Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Président du Guatemala.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M.Oscar BERGER, Président de la République du Guatemala.

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Palais National, Guatemala, le jeudi 27 mai 2004

LE PRÉSIDENT - Je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement le Président BERGER pour un accueil auquel j'ai été très sensible. J'ai tenu, sur le chemin de Guadalajara, à me faire inviter par le Président au Guatemala parce que je voulais rendre hommage à l'action menée, notamment depuis 1996 et depuis les accords de paix, pour soutenir le développement et la démocratie dans cette région.

Je voulais porter au nom de l'Union européenne et nom de la France le témoignage de notre soutien à tous ceux qui renforcent la démocratie et les libertés au bénéfice de tous, en général et au Guatemala, en particulier. Soutien pour promouvoir davantage d'égalité, ce qui est moralement nécessaire et économiquement indispensable. Pour permettre au Guatemala de développer son exceptionnelle richesse culturelle, issue de la prestigieuse tradition Maya et de l'apport hispanique et ainsi d'avancer sur le chemin du développement. Enfin, pour favoriser la coopération et l'intégration régionale, ce qui est une voie naturelle et incontournable dans le monde d'aujourd'hui.

C'est dans cet esprit que je suis venu ici. J'ai eu des entretiens extrêmement intéressants avec le Président et avant de vous répondre, je voudrais lui exprimer à nouveau et à tout le peuple du Guatemala, mes sentiments d'estime, de reconnaissance et d'amitié.

M. BERGER - Je voudrais remercier le Président Jacques CHIRAC d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes effectivement profondément honorés par sa présence. Elle renforce la démocratie et renforce l'esprit d'unité que nous voulons développer.

Je voudrais dire avant toute chose que nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion d'ouvrir nos portes toutes grandes à l'un des leaders les plus éminents du monde entier. C'est pour nous, effectivement, un honneur tout à fait profond et je crois que sa présence augure très bien de l'avenir de notre pays, le Guatemala.

Nous venons de parler avec le Président Jacques CHIRAC et j'ai d'abord évoqué auprès de lui les efforts que nous faisons, les efforts que nous déployons depuis que nous sommes au pouvoir. Des efforts en matière d'intégration, en matière de lutte contre la corruption, en matière de modernisation et de réduction des forces armées.

Je lui ai dit aussi que l'une des grandes priorités de notre gouvernement est le tourisme et la possibilité d'avoir davantage d'investissements et tout cela pour le bien du Guatemala. Ce que nous voulons, c'est que le monde entier vienne vers nous, sous toute forme, touristes ou investisseurs.

Je dois dire que sur tous ces points, le Président Jacques CHIRAC nous a apporté son appui et son engagement de telle sorte que ce que nous souhaitons faire réalité se concrétise et que le Guatemala soit un plus grand Guatemala au profit de tous. Le Président Jacques CHIRAC m'a dit qu'il était très soucieux de voir les grandes inégalités qui existent dans notre région se réduisent et que, pour arriver à trouver des solutions, il faudrait qu'il y ait une meilleure redistribution qui passe naturellement par des efforts de l'Etat, tout particulièrement pour les plus pauvres, les plus déshérités, les plus défavorisés, ceux qui ont le moins de chance dans la vie. C'est effectivement l'Etat qui doit agir. S'il veut véritablement agir dans le bon sens, l'Etat a besoin de ressources et ces ressources ce sont tous les Guatémaltèques sans exception qui doivent le lui apporter.

M. le Président Jacques CHIRAC, je voudrais vous remercier, vous remercier de vos propos, vous remercier de votre appui, en un mot, vous remercier de votre présence. Je voudrais terminer en disant que je me suis senti profondément honoré que vous m'ayez mis votre propre décoration sur le coeur, cela a été quelque chose de très émouvant pour moi et je dois dire que je ne l'oublierai jamais.

QUESTION - Une question qui concerne le Guatemala et une également qui concerne le Sommet de Guadalajara demain : je voulais savoir, à vos yeux, ce que l'Europe peut apporter de plus que les Etats-Unis aux pays d'Amérique latine et à cet égard, est-ce que vous êtes prêt et décidé à signer rapidement un accord de libre-échange avec l'ensemble des pays d'Amérique latine, comme ceux-ci le réclament ?

LE PRÉSIDENT - Je comprends que vous vous évoquez le problème d'ensemble c'est-à-dire des négociations du cycle de Doha après Cancun, car il y a un deuxième problème qui est l'accord d'association entre les pays d'Amérique Centrale et l'Union européenne ; ce sont deux sujets importants.

Je voudrais vous dire que, s'agissant du problème global, la France est attachée au succès de la négociation du cycle de Doha à l'OMC parce que cette négociation est essentielle pour la croissance mondiale et pour l'enjeu du développement. Et pour la première fois, le développement est placé au coeur d'une négociation commerciale. C'est une négociation globale qui porte sur les différents volets du commerce mondial et qui, par conséquent, doit être équilibrée. Le principal problème qui n'est pas encore réglé concerne la négociation agricole. La France estime qu'il convient d'observer un parallélisme rigoureux dans le traitement de toutes les formes de soutien à l'exportation ainsi qu'un équilibre entre les différents volets de la négociation agricole. Or, il apparaît dans la situation actuelle que l'Europe a fait des pas considérables, mais que nos amis d'Amérique du nord sont encore extrêmement réservés pour bouger. Et on ne peut pas accepter que la négociation soit, si j'ose dire, à conséquence unilatérale pour l'agriculture européenne. D'autant que l'Europe, je le rappelle, est le premier importateur mondial et, de très loin, pour les produits agricoles en général et pour les produits agricoles des pays en développement et notamment des pays d'Amérique latine, en particulier.

Enfin, dans cette négociation, nous sommes très attachés à ce que les intérêts des pays les plus pauvres et notamment des pays africains qui sont mal traités dans cette affaire ne soient pas oubliés et en particulier que l'érosion des préférences dont bénéficient les pays africains et qui est extrêmement préoccupante pour nous, ne continue pas à s'aggraver. Par conséquent, nous sommes également vigilants sur ce point, en ce qui concerne les pays pauvres et en développement qui risquent de faire les frais d'une partie de ces négociations.

Plus brièvement, pour la deuxième question, l'accord d'association Union européenne-Amérique centrale : la France est favorable à cet accord et considère qu'il est possible, rapidement. Je rappelle que l'Union européenne a demandé deux choses, la première c'est que cet accord fasse suite à l'accord de Doha et la deuxième, c'est que les pays d'Amérique centrale fassent un effort qu'ils ont engagé pour une meilleure intégration, de façon à ce qu'il y ait une coopération plus facile entre l'Union européenne et l'Amérique centrale. Je crois que ces deux conditions évoluent bien et j'espère qu'en 2005, un accord d'association Union européenne-Amérique centrale pourra être engagé.

QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, vous avez parlé avec le Président BERGER des grandes inégalités qui existent dans notre pays. Il y a une quinzaine de jours, des représentants de l'Union européenne ont dit qu'il fallait absolument augmenter la charge fiscale. Maintenant dans notre pays, vous savez, les gens sont tous très réticents à payer des impôts. J'aimerais vous demander comment vous voyez les choses, dans de telles circonstances ?

LE PRÉSIDENT - Je crois que c'est peut-être le principal problème auquel tous les pays d'Amérique latine sont confrontés. L'Amérique latine est malheureusement la région du monde où les inégalités sont les plus grandes et où la pauvreté est la plus importante en valeur absolue et en valeur relative.

Lorsqu'il n'y a pas suffisamment d'impôts pour que l'Etat ait les moyens de créer les infrastructures économiques et sociales nécessaires au développement, alors il n'y a pas de développement. Et s'il n'y a pas de développement, il n'y a pas de consommation et s'il n'y pas de consommation, il n'y a pas de création de richesses. Et ceux qui sont crispés sur leurs privilèges sont moralement condamnables. Mais je veux ajouter qu'ils sont stupides sur le plan de leurs propres intérêts car ils freinent le développement au détriment des activités qui pourraient se développer, notamment à leur profit.

C'est le problème de toute l'Amérique latine, je lisais récemment dans un rapport concernant le Guatemala que, au Guatemala, on est tout de même dans une situation record puisque la pression fiscale représente 8,5 % du Produit Intérieur Brut. Pour vous donner une comparaison, en Europe c'est de l'ordre de 50 % au minimum.

Tout ça pour dire que l'un des problèmes majeurs de l'Amérique latine, c'est de lutter contre un système dépassé qui donne la priorité à l'égoïsme, et pour dire la vérité, à la bêtise et qui doit être réformé. Mais je sais bien que c'est facile à dire de l'extérieur et plus difficile à faire de l'intérieur. Je souhaite que les efforts engagés par la plupart des gouvernements responsables en Amérique latine leur permettent de surmonter ces difficultés pour permettre le développement économique et le progrès social indispensables.

M. BERGER - C'est tout à fait évident, Monsieur le Président, vous avez raison.

LE PRÉSIDENT - Je vous signale que les jeunes filles qui vous tendent le micro sont des jeunes étudiantes en diplomatie, que vous retrouverez peut-être un jour ou l'autre à Paris. Pour ma part, je le souhaite vivement et je leur souhaite bonne chance.

M. BERGER - Merci.

QUESTION - Ma question s'adresse à tous les deux. Monsieur le Président CHIRAC, il y a un projet de résolution sur l'Iraq au Conseil de sécurité depuis quelques jours. Vous avez eu une conversation il y a deux jours avec George BUSH, est-ce qu'on pourrait savoir quelle est la position de la France et ce que souhaite la France ? Monsieur le Président BERGER, en faisant référence à la présence au Conseil de sécurité du Chili et du Mexique au moment où s'est décidée l'intervention en Iraq, moment où les deux pays se sont opposés à l'intervention en Iraq, quelle est la position du Guatemala en la matière à cet égard ?

LE PRÉSIDENT - S'agissant de la résolution qui est en cours d'élaboration au Conseil de sécurité, nous abordons cette discussion, pour ce qui nous concerne, dans un esprit parfaitement constructif. Nous avons, avec le projet préparé par les Etats-Unis, une base sérieuse mais une base qu'il faut maintenant sérieusement améliorer.

L'essentiel aujourd'hui c'est d'offrir aux Iraqiens une vraie perspective politique. Ils doivent percevoir, de la façon la plus claire, qu'à compter du 30 juin leur pays aura retrouvé sa pleine souveraineté, sans cela la situation ne pourrait que se détériorer davantage.

C'est pourquoi la résolution du Conseil doit prévoir que le gouvernement intérimaire exercera après le 30 juin une souveraineté entière dans tous les domaines, politique, économique, sécuritaire, judiciaire, diplomatique. Et qu'il aura notamment le contrôle de la disposition des ressources naturelles de l'Iraq.

Dans le domaine de la sécurité, la résolution doit également être améliorée. Elle doit fixer le principe selon lequel l'armée et les forces de sécurité iraqiennes sont placées sous l'autorité du gouvernement intérimaire. Et ce gouvernement doit avoir une capacité de décision sur l'engagement de ses propres forces ou sur les opérations majeures conduites par la force multinationale.

Enfin, le mandat de la force internationale doit être limité dans le temps, étant entendu que le gouvernement iraqien issu des élections qui doivent avoir lieu en janvier 2005 doit, à tout moment, pouvoir décider d'y mettre fin ou d'en demander la révision.

M. BERGER - Naturellement, nous sommes contre la violence en tant que solution au conflit. Nous regrettons tout ce qui est en train de se produire dans cette partie du monde. Nous condamnons la guerre, tout comme nous condamnons le terrorisme et les instigateurs de la guerre et du terrorisme. En fait, nous croyons en un monde de paix, en un monde de justice et nous mettons tout en oeuvre pour qu'il en soit ainsi.

QUESTION - La question est posée par un représentant de la télévision guatémaltèque. Je voudrais savoir quelle est l'influence que peut exercer sur la signature d'un traité entre les pays d'Amérique centrale et de l'Union européenne le fait que le Costa Rica ne soit pas intégré dans l'ensemble centro-américain. Je voudrais savoir aussi quelle est l'influence que peut avoir la situation de notre région en matière environnementale. Et je ne sais pas si vous voulez répondre à cette question maintenant parce que je suppose que vous allez en parler avec le Prix Nobel de la paix qui est ambassadrice de bonne volonté en matière d'application des accords de paix, mais je voudrais connaître votre vision des choses en ce qui concerne la situation de M. RIOS MONTT et la situation dans laquelle se trouvent les actions intentées contre lui par Rigoberta MENCHU en Espagne ?

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, nous avons des négociations engagées avec des pays d'Amérique centrale, elles se déroulent, je dirais, de façon positive, je vous ai dit tout à l'heure quelles étaient les conditions mises par l'Union européenne et les conditions mises par les pays d'Amérique centrale. Le Costa Rica a sa position c'est son problème, je ne pense pas que ce soit de nature à gêner le mouvement que j'évoquais tout à l'heure. Sur le deuxième problème que vous évoquez c'est-à-dire l'environnement, vous connaissez la position de la France qui souhaite que les actions en faveur de l'environnement soient renforcées dans le monde en général, à commencer par la mise en oeuvre des accords de Kyoto. Quant au problème particulier que vous venez d'évoquer à la fin de votre question, c'est un problème qui intéresse le Guatemala et je n'ai pas à faire de commentaire.

QUESTION - Tout à l'heure, dans votre discours, vous vous êtes félicité de la nomination de Rigoberta Menchu en tant qu'Ambassadrice de bonne volonté pour les accords de paix. Je voudrais savoir pourquoi vous êtes satisfait de cette décision et je voudrais savoir auprès du Président BERGER pourquoi il a pris la décision de nommer Mme MENCHU à ce poste-là ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas à faire d'ingérence dans les affaires intérieures du Guatemala, je dirais simplement que j'ai toujours soutenu le combat mené par Rigoberta Menchu pour le respect des droits de l'homme, de la diversité culturelle, du dialogue des cultures et que je n'ai pas changé, naturellement.

Je me suis réjoui de sa nomination en 1992 comme Prix Nobel de la Paix et j'ai été de ceux qui, en Europe -c'était d'ailleurs la totalité de nos partenaires-, avaient été traumatisés par les massacres qui ont conduit à des horreurs inacceptables dans ce malheureux pays jusqu'à ce qu'interviennent les accords de paix. Bien entendu, lorsque le Président BERGER a donné des fonctions ministérielles comme Ambassadeur de bonne volonté à Rigoberta MENCHU pour la mise en oeuvre des accords de paix, sans faire d'ingérence dans les affaires intérieures du Guatemala, je m'en suis profondément réjoui. J'y ai vu le signe de la volonté déterminée des autorités et du Président du Guatemala de poursuivre sur la voie de la démocratie, du respect des autres et du développement.

M. BERGER - Je dois dire que le Prix Nobel de la paix est un symbole au Guatemala et il est nécessaire de faire tous les efforts qui sont en notre pouvoir pour laisser derrière nous et pour toujours une histoire bien triste, une histoire de discrimination, une histoire d'exclusion. Il nous faut faire davantage d'efforts pour arriver à atteindre les objectifs des accords de paix. Nous pensons que le message de Rigoberta MENCHU pour le Guatemala est le bon message, un message d'unité, un message d'inclusion de tous dans la nation. Et c'est aussi le message selon lequel le gouvernement est tout à fait décidé à atteindre le plus rapidement possible les objectifs des accords de paix.

Je suis donc profondément honoré, non seulement d'avoir pris la décision moi-même mais encore que Rigoberta MENCHU ait accepté de participer au gouvernement. Cela me satisfait pleinement car grâce à cela, nous sommes convaincus que, avec tous les Guatemaltèques réunis en pleine unité, nous arriverons à faire le Guatemala que nous souhaitons. Et pour cela elle est terriblement importante.

Merci.





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