Point de presse du Président de la République lors du Conseil européen de juin 2004.

Point de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du Conseil européen de juin 2004.

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Bruxelles, Belgique, le jeudi 17 juin 2004

LE PRÉSIDENT - Voila, c'est peut-être un peu tôt pour vous donner des informations solides sur les conclusions, mais j'ai pensé que ce n'était pas plus mauvais de vous faire part de quelques observations, je ne dirais pas à la mi-temps, mais au tiers de temps.

Nous sommes donc entrés aujourd'hui dans la ligne droite des négociations qui doivent nous permettre, je l'espère, d'aboutir à un accord sur la Constitution européenne. Le passage à vingt-cinq pays exigeait une réorganisation. Chacun comprend qu'on ne pouvait pas gérer l'Europe à vingt-cinq avec des nouveaux qui n'ont pas l'expérience, l'habitude, comme on le faisait à quinze ou à vingt. D'où l'élaboration de cette réforme constitutionnelle.

Je voudrais dire d'abord que l'on s'est engagé sur cette voie de façon intelligente. Il est indiscutable que l'idée de la Convention a été une bonne idée et que les résultats de tous ces spécialistes responsables qui, pendant un grand nombre de mois, se sont penchés sur le problème, sans passion, sans pression, et qui ont élaboré ensemble un projet qui a permis de partir d'une base très solide a été une réussite. Je tiens à le souligner.

Deuxièmement, la présidence italienne avait déjà permis certains progrès. Mais je dois dire que la présidence irlandaise, et je voudrais la remercier, je l'ai fait d'ailleurs bien sûr, a agi de façon extrêmement intelligente, fine, soucieuse de l'intérêt général de l'Europe, tout en comprenant les demandes des différents partenaires. J'ai donc le sentiment aujourd'hui que nous sommes arrivés à un point où un accord est tout à fait possible.

Alors, un certain nombre de questions font l'objet d'un consensus. Je ne reviens pas dessus, vous les connaissez, un certain nombre reste encore à discuter. Nous avons eu cet après-midi un tour de table, chacun s'est exprimé, je dois dire, de façon très disciplinée, c'est-à-dire chacun a parlé court en disant l'essentiel, de façon à ce que les choses soient tout à fait claires. J'ai été frappé par la clarté de ce Conseil qui n'a connu, je dirais, aucune fausse note. C'est-à-dire que toutes les interventions ont été brèves et claires, ce qui facilite évidemment beaucoup à la fois la compréhension, le travail et l'union.

Alors la France, pour ce qui la concerne, aborde cette phase finale de discussion dans un état d'esprit exigeant, car nous voulons un accord qui nous permette d'avoir une Europe qui fonctionne, une Europe qui puisse prendre des décisions, qui puisse avancer. Et notre état d'esprit de ce point de vue est un état d'esprit constructif parce que nos savons très bien que chacun doit faire des concessions. Mais à condition que ces concessions ne remettent pas en cause l'idée générale, c'est-à-dire construire une Europe qui puisse fonctionner, qui puisse exprimer un intérêt général, politique, économique, social, culturel, européen et qui permette ensemble d'y arriver.

La présidence irlandaise, je vous l'ai dit, a travaillé sérieusement. Elle a présenté un document qui est une bonne base de discussion, une bonne base, c'est-à-dire utile et positive, à condition de ne pas être dégradée dans la suite des discussions. Et c'est là la deuxième phase de l'exercice. Une chose était de présenter de façon intelligente et positive des propositions qui globalement correspondent à cette idée d'une Europe qui avance au service des Européens. Et puis une deuxième chose, c'est de voir à quoi on va aboutir à partir de ces propositions. Mais c'est déjà très important d'avoir un texte de propositions cohérent.

Je rappelle que le texte que nous sommes en train de finaliser comporte déjà un certain nombre de progrès qui sont acquis, et qui permettront à l'Europe d'être plus démocratique et plus efficace. C'est vrai de la nomination d'une présidence stable, une présidence du Conseil européen qui va durer deux ans et demi, et d'un ministre des Affaires étrangères de l'Union qui va permettre de rendre plus cohérentes les actions extérieures de l'Union. Un texte qui va donner un rôle accru aux parlements nationaux, notamment pour ce qui concerne ce que l'on appelle le principe de subsidiarité, c'est-à-dire la possibilité pour les parlements nationaux de s'assurer que la Commission ou les institutions européennes n'entrent pas dans un domaine qui est, à l'évidence, reconnu comme étant national. Les dispositions en matière de défense sont également très positives. Tout cela nous permet d'envisager les choses de façon tout à fait satisfaisante.

Alors, restent les problèmes qui sont loin d'être négligeables. Nous ne pouvons plus travailler, en ce qui concerne les règles de vote à vingt-cinq, comme on travaille à quinze. Donc, il faut remettre en cause le processus de décision. Nous avons fait à cet égard des propositions. Celles que retient la présidence irlandaise nous semblent bonnes. Nous, vous le savez, nous voulions la double majorité. Je crois que l'on peut dire qu'aujourd'hui c'est acquis, depuis le retrait de l'opposition qui était, dans le passé récent, celle de l'Espagne et celle de la Pologne. Nous souhaitons que cette double majorité permette d'exprimer à la fois l'unité européenne, c'est-à-dire une fédération d'Etats, mais aussi à la réalité démographique, c'est-à-dire une réalité démocratique. Nous pensons que la proposition qui était celle de la Convention, 50/60, était la bonne proposition. Naturellement, nous sommes prêts à accepter une amélioration pour tenir compte de certaines exigences politiques sur les chiffres mêmes, à condition de ne pas diminuer l'écart entre les deux chiffres. Parce que dans ce cas, bien entendu, on se trouverait dans une situation où il serait plus difficile de prendre des décisions.

S'agissant de la Commission, vous le savez, un certain nombre de pays veulent avoir un commissaire par pays, et ceci de façon quasiment définitive. Nous avons approuvé le principe d'une limitation de la Commission entrant en vigueur en 2014, à dix-huit membres. Ceci n'est pas encore acquis. J'avais à côté de moi le Premier ministre de Malte qui a expliqué que pour lui, il était tout à fait inconcevable que son pays n'ait pas un commissaire. Je lui ai ensuite expliqué que ce n'est pas dans la Commission que les Etats sont représentés, c'est dans le Conseil. Et que la Commission, elle, avait pour vocation d'exprimer la réalité européenne, ce qui exclut qu'elle ait une taille excessive, avec des gens qui ne seront en réalité là que pour porter leur petite intervention nationale.

C'est tout à fait, et si on allait dans cette direction, et probablement en tous les cas, l'affaiblissement, sinon rapidement l'effacement de la Commission. Une Commission de cette nature qui sera durablement une Commission où chaque Etat serait représenté, est une Commission qui serait en contradiction totale avec l'esprit même des institutions européennes et qui par conséquent s'effacerait. Et donc, on aurait un déséquilibre regrettable, fâcheux et dangereux de l'Europe de demain. Je pense que nous arriverons, là encore, à un accord sur ce point.

Enfin, nous avons le problème des votes à la majorité qualifiée. Là, nous sommes bien obligés de constater que les ambitions que nous pouvions avoir se sont réduites, réduites en particulier sur le plan fiscal et sur le plan social par le "non possumus" très clair et fortement exprimé, essentiellement, par le Royaume-Uni. Cela, c'est un vrai problème que nous allons rediscuter demain. Mais je crains que nous ne puissions pas progresser autant qu'il le faudrait. Et donc, que nous retardions une Europe qui puisse éviter d'être bloquée par un seul pays, ce qui est évidemment contraire à l'esprit même de la construction européenne.

Voilà comment se présentent en ce moment les choses. Vous voyez, rien n'est décidé, mais un premier tour de table a été fait. Je voulais très simplement vous en rendre compte, pour vous dire que nous sommes tout à fait déterminés à poursuivre sur la voie d'une Europe correspondant autant que possible à l'intérêt général des Européens.

QUESTION - La France s'est battue pour l'exception culturelle, pour la diversité culturelle dans le monde, dans la politique commerciale. Mais elle a cherché à empêcher qu'il y ait de la diversité culturelle en Europe. M. ZAPATERO a demandé que sept millions de personnes, les Catalans, qui ne sont pas une minorité, n'aient pas le droit d'avoir un statut officiel en Europe, avec une langue, quelques droits, comme par exemple pouvoir communiquer avec les institutions européennes en catalan.

LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire, c'est un problème strictement espagnol et je n'ai pas l'intention de faire d'ingérence dans les affaires intérieures de l'Espagne. Je respecte tout le monde, les Catalans en particulier, mais c'est un problème qui la concerne, vous interrogerez le Premier ministre d'Espagne.

QUESTION - Monsieur le Président, sur la nomination du Président de la Commission qui doit être approuvée par le Parlement européen, le plus grand groupe qui a gagné les élections, le PPE, a proposé Chris PATTEN. Je voulais savoir si vous souteniez cette proposition. Le PPE a indiqué depuis le début, notamment par la voie de M. POETTERING, son président, qu'il ne voulait pas de M. VERHOFSTADT qui semblait avoir vos faveurs. Je voulais savoir quelle était la position que vous alliez défendre ce soir ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, moi je n'appartiens pas à un parti politique, je ne suis pas au PPE. Et donc, je ne me sens pas lié par les décisions que prendrait ou que prend ce parti, pas du tout. En revanche, je sais ce que c'est que le fonctionnement de nos institutions. Je sais ce que c'est que le fonctionnement de la Commission. Et je sais que la prochaine Commission ne sera pas facile. Elle ne sera pas facile, parce qu'elle sera élargie, qu'elle comprendra des représentants des nouveaux pays, un certain nombre de gens qui n'auront pas de tradition, d'expérience européenne. Cette Commission exigera de la part de son président une qualité exceptionnelle. Je veux dire par là qu'il faut un président, qu'il faudra un président qui ait une culture et une expérience européenne fortes. Il faut un président qui a de l'autorité et de la compétence et qui ait également le sens du dialogue nécessaire pour diriger une institution aussi importante et diverse et qui a des relations extrêmement importantes avec le reste des pays membres ou avec le Conseil européen.

Alors vous comprendrez bien qu'à partir du moment où je fais cette observation, cela exclut que j'intègre dans la désignation un paramètre politicien ou partisan. A partir de là, nous verrons quels sont définitivement les candidats. Je sais que M. VERHOFSTADT est l'un des candidats possible, si tel est le cas je trouve qu'il est un bon candidat. Mais j'attends naturellement d'avoir la totalité des candidats, ce qui n'est pas pour le moment le cas. Je tiens à vous dire que la position de la France, comme d'ailleurs celle de l'Allemagne, sera exclusivement fonction de la capacité de l'homme, de son expérience, de sa culture européenne. Sa capacité et non pas du tout une référence à l'appartenance à tel ou tel groupe politique.

QUESTION - Monsieur le Président, quel est le point de blocage le plus fort qui reste pour aboutir, le point qui doit être levé pour aboutir à une Constitution qu'on annoncerait demain ?

LE PRÉSIDENT - C'est difficile à dire. Il y a un certain nombre d'observations qui touchent les différents points que j'ai évoqués tout à l'heure : les modalités exactes de la double majorité puisqu'elle est acquise maintenant, nous sommes au niveau des modalités et c'est important. Les modalités de la majorité qualifiée, cela c'est un vrai problème aussi et la désignation exacte, enfin la décision exacte sur la future Commission. Il y a encore, sur le plan de la gouvernance économique, quelques difficultés, notamment en raison du mandat que le Gouvernement néerlandais a reçu de son Parlement. Je ne peux pas dire qu'il y a un point de blocage très fort. Je peux me tromper mais je crois qu'en réalité on trouvera une solution conforme à ce que nous pouvons souhaiter, c'est-à-dire très proche de la Convention.

Alors il y a pour le moment des affirmations venant des uns et des autres. Je ne sens pas vraiment de point de blocage insurmontable et je ne peux pas vous en dire un plus qu'un autre.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que le résultat des récentes élections européennes pèse, en quelque sorte, sur l'atmosphère de vos travaux ?

LE PRÉSIDENT - Je n'en ai pas du tout eu le sentiment. Il y a eu dans les interventions des uns et des autres quelques-uns dont moi qui ont évoqué non pas les résultats partisans mais l'importance de l'abstention, en soulignant que c'était tout de même un vrai problème et qu'il fallait en tirer un certain nombre de conséquences, notamment sur notre aptitude à présenter un projet compréhensible parce qu'il n'y a pas de mobilisation s'il n'y a pas de compréhension, compréhensible et adapté à ce que les Européens ressentent aujourd'hui comme des exigences. Or, il semble que l'importance des abstentions permette de dire que les Européens n'ont pas approuvé, compris, ils ne se sont pas mobilisés, il y a certainement une raison à cela. Et cette raison, nous devons la trouver et essayer d'y répondre.

Donc pour vous répondre, il y a eu parmi les interventions, quelques-unes, très peu nombreuses, qui ont évoqué le problème de l'abstention dont mon intervention. Sur le fond, sur les résultats, il n'y en pas eu d'autre.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous voyez maintenant une attitude du gouvernement espagnol et polonais différente de celui du sommet de décembre ? Est-ce que vous croyez qu'il y a une possibilité de trouver une solution pour la demande du gouvernement polonais sur les questions des racines chrétiennes de l'Europe ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, incontestablement, il y a eu un rapprochement entre la position, d'une part de l'Espagne et de la Pologne, et d'autre part des autres en ce qui concerne le sujet principal de division et qui était la double majorité, dans son principe même. Alors, aujourd'hui, on arrive et on va arriver sans aucun doute à un accord, on en est à mon avis très près, très proche. Pour ce qui concerne ce que vous évoquez, sur les racines chrétiennes, le représentant du gouvernement polonais a effectivement évoqué ce sujet, deux ou trois autres aussi. Vous connaissez la position de la France : nous ne sommes pas du tout anti-chrétien, et cela va de soi, nous sommes un pays de vieille civilisation chrétienne. Mais nous sommes également un pays qui a mis un terme à ces querelles de cette nature il y a cent ans et qui n'a pas du tout l'intention de rouvrir un débat sur la laïcité. Nous ne souhaitons donc pas qu'une religion plutôt qu'une autre soit privilégiée dans les textes officiels.

QUESTION - Monsieur le Président, pour en revenir au Président de la Commission européenne, au futur Président, est-ce que la France peut imaginer d'accorder ce siège à un représentant d'un pays qui n'aurait pas adhéré à toutes les politiques de l'Union, c'est-à-dire qui ne participerait pas à Schengen ou pas à l'euro ou pas aux deux ...

LE PRÉSIDENT - Je vous vois venir. Je crois que ce ne serait pas une bonne décision. Honnêtement. Il sera difficile à un représentant d'un pays qui ne participe pas à toutes les politiques européennes de s'imposer comme Président de la Commission, très difficile. Là aussi, c'est un problème de culture. Donc je crois que ce serait très difficile.

QUESTION - Si, comme on s'achemine vers un accord, il y reste un certain nombre de points qui seront encore votés à l'unanimité, et non pas à la majorité qualifiée, est-ce que vous ne redoutez pas qu'on dise que c'est finalement un accord au rabais, une Constitution au rabais ? Est-ce que vous redoutez cette critique ou pas du tout ?

LE PRÉSIDENT - L'ampleur des réformes réalisées sur le plan des institutions, dans l'hypothèse naturellement où l'accord intervient, en ce qui concerne la présidence, en ce qui concerne la Commission, enfin toutes, fait que le problème que vous évoquez, qui est la situation actuelle qui durera un peu plus longtemps est, je dirais, une petite chose. Il faut être un observateur particulièrement pointilleux pour dire qu'il s'agirait d'un accord au rabais. C'est un accord très substantiel et qui manque, qui, sur un point particulier, mérite d'être confirmé. Mais enfin ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel ce sont les institutions et, sur ce point, je pense que l'on peut dire les actions qui permettent de fonctionner, qui permettent à l'Europe de fonctionner ce n'est pas, je parle de l'essentiel, l'importance des décisions prises à la majorité qualifiée, encore qu'elles sont insuffisamment nombreuses et qu'il faudra l'améliorer. C'est une amélioration à venir, ce n'est pas une mise en cause de l'accord.

QUESTION - Si tout le Maghreb salue ce Sommet, est-ce que vous ne pensez pas que les émigrés du sud, quels qu'ils soient, ont un peu boycotté le vote parce qu'ils ont peur de cette arrivée massive d'autres pays. Ils ont peur d'être en minorité. Et je crois qu'ils attachent beaucoup d'importance à la personne qui aura le privilège d'avoir les affaires étrangères. Quel serait alors le profil de cette personne qui pourrait avoir en charge les affaires étrangères ?

LE PRÉSIDENT - Pour le moment, les affaires extérieures sont de la responsabilité de Chris PATTEN et de Javier SOLANA. Ce n'est pas un secret que de dire que Javier SOLANA souhaiterait devenir le prochain ministre des Affaires étrangères. Et je dois à la vérité de dire que son expérience, sa compétence justifient tout à fait cette prétention. Alors naturellement, il ne s'agit pas de nommer un ministre des Affaires étrangères avant le vote de la Constitution, avant le vote et la ratification de la Constitution. Mais si vous me demandez mon avis, je trouve qu'il serait légitime que le mandat de M. SOLANA soit renouvelé, dans ses fonctions actuelles et que par conséquent cela lui donne, je dirais, vocation, le moment venu et après la mise en oeuvre de la Constitution, à être ministre des Affaires étrangères mais cela peut en être un autre.





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