Point de presse conjoint de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M.Hosni MOUBARAK, Président de la République arabe d'Egypte.

Point de presse conjoint de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M.Hosni MOUBARAK, Président de la République arabe d'Egypte à l'issue de leur déjeuner de travail.


Palais de l'Elysée - Paris le lundi 19 avril 2004.


LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d'abord dire ma joie d'accueillir une fois de plus le Président MOUBARAK qui vient d'avoir des entretiens aux Etats-Unis, en Allemagne, aujourd'hui en France, bientôt en Russie. Cette réunion démontre deux choses : d'une part, et chacun le sait, l'importance de la place stratégique de l'Egypte sur l'échiquier mondial et deuxièmement, la qualité exceptionnelle de la relation entre l'Egypte et la France.

Nous n'avons pas évoqué les problèmes bilatéraux pour une raison simple, c'est qu'il n'y en a pas. Nous avons donc consacré notre entretien d'une part aux problèmes de l'Iraq, ensuite au conflit israélo-palestinien, enfin aux initiatives pour renforcer la démocratie, notamment dans le Moyen-Orient.

S'agissant de l'Iraq, nous faisons la même analyse et la situation nous préoccupe beaucoup. Nous pensons qu'il est urgent de transférer la réalité du pouvoir et la souveraineté au peuple iraquien. J'ai eu l'occasion d'évoquer l'hypothèse consistant à s'inspirer de l'exemple afghan où la conférence de Bonn nous avait permis d'arriver à une solution d'autorité afghane convenable. Nous attendons, bien entendu, les conclusions de M. BRAHIMI mais, dans tous ces domaines, nous partageons la même analyse et les mêmes conclusions.

S'agissant du conflit israélo-palestinien, là encore nos analyses sont identiques et nos conclusions les mêmes. Nous considérons que seule une négociation portant sur tous les sujets en litige peut permettre d'aboutir à une situation de paix reconnue de part et d'autre et donc à une situation de sécurité. J'ai tenu à saluer le rôle de l'Egypte pour tenter de renouer le dialogue entre les parties. Une solution définitive ne peut être, ne nous y trompons pas, qu'une solution négociée. Toute autre solution ne pourra pas conduire à la paix et à la sécurité. Nous sommes donc là aussi extrêmement inquiets.

Enfin, nous avons évoqué les initiatives de nos amis américains concernant le renforcement de la démocratie, simplement pour conclure que tout ce qui va dans le sens du renforcement de la démocratie va naturellement dans le bon sens mais que chaque pays a sa tradition, ses habitudes, sa culture, son histoire. Par conséquent, si la coopération doit être renforcée, le dialogue doit être développé, l'obligation ne peut en aucun cas être retenue comme principe d'action dans une action de ce genre.

Voilà les différents sujets que nous avons évoqués. Je laisserai ensuite la parole au Président MOUBARAK et puis il y aura quelques questions.

LE PRESIDENT MOUBARAK - Ma rencontre aujourd'hui avec mon cher ami, le Président CHIRAC, s'inscrit dans le cadre de l'intensification des rencontres visant à sauver le processus de paix au Proche-Orient et à ramener la sécurité, le calme, la stabilité et la souveraineté de l'Iraq.

Depuis notre dernière rencontre, lors de la première semaine du mois de mars, de nouveaux éléments graves sont apparus. Ils ont conduit à des discussions très intenses sur la crédibilité du processus de paix.

Israël s'est lancé dans un processus de provocation organisé pour assassiner les dirigeants des organisations palestiniennes alors qu'il aurait été plus utile, de la part d' Israël, de soutenir les efforts que nous déployons, en coopération avec l'Union européenne et les Etats-Unis, pour renforcer les capacités de l'Autorité palestinienne à contrôler son territoire et ses organisations, au lieu de se lancer dans une escalade de violences et de violences contraires et de menacer tous les efforts qui sont faits afin d'aider les deux parties à mettre en oeuvre leurs obligations mutuelles dans le cadre de la Feuille de route.

La situation est d'autant plus grave que nous voyons Israël faire tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas entrer dans des négociations directes avec l'Autorité palestinienne et pour tenter, au contraire, d'obtenir des garanties qui renforceraient ses positions dans les négociations de la phase finale pour une solution définitive.

Cependant, ces garanties ne sont pas compatibles avec les bases sur lesquelles le processus de paix a été lancé, particulièrement les résolutions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations Unies et le principe de la terre en échange de la paix. Et cela contredit même totalement la décision ou l'initiative arabe qui a été adoptée lors du Sommet de Beyrouth en 2002 et qui a stipulé que le retrait de tous les territoires arabes occupés jusqu'aux frontières de 1967 et la création d'un Etat palestinien indépendant, dans le cadre d'une solution agréée par des négociations pour résoudre le problème des réfugiés, tout cela constituait les bases essentielles pour l'édification de relations de paix normales avec Israël.

Tous ces développements obligent à entreprendre quelque chose au niveau du Quartet et au niveau des pays européens épris de paix et, en tête, la France pour travailler et pour lancer des négociations directes entre les deux parties afin d'éviter que les sujets qui doivent faire l'objet ou qui doivent s'inscrire dans le cadre de la phase finale ne deviennent un obstacle, empêchant les deux parties de mettre en oeuvre leurs obligations dans le cadre de la première et de la deuxième phase de la Feuille de route.

Pour ce qui est de l'Iraq, il faut absolument que la paix et la sécurité règnent dans ce pays. Il faut que l'autorité soit transférée au peuple iraquien, le 30 juin prochain. Il faut que les Nations Unies puissent jouer leur rôle. Le rapport de l'envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, M. Lakhdar BRAHIMI, avait comporté des propositions constructives. Je suis certain que ces propositions peuvent constituer une base pour l'adoption d'un plan clair et global pour le transfert de l'autorité aux Iraquiens. Et nous étions d'accord avec le Président CHIRAC pour dire qu'il fallait tout faire, déployer tous nos efforts afin de soutenir l'unité du peuple iraquien, l'intégrité territoriale de l'Iraq et faire face, de façon très efficace, à la situation humanitaire extrêmement difficile du peuple iraquien, aujourd'hui et jusqu'à ce qu'il puisse recouvrer son indépendance.

Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier le Président CHIRAC pour l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé, pour les entretiens très positifs que nous avons eus aujourd'hui. Nous allons poursuivre notre concertation étroite lors de la prochaine période autour de tous ces sujets, sur la façon de renforcer les relations bilatérales exceptionnelles qui existent entre nos deux pays et les autres sujets d'intérêt commun. Je vous remercie.

LE PRESIDENT - Avant de donner la parole, je voudrais simplement faire remarquer à chacun que les approches, les analyses et les conclusions que nous formons sur les différents sujets qui inquiètent le monde d'aujourd'hui sont tout à fait identiques entre l'Egypte et la France.

QUESTION - Bonjour, c'est une question à Monsieur CHIRAC : je voudrais savoir si vous considérez, après la déclaration de Monsieur BUSH s'agissant du Proche Orient, que la Feuille de route est toujours vivante ?

LE PRESIDENT - La Feuille de route est toujours vivante, car si tel n'était pas le cas, ce serait sans aucun doute extrêmement dangereux pour cette région, pour la paix et pour l'avenir.

QUESTION - Une question au Président MOUBARAK : à votre avis, est-ce que les Etats-Unis peuvent toujours être considérés comme un médiateur honnête dans le processus de paix au Proche-Orient ?

LE PRESIDENT MOUBARAK - Le gouvernement américain est animé par des considérations purement américaines, mais les Etats-Unis n'en restent pas moins le seul pays capable de traiter avec les Palestiniens et les Israéliens et cela est extrêmement important, nous ne pouvons pas nous passer des Etats-Unis.

QUESTION - Vous avez tous deux parlé de l'importance des négociations directes entre les Palestiniens et les Israéliens, pensez-vous que cela soit toujours possible, aujourd'hui, et que faut-il faire alors que les dernières déclarations, les garanties américaines, ont suscité de grandes inquiétudes dans la région ?

LE PRESIDENT MOUBARAK - Nous avons dit plusieurs fois, par le passé, que les négociations directes entre les Israéliens et les Palestiniens étaient extrêmement importantes. Nous avions d'ailleurs commencé à oeuvrer dans ce sens avant l'assassinat du Cheikh Yassine. Il y avait un accord de principe pour une réunion qui aurait dû être tenue le 16 mars dernier pour lancer des négociations. Le fait de s'asseoir autour d'une table de négociation, même si le processus est très long, donne un signal aux deux peuples qui sont fatigués des assassinats, qui sont fatigués de voir le sang couler. C'est un signal qu'il existe quand même un espoir. Nous devons toujours espérer, quelles que soient les difficultés. Nous allons continuer à déployer nos efforts pour rassembler les deux parties autour d'une table de négociation.

LE PRESIDENT - Je vais aussi répondre à la question : le retrait dont il est actuellement question est positif mais il est positif à certaines conditions. D'abord, il doit s'inscrire dans le cadre de la Feuille de route. Ensuite, il doit s'effectuer en concertation complète avec l'Autorité palestinienne et il doit être une étape vers la création d'un Etat palestinien viable. J'ajoute qu'il ne doit pas préjuger ce qu'il appartiendra aux parties palestiniennes et israéliennes de trancher à l'issue des négociations, c'est-à-dire un certain nombre de sujets touchant notamment aux frontières ou aux réfugiés. Enfin, nul ne peut préempter des résultats de ce qui doit être une négociation, tout simplement parce que seule la négociation peut amener une paix.

QUESTION - Monsieur le Président, vous dites que la Feuille de route est encore en vie alors que jusqu'à maintenant elle a eu des difficultés à trouver une route et que la situation est extrêmement compliquée aujourd'hui. Les Etats-Unis ont violé la légalité internationale par deux fois. Premièrement, en occupant l'Iraq et deuxièmement, en accordant leur soutien total à Israël, sur le non retour aux frontières de 1967 et sur les réfugiés. Y a-t-il encore un espoir d'arrêter le "policier américain" aujourd'hui, dans le monde ? Qu'en est-il également de la sécurité de Yasser Arafat aujourd'hui ?

LE PRESIDENT MOUBARAK - Nous n'avons pas d'autre choix que de continuer sur la voie des négociations et de continuer à déployer nos efforts pour parvenir à une solution en Iraq. La situation en Iraq est extrêmement compliquée. Nous devons continuer les efforts avec les Etats-Unis, avec l'Union européenne. Pour ce qui est des Palestiniens, après la rencontre entre le Président BUSH et le Premier Ministre SHARON où des garanties avaient été données par le Président BUSH, deux jours plus tard, le Président BUSH a déclaré qu'il n'y aurait de solution définitive que par les négociations.

En ce qui concerne le Président ARAFAT, nous avons eu l'occasion d'exprimer plusieurs fois par le passé notre avis à ce sujet aux Etats-Unis. Nous avons dit et répété que le Président ARAFAT était un Président élu démocratiquement par son peuple.

LE PRESIDENT - Nous partageons naturellement cette opinion.

QUESTION - Monsieur le Président, vous venez d'évoquer la convocation d'une conférence pour la nation iraquienne à l'instar de celle qui était convoquée à Bonn pour les factions afghanes. Est-ce qu'on peut avoir plus de détails sur votre idée et quelles sont les étapes suivantes pour sortir de cette impasse iraquienne ? Monsieur le Président Moubarak, quelle est votre idée et quelle est votre réaction sur la proposition de Monsieur CHIRAC pour la convocation d'une conférence pour les Iraquiens, à l'instar de celle de Bonn ?

LE PRESIDENT - Sur la Conférence sur l'Iraq, c'est une simple proposition que j'ai faite, en réalité. Nous attendons les propositions de Monsieur BRAHIMI et nous nous déterminerons lorsque nous connaîtrons ces propositions qui seront naturellement cautionnées par le Secrétaire général de l'ONU.

LE PRESIDENT MOUBARAK - Pour ce qui est de la proposition qui a été faite par le Président CHIRAC, je suis tout à fait d'accord car il n'y a pas d'autres propositions pour le moment. Nous attendons, bien évidemment, les conclusions du rapport BRAHIMI. Nous devons tout faire pour parvenir à une solution, pour sortir de l'impasse actuelle en Iraq et nous espérons parvenir à une solution, même si les choses paraissent très difficiles aujourd'hui.

QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, au cours des prochains mois et des prochaines semaines, plusieurs réunions vont avoir lieu sur la scène internationale, G8, OTAN, etc. Le monde arabe espère beaucoup que l'Union européenne et la France pourraient être une force de paix dans le Proche-Orient ? Quel est votre avis à ce sujet ?

LE PRESIDENT - Je vous l'ai dit tout à l'heure, l'Europe a vocation à entretenir des liens privilégiés avec le monde arabe. C'est d'ailleurs toute l'ambition de la politique euro-méditerranéenne. Dans ce contexte, nous attendons avec impatience les conclusions du Sommet arabe qui devrait, je pense, se tenir au mois de mai et qui pourra nous éclairer sur ce que souhaite le monde arabe dans le domaine de la coopération et du dialogue, de la concertation pour la modernisation du monde. Ceci nous conduit à mettre en garde ceux qui pourraient imaginer qu'on peut imposer quelque chose. On n'impose pas quelque chose à des pays ; on discute, on arrive à une concertation et une coopération, on n'impose pas.

C'est dans cet esprit que l'Union européenne prendra position à la veille des sommets auxquels vous faites allusion, notamment celui du G8 et celui d'Istanbul pour l'OTAN.

LE PRESIDENT MOUBARAK - C'est vrai pour ce qui est des conférences du G8 et de l'OTAN. Nous espérons que les décisions qui seront prises ne constitueront pas des obligations pour les pays à prendre tel ou tel chemin car certains chemins peuvent mener à l'anarchie et pas à la démocratie. Si les décisions ne se basent pas sur l'opinion des Etats concernés, cela peut nous conduire à l'anarchie et nous n'avons pas besoin de plus d'anarchie que celle que nous voyons aujourd'hui en Iraq et en Palestine.

LE PRESIDENT - Merci beaucoup.





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