'Ivoire. Le NEPAD c'est une belle perspective pour le développement de l'Afrique mais qui mérite un soin très attentif, comme l'a évoqué, tout à l'heure, le Président WADE. C'est une belle perspective parce que, d'une part, cette idée a mis l'accent davantage sur l'importance du développement de l'Afrique, le caractère nécessaire, vital pour le monde, du développement de l'Afrique, et a affirmé qu'il y avait un moyen d'obtenir ou d'accélérer ce développement. D'autre part, il inaugure une approche nouvelle de ce développement, en disant que l'assistance traditionnelle devait être remplacée par une autre approche qui est celle du partenariat. On a voulu substituer la notion de partenariat à la notion d'assistance. A l'origine de cette affaire, il y avait le plan OMEGA qu'avait lancé le Président Abdoulaye WADE. En même temps, d'autres réfléchissaient à cette idée de NEPAD et finalement une réunion de l'Union africaine qui ne s'appelait pas encore Union africaine à ce moment-là, avait fait une synthèse.

Et pour la première fois, à Gênes, au G8, nous avons pu obtenir que, d'une part, les deux ou trois principaux dirigeants africains soient présents et notamment le Président WADE qui a pu exposer la synthèse entre l'idée d'OMEGA et l'idée qui était celle du NEPAD. C'était la première fois que l'Afrique était, au niveau du G8, prise en considération. C'est dire qu'il y avait certes des difficultés, mais une mobilisation. Cela a été de même ensuite au Sommet de Kananaskis où, grâce aux Canadiens, on a pu maintenir cette priorité, priorité qui a été à nouveau maintenue par le Sommet d'Evian du G8, en France et qui sera, à nouveau, cette année à Gleneagles, la priorité de la présidence anglaise, avec un complet soutien, naturellement, des Français et une relation très étroite avec les Africains et tout particulièrement, le Président WADE.

D'où un projet de cette ampleur ne peut pas ne pas avoir des ratés. Et le Président WADE, tout à l'heure, a, à juste titre, souligné qu'il y avait eu des ratés au départ et qu'une nouvelle approche de la gestion, avec son transfert à Addis Abeba répondrait aux difficultés qui étaient apparues en Afrique du Sud et je m'en réjouis. Ce que nous voulons c'est poursuivre cette approche et ce développement. Naturellement, cela suppose une adhésion des pays africains à un certain nombre de principes qu'a très remarquablement théorisé Maître WADE, mais cela suppose également des moyens. Or, il est évident qu'aujourd'hui nous n'avons pas les moyens suffisants pour le développement. C'est un fait. Et qu'il va bien falloir les trouver. Je disais, tout à l'heure, au Président WADE ce que m'avait inspiré l'arrivée à Dakar : il y avait énormément de jeunes, des enfants qui étaient là, au premier rang, qui étaient contents parce qu'il se passait quelque chose, alors ils chantaient, certains dansaient, ils avaient l'œil brillant, ils étaient beaux.

Mais vous savez, tous ces enfants qui sont de plus en plus nombreux et pas seulement au Sénégal, mais en Afrique, ils n'accepteront pas indéfiniment de voir sur les écrans de télévision, à la radio etc···l'évolution du monde et de constater qu'ils sont, eux, en marge de cette évolution, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas les moyens nécessaires à l'éducation, à la santé, à la formation, à l'emploi. Cela ne durera pas. Le partage actuel des richesses du monde ne pourra pas marcher. Je n'en parle pas seulement sur le plan moral, encore que le problème se pose sur ce plan, bien entendu, mais tout simplement sur le plan politique. Toute cette jeunesse africaine qui arrive, je ne vous assommerai pas avec des chiffres, mais elle ne supportera pas cette situation et c'est normal. Par conséquent, nous sommes obligés, dès maintenant, de prendre les mesures qui s'imposent pour faciliter le développement, je le répète, pour des raisons autant morales que politiques.

Les moyens qu'est-ce que c'est ? On les connaît. En 2000, à l'ONU, on avait décidé, dans un grand enthousiasme, de réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici à 2015. Bravo. Sauf que, cinq ans sont passés depuis, c'est-à-dire le premier tiers de la période est révolu, et on n'a pas fait un poil de progrès. Et si on ne change pas les choses, eh bien, il ne faut se faire aucune illusion, on n'obtient pas les objectifs que l'on s'est fixés. Ce qui ajoutera à l'injustice le regret de ne pas voir s'appliquer ce qui a été décidé. Tous les experts sont unanimes. Ils disent, en gros : il faut doubler l'aide publique au développement, il faut la doubler, c'est-à-dire, c'est une affaire, en gros, de cinquante milliards de dollars. Ce qui peut paraître, comme cela, important, s'il s'agissait d'un patrimoine personnel, mais ce qui est une goutte d'eau quand il s'agit des transactions de l'économie mondiale. C'est l'épaisseur du trait. Donc, on ne devrait pas avoir de difficulté pour essayer de les mobiliser. Sauf qu'il est évident que les situations économiques et budgétaires des Etats contributeurs ne leur permettront pas de doubler leur aide publique au développement. Alors, on peut le regretter mais tout cela ne sert à rien. Ce sont des phrases pour se faire plaisir. On n'y arrivera pas. Donc, si on ne peut pas doubler l'aide publique au développement à partir des ressources budgétaires des Etats contributeurs, il faut trouver une autre source de financement. D'où l'idée d'avoir un financement fondé sur la croissance de la richesse mondiale. Le système de la mondialisation, qui est inéluctable, a pour effet de produire énormément de richesses. Et si l'on trouvait le moyen de taxer une part infime de ces richesses, on n'aurait aucune difficulté pour trouver cinquante ou même cent milliards de dollars et on réglerait, disons, on commencerait à régler, de façon convenable, nos problèmes.

D'où la position que je défends depuis longtemps mais qui commence à entrer un peu dans les esprits d'une taxation mondiale. Alors, il y a des quantités de choses, je ne vais pas entrer aujourd'hui dans les détails, qui peuvent être taxées. Il y a des quantités de moyens de faire entrer sans mettre en cause les principes de l'économie de marché, etc···Aujourd'hui, il y a plus de cent dix pays qui ont accepté ces propositions lorsque le Président LULA du Brésil et moi-même nous les avons faites, il y a de cela trois ou quatre mois, à l'ONU. Ce qui veut dire qu'il y a un mouvement. J'ai eu l'occasion de renouveler ces propositions, tout récemment, à Davos et c'est le grand thème que je développerai pour la prochaine réunion, à l'ONU, en septembre prochain. Naturellement, je suis extrêmement heureux que le Président WADE, dont chacun sait que c'est un homme favorable à l'économie de marché et dont chacun connaît la compétence sur le plan économique, c'est sa formation, soutienne cette approche. Nous finirons par y arriver, le problème c'est d'y arriver le plus vite possible. Donc NEPAD et financement innovant au développement sont deux ambitions qui sont, en réalité, conjointes et qui devraient nous permettre de répondre à ce que l'on voyait, tout à l'heure, dans les yeux de tous ces petits Dakarois, qui étaient là et qui brillaient à la fois de bonheur et d'impatience, mais qui ne pourront pas supporter longtemps d'être les écartés du développement.

Sur la Côte d'Ivoire, je voudrais d'abord exprimer au Président, à Maître WADE et à l'ensemble du peuple sénégalais, toute ma reconnaissance pour l'accueil qu'ils ont réservé aux Français qui ont du s'enfuir de Côte d'Ivoire, c'est-à-dire presque tous et qui ont trouvé, au Sénégal, un accueil particulièrement réconfortant et chaleureux. Et j'observe, en particulier, que sur le plan de l'éducation, des écoles, eh bien, très gentiment, les autorités françaises et sénégalaises, responsables de l'enseignement, se sont poussés un peu pour faire la place à ces jeunes et à ces enfants, plus de trois cents, je crois, qui sont arrivés ici, et qui ont été accueillis comme on sait le faire en Afrique.

La Côte d'Ivoire, c'est une très, très grande tristesse pour beaucoup d'Africains et pour les Français. Quand on pense à l'ardeur et à l'intelligence que, j'allais dire, le " vieux ", c'était affectueux, chacun le comprendra bien, que le Président HOUPHOUET avait mis pour développer son pays, et voir où on en est arrivé, c'est incompréhensible et c'est consternant, consternant. C'est comme cela. Ce qu'il faut maintenant et l'essentiel, c'est de retrouver la stabilité politique et de revivifier la situation politique par des élections. Retrouver la stabilité politique, c'est obtenir, de chacun, qu'il accepte de rendre les armes et de se conformer aux engagements qui ont été pris à plusieurs reprises et confirmés en dernier à ACCRA III où, très clairement, les autorités africaines se sont prononcées pour que soient appliqués les principes arrêtés à Marcoussis. Il n'y a pas d'autres solutions : tout le reste, rechercher une solution militaire est folie, c'est de la folie, par conséquent, il faut chercher une solution politique. Laquelle ? Par définition, on doit aboutir à des élections et laisser au peuple ivoirien le soin de trancher ce problème. Malheureusement les élections qui sont théoriquement prévues sont aujourd'hui à mon sens remises en cause. Parce que des élections ça se prépare, ça s'organise et je ne vois aujourd'hui aucun effort réel pour préparer et organiser des élections, ce qui m'inquiète un peu. Je souhaite néanmoins qu'elles aient lieu dans des conditions normales et à la date prévue.

Alors pour le reste il appartiendra aux Ivoiriens de dire ce qu'ils veulent. Comme l'a dit le Président WADE, le Président MBEKI a engagé une négociation, je le souhaite et nous le soutenons tous, comme l'a rappelé le Président WADE. Jusqu'ici cela n'a pas eu un effet particulièrement fort, il faut bien le reconnaître c'est l'Afrique de l'Ouest, avec ses propres caractéristiques, il faut bien la connaître et je souhaite beaucoup que le Président MBEKI, je le répète, dont nous soutenons le processus s'immerge dans l'Afrique de l'Ouest pour comprendre la psychologie et l'âme de l'Afrique de l'Ouest car dans les périodes de crise, il faut bien connaître la psychologie et l'âme des gens. En tous les cas, la France, c'est très clair, fera ce qu'on lui demandera, elle n'est pas en train de faire une guerre de conquête. Bien entendu, si on veut qu'elle reste là, elle restera là, elle est là sous mandat international et elle l'est à la demande de la CEDEAO. Elle travaille en liaison étroite et sous les ordres de l'ONUCI et du général auquel je tiens à rendre hommage, du général FALL qui commande l'ONUCI. Je le répète, je tiens à lui rendre hommage, on est très fiers d'être sous les ordres de l'ONUCI et du général sénégalais qui la commande. Si l'on souhaite que nous restions, nous resterons, si l'on souhaite que nous ne restions pas, nous partirons, il faut bien que l'on sache les choses très clairement, nous ne sommes pas en train de conquérir la Côte d'Ivoire, nous sommes en train d'essayer d'y défendre un semblant de stabilité, un minimum de stabilité et de démocratie.

QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, deux questions pour prolonger ce que vous venez de dire sur la Côte d'Ivoire, si nous avons bien compris, le 4 avril prochain, si le Conseil de Sécurité demande à la France de prolonger le mandat Licorne d'un an, la France restera. La France n'a-t-elle pas envisagé après les graves événements du 6 au 10 novembre dernier de se mettre en retrait et de confier cette mission à d'autres ?

Et la deuxième question sur la Côte d'Ivoire est sur la disparition de notre confrère Guy-André KIEFFER, disparu comme vous le savez depuis 10 mois à Abidjan. Alors le juge français Patrick Ramel ne peut pas retourner à Abidjan cette semaine pour continuer son instruction faute d'un feu vert des autorités françaises, est-ce que vous avez connaissance d'un éventuel blocage et si oui pourquoi ?

LE PRESIDENT - Je n'ai aucune connaissance d'un blocage quelconque et donc sur ce premier point je ne peux absolument pas vous répondre.

Si l'ONU demande à la France de maintenir Licorne, nous examinerons cette demande de façon positive, à condition que les responsables africains nous le demandent. Nous n'avons pas l'intention de rester si nous ne sommes pas souhaités. Nous voulons bien être présents et aider si nous sommes souhaités, mais nous ne resterons pas pour nous imposer. Il faut que les choses soient claires, je l'ai d'ailleurs dit à MBEKI il y a deux jours au téléphone. Je lui ai dit que chacun devait prendre ses responsabilités et que par conséquent, si on ne voulait pas que la France reste là-bas, elle ne resterait pas. Et ce n'est pas l'ONU qui dira ça ce sont les Africains, les responsables africains. A commencer naturellement par le gouvernement ivoirien.

M. ABDOULAYE WADE - Messieurs je voudrais prolonger sur cette question. J'en ai déjà parlé à l'occasion d'interview, parce qu'il faut distinguer deux choses, le problème ivoirien qui a débouché sur la violence et qui a amené le gouvernement ivoirien qui a demandé à la France d'amener des troupes pour l'aider à rétablir la paix. L'autre problème c'est celui du Conseil de Sécurité qui s'est saisi de l'affaire qui s'est aggravée. Donc la France y était par le fait d'accords bilatéraux et a dû y rester par suite de l'appel du Secrétaire général des Nations Unies. Le problème de la Côte d'Ivoire nous intéresse, nous Sénégalais à cause de l'importance de la colonie que nous avons là-bas, donc nous ne pouvons pas jouer la politique de l'autruche, nous sommes obligés d'aider pour une solution.

Je voudrais vous rappeler que le premier accord de cessez-le-feu a été obtenu par le Sénégal, depuis il ne s'est rien passé. On nous a enlevé le dossier et ça n'a pas avancé. J'ai rencontré le Président GBAGBO il y a deux jours, je lui ai dit qu'à mon sens c'était une erreur de renoncer les relations avec la France parce que la France a joué un rôle dans le rétablissement de la paix en Côte d'Ivoire et je crois, peut-être que je me trompe, que si les troupes françaises n'étaient pas intervenues, aujourd'hui nous aurions une situation du Cambodge de l'époque de POL POT.

Je pense très sincèrement que l'arrivée des troupes françaises en Côte d'Ivoire a empêché des massacres. C'est pourquoi je ne souhaite pas le retrait des troupes françaises, parce que de tous les pays c'est la France qui connaît le mieux la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens.

Je voudrais dire que la France a des intérêts économiques en Côte d'Ivoire, j'ai entendu le Président CHIRAC dire qu'il était prêt à se retirer de la Côte d'Ivoire. J'ai dit non, je ne suis pas personnellement d'accord et l'avenir jugera parce que la démocratie, l'Etat en Afrique est trop faible, partout, même au Sénégal, il y a quand même des institutions démocratiques. L'Etat est très faible et je ne souhaite pas pour GBagbo et pour la Côte d'Ivoire je le lui ai dit, je lui ai conseillé parce qu'il m'a demandé et il était intéressé à reprendre ses relations avec la France et j'ai transmis le message. Je ne le cache pas, parce que nous sommes dans une matière où, à l'heure actuelle, chacun doit prendre ses responsabilités pour le futur, le futur immédiat et pour la suite. GBAGBO connaît ma position sur cette question, la France a des accords militaires avec des accords de coopération et d'assistance militaire avec beaucoup de pays francophones. Je l'ai dit, parce que nous avons adopté un pacte de non agression là-bas à Abuja et de défense commune que j'ai défendu, mais j'ai tenu à leur expliquer qu'il y a une disposition qui dit qu'il ne faut pas que les Etats-Membres passent des accords qui soient en contradiction avec ce texte. J'ai dit que nous avons des accords signés librement avec la France, que nous pouvons dénoncer à n'importe quel moment, c'est ce qui est dit, pour l'instant nous avons signé ces accords conformément à la volonté du gouvernement de notre peuple et que la coopération militaire et l'assistance mutuelle n'est pas en contradiction avec un pacte de défense.

Tout le monde l'a bien compris, parce qu'il fallait que je m'explique, je ne voulais pas que l'on dise après que le Sénégal a des accords militaires avec la France. Les accords que nous avons signés nous les assumons. Nous n'avons aucun complexe avec ça, parce que nous les avons passés souverainement avec un pays souverain et nous sommes en accord avec notre peuple. Voilà ce que je voulais dire en souhaitant véritablement que le dialogue soit renoué avec la Côte d'Ivoire, avec le Président GBAGBO et qu'il était tout à fait disposé et que la France et les Français puissent retourner en Côte d'Ivoire pour jouer le rôle qu'ils ont joué jusqu'ici dans le développement de la Côte d'Ivoire et dans le domaine de la coopération de manière générale.

QUESTION - Lors d'un entretien diffusé par la chaîne NBC en janvier, le Président BUSH avait déclaré qu'il n'excluait pas le recours à une action militaire contre l'Iran, si Téhéran ne se montrait pas plus coopératif sur la nature de son programme nucléaire. Donc ma question qui s'adresse au Président CHIRAC est la suivante : est-ce que vous ne craignez pas que l'Iran ne devienne une pomme de discorde entre les pays européens et les Etats-Unis si Israël ou les Etats-Unis décidaient de frapper l'Iran ?

LE PRESIDENT - Nous n'en sommes pas là, je le souhaite. Comme vous le savez, la communauté internationale est unanime à dénoncer toute prolifération dans le domaine des armes de destruction massive et en particulier dans le domaine de l'arme nucléaire. Par conséquent, sous le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique, nous nous efforçons de nous assurer que personne ne met en cause ces principes. Alors l'action engagée par l'Iran en matière de retraitement et d'enrichissement a fait émettre des doutes sur leurs intentions, ce qui a conduit la France, l'Angleterre et l'Allemagne à engager une action de nature diplomatique pour trouver un accord avec l'Iran au terme duquel, sous contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique, ils abandonneraient toute technologie de nature militaire en contrepartie de quoi ils auraient accès aux technologies de nature électronucléaires, c'est-à-dire de production d'énergie électrique par le nucléaire.

Dans l'état actuel des choses, certains ont des doutes. Il est tout à fait essentiel que l'Iran tienne ses engagements et s'il ne devait pas les tenir la communauté internationale devrait imaginer quelles sont les réactions qui pourraient être les siennes et qui ne pourraient être que celles que retiendrait le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Nous n'en sommes pas là.

Alors moi, les affirmations guerrières ce n'est pas mon genre, je souhaite que l'on trouve un bon accord avec l'Iran, nous nous y employons avec nos amis britanniques et allemands. Nous le faisons en liaison étroite avec nos amis américains et nos amis russes parce que c'est nécessaire, y compris d'ailleurs nos partenaires chinois. Donc j'espère que nous arriverons à une solution pacifique de cette situation, c'est-à-dire abandon total par l'Iran de sa technologie de nature militaire et développement de sa technologie de nature civile.

QUESTION - Hier soir, nous avons appris que la santé du Pape JEAN PAUL II s'était détériorée. Est-ce que vous pouvez nous éclairer et nous dire si vous avez des nouvelles meilleures que celles que nous avons eues, hier soir, au moment où nous quittions Paris ?

LE PRESIDENT - Je n'ai pas de nouvelles et tous les cas pas de nouvelles dont je puisse me faire l'écho et qui soient suffisamment sûres pour que je puisse m'en faire l'écho et tout ce que je peux dire, c'est que je souhaite au Saint-Père, mes vœux de rapide rétablissement dans les délais, de la façon la meilleure possible.

QUESTION - Ma question est destinée à notre hôte de marque, Monsieur le Président CHIRAC et elle porte sur le problème des visas, ici, au Sénégal. On sait que pour se rendre en France, il faut régler des frais d'assurance et remplir toutes les conditions pour obtenir un visa. Et souvent, le précieux sésame nous est purement et simplement refusé. Et des chefs d'entreprise sénégalais le déplorent. Est-ce que vous allez définir une meilleure politique pour régler ce problème ?

LE PRESIDENT - Nous sommes bien obligés d'avoir des visas, comme tous les pays et bien obligés de vérifier la nature et les intentions de ceux qui les demandent. Il y a les relations normales et puis il y a l'immigration clandestine qui, parfois, se développe, pas en provenance particulièrement du Sénégal, mais de beaucoup de pays étrangers et qui crée des situations qui, finalement, sont aussi bien nuisibles au pays d'origine qu'au pays destinataire. Donc nous sommes obligés de faire attention. Je vous signale que l'augmentation des visas a été sensible, ces derniers temps, pour le Sénégal ; que notamment le nombre d'étudiants ayant obtenu des visas a très sensiblement augmenté. Il a dû passer de vingt à trente mille, je ne suis pas absolument sûr du chiffre, c'est de cet ordre d'idée. Que d'autre part, les conditions de délivrance des visas qui n'étaient pas tout à fait convenables, sont en train d'être fortement améliorées par les investissements que nous faisons de façon à rendre plus facile, moins pénible l'attente de visas. Nous continuerons à augmenter le nombre des visas mais nous sommes obligés de nous assurer que ces visas sont de vrais visas pour de vraies raisons.

M. ABDOULAYE WADE - Je voudrais intervenir sur cette question des visas parce que c'est un problème pour les hommes d'affaires, je parle des hommes d'affaires et des vrais hommes d'affaires, parce que depuis quelque temps nous nous efforçons d'aboutir au retrait de l'Etat de l'économie au profit du secteur privé. Mais le secteur privé a besoin de se déplacer, parfois sur un coup de fil, parfois sur un fax, pour aller signer des contrats ou voire acheter des produits. Malheureusement, les procédures, aujourd'hui, sont très longues. Cela est valable non seulement pour la France mais pour tous les pays. Alors, je pense que le problème du visa est lié un peu à l'évolution du droit international.

Depuis le XIXème siècle, ce droit intéresse la puissance publique, les Etats, c'est pourquoi il y a des passeports diplomatiques, ils n'ont pas besoin de visa. Mais aujourd'hui alors que nous passons dans l'économie privée et que les nouveaux agents de la construction de l'économie, ce sont les citoyens du secteur privé, j'ai proposé une réflexion, simplement une réflexion sur cette question, pour l'institution d'un visa, d'un passeport d'affaires qui serait plus conforme à l'esprit du monde libéral, du monde des échanges. Je ne dis pas qu'il fait l'instituer demain. L'idée a eu un écho favorable au niveau du G8. Je voudrais simplement rappeler au Président CHIRAC de voir comment on pourrait mettre peut-être une commission pour étudier cette question.

LE PRESIDENT - Je voudrais ajouter que nous partageons tout à fait le même souci et que nous apprécions et approuvons la recherche et la proposition du Président WADE.

QUESTION - Je voulais vous poser une question plutôt deux, en prolongement d'autres questions qui vous ont été posées sur la Côte d'Ivoire. Ma question s'adresse au Président CHIRAC, à propos des Français qui étaient à Abidjan et qui sont venus ici, souvent, parce qu'ils avaient toujours vécu en Afrique, parfois aussi parce qu'un mari était resté à Abidjan et fait la navette. Il y a beaucoup de femmes ici, avec des enfants, nous en avons rencontrés pas mal, qui rencontrent de grosses difficultés apparemment parce qu'ils ne peuvent pas avoir le même statut que ceux qui ont été rapatriés en France, tout simplement parce qu'ils n'ont pas été rapatriés en France, mais qu'ils sont dans un autre pays, le Sénégal. Est-ce que vous envisagez des mesures particulières pour ces personnes qui sont dans des situations, pour certaines, très difficiles ?

Ma deuxième question, toujours sur la Côte d'Ivoire, concerne le renforcement de l'embargo sur les armes qui a provoqué, apparemment, une réaction assez vive de l'ambassadeur de la Côte d'Ivoire, qui parle de provocation française. Qu'en pensez-vous ? Et est-ce que le processus de sanctions personnelles engagées à l'ONU devrait se poursuivre dans un avenir proche ou n'en est-on pas là ?

LE PRESIDENT - En ce qui concerne les Français de Côte d'Ivoire, j'ai dit tout à l'heure ma reconnaissance à l'égard des autorités et du peuple sénégalais et aussi de la communauté française au Sénégal qui les ont accueillis en règle générale à bras ouverts avec beaucoup de solidarité. Alors nous verrons quels sont par rapport à ceux qui sont rentrés en France ou ceux qui sont allés ailleurs s'il y a des problèmes. Nous sommes tout à fait disposés à les étudier.

En ce qui concerne l'embargo sur les armes, nous y sommes tout à fait favorables, d'ailleurs il a été voté hier soir par le Conseil de Sécurité de l'ONU. Il est évident que dans la situation que connaît la Côte d'Ivoire aujourd'hui, ce n'est pas le manque d'armes qui est caractéristique c'est le trop plein. Et nous savons très bien malheureusement qu'il y a actuellement un viol de cet embargo tout à fait régulier, qu'il y a des armes qui entrent en Côte d'Ivoire sans que l'on sache exactement où elles vont et, compte tenu de la tension entre le nord et le sud, entre les forces dites rebelles et les forces dites loyalistes, je ne suis pas sûr c'est que la bonne solution c'est de surarmer tous ces gens. Je le dis très clairement, je suis donc tout à fait favorable au principe de l'embargo et au respect de l'embargo et je souhaite notamment que l'ONUCI, aidée par Licorne, puisse faire respecter cet embargo.

M. ABDOULAYE WADE - Pour les Français qui étaient à Abidjan et qui sont les bienvenus au Sénégal, que dès que les premiers ont manifesté un intérêt à inscrire leurs enfants, nous avons donné des instructions et les enfants sont inscrits sans aucune discrimination. Ces Français ne sont pas des SDF, ce sont des gens qui ont la qualification qui ont du travail qui ont un minimum d'argent. Le Sénégal est ouvert pour plusieurs raisons : sur le plan économique d'abord, nous demandons toujours des investisseurs du plus petit au plus grand et aussi parce que nous croyons véritablement que l'humanité gagnerait à la coexistence de populations de diverses provenances, races, de tout ce que l'on veut. C'est notre conception sénégalaise, nous avons ici des gens qui viennent de partout donc, pour nous, ce n'est pas un problème. Ce que la France peut faire pour ses ressortissants ça c'est une autre affaire.

Je voudrais ajouter que l'embargo sur les armes est bon, la France est au Conseil de Sécurité et dans le milieu de ceux qui décident, mais cet embargo est décidé par la CEDEAO et par l'Union africaine, il ne faut pas l'oublier.

Il faut poser le problème très clairement : pourquoi nous l'avons décidé ? L'Union africaine l'a décidé parce que si l'on importe des armes en Côte d'Ivoire, non seulement sur le plan humain les gens vont s'entretuer parce que n'importe qui peut emporter des armes et ensuite nous risquons d'aboutir à une conflagration sous-régionale, parce qu'à un moment il y a eu des menaces de certains pays sur des pays limitrophes et on va laisser la zone s'embraser, c'est pourquoi je vous dis non.

Il faut que l'on empêche les armes d'entrer en Côte d'Ivoire et l'on continue les discussions. Nous sommes sur cette lancée, il n'y a pas eu de changements, donc il faut bien comprendre que c'est nous, Africains, qui avons affirmé l'embargo et même pour la censure, c'est nous qui l'avons décidé, j'étais présent comme tous les autres chefs d'Etat.

QUESTION - Pour le Conseil de Sécurité de l'ONU, le débat portant sur la participation éventuelle d'un pays africain, quelle est votre position ? Est-ce qu'un pays pourrait avoir éventuellement un droit de veto dans ce conseil de l'ONU ? Est-ce que la crise ivoirienne renforce la position du Sénégal aux yeux de la France et la place du Sénégal aux yeux de la France et enfin, comment expliquez-vous le rappel précipité de l'Ambassadeur de France au Sénégal ?

M. ABDOULAYE WADE - Je voudrais répondre à la deuxième question, les relations entre le Sénégal et la France sont antécédentes de plusieurs siècles à celles de la Côte d'Ivoire. L'autre jour, j'ai souri quand j'ai entendu le Président BECHIR dire du Soudan : "le Soudan a été la première colonie". Je lui ai dit : "mon cher ami, ce n'est pas vrai, la première colonie était le Sénégal". Nous occupons une place particulière, dans le cœur des Français, très longue et spécifique, c'est une histoire unique, je ne vais pas vous faire un cours d'histoire mais franchement, lisez un peu et vous verrez que ça n'a rien à voir.

LE PRESIDENT - Sur le deuxième point, puisque le Président WADE a évoqué le deuxième point, je souscris sans réserve à ce qu'il a dit. C'est vrai que la nature des liens entre le Sénégal et la France est une nature très particulière, que la France n'a connue même pas avec la Cochinchine, que la France n'a connu avec aucune autre nation étrangère, aucune et qui fait le caractère très particulier de ces liens, leur ancienneté, leur profondeur. Par conséquent, quels que soient les avatars de la politique internationale, quelles que soient les évolutions des uns ou des autres, ce n'est pas de nature à améliorer la situation du Sénégal qui ne peut pas s'améliorer parce qu'elle est en quelque sorte unique. Comme vient de le dire Maître WADE et à juste titre, elle est unique. Alors on ne peut pas améliorer l'unique.

Sur le Conseil de Sécurité, la France est favorable à l'augmentation du nombre des membres permanents et à l'augmentation du nombre des membres non permanents et d'autre part elle n'est pas favorable à la création de membres permanents n'ayant pas le droit de veto. Alors à partir de là, elle est favorable à ce que l'Afrique soit présente et sérieusement présente, elle ne veut pas faire d'ingérence dans les désignations qui pourront être faites en accord entre les différents pays africains au sein, j'imagine, de l'Union africaine. Ce qu'elle souhaite, si elle peut se permettre d'exprimer un vœu, c'est qu'il y ait en Afrique des francophones et des anglophones, il y a même aussi des lusophones et par conséquent elle souhaite que les francophones ne soient pas oubliés dans cette affaire, mais elle l'exprime en laissant le soin aux Africains de prendre leur décision entre eux sur ce point.

M. ABDOULAYE WADE - La position de l'Union africaine sur cette question : d'abord sur ce qu'on nous a offert, ce nous avons dit à Kofi ANNAN c'est qu'il était proposé un poste de membre permanent au Brésil, au Japon, à l'Allemagne et à l'Inde et à l'Afrique, deux postes permanents et quatre postes non permanents. Mais il a ajouté que les postes permanents n'avaient pas de droit de veto. Je remercie la France pour sa position : quand on est membre permanent, il faut avoir le droit de veto. Nous sommes donc en train de discuter de cela et, personnellement, je crois que l'Afrique qui est un continent, l'Afrique ce n'est pas les Etats-Unis, ce n'est pas la France, ce n'est pas l'Europe, qui est quand même une partie d'un continent, ce qui serait bon c'est que ce continent soit présent, là où on décide des affaires du monde et qu'il dispose au moins d'un droit de veto, je dis au moins d'un droit de veto. Alors cette question va être reprise. J'en ai discuté avec le Secrétaire général des Nations Unies, à qui j'ai donné mon point de vue. Je remercie la France.

LE PRESIDENT - Nous avons un point de vue parfaitement commun. Voilà.

L'Ambassadeur de France qui est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime, et qui est d'ailleurs ici, et qui assumait parfaitement sa mission dans le cadre normal de sa carrière revient, à Paris, prendre un autre poste. C'est là que je vois d'ailleurs qu'il y a un trait particulier entre le Sénégal et la France. C'est le seul endroit où on me pose la question, où la presse me pose la question de savoir : vous changez votre ambassadeur, pourquoi ? Il n'y a pas d'autre pays où cela existe et ça prouve bien qu'il y a un lien très profond. Vous m'interrogez comme si on changeait un préfet. C'est tout de même, tout à fait étonnant.

M. ABDOULAYE WADE - C'est la preuve que le Sénégal est un pays spécial.

QUESTION - Ma consoeur m'a marché sur la langue mais j'ajouterai le pourquoi de cette question : ce n'est pas un préfet que l'on change, c'est vrai que c'est un ambassadeur, mais cela nous intéresse parce que l'on avait beaucoup conjonctué sur les relations difficiles que le Président WADE aurait entretenues avec M. Jean-Didier ROISIN. Qu'en est-il exactement ? Est-ce que l'on peut être édifié sur cette question ? Et là cette question s'adresse à M. le Président WADE. Pour M. le Président CHIRAC, deux visites en dix ans, est-ce que vous pensez que les relations France-Sénégal méritent un tel sort ?

M. ABDOULAYE WADE - Vous savez, une fois, lorsque SENGHOR et d'autres faisaient des revendications à de GAULLE, ils revendiquaient l'indépendance, de GAULLE leur a dit : " n'oubliez pas que la France, aussi, est indépendante ". Je crois qu'il faut savoir s'arrêter. La France désigne son ambassadeur où elle veut, selon son appréciation personnelle. Vous n'allez pas lui demander de justifier une décision qui ne relève que de sa propre souveraineté. Je suis désolé, mais cela montre aussi que le Sénégal est un pays spécial où on dit des choses absolument hors normes, mais vous le comprendrez peut-être un peu plus tard.

LE PRESIDENT - Il m'est demandé pourquoi je ne viens pas assez souvent au Sénégal. Alors je voudrais d'abord vous dire que mes relations avec le Président WADE sont tout à fait excellentes, et depuis toujours. En témoigne d'ailleurs le fait que nous nous rencontrons, dans un certain nombre d'instances, régulièrement, que nous nous sommes rencontrés, à plusieurs reprises, à Paris et surtout que nous nous téléphonons. Il arrive constamment, je dirais plusieurs fois par mois et même plusieurs fois par semaine, que le Président WADE me téléphone ou que ce soit moi qui lui téléphone. Donc, il y a un lien permanent. Alors vous dites : vous pourriez venir plus souvent. Cela est vrai, en plus, cela me ferait très plaisir. Si vous lisez attentivement vos collègues de la presse française, vous verrez que régulièrement, on dit : comment, le Président, il est toujours dehors, il va se promener, il ferait mieux de s'occuper de nos affaires ...

M. ABDOULAYE WADE - Ici, aussi.

LE PRESIDENT - Alors, c'est un fait. On estime, en règle générale, et je ne porte pas de jugement sur les réactions de l'opinion publique sénégalaise, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'en France, on dit : comment, il ferait mieux de travailler plutôt que d'aller se promener, je caricature à peine. Alors je vais de préférence dans les pays avec lesquels nous avons des problèmes et comme nous n'avons aucun problème avec le Sénégal, eh bien, on reporte le Sénégal et on fait cela par téléphone.





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