Conférence de presse du Président de la République sur l'Europe.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, sur l'Europe.

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Palais de L'Elysée, le jeudi 29 avril 2004

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous saluer et de vous remercier d'avoir répondu à cette invitation, de saluer tous les journalistes étrangers et français.

C'est un point de presse sur les affaires européennes. Pas exclusivement, naturellement, mais l'objet c'est l'Europe, un propos que je vais tenir pour vous indiquer quelle est la position de la France et la vision qui est la mienne de l'Europe d'aujourd'hui et de demain.

Dans deux jours, en effet, le 1er mai, l'Union européenne va franchir une étape majeure, je crois que l'on peut le dire, de son histoire.

En s'élargissant à dix nouveaux membres, en passant de quinze à vingt-cinq pays, l'Europe va, en réalité, renouer avec son passé et retrouver, dans une large mesure, sa géographie. Le rêve de ses pères fondateurs, au premier rang desquels les Français et les Allemands, d'autres aussi, la généreuse utopie qui était surgie des décombres de la guerre et de la barbarie, tout cela va devenir une réalité.

A la veille de cet événement historique, j'ai souhaité vous dire quelle est ma vision de l'Europe, une Europe que je souhaite et que je veux puissante. Et je voudrais dire aux Françaises et aux Français, par votre intermédiaire, que cette Europe, qui est notre héritage et notre patrimoine commun, demeure plus que jamais une chance pour nous et pour notre avenir. * Depuis plus de cinquante ans, l'Europe n'a cessé de progresser. Elle n'est jamais revenue en arrière malgré les problèmes, les difficultés, les crises. Dans les semaines qui viennent, trois événements décisifs vont engager durablement l'avenir de l'Europe et, par voie de conséquence, l'avenir notamment des Françaises et des Français.

Il y a d'abord l'élargissement. En accueillant les pays qui ont le plus souffert des divisions du passé, l'Union fait un pas de géant. Et elle s'ouvre de nouveaux horizons.

La France se réjouit, je crois que l'on peut le dire, de ce succès. Parce que cet élargissement va enraciner plus profondément encore la paix, de cette paix dont l'histoire nous a dramatiquement enseigné le prix, et qui n'est jamais définitivement acquise si l'on n'y prend pas garde, et aussi la démocratie qui est le gage de liberté mais également de stabilité sur notre continent.

Parce qu'il ouvre ainsi de formidables perspectives d'échanges, d'échanges entre les hommes, entre les idées, entre les cultures.

Parce que, forte de ses 450 millions d'habitants, l'Union s'impose comme une puissance économique de premier rang, où la croissance et les investissements créeront, j'en suis sûr, une nouvelle dynamique au service de l'emploi. C'est un processus dans lequel chacun devra être gagnant, comme d'ailleurs en témoignent les expériences réussies des élargissements passés.

Parce qu'enfin, cette Europe rassemblée pèsera, à l'évidence, davantage dans le monde. Avec 25 pays, l'Union européenne formera, derrière la Chine et l'Inde, le 3e ensemble démographique de la planète et près du quart de la richesse mondiale.

Fruit d'une nécessité, d'un idéal et d'une volonté, l'Europe prouve, avec cet élargissement qui est le plus important de son histoire, la force irrésistible du projet qui l'anime depuis l'origine. Il symbolise à lui seul des décennies de souffrances, de conflits, d'affrontements, l'espérance de plusieurs générations d'Européens. Et c'est en pensant à cela que je me rendrai le 1er mai à Dublin, capitale de la présidence de l'Union, pour célébrer ce qui doit être pour chacune et chacun d'entre nous une grande fête, la fête de la famille européenne enfin réunifiée.

Deuxième événement, le 13 juin, les Françaises et les Français, comme tous leurs voisins européens, vont élire un nouveau Parlement européen. C'est une institution dont les décisions ont de plus en plus de conséquences sur notre législation nationale, sur notre économie, sur notre cadre social et, plus généralement, sur notre vie quotidienne.

Au fil des améliorations des institutions de l'Union, les pouvoirs du Parlement se sont accrus. Et je suis bien obligé de constater que le poids et l'influence de la France au sein du Parlement européen ne sont pas ce qu'ils devraient être, ne sont pas à la hauteur des enjeux pour notre pays. Je souhaite que les futurs députés français sachent se regrouper, se regrouper notamment au sein des principales formations du Parlement où se situe le vrai pouvoir de décision de l'assemblée, et ceci de façon à se faire entendre, de façon plus efficace, et à faire entendre la voix de la France de façon plus efficace. Par ailleurs, je voudrais souligner qu'être élu au Parlement européen, être élu à Strasbourg requiert, sans aucun doute, un engagement à temps plein pour accomplir sa mission.

C'est dire l'importance de cette élection qui mérite que tous les Français se mobilisent et aillent voter. Ce n'est pas une petite élection. C'est une élection qui détermine pour une mesure importante l'avenir quotidien, les problèmes de chaque jour de nos compatriotes. Et les soixante-dix-huit députés français qui siègeront à Strasbourg auront un rôle essentiel à jouer pour défendre nos intérêts et ceci pour les cinq prochaines années.

Troisième événement, les 17 et 18 juin prochains, le Conseil européen se réunira, sous Présidence irlandaise, avec pour ambition d'aboutir à un accord sur le projet de Traité constitutionnel, c'est-à-dire sur la réforme des institutions qu'exige, bien entendu, l'élargissement. Cet accord est aujourd'hui nécessaire et il est aujourd'hui possible. L'Europe à vingt-cinq a besoin d'une Constitution pour fonctionner de façon plus efficace, pour mieux répondre aux attentes des citoyens, pour s'affirmer davantage dans le monde. Nous faisons toute confiance à la Présidence irlandaise pour rapprocher les points de vues et pour présenter une solution d'ensemble qui soit fidèle à l'ambition du texte de grande qualité qui a été élaboré par l'ensemble des parlementaires réunis au sein de la Convention qu'a présidée le Président Valéry Giscard d'Estaing. * Cette nouvelle Union à vingt-cinq, c'est, en réalité, la poursuite de la grande, on peut dire la belle aventure européenne qui a été engagée depuis, en réalité, la fin de la dernière guerre mondiale, en réaction contre les conséquences désastreuses des divisions de l'Europe historique. C'est aussi la poursuite, il faut le noter, depuis plus de cinquante ans, d'une politique qui a été menée avec constance, avec courage, avec détermination par tous les Présidents de la République qui se sont succédés et par tous les gouvernements français, quelle qu'était leur sensibilité politique, et ceci au nom d'une vision française de l'Europe qui est une vision que nous avons tous en partage. Dans les dernières années, cette vision nous a amenés, en particulier, à faire un pas très important en décidant l'euro.

L'Europe est d'abord une communauté de valeurs et de principes avant d'être une communauté d'intérêts. C'est l'Europe des hommes, plus qu'une Europe des marchés. C'est une Europe de la liberté et du droit.

Une Europe qui, par rapport à d'autres grands ensembles du monde, est profondément attachée à la singularité de son modèle social, à l'initiative individuelle, aux valeurs de justice et de solidarité. Une Europe pour qui la prospérité n'a de sens que si elle est mise au service de tous. Une Europe ouverte au monde, conquérante sur les marchés extérieurs, confiante dans ses atouts et dans ses talents.

Une Europe européenne enfin, fière de sa longue histoire et de son indépendance, une Europe qui exprime sur la scène internationale ses messages de paix, de dialogue, de tolérance. Une Europe respectueuse de la diversité culturelle et soucieuse d'un développement harmonieux et durable de notre planète menacée.

C'est cette Europe-là que nous voulons bâtir. Elle est notre bien commun, le bien de chaque Française et de chaque Français.

Mais cette nouvelle Europe, c'est aussi un défi. Et très légitimement les Françaises et les Français s'interrogent. Que leur apporte concrètement l'Europe ? Comment rester Français tout en étant de plus en plus Européen ? Quelles seront les limites politiques et géographiques du projet européen ? Quelle sera la capacité de cette Europe à aller de l'avant alors qu'elle s'élargit ?

Je veux dire aux Français avec force combien l'avenir de la France et l'avenir de l'Europe sont intimement liés. L'Europe ne se substitue pas à nos nations. C'est une fédération d'Etats-Nations. Elle rassemble nos nations pour leur donner plus de force. Elle n'est pas synonyme d'abandon, de renoncement, de dilution de notre identité mais au contraire de prospérité, de justice et de rayonnement accru pour l'Europe dans le monde. Je veux dire aux Français qu'aujourd'hui comme hier, l'Europe demeurera une formidable espérance, un gage de paix et de démocratie, un destin partagé, une ambition pour tous.

Ambition d'abord d'une Europe de la croissance, de l'emploi, de la justice sociale. Avec un marché élargi, avec une monnaie unique, avec des règles de concurrence harmonisées, l'Europe dispose de beaucoup d'atouts pour plus de croissance, pour plus d'emplois. Deux tiers de nos échanges se font aujourd'hui au sein de l'Union. L'euro est un succès : il donne à l'Europe cette stabilité monétaire qui lui a fait si longtemps défaut et qui a eu de graves conséquences. Souvenons-nous du coût social des dévaluations ! Ce n'est pas si ancien que l'on ait oublié ! L'euro nous permet d'être plus forts aussi dans la compétition mondiale.

L'Union nous rend également plus forts dans la mondialisation. Elle nous donne tout le poids de la première puissance commerciale du monde, ceci pour défendre nos intérêts et faire prévaloir notre conception d'une mondialisation qui soit à la fois maîtrisée et humanisée.

Mais soyons lucides. D'autres grands ensembles dans le monde progressent plus vite que nous. Je ne dis pas mieux mais plus vite. En Europe le chômage reste élevé, la population vieillit, nos systèmes sociaux traversent des crises d'adaptation, nos économies sont confrontées à une concurrence accrue. Et face à ces défis, la volonté européenne doit impérativement s'affirmer.

L'Europe doit investir massivement dans la recherche et l'innovation. Lancer de grands projets scientifiques, je pense, par exemple, à Galileo ou à Iter. Rester un pôle de référence dans les domaines de l'éducation, du savoir, de la connaissance. Favoriser l'émergence de nouveaux champions industriels et technologiques. Conforter sa position mondiale dans le domaine agricole et alimentaire. Grandes ambitions.

L'Europe se comprend aussi comme un grand espace social qui donne toute sa place à la solidarité et à la justice et qui, à cet égard, doit être en avance et exemplaire. La protection des travailleurs, le dialogue social, la politique de l'emploi, la qualité des services publics s'inscrivent au coeur même du modèle européen. La France y est particulièrement attachée et fait tout ce qu'elle peut dans ce domaine pour convaincre efficacement ses partenaires européens.

Ambition aussi pour une Europe forte et sûre.

L'Europe nous protège. Elle nous permet de lutter plus efficacement contre le terrorisme, contre l'immigration clandestine, contre les trafics liés au crime organisé. En renforçant notre coopération avec nos partenaires de l'Union en matière de police et de justice, nous assurons mieux la sécurité des Français et aussi de leurs voisins européens, et ceci dans le respect de l'état de droit et de nos valeurs démocratiques. L'Europe nous aide également à protéger notre environnement, notre sécurité alimentaire, notre littoral et beaucoup des conditions même de notre vie et de ce que nous devons laisser à nos enfants.

Rappelons aussi que l'Europe de la défense nous permet maintenant de nous mobiliser ensemble, avec nos moyens propres, au service de la paix et au service du droit international.

Ambition enfin d'une Europe de la jeunesse, de la création, de l'intelligence. L'Europe de demain devra être l'Europe de l'éducation et de la culture. Et là, de nombreux efforts sont encore à faire. Une Europe où chaque jeune devrait parler au moins deux langues étrangères, où chaque étudiant pourra poursuivre ses études dans les universités de l'Union grâce à un véritable espace européen de l'éducation. Une Europe qui assure à tous ses créateurs une meilleure protection de leurs droits, notamment par une lutte sans merci contre la piraterie et un soutien efficace à ses industries culturelles. La reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique dans la future Constitution qui ne s'est pas faite toute seule, mais pour laquelle la France a courageusement plaidé, ouvre à notre continent des chantiers exaltants.

Bien évidemment, la France ne pourra porter cette nouvelle ambition que si elle sait préserver, dans cette Europe élargie, sa force, son dynamisme, sa capacité d'entraînement.

La France veut une Europe forte, puissante qui soit en mesure d'avancer, d'agir et de décider. Elle veut une Europe qui marche. La rénovation des institutions européennes est à cet égard indispensable pour assurer la cohérence de l'action de l'Union, pour lui permettre de prendre ses décisions plus efficacement et plus facilement, pour conforter sa légitimité démocratique en y associant plus étroitement les Parlements nationaux.

La France veut une Europe fondée sur des majorités d'action et non pas sur des minorités de blocage. Elle se battra pour que les décisions soient prises, autant que possible, à la majorité qualifiée, afin d'éviter la paralysie de l'unanimité. Elle veillera à ce que la Commission puisse continuer à incarner et à promouvoir l'intérêt général européen.

Tels sont les enjeux des négociations finales sur la Constitution européenne qui vont reprendre, les 17 et 18 juin, au Conseil européen. * Demain comme hier, la France entend jouer tout son rôle dans cette nouvelle Europe. Elle veillera à ce que l'Europe reste fidèle à ses valeurs, à son idéal fondateur qui est un idéal de paix et de démocratie qui nous semble aujourd'hui acquis, mais dont l'histoire nous montre qu'il ne l'est jamais complètement, si l'on n'est pas attentif, son idéal, autrement dit l'aspiration des peuples à partager une communauté de destin fraternelle et originale. C'est en mettant en oeuvre ces principes que l'Europe pourra construire avec confiance son avenir et que les Françaises et les Français pourront mieux faire face au monde de demain. Voilà l'Europe que nous voulons.

* Je suis maintenant tout à fait disposé, naturellement, à répondre à vos questions.

QUESTION - Monsieur le Président, vous nous avez longuement détaillé tous les avantages et tous les atouts d'une Europe élargie qui sera basée sur une Constitution nouvelle. Alors pour convaincre les Français, est-ce que vous souhaitez leur demander leur avis directement par la voie d'un référendum ?

LE PRÉSIDENT - Comme vous le savez, il y a deux procédures en France pour ratifier un traité : la procédure parlementaire et la procédure du référendum. L'une et l'autre ont d'ailleurs été utilisées dans le passé pour la ratification des traités européens. Il est pour moi, je vous le dis tout de suite, prématuré de trancher en faveur de l'une ou l'autre option. Pourquoi ?

D'abord, il faut procéder par étape. Il faut conclure les négociations. Sur quoi va-t-on voter ? Est-ce que c'est sur un projet que nous considérons comme acceptable et conforme à notre ambition pour l'Europe de demain ? Ce qui est une chose. Ou est-ce que c'est un projet qui ne nous satisfait pas pour telle ou telle raison et que nous ne serions pas, dans cette optique, conduits à cautionner ? C'est cela qui va être l'ambition du Conseil du 17 et 18 juin.

Si vous voulez connaître mon sentiment à cet égard, j'ai été pendant un certain temps pessimiste sur la possibilité d'arriver à un accord les 17 et 18 juin. Puis l'évolution des choses et la qualité de l'action de la Présidence irlandaise m'ont conduit à retrouver l'optimisme qui est, aujourd'hui, mon état d'esprit. Je pense que l'on devrait pouvoir y arriver. Mais il est évident que tant que nous n'aurons pas tranché, nous ne pourrons pas le savoir. Il faudra ensuite, en admettant que ce nouveau traité ait été accepté, le signer, ce qui va demander plusieurs mois et voir l'évolution des choses, notamment une réaction de nos opinions publiques. Il faudra enfin vérifier la conformité de ce traité avec notre propre Constitution et je saisirai, cela va de soi, au titre de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel pour qu'il se prononce sur la conformité du traité avec notre propre Constitution. Suivant l'avis du Conseil constitutionnel, il y aura ou il n'y aura pas, mais mon intuition me conduit à penser qu'il y aura révision de la Constitution. Cela avait déjà été le cas pour le Traité de Maastricht et pour celui d'Amsterdam.

Alors tout cela est une procédure qui va prendre du temps et qui mérite qu'une décision de cette nature soit prise le moment venu, avec tous les éléments de la décision, avec la conscience des conséquences que cela peut comporter, avec un vrai sentiment sur l'opinion publique. Je suis donc tout à fait décidé à ne pas précipiter les choses en prenant une décision qui me paraîtrait prématurée.

QUESTION - Votre ami, Alain JUPPE, qu'on dit assez influent à l'Elysée, a déclaré récemment que tout compte fait, après réflexion et contrairement à ce qu'il avait pu penser ou dire, l'entrée de la Turquie en Europe, selon lui, allait dénaturer l'Europe. Alors, par quels arguments espérez-vous le convaincre, et convaincre 70% des Français qui se déclarent, eux aussi, hostiles à l'entrée de la Turquie en Europe ?

LE PRÉSIDENT - C'est une question importante. Sur ce sujet, j'ai une conviction profonde, je sais qu'elle n'est pas partagée par tout le monde et je l'assume. Et comme je n'ai pas l'intention de l'imposer, je vais vous donner au moins les différents éléments qui doivent être pris en compte avant d'arrêter une position pour des raisons un peu superficielles.

Il y a un vrai débat sur l'élargissement de l'Union à la Turquie. Ce débat a lieu en France, il a aussi lieu dans les autres pays de l'Union. Il n'est pas une rencontre que j'ai avec un chef d'Etat ou de Gouvernement de l'Union où ce sujet ne soit pas évoqué.

Je crois qu'il faut donc essayer de clarifier, hors des passions, les termes de ce problème. Pour cela, il faut distinguer deux questions : l'adhésion de la Turquie est-elle souhaitable et notamment souhaitable dans son principe ? Et deuxièmement, l'adhésion de la Turquie est-elle possible et notamment possible aujourd'hui ? Deux questions qui en réalité composent le problème.

Ma conviction est que la Turquie a une vocation européenne, mais que son entrée dans l'Union n'est possible que dans des conditions qui ne sont pas aujourd'hui réunies.

Alors, première question si vous le voulez bien et je m'excuse d'être un peu long, mais comme c'est un sujet qui suscite les passions, il mérite d'être approfondi. Première question : l'adhésion de la Turquie est-elle souhaitable ? Une entrée de la Turquie dans l'Union n'est certainement pas souhaitable à court terme. Mais ma conviction c'est qu'elle l'est à long terme, naturellement, si les évolutions positives qui nous observons aujourd'hui dans ce pays sont confirmées. Pourquoi souhaitable à long terme ? Pour deux raisons. La première, c'est que la Turquie a une vocation européenne. Toute l'histoire des siècles passés en témoigne. Je ne voudrais pas remonter à François 1er, mais le destin de la Turquie a toujours été profondément lié à celui de l'Europe. Et ce pays a toujours été associé à la civilisation européenne.

De surcroît, la Turquie est aujourd'hui un membre important et loyal de l'Alliance atlantique, elle est membre du Conseil de l'Europe, elle est membre de l'OCDE et de bien d'autres organisations, notamment européennes.

D'autre part, cela fait plus de quarante ans, c'était en 1963, que la Turquie s'est vue offrir la perspective d'entrer un jour dans l'Union européenne. C'était en 1963 ! Cette perspective n'a jamais été remise en cause, ni par aucun des pays de l'Union, c'est-à-dire nos partenaires européens, ni par les Présidents de la République et les Gouvernements qui se sont succédés en France depuis 1963. J'ajoute que cette perspective européenne a été confirmée à l'unanimité au Conseil européen d'Helsinki en 1999, un conseil auquel je participais avec d'ailleurs le Premier ministre, M. Lionel JOSPIN. Par conséquent, la Turquie est aujourd'hui candidate à entrer. C'est un fait.

Deuxième raison sur cette justification à moyen terme, ce sont les avantages que présenterait, à terme, l'entrée de la Turquie.

C'est d'abord notre intérêt politique d'avoir une Turquie, qui est un Etat considérable, à côté de nous. C'est notre intérêt politique d'avoir une Turquie stable, moderne, démocratique, qui a fait le choix de la laïcité depuis 1924. Une Turquie acceptant de partager nos objectifs et nos valeurs. Et qui, à ce titre, pourrait servir de modèle à l'ensemble de la région qui l'entoure. Cette perspective est sans aucun doute préférable à celle d'une Turquie qui aurait, par conviction, fait des efforts considérables pour s'adapter et qui se verrait rejeter ou mise de côté pour des raisons d'ordre ethnique ou religieux. Cela ne manquerait pas de faire le jeu de tous ceux qui, aujourd'hui, prônent le choc des civilisations ou qui cherchent à opposer l'Occident et l'Islam. J'ajoute que la puissance économique potentielle, enfin actuelle et potentielle de la Turquie et ses perspectives de développement ajoutent un intérêt économique.

Deuxième question : l'entrée de la Turquie est-elle aujourd'hui possible ? A cette question, je réponds non. Parce qu'il faut, avant de pouvoir adhérer à l'Union, respecter toutes les conditions de l'adhésion. Je ne crois pas qu'on puisse dire aujourd'hui que c'est le cas. Ces conditions, vous le savez, on les appelle les critères de Copenhague, cela veut dire clairement les exigences en matière de démocratie, de droits de l'Homme. En matière d'économie de marché et dans cet objectif, la Turquie ne remplit pas aujourd'hui les conditions qui s'imposent à tout nouveau membre de l'Union.

La Turquie a fait sans aucun doute des efforts considérables, depuis quelques années et a adopté nos propres critères dans ces différents domaines. Mais il y a encore du chemin.

J'observe d'ailleurs que la plupart de ces réformes qu'elle a acceptées, promues, fait voter par son Parlement, quelles soient constitutionnelles ou non, ont été pratiquement votées à l'unanimité. C'est dire la détermination des Turcs de respecter les critères de Copenhague, c'est à dire les critères qui sont les nôtres. Une chose est de voter les textes. Une autre chose est qu'ils soient appliqués correctement, sur le terrain. Et de ce point de vue, je crois qu'il y a encore à faire pour la Turquie. Il y a encore beaucoup de problèmes, nous le voyons dans la situation des droits de l'Homme, dans la protection des minorités culturelles ou religieuses, dans la réforme de la justice. Il y a un certain nombre de domaines où il y a encore des progrès importants à faire si l'on veut respecter les critères qui s'imposent à chacun des membres de l'Union.

Alors, que va-t-il se passer ? La Commission va déposer entre les mains du Conseil, en octobre je crois, un rapport pour nous dire quel est son avis sur la réalité de la situation de la Turquie à l'égard des critères de Copenhague. A partir du dépôt de ce rapport qui sera étudié par le Conseil, il y a deux hypothèses qui peuvent s'ouvrir : première hypothèse, le Conseil européen, après avoir étudié le rapport de la Commission, considérera que, certes, les progrès sont importants mais qu'ils ne sont pas encore suffisants et, que par conséquent, il faut se donner et donner à la Turquie le temps nécessaire pour parachever les réformes et les implanter sur l'ensemble de son territoire et de son opinion publique, avant d'ouvrir des négociations d'adhésion. Première hypothèse.

Deuxième hypothèse, le Conseil, compte tenu des conclusions du rapport de la Commission, considère que la Turquie remplit les critères de Copenhague et que les négociations d'adhésion peuvent donc être engagées, c'est l'étape suivante.

Il faut que les choses soient claires. A supposer que les conditions permettent d'engager les négociations d'adhésion dès le début de l'année prochaine, il faut savoir que ces négociations seront longues, très longues.

J'ai une longue expérience des négociations d'adhésion. J'étais ministre de l'Agriculture quand l'Angleterre est entrée. Je peux vous raconter comment cela s'est passé ! Ces négociations seront longues, très longues. L'expérience prouve qu'elles dureront dix ans, peut-être plus. Elles seront très difficiles, compte tenu des exigences que devra respecter la Turquie pour intégrer l'Union, c'est-à-dire pour absorber ce que nous appelons l'acquis communautaire, c'est-à-dire toutes les règles économiques, sociales, politiques, juridiques de l'Union. La Turquie ne manquera pas de demander, c'est évident parce que cela s'imposera, des délais, des périodes transitoires, tout cela prendra du temps.

Naturellement, tout au long de ces négociations, il y aura un contrôle politique permanent de la part de l'Union sur l'évolution de la situation. Ce n'est qu'au terme de l'ensemble de cette procédure et de ce long délai, que l'on arrivera, le cas échéant et si on y est arrivé, à une solution dont il faudra alors, et c'est là que la décision devra être prise, approuver les résultats, approuver un nouveau traité d'adhésion. Et là, chaque nation européenne, chacun des membres de l'Union européenne devra ratifier ou faire ratifier le traité d'adhésion de la Turquie à l'Europe ce qui, là, posera la vraie question à chaque peuple. C'est à ce moment-là seulement que les peuples, compte tenu ou éclairés par l'évolution des choses, pourront décider ou non d'accepter la Turquie. Le dernier mot reviendra à chacun des peuples par définition et, pour ce qui concerne les Français, la France, là encore, soit par voie parlementaire, soit par voie référendaire. Il faudra que la France se décide. Mais c'est une perspective que dix à quinze ans.

Voilà ce que je voulais simplement vous dire parce qu'il faut bien prendre conscience de l'ensemble des éléments qui entourent ce délicat problème.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit tout à l'heure votre souhait de voir les Français voter massivement, aller aux urnes le mois prochain. Pardonnez-moi cette question, mais il y a deux façons d'envisager l'Europe : certains la voient sociale et d'autres la voient libérale. Comme il vous est arrivé personnellement d'avoir des attitudes différentes, des actions différentes et de donner des signes différents, je voudrais vous demander si vous considérez que l'Europe d'aujourd'hui est assez sociale à vos yeux ou peut-être si elle mériterait d'être plus libérale puisque dans votre majorité, la question est quotidiennement posée ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, je crois que vouloir faire du social et que du social, c'est-à-dire de la redistribution, ou vouloir faire du tout libéral, ce sont deux voies qui conduisent toutes les deux à une impasse. Donc il faut être, dans cette affaire, réaliste. S'agissant de l'aspect social de l'Europe, je crois qu'on peut dire que, depuis de nombreuses années, la France est en tête du mouvement européen pour affirmer la vocation sociale et l'originalité sociale, le pacte social européen.

Nous avons fortement plaidé pour que les préoccupations sociales figurent parmi les valeurs et les objectifs de l'Union européenne. Nous avons plaidé pour la reconnaissance des partenaires sociaux et pour le dialogue social, ça n'a pas été si facile. Nous avons plaidé pour l'intégration, dans la Constitution, de la Charte des droits fondamentaux qui donne toute une série de garanties de nature sociale. Nous avons plaidé avec acharnement pour la reconnaissance de la spécificité des services publics qui est, à nos yeux, un aspect du contrat social européen. Nous avons plaidé, nous plaidons et nous plaiderons encore, dans le cadre du processus de Lisbonne, pour la coordination des politiques de l'emploi.

Ceci pour dire que la France a toujours été et est considérée par l'ensemble de nos partenaires comme étant en tête du combat dans ce domaine.

Nous ne sommes naturellement pas suivis par tous, sinon la question ne se poserait même pas. Et nombreux sont nos partenaires qui n'ont pas la même conception des choses que nous et qui ont une vision beaucoup plus libérale effectivement. Ce qui notamment les conduit à refuser qu'un certain nombre de sujets fassent l'objet d'une décision à la majorité, ils exigent le maintien de l'unanimité, notamment dans le domaine fiscal ou dans le domaine social. C'est le cas en particulier de nos amis britanniques.

Mais je ne crois pas que ce débat puisse être un débat qui divise les Français parce que, je le répète, sur ce point nous sommes unanimes. Si ce débat doit avoir lieu, notamment porté par ceux qui sont les plus sensibles à l'aspect social des choses, il doit être engagé non pas au sein de la France mais à l'égard d'un certain nombre de nos partenaires notamment, je le dis sans malice, avec l'Internationale socialiste.

QUESTION - Monsieur le Président, à plusieurs reprises ces derniers temps, vous avez affirmé que le social devait être la priorité du gouvernement, vous avez parlé d'exigence de cohésion sociale. Mais la France est lanterne rouge en matière de déficit public, l'Europe lui demande de réduire ses déficits et Nicolas SARKOZY vient de décider un milliard de gel de dépenses budgétaires, notamment 650 millions pour les affaires sociales. Est-ce qu'il n'y a pas là une contradiction, est-ce que la France doit de toutes façons réduire son déficit public, quitte à sacrifier le social ?

LE PRÉSIDENT - Est-ce que nous avons terminé avec les questions européennes et internationales ? Si vous le permettez, je préfèrerais qu'on termine d'abord avec les questions européennes, c'était je crois ce qu'on avait dit, avant de passer aux questions internes.

QUESTION - Une question européenne : que pensez-vous de la décision de Tony BLAIR de tenir un référendum sur la Constitution européenne et quelles seraient, à votre avis, les conséquences d'un rejet par les Britanniques, d'une réponse négative des Britanniques à ce référendum ?

LE PRÉSIDENT - Les Britanniques sont dans une situation très différente de la nôtre, à tous égards. Historiquement, dans leur approche de l'Europe et par le fait qu'ils n'ont pas de Constitution. Par conséquent, ils sont dans un contexte différent. Dans ce cadre, le Premier ministre a estimé qu'il devait consulter les Anglais, c'est un choix politique sur lequel je n'ai naturellement pas de commentaires à faire. Je n'imagine pas que l'Angleterre puisse se trouver dans la situation d'avoir à sortir de l'Europe.

QUESTION - Monsieur le Président, l'Europe à 25, vous le dites, va avoir un poids économique énorme, c'est aussi une Europe politique. Les Français jugent le poids de l'Europe à la politique étrangère or cette Europe a été fracturée par la guerre en Iraq l'an dernier. Aujourd'hui, un an après, les pays qui sont dans la région, les pays voisins attendent beaucoup de l'Europe, ils attendent une alternative à la politique de l'administration de BUSH. Que peut proposer l'Europe à 25, est-ce qu'elle peut avoir une véritable politique étrangère ?

LE PRÉSIDENT - Vous auriez presque pu ajouter qu'au moment de la guerre en Iraq, l'Europe s'était en quelque sorte fracturée et vous posez ainsi la question de savoir quelle allait être dans ce domaine, plus généralement dans le domaine du positionnement, la situation de l'Europe à 25 ? Je voudrais vous dire d'abord ma conviction que le débat sur le point de savoir si elle sera plus américaine, moins américaine, etc. est le type même du faux débat.

Il y a aujourd'hui, au niveau des peuples, de façon évidente, l'émergence d'une conscience européenne. Et cela ne pourra que se confirmer. L'Europe est engagée sur la voie de l'harmonie, c'est inévitable. Cela prendra le temps qu'il faut mais c'est inévitable. Ceci est une première réponse.

S'agissant plus précisément de l'Iraq, l'Europe, j'en suis sûr, approuvera les propositions de l'Envoyé spécial de l'ONU, M. BRAHIMI. Je suis persuadé qu'elle sera unanime pour le faire. Est-ce que ses propositions pourront se traduire par une décision internationale suffisamment claire et ferme pour qu'elle puisse être adoptée par le Conseil de sécurité et servir de base à la reconstruction politique, économique, sociale de l'Iraq, j'en suis moins sûr, pour dire la vérité. L'Europe, dans cette affaire, sera bien inspirée de se concerter pour essayer de parler d'une seule voix dans ce domaine. Je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait évident.

QUESTION - Excluez-vous tout à fait que l'accord sur la Constitution se fasse avant le scrutin européen plutôt que quatre jours après ? Et dans ce cas, est-ce que cela aurait, selon vous, un impact positif ou négatif sur le scrutin européen ?

LE PRÉSIDENT - Je ne sais pas si l'impact sera positif ou négatif, je ne sais pas si cela aura lieu quatre jours avant ou trois jours après et je souhaite que cela ait lieu au Conseil des 17 et 18 juin. Je fais toute confiance à la Présidence irlandaise pour trancher ce problème, qui n'est pas essentiel.

QUESTION - La Bulgarie fait partie du cinquième élargissement, et la date de son adhésion est fixée pour le 1er janvier 2007. Donc le processus de négociations d'adhésion est en train de se clore. Est-ce qu'il existe un changement dans la politique de soutien pour les échéances, pour cette date ?

LE PRÉSIDENT - L'Union européenne reste parfaitement déterminée à respecter les échéances qu'elle s'est fixée, c'est-à-dire 2007 pour la Bulgarie et la Roumanie. La Bulgarie d'ailleurs, à mon avis, ne pose aucun problème, et pour ce qui concerne l'acquis communautaire. Elle a pratiquement terminé ses négociations et il n'y a pas de difficultés particulières. Je vous confirme que c'est aussi la position de la France qui souhaite que la Bulgarie et la Roumanie puissent être, l'une et l'autre, membres en 2007, comme prévu, de l'Union européenne.

QUESTION - Dans le préambule de la Constitution, il est fait référence aux racines culturelles et religieuses. Est-ce que vous êtes favorable ou opposé à une mention plus précise concernant les racines chrétiennes et deuxième petite question, vous nous avez dit que l'Europe est plus forte avec l'euro. Est-ce que, paradoxalement, l'euro trop fort ne rend pas souvent nos produits trop chers et donc moins compétitifs ?

LE PRÉSIDENT - L'euro trop fort a des avantages et des inconvénients, selon que l'on se place au niveau des importations ou des exportations. Quant à la première question, je suis totalement favorable au texte tel qu'il apparaît dans la Convention, tel qu'il a été rédigé, notamment par M. GISCARD D'ESTAING, totalement favorable et tout à fait hostile à le changer.

QUESTION - Monsieur le Président, l'Allemagne et la France ont fait leur devoir de mémoire en ce qui concerne la shoah. Vous-même, vous avez reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des juifs. Est-ce que la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie ne doit pas être l'une des conditions préalables à son éventuelle entrée dans l'Union ?

LE PRÉSIDENT - C'est un problème qui concerne les relations entre la Turquie et l'Arménie. J'observe avec satisfaction qu'il y a, dans ce domaine, une évolution positive et je m'en réjouis. On ne peut pas non plus, sur le plan bilatéral, juger de tout l'avenir en fonction exclusivement du passé.

QUESTION - Vous avez dit que vous pensiez qu'il était inimaginable que l'Angleterre puisse se retirer de l'Union européenne si elle n'acceptait pas la Constitution. Qu'est-ce qui se passe si, quand même, plusieurs Etats refusaient cette Constitution ? Est-ce qu'il faut trouver un mécanisme adapté pour permettre de vivre cette dualité ou est-ce que cela veut dire que la Constitution serait morte-née ?

LE PRÉSIDENT - Théoriquement et aujourd'hui, dans l'hypothèse où un seul Etat refuserait, et a fortiori plusieurs, la Constitution ne serait pas adoptée, on en reviendrait à la situation de Nice, dont chacun sait qu'elle n'est pas satisfaisante, pour bien des raisons, ni pour la France, ni pour les autres. Alors, il y a actuellement, notamment chez nos amis allemands, l'idée qui se développe que l'on pourrait peut-être, en allant un peu au-delà de ce que prévoit l'actuel traité de la Convention, à savoir la saisine du Conseil européen dans cette hypothèse, que l'on pourrait considérer qu'au bout d'un certain temps, par exemple deux ans, les pays qui n'auraient pas ratifié, seraient conduits soit à ratifier, soit à sortir. Ce qui est évidemment un couperet un peu rude. Mais c'est peut-être une solution positive.

Cela devra également être négocié dans la Constitution. Moi je ne suis pas contre l'idée qu'il y ait un moyen de pression amicale sur des pays qui refuseraient la Constitution parce qu'à ce moment là, on bloque tous les autres. On est quand même 25.

QUESTION - Monsieur le Président, six pays, dont la France et l'Allemagne, ont décidé de refuser que le budget européen excède 1% du Produit intérieur brut. Or, la Commission estime que cette barre est insuffisante, elle souhaite que le budget soit plus généreux et soit monté à 1,15%. C'était d'ailleurs l'avis de celui qui est aujourd'hui votre ami, M. le ministre des Affaires étrangères quand il était Commissaire européen. Alors, est-ce que vous estimez que cette part de 1% ne doit pas être franchie, ou est-ce que vous estimez que les pays européens doivent être plus généreux pour réussir cet élargissement ?

LE PRÉSIDENT - Vous avez observé que six pays parmi les quinze, dont la France, ont signé une lettre au Président de la Commission pour indiquer qu'ils considéraient que la Commission avait été excessive en ce qui concerne le budget et qu'il fallait se limiter à 1%.

Je partage tout à fait cette opinion. On ne peut pas, notamment dans les périodes de croissance faible dont nous sortons, je l'espère, mais enfin dans laquelle nous vivons depuis deux ans, on ne peut pas, à la fois et à juste titre, imposer à tous les Etats une rigueur budgétaire forte et leur demander que la même institution leur demande une augmentation importante de leurs dépenses budgétaires pour l'Union. Ce n'est pas cohérent. Par conséquent, je fais partie de ceux qui demandent que chacun fasse un effort et notamment qu'on se limite à un 1% pour ce qui concerne le budget de l'Union, à ce titre. Naturellement, 1% cela peut se discuter ou se négocier. Mais on ne peut pas imposer la rigueur aux Etats et leur imposer parallèlement une hausse excessive de leur contribution à l'Union.

QUESTION - Comme vous le savez, Monsieur le Président, l'élargissement, la grande Europe, suscitent des craintes notamment dans les pays africains. Comment faire exister la vocation africaine de la France au sein de la grande Europe et quelle politique africaine de l'Europe pour essayer de rassurer les pays africains ?

LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas que l'Afrique ait quoi que ce soit à craindre du développement de l'Union européenne. D'ailleurs, je n'observe pas que les chefs d'Etats africains expriment à cet égard de grandes inquiétudes, notamment parce que l'Europe est tout à fait en pointe pour ce qui concerne l'effort de développement à faire en Afrique et la nature de ce développement. L'Europe est tout à fait en pointe pour substituer une politique de partenariat à une politique d'assistance et c'est tout l'encouragement qu'elle donne aux procédures du NEPAD. Et en ce qui concerne l'aide au développement, l'Europe est l'élément moteur de l'aide au développement en direction de l'Afrique.

J'ajoute que l'Europe plus que d'autres a bien conscience que des raisons démographiques font que le nombre d'habitants en Afrique qui va passer à un milliard dont 800 millions de jeunes, est tel que si on n'apporte pas, notamment à ces jeunes, le nécessaire ou l'indispensable en matière de santé, en matière de formation et d'éducation, en matière de travail, c'est une véritable bombe à retardement et l'Europe en a probablement plus que d'autre conscience. Je ne crois donc pas que les pays africains puissent avoir la moindre inquiétude dans ce domaine.

Je vais peut-être passer à la question que vous m'aviez posée et qui était la compatibilité entre l'affirmation de la priorité de cohésion sociale, l'emploi et les rigueurs budgétaires.

Je voudrais d'abord, si vous me le permettez, restituer cette question dans son cadre, vous l'avez d'ailleurs évoqué. En 2002, j'avais fixé quelques objectifs : le rétablissement des sécurités, intérieure et extérieure, la sauvegarde nos systèmes sociaux menacés, pas que les nôtres, ils le sont dans toute l'Europe, en particulier les retraites, la santé, le chômage et la relance de notre économie, notamment par des mesures de diminution des prélèvements,- nous sommes champions toutes catégories en Europe en matière de prélèvements, ce qui est un handicap important pour notre activité- et d'autre part, l'augmentation des salaires les plus bas, c'étaient les SMIC. Ces objectifs avaient été fixés dans un contexte où hélas, la croissance a été extrêmement faible ce qui ne facilite naturellement pas les choses.

Alors, aujourd'hui, la croissance repart. Ce n'est pas moi qui l'affirme, ce sont tous les experts qui le disent et qui le confirment. C'est notamment ce que le ministre des Finances a recueilli comme information générale lors de la réunion du FMI et de la Banque mondiale récemment, aux Etats-Unis. Tous les experts sont unanimes. La croissance repart. Et donc, la priorité que vous évoquiez doit être clairement réaffirmée. C'est une priorité. Cette priorité c'est l'emploi et la cohésion sociale. Autrement dit, dans ce contexte, s'il est bien confirmé, et on pense qu'il le sera, il faut que l'emploi prenne en quelque sorte le train de la croissance.

Alors naturellement, il y a un deuxième objectif, c'est la réduction nécessaire de nos déficits publics de l'Etat ou sociaux. Cet objectif suppose la stabilité des dépenses de l'Etat. Les dépenses de l'Etat ont été stabilisées en 2003. C'était un objectif, il a été atteint. Elles seront stabilisées en 2004 et c'est toute la mise en oeuvre décidée par le gouvernement de ce qu'on a appelé la réserve de précaution, à laquelle vous faisiez allusion et sur laquelle je vais revenir.

Je voudrais ajouter, puisqu'on en est au cadre général de la priorité de la croissance, réaffirmation claire, forte et modernisée de la priorité à la cohésion sociale et à l'emploi et, d'autre part, volonté de maîtriser la dépense publique et donc de diminuer le déficit, dans ce contexte, vous pourriez me dire "quid" de la baisse des impôts ? Des impôts qui déjà ont baissé, notamment pour l'impôt sur le revenu, comme vous le savez, de 10%. La baisse des impôts dépendra naturellement des conditions de réalisation de ces deux objectifs que je viens de rappeler et aussi, cela va de soi, de la croissance et du niveau de la croissance. Autrement dit, l'objectif est clairement réaffirmé, les modalités seront évidemment adaptées.

Alors vous me dites -je ne me souviens plus des chiffres que vous avez cités-, on veut geler une partie des crédits. Je veux vous dire que ces priorités ne sont pas du tout remises en cause par les mises en réserve de crédits. Les mises en réserve de crédits, la précaution, on l'a fait en 2003, on l'a fait en 2004, ce n'est naturellement pas une annulation. Comme chaque année, le gouvernement a décidé de constituer des réserves de précaution et elles ont pour objet, non pas de diminuer les dépenses votées par le Parlement, mais de veiller à ce que ces dépenses ne soient pas dépassées. C'est pour cela qu'on fait des réserves de précaution, des sortes "d'amortisseurs". Il s'agit tout simplement de mesures de bonne gestion. C'est vrai pour le social, vous auriez pu me poser la même question pour la défense, parce que j'ai vu qu'il y avait une polémique de la même nature et je vous aurais fait la même réponse. Les priorités du gouvernement ne sont pas remises en cause et elles seront respectées par une procédure qui est une procédure de bonne gestion annuelle des dépenses de l'Etat.

QUESTION - Le ministre d'Etat a mis hier gravement en cause le gouvernement précédent, celui de Lionel JOSPIN, en indiquant qu'il n'avait pas lutté assez fermement contre les actes d'antisémitisme lorsque ceux-ci se sont développés, il y a quelques années. Partagez-vous cette analyse, Monsieur le Président ? Regrettez-vous rétrospectivement vous-même peut-être de ne pas avoir, si vous partagez cette analyse, incité le gouvernement à les condamner plus vigoureusement et à lutter contre eux ? Et peut-être profiterez-vous de la réponse pour nous dire ce que vous pensez du style de Nicolas SARKOZY et de sa manière d'être en France et à l'étranger, quand il s'y rend ?

LE PRÉSIDENT - Je vois que vous souriez, ce que je comprends, malicieusement, ce que j'admets ; mais moi je vais vous dire une chose : c'est un sujet trop grave -l'antisémitisme- pour entretenir la polémique.

L'antisémitisme est fondamentalement contraire à toutes les valeurs de notre République, de notre société, à toutes les valeurs que les Français ont en partage. Et, par conséquent, le Gouvernement, tout gouvernement doit faire preuve de la plus extrême vigilance dès qu'il s'agit d'actes d'antisémitisme, et d'ailleurs plus généralement de racisme ou de xénophobie. De la plus extrême vigilance, ce qui veut dire poursuivre et condamner avec beaucoup de sévérité ceux qui se livrent à ce genre d'initiative.

QUESTION - Monsieur le Président, les dernières élections régionales ont été perçues comme un échec de la majorité et aussi un désaveu cinglant de la politique menée par le gouvernement de M. Jean-Pierre RAFFARIN. Est-ce que vous avez songé à remplacer le Premier ministre ou est-ce qu'il vous semble que la nouvelle impulsion sociale que vous avez donnée suffit à redonner un nouvel élan ?

LE PRÉSIDENT - Je connais cette analyse, j'ai eu l'occasion d'ailleurs d'y répondre lors d'une intervention télévisée, il n'y a pas longtemps. Je ne vais donc pas me répéter. Ce que je dis aujourd'hui, c'est ma conviction, d'abord, que les Français se sont exprimés et quand les Français s'expriment, la moindre des choses c'est de les entendre et, les ayant entendus, c'est d'analyser leur réflexion et d'en tenir compte dans toute la mesure du possible. C'est très exactement ce que j'ai souhaité faire.

A partir de là, dans le contexte, je l'espère nouveau, que nous allons connaître, c'est-à-dire celui de la reprise de la croissance, j'ai eu l'occasion de dire quels étaient nos objectifs, je viens de les développer ; quelles étaient nos priorités, notamment celles qui touchent à la cohésion nationale, à la cohésion sociale, à l'emploi et je fais confiance au gouvernement pour poursuivre avec fermeté cette politique. Je suis persuadé qu'il le fera. Il le fera d'autant plus facilement que la croissance sera confirmée mais en toute hypothèse, sa détermination est totale et je lui fais confiance.

QUESTION - Monsieur le Président, pourquoi n'avez-vous pas nommé à Matignon celui que toute la majorité vous réclamait, Nicolas SARKOZY ?

LE PRÉSIDENT - La nomination d'un Premier ministre est le privilège du chef de l'Etat et c'est un privilège que je ne veux pas laisser entamer. J'ai nommé celui qui me paraissait susceptible d'avoir l'expérience et la détermination nécessaire pour engager la nouvelle étape de l'action de l'Etat.

QUESTION - Monsieur le Président de la République, je m'excuse de revenir à la question de l'Europe, mais est-il possible à un pays d'être pleinement membre de l'Union européenne et en même temps de ne pas adhérer à l'euro ? Vous voyez à quel pays je me réfère.

LE PRÉSIDENT - Je crois le déceler. Je vais vous dire : c'est la règle communautaire. J'espère que l'Angleterre et que les autres pays qui ne sont pas membres de l'eurogroupe rejoindront, et j'en suis persuadé, mais il y a une procédure qui existe, qui est une procédure communautaire que l'on appelle l"opting out", vous voyez que je n'hésite pas à utiliser des mots d'outre-Manche, qui permet effectivement de rester dans l'Union tout en n'adhérant pas à l'une ou l'autre des politiques communes. Vous auriez pu me faire la même réflexion sur Schengen.

QUESTION - Monsieur le Président, quelles sont les démarches de la nouvelle Europe à vingt-cinq pays contre l'islamophobie en Europe ? Et quel est le rôle pour l'Europe, surtout la France et l'Allemagne, pour reconstruire l'Iraq ? Est-ce qu'il y aura une démarche juridique après le 30 juin à propos des armes introuvables en Iraq ?

LE PRÉSIDENT - L'islamophobie est inacceptable et doit être combattue, à ce titre, par tous les moyens intellectuels ou juridiques nécessaires. C'est heureusement la caractéristique de minorités et vous ne me trouverez naturellement jamais parmi ces minorités.

Pour ce qui concerne l'Iraq, vous connaissez la position de la France, elle est partagée par l'ensemble des pays européens. Nous estimons qu'il est urgent, aujourd'hui, de rendre leur souveraineté aux Iraquiens. Alors le problème, c'est : comment ? Je l'ai dit tout à l'heure, l'Envoyé spécial, M. Lakhdar BRAHIMI, un homme de grande compétence et de grande intelligence, a fait des propositions. Cela va peut être donner lieu, et même probablement donner lieu, à une discussion et à la proposition d'une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU. Ma conviction est qu'il n'y a pas de sortie possible vers la reconstruction de l'Iraq s'il n'y a pas un vrai transfert de souveraineté sous le contrôle effectif des Nations Unies. Et donc, ce qui serait désastreux, c'est une solution de compromis fondée sur une ambiguïté et qui consisterait à dire : très bien, l'ONU se met là devant avec son chapeau, mais en réalité, les choses n'ont pas réellement changé et la coalition continue à assumer la réalité des pouvoirs. On aurait là une situation qui n'améliorerait pas ce que l'on voit aujourd'hui, c'est-à-dire un vif mécontentement exprimé par une grande majorité, en tous les cas par un grand nombre d'Iraquiens.

QUESTION - Monsieur le Président, j'ai une question à vous poser concernant l'élargissement, parce que le dernier "Eurobaromètre", sondage qui a été publié il y a trois semaines, montre que la France est le pays le plus hostile par rapport à l'élargissement, parmi les Quinze bien sûr, avec seulement 34% des Français qui sont pour et 55% qui sont contre. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi les Français sont si sceptiques envers les dix nouveaux pays ?

LE PRÉSIDENT - Je m'excuse de vous dire que je n'ai pas connaissance de ce sondage. J'en ai vu un certain nombre d'autres qui étaient exactement contraires. Je ne crois pas du tout que les Français soient hostiles à l'élargissement, pas du tout. Je crois que c'est ce que l'on appelle une fausse information.

QUESTION - Monsieur le Président, les autorités françaises ont-elle l'intention d'accorder un visa de retour à l'imam de Vénissieux et, si oui, quelles poursuites pourraient être engagées contre lui ?

LE PRÉSIDENT - Les thèses qui ont été, semble-t-il, développées par cet imam sont inacceptables, sont totalement condamnables. C'est une atteinte portée aux droits de l'Homme. Et, par conséquent, nous ne pouvons pas accepter qu'elles soient développées dans notre pays.

A partir de là, une mesure a été prise. Elle a été contestée juridiquement, je n'ai pas de commentaire à faire sur ce point. Si cette mesure est confirmée, l'imam peut, juridiquement, revenir en France. Il fera immédiatement l'objet de poursuites judiciaires, naturellement. Et s'il faut ensuite modifier notre législation pour ne pas retomber sur des cas de cette nature, qui sont pour nous inacceptables, eh bien, on modifiera la législation de façon à pourvoir expulser les auteurs de ce type de déclarations.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez évoqué le privilège que vous détenez de nommer le Premier ministre. Est-ce que, dans votre esprit, le quinquennat suppose qu'il y ait un seul Premier ministre durant les cinq ans ou est-ce qu'il peut y en avoir plusieurs ? Quel est votre état d'esprit à ce sujet ?

LE PRÉSIDENT - Je ne lis pas dans le marc de café.

QUESTION - Plusieurs pays de l'Union européenne ont modifié leur législation au nom de l'égalité des droits pour tous afin d'autoriser les mariages homosexuels. Etes-vous favorable à ce que la France modifie également sa législation pour permettre de telles unions ?

LE PRÉSIDENT - Il y a un problème qui touche les droits de l'Homme. Ce problème a été posé. Il a été débattu. Et il a trouvé une solution par le vote de la loi sur le Pacs. L'expérience semble prouver que cette loi, à l'expérience n'est-ce pas, n'a pas apporté toutes les garanties ou toutes les solutions aux problèmes qui pouvaient se poser qui sont liés aux droits de l'Homme ou de la Femme. Bien. Par conséquent, je suis naturellement tout à fait favorable, dans le cadre du respect des droits de l'Homme, à ce que les modifications nécessaires soient apportées à l'actuelle législation, non pas que je la trouve mauvaise, mais simplement parce qu'elle est, semble-t-il, insuffisante, de façon à répondre à cette exigence des droits de l'Homme.

Au-delà, nous avons une loi et une tradition. Cette loi -et cette tradition- qui est clairement affirmée dans le Code civil, ne permet pas de mariage entre deux hommes ou deux femmes. C'est ainsi, et c'est la loi. Par conséquent, tant que la loi n'est pas changée, il ne saurait être question d'y porter atteinte. Je dis cela parce que, dans l'hypothèse où certains s'imagineraient en droit de le faire, ils devraient naturellement être sanctionnés, conformément à la loi. Et il appartiendrait au Parquet, soit a priori, soit a posteriori, de prendre les mesures nécessaires.

Quant au fait de savoir s'il faut changer la loi, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'il y ait un débat national sur ce point. Je ne suis pas absolument certain que vous trouveriez une grande majorité des Français pour remettre en cause une loi de cette nature. Mais enfin, je suis ouvert à tout débat. Ce que je n'accepte pas, c'est que l'on veuille imposer aux Français, que quiconque veuille imposer aux Français, des choix qui seraient, en réalité, ceux d'une petite minorité. C'est tout.

QUESTION - Monsieur le Président, une question de politique intérieure malgré les apparences. Vous venez de dire que le Parlement européen va avoir plus d'importance. Le futur projet de Constitution prévoit davantage de sujets à la majorité. Donc n'est-il pas temps d'admettre devant l'opinion publique qu'il y a, sinon transfert de souveraineté, au moins déplacement de la souveraineté nationale et comment gérer ce phénomène ?

LE PRÉSIDENT - Dans la réforme institutionnelle qui est en cours, dont nous souhaitons qu'elle aboutisse, il y a effectivement un renforcement du Parlement européen. Il y a parallèlement, vous l'aurez noté, un renforcement des Parlements nationaux, notamment pour la mise en oeuvre du principe de subsidiarité. Et il y a une orientation vers plus de décisions prises à la majorité.

Sur les deux premiers points, je n'ai pas de commentaires à faire. Sur les décisions prises à la majorité, je suis pour ma part favorable à ce qu'un nombre plus important de décisions soit prises à la majorité. Tout simplement, parce qu'à 15 déjà, mais à 25 encore plus, on ne peut pas être soumis indéfiniment, pour avancer, au chantage d'un pays qui peut représenter d'ailleurs, éventuellement, une fraction très modeste de la population mais qui, pour des raisons quelconques d'ordre local, voire de pressions internationales, se croirait en mesure de bloquer le fonctionnement de toute l'Union. Donc, nous sommes favorables, effectivement, à élargir le champ des décisions prises à la majorité.

Je dois dire que, s'agissant des problèmes sociaux et fiscaux, je l'ai évoqué tout à l'heure, un certain nombre de pays, au premier rang desquels nos amis britanniques, y sont tout à fait hostiles.

QUESTION - Monsieur le Président, vous vous étiez beaucoup investi pour la loi sur les signes religieux à l'école, un projet de circulaire est sorti la semaine dernière qui a provoqué une vive réaction des chefs d'établissements et aussi de certains parlementaires qui la jugent très éloignée de l'esprit de la loi. Est-ce que vous partagez cette opinion, et que pensez-vous du texte de cette circulaire ?

LE PRÉSIDENT - La loi sur la laïcité. Nous connaissons en France, aujourd'hui, une certaine montée des communautarismes. Le communautarisme est totalement étranger au pacte social et républicain français. Et donc, de mon point de vue, ce n'est pas un problème ou quelque chose que je voudrais imposer à nos partenaires, mais, de mon point de vue, tout doit être mis en oeuvre pour lutter contre les communautarismes. C'est à ce titre qu'a été prise la loi à laquelle vous faites allusion sur les signes ostensibles religieux dans l'école publique. C'est une loi, je crois que l'on peut dire, qui est claire, qui est équilibrée, et qui est conforme à nos traditions. Alors, à partir de là maintenant, il faut mettre au point les modalités de mise en oeuvre. Le débat s'est ouvert, il va y avoir une circulaire qui va permettre, d'une part, de rappeler la loi et, d'autre part, d'exposer les procédures de dialogue et de concertation proposées aux chefs d'établissements pour régler les problèmes qui peuvent se poser, dont j'espère qu'ils seront le moins nombreux possible. Mais, naturellement, je considère que cette loi est une loi qui s'imposait aujourd'hui en France, dans le cadre du respect des principes fondamentaux de la République.

QUESTION - Que dites-vous, Monsieur le Président, des sondages actuellement en baisse pour vous et pour le Premier ministre ?

LE PRÉSIDENT - Je crois que c'est lié au résultat des élections régionales et au message que les Français ont voulu faire passer. Ils ont exprimé des inquiétudes ou des mécontentements et il appartient aux pouvoirs publics, dans le cadre de l'intérêt général tel que nous devons le porter, d'en tenir compte.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez été très sévère vis-à-vis de nouveaux pays entrants il y a quelque temps. Vous avez dit même qu'ils ont raté l'occasion de se taire. Aujourd'hui, de première main, ils vont exprimer leurs voix librement. Est-ce que vous ne craignez pas que la voix de la France va de plus en plus souvent être mise en minorité ?

LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas ce que j'observe actuellement, j'aurais même plutôt tendance à observer le contraire. Ensuite, je n'ai pas voulu critiquer ces pays dans la position qu'ils prenaient à l'époque, et dont je ne suis pas sûr qu'ils la reprendraient aujourd'hui. En revanche, j'ai voulu indiquer que, lorsque l'on entre dans une famille, on en accepte, je dirais, les règles élémentaires qui consistent à prévenir avant les autres membres, avant de faire connaître sa décision. Je n'en demandais pas plus. Bien. Je crois que cet incident est réglé, et j'ai observé que, depuis, les procédures de concertation et d'information se sont considérablement améliorées. Je n'ai plus d'observation à faire de ce point de vue.

Quant à l'affaiblissement de la position de la France, ce n'est pas ce que je ressens. Peut-être vous avez d'autres éléments de jugement. Mais ce que je peux vous dire, que je disais tout à l'heure et que je répète, c'est que l'on observe aujourd'hui, et cela c'est extrêmement souhaitable, l'émergence d'une conscience européenne. Et c'est très perceptible dans tous les pays, notamment chez les nouveaux adhérents. On perçoit cette évolution, et c'est une évolution vraiment populaire, au-delà même des comportements des uns ou des autres sur le plan des responsables politiques.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous pensez du plan Sharon ?

LE PRÉSIDENT - Je m'étonnais qu'aucune question n'ait été posée sur le problème du conflit israélo-palestinien, qui est tout de même l'un des grands sujets de l'actualité, et l'une des grandes préoccupations du monde d'aujourd'hui. On voit bien que la solution pacifique du problème israélo-palestinien est un préalable au retour à un certain calme, dans le monde et surtout au Moyen-Orient. Et j'ai eu l'occasion plusieurs fois de dire à nos amis américains que toute initiative en faveur du grand Moyen-Orient, qui est compréhensible voire souhaitable, à condition qu'on ne fasse pas de l'ingérence mais de la coopération, se heurte à ces préalables que sont la sortie de la crise iraquienne, et surtout, la solution du conflit israélo-palestinien.

J'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais des décisions en cours. On ne parviendra pas à la paix sans négociations. Ce n'est pas possible. Seul un accord négocié peut permettre aux Israéliens et aux Palestiniens de vivre côte à côte dans la paix et dans la sécurité. Toute autre procédure est vouée à l'échec. C'est un peu le cas qui semble se présenter actuellement. Moi, j'estime que toute initiative doit être d'abord concertée, et s'agissant d'une initiative israélienne, concertée avec la partie palestinienne, naturellement. D'autre part, elle doit s'inscrire dans le cadre de la Feuille de route qui, à l'évidence, est le seul cadre raisonnable et porteur d'une solution. Toute initiative doit également se situer dans la perspective de la création d'un Etat palestinien, ce qui est reconnu par tout le monde, mais d'un Etat palestinien viable. Sinon, naturellement, il n'y a pas de solution. Et enfin, elle doit préserver ce qu'il appartient aux parties de négocier et de décider ensemble, notamment tout ce qui concerne le statut futur, c'est à dire les frontières et la question des réfugiés. Cela ne peut pas s'imposer. Cela ne peut que se négocier. Vous savez, on ne peut ni modifier le droit international de façon unilatérale, ni préempter le résultat de la négociation, négociation qui, tôt ou tard, sera évidemment nécessaire.

Je vous remercie.





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