Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Chancelier d'Allemagne à l'issue de leur rencontre à Luebeck.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Gerhard SCHRÖDER, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, à l'issue de leur rencontre à Luebeck.

Imprimer

Luebeck, Allemagne, le jeudi 2 décembre 2004

LE CHANCELIER - Mesdames et Messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans cette salle qui, tout le monde en tombera d'accord, est parfaitement impressionnante. Et je crois pouvoir parler au nom du Président CHIRAC quand je dis à quel point nous tenons à vous remercier de l'accueil que nous a réservé Lübeck et le Land de Schleswig-Holstein ainsi que le Maire et les Ministres Présidents. Nous avons eu un accueil extrêmement aimable de leur part et je dois vous dire que nous avons été encore plus impressionnés par l'accueil extrêmement chaleureux que nous ont réservé les citoyens de cette ville absolument merveilleuse.

Nous avons travaillé de façon intensive, nous avons travaillé dur. Vous savez que notre coopération est si bonne que, généralement, nous n'avons jamais à évoquer de problèmes bilatéraux dans ce genre de rencontre ; car si problème il y a, ils ont toujours été réglés au préalable entre nous.

Nous avons bien évidemment commencé à parler de la préparation du sommet européen de Bruxelles qui aura lieu les 16 et 17 décembre. Vous savez que lors de ce sommet nous allons prendre des décisions importantes que je qualifierai même d'historiques. Nous avons donc beaucoup travaillé là-dessus et également abordé d'autres questions, notamment de type international, des questions d'actualité, des questions qui se poseront à moyen terme.

Quant aux questions européennes, je peux d'ores et déjà vous dire que nous sommes tombés d'accord pour déclarer les négociations avec la Roumanie et la Bulgarie officiellement terminées, ce qui ne surprendra personne, puisqu'elles sont effectivement bouclées. Quant à la Croatie, nous pensons que les négociations devraient commencer au plus tard en mars 2005, sachant que ce pays a fait de gros efforts sur le plan économique et également sur le plan de la coopération avec le Tribunal international. Quant aux points qui restent à régler, ils le seront lors des négociations.

Bien évidemment, nous avons parlé du Pacte de stabilité et de croissance, et nous travaillons sur ce dossier étroitement avec la future Présidence luxembourgeoise. Nous sommes absolument persuadés que Jean-Claude JUNCKER, qui est l'un des hommes politiques européens les plus expérimentés, saura faire des propositions permettant aux Etats d'avoir une plus grande flexibilité dans, premièrement, la mise en oeuvre du Pacte de stabilité et de croissance, et qui permettra également, c'est mon deuxième point, que les efforts qu'ils consentent soient mieux pris en compte dans l'interprétation et dans la définition des critères de déficit. Car jusqu'à présent on a surtout insisté sur le volet stabilité du Pacte de stabilité de croissance et nous pensons qu'il faut maintenant un petit peu remettre en avant le volet croissance ; et qui dit croissance dit emploi.

Bien évidemment nous avons parlé de la question de l'adhésion de la Turquie, et vous savez que lors du Sommet européen du 16 et du 17 décembre, on tranchera sur point. Nous sommes tout à fait d'accord avec les propositions que la Commission a faites en la matière qui, pour nous, sont de réelles perspectives d'avenir, et qui sont des propositions parfaitement adaptées à la situation. C'est une bonne base de travail. Je tiens à répéter que ce que nous voulons : notre objectif, c'est l'adhésion de la Turquie.

Nous savons très bien que les négociations pourraient durer longtemps. On dit souvent qu'elles dureront 10 ou 15 ans et nous savons également que le résultat de ces négociations est pour l'instant ouvert, on ne peut pas présager de l'issue. Mais, la Commission a fait des propositions, notamment sur la mise en oeuvre des critères de Copenhague. Il faudra voir s'ils sont respectés ou non, et je répète que l'objectif c'est l'adhésion et rien d'autre. Cela dit, là nous ne voulons pas l'échec bien sûr, mais si les négociations ne devaient pas aboutir, il faudrait que nous ayons une solution. La Commission a fait des propositions en la matière qui nous paraissent aller dans la bonne direction. La France et l'Allemagne veulent arrêter une position commune sur ce point, pour le Conseil européen.

Je laisserai ensuite la parole au Président pour parler des autres questions internationales, et je conclurai en disant que je me félicite également des résultats et des fruits qu'a déjà portés l'initiative franco-allemande qui vise à renforcer l'apprentissage de la langue du partenaire. Car j'ai pu constater avec un grand plaisir qu'il y a déjà ici des élèves allemands qui ont un français absolument excellent et qui, effectivement, l'apprennent.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais remercier très chaleureusement le Chancelier pour nous avoir reçus aujourd'hui dans une de ces perles de l´Europe qu'est Lübeck, et remercier particulièrement la Ministre-présidente, Mme Simonis, le Maire, les autorités qui nous ont reçus. Et, permettez-moi de vous le dire, je remercie surtout les habitants de Lübeck qui ont été si chaleureux. Je garderai de leur accueil, une fois de plus, un très très bon souvenir.

Le Chancelier a évoqué les sujets qui étaient à l'ordre du jour de nos entretiens. Il l'a fait parfaitement et j'aurai donc très peu de commentaires. J'en ferai un rapidement, parce que nous sommes à deux semaines du prochain Conseil européen qui va examiner les conclusions de la Commission en ce qui concerne l'adhésion de la Turquie et les modalités de discussion de cette adhésion. Je voudrais dire que l'Allemagne et la France partagent un même objectif, c'est à dire faire entrer la Turquie dans l'Union européenne, car c'est l'intérêt de tous et de chacun d'avoir une Europe forte, solide et assurée de ses frontières. Pour cela, il faut régler tous les problèmes que pose à la Turquie le respect des critères dits de Copenhague, c'est à dire des problèmes liés aux droits de l'Homme et à l'économie de marché.

Cette négociation sera naturellement longue, elle sera difficile. Je voudrais tout de suite rassurer celles et ceux qui se posent des questions, qui s'interrogent, ce qui est tout à fait légitime, en leur disant que, pour ce qui concerne les Français, en toute hypothèse, la décision leur reviendra. Puisque au terme de la négociation, dans dix ans, dans quinze ans, ce sont, pour ce qui nous concerne, les Français qui décideront, par référendum, de la décision à prendre pour l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. D'autre part, il va de soi que si l'ensemble des conditions requises pour cette entrée n'est pas rempli, alors bien entendu la négociation s'interrompra. Et il faudra que l'on cherche le moyen d'éviter que cette rupture ne conduise à une espèce de séparation entre la Turquie et l'Europe, et que l'on recherche le moyen d'avoir un lien suffisamment fort entre ces deux grands ensembles politiques, économiques, culturels. Nous sommes donc, je le répète, sur ce point, tout à fait en phase avec la position du Chancelier.

Nous avons également évoqué trois grands problèmes internationaux, sur lesquels nous avons la même analyse et les mêmes réactions : l'Ukraine, le Proche-Orient et l'Irak. J'ajoute, pour terminer, que l'Allemagne et la France saluent la publication du rapport du panel de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements, qui vient d'être publié par le Secrétaire Général des Nations Unies. Nous sommes résolus à travailler avec nos partenaires pour que, à partir de ce rapport, des décisions concrètes puissent être prises sur la réforme des Nations Unies, et ceci dans la perspective du sommet de 2005.

J'ajoute que l'Allemagne et la France renouvellent leur plein soutien au Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi ANNAN, dont l'engagement est permanent au service des buts et des principes de la Charte des Nations Unies, y compris dans le processus nécessaire à la réforme de l'Organisation des Nations Unies.

M. SCHROËDER - Je devrais peut être profiter de l'occasion pour dire que nous avons l'intention de manifester personnellement notre soutien au Secrétaire général des Nations Unies.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais avoir votre réaction à la suite de la consultation à propos de l'Europe au sein du Parti socialiste français, qui a donné une nette majorité en faveur de l'adoption de la Constitution. Je voudrais savoir ce que vous en pensez, ainsi bien sûr que le Chancelier. Est-ce que cela va avoir une influence sur la date du référendum ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas à porter de jugement sur un débat interne au Parti socialiste français. Je considère que c'est une bonne nouvelle pour l'Europe. Il appartiendra donc à toutes les Françaises, à tous les Français, de se prononcer l'année prochaine car cette question est effectivement une question absolument majeure pour notre avenir commun. Quand je vois les jeunes Allemands qui sont ici et qui apprennent le français, je voudrais d'abord leur dire bon vent, bonne chance et tous mes voeux de bonheur et de réussite. Mais je veux aussi leur dire qu'ils incarnent bien cette Europe que nous voulons faire ensemble.

M. SCHROËDER - Je me suis réjoui de la décision prise par le Parti socialiste et je pense que cela montre maintenant la maturité du débat politique sur l'Europe. Quant à la fixation de la date du référendum, c'est évidemment du ressort de la France qui est souveraine en la matière. Je pense qu'il ne faut pas s'ingérer de l'extérieur, même pas les meilleurs amis de la France.

QUESTION - Une question pour le Président et pour le Chancelier : est-ce que vous pourriez expliciter le contenu de ce que vous vous êtes dit à propos de l'Ukraine ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons évidemment évoqué la situation en Ukraine. C'est un pays avec lequel nous avons des liens d'estime et d'amitié, et des liens historiques, aussi bien les Allemands que les Français. Nous avons pris une position européenne, ce qui est tout à fait légitime, devant la crise qu'a connue l'Ukraine. Nous avons approuvé et soutenu l'action menée par M. SOLANA, mais également par le Président polonais, le Président lituanien, le Président du Parlement de Russie, pour amorcer une sortie de crise qui soit à la fois pacifique et efficace. Une sortie de crise, bien entendu, qui soit également conforme aux principes de la démocratie et qui devra refléter la volonté politique du peuple ukrainien. Cela passera très probablement par un retour aux urnes. En tous les cas, nous avons constaté que les dernières évolutions étaient encourageantes et nous continuons à les suivre de près, vous vous en doutez.

M. SCHROËDER - Tout à fait d'accord.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, vous êtes extrêmement proche du Président Poutine, je voulais savoir si cela vous était utile dans la crise que traverse l'Ukraine ou bien si cela a plutôt troublé le regard que l'on peut porter sur cette crise ?

M. SCHROËDER - Plus je suis proche des choses, plus mon regard est clair, il n'est absolument pas troublé, et j'espère effectivement avoir apporté une contribution.

QUESTION - Une petite question, sur l'Ukraine, vous semblez être d'accord sur ce qu'il convient d'y faire, mais je n'ai pas compris si vous êtes d'accord pour un retour aux urnes, pour les deux scrutins ou seulement pour le deuxième scrutin ?

LE PRÉSIDENT - Je vous arrête, cela c'est vraiment le problème des Ukrainiens. Nous n'allons pas nous substituer aux Ukrainiens pour savoir s'il faut un ou deux scrutins.

QUESTION - Certes non, mais vous pouvez avoir une préférence et estimer que politiquement il vaut mieux faire ceci que cela.

M. SCHROËDER - Le Président a raison, comme toujours d'ailleurs. J'ajouterai maintenant pour ce qui est de l'Ukraine, qu'elle a l'obligation, le devoir, de régler cette question. Mais d'abord il y a la Cour Suprême, et d'autres instances, qui doit se prononcer. Alors, bien évidemment, on peut dispenser des conseils, mais si on le fait publiquement, cela est plutôt contre-productif.

QUESTION - Sur la reconnaissance de Chypre par la Turquie, est-ce que vous allez en parler à l'Union européenne, parce que je crois savoir effectivement que c'est un préalable pour les négociations d'adhésion ?

M. SCHROËDER - Sur cette question, nous en parlons en permanence avec nos partenaires. J'espère aussi que ce ne sera pas le thème central de ce sommet.

QUESTION - Tout d'abord je voudrais vous dire bienvenue a Lübeck, nous, les citoyens de la ville et surtout les gens de notre école, nous nous sentons très fiers et très contents de vous avoir ici. Que conseillez-vous aux jeunes qui veulent contribuer à faire avancer l'amitié franco-allemande ?

LE PRÉSIDENT - Je veux d'abord dire que l'un des premiers pas à faire pour mieux se comprendre, c'est apprendre la langue de l'autre. Alors mes félicitations pour l'effort que vous faites en ce domaine. Deuxièmement, l'Allemagne et la France sont au coeur de l'Europe, nous nous sommes battus, pendant très longtemps, cela nous a coûté horriblement cher, en sang et en larmes, en destruction et en argent, pour rien ! L'objectif essentiel, c'est que cela ne se reproduise pas. Et ceux qui ont conçu l'Europe l'ont fait d'abord et avant tout pour rendre impossibles les batailles inhumaines. C'est pour cela, naturellement, qu'il faut forger des liens. Alors on a créé des institutions avec la construction européenne. Mais il faut aussi créer des liens humains pour que les jeunes se connaissent et se parlent, comprennent qu'ils ont, les uns comme les autres, le même destin, que rien ne les oppose, et qu'ils peuvent aller la main dans la main avec un idéal commun dans le monde de demain.

Alors on vous dit : l'Europe, c'est très important, pour des raisons économiques, sociales, culturelles. Tout cela est vrai, mais ce n'est pas l'essentiel. Car de l'économie, de la culture, du social, on peut le faire aussi dans chacune des nations. Mais ce qu'on ne peut faire qu'ensemble, c'est la paix. Et c'est pour cela que l'Europe est essentielle. Et l'on s'aperçoit que la paix, cela suppose aussi la démocratie. C'est pour cela que l'Europe, au fond, pour les jeunes, ce doit être essentiellement l'enracinement de la démocratie et de la paix. Le reste viendra en plus.

M. SCHROËDER - Eh bien, je crois que c'est une conclusion absolument parfaite pour cette conférence de presse. Une conclusion comme l'on n'en a pas toujours. Je crois que seuls nos deux grands écrivains et poètes allemands, Thomas MANN et Günter GRASS auraient pu l'exprimer. Ils sont de Lübeck, mais l'un est décédé et l'autre n'est pas parmi nous aujourd'hui. Je pense que c'est vraiment la conclusion que l'on peut tirer de cette très belle journée que nous avons passée. Et une conclusion très digne pour notre réunion dans cette belle ville de Lübeck.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2007-03-13 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité