Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Président du Mali.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Amadou Toumani TOURÉ, Président de la République du MALI.

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Bamako, Mali, le samedi 25 octobre 2003

M. TOURE - Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président, vous me permettrez tout d'abord de présenter mes condoléances à vous-même et à la France. Nous avons appris une nouvelle difficile : le décès du Père VERSPIREN. Le Père VERSPIREN était pratiquement devenu un village du Mali. Depuis des années, il n'a jamais cessé de prêcher la foi, mais j'avoue qu'il s'est beaucoup plus investi dans le développement. Et c'est un système de développement qui fait en sorte que les villageois y soient associés. Il a réussi, dans un village qu'il a créé, appelé Teria -Teria veut dire dans notre langue "le village de l'amitié"-, où il a intégré le domaine de la culture, de la pisciculture et les vergers. Il a transmis les techniques et certaines connaissances aux villageois et a pu ainsi créer une zone prospère.

Monsieur le Président, nous nous inclinons devant sa mémoire. Au nom du gouvernement de la République du Mali, du peuple malien et surtout de sa population qui ne pourra pas se rendre à ses obsèques, présentons nos condoléances. Il a mérité notre amitié, notre reconnaissance.

LE PRÉSIDENT - Je vous remercie Monsieur le Président, car c'est vrai que le Père était un homme d'une exceptionnelle qualité.

M. TOURE - Un adage propre aux Maliens dit : "qu'il est préférable de répéter cent fois une bonne parole -excusez-moi du terme-, que de dire une seule bêtise". Monsieur le Président, je vais le répéter encore, merci pour votre présence au Mali. Merci de cette occasion que vous avez pu nous offrir. Vous avez vu cette ferveur de Tombouctou à Bamako.

Au Mali, nous avons une crainte et un espoir. La crainte -vous avez tous vu dans la rue de Bamako-, c'est toute cette jeunesse, des enfants déterminés, engagés et qui comptent sur nous pour leur assurer un avenir. L'inquiétude, c'est comment faire pour être à la hauteur de l'attente de ces tout petits, pour faire en sorte que, demain, ils puissent participer au développement de ce pays.

Monsieur le Président, encore une fois merci et nos remerciements vont au Gouvernement français, nous avons ici quelques délégations ministérielles. Je voudrais également y associer les hommes d'affaires qui ont eu confiance dans le Mali en travaillant avec nous. En quelques années, le nombre d'entreprises françaises a pratiquement doublé, triplé. Nous travaillons avec elles dans la confiance et surtout dans l'entente, avec quelques difficultés peut-être, mais c'est tout à fait normal. Nous vous donnons, ici, l'engagement du Gouvernement du Mali que tout se passera bien. Nous souhaitons qu'ils nous fassent confiance et nous ferons tout pour mériter cette confiance.

Je voudrais également, par la même occasion, saluer et remercier les acteurs de la coopération décentralisée. Ce sont des anonymes, femmes, hommes, jeunes, étudiants qui viennent de partout, au Mali, pendant leurs vacances. Le palais de l'Assemblée régionale de Tombouctou, où nous avons travaillé hier, a été construit grâce à l'aide de la France et de la région Rhône-Alpes.

Je disais hier, à Tombouctou, que je ne voulais rien vous demander puisque vous nous avez tout donné. Peut-être, est-ce un peu l'orgueil du Malien ? Mais le fait d'accepter de venir à Bamako et de partager quelques jours de chaleur avec nous, est le prix que nous avons demandé et obtenu. Du fond du coeur, au nom de mon pays, nous vous en sommes particulièrement reconnaissants.

A quels résultats sommes-nous parvenus ? Depuis la conférence France-Afrique, la vision que vous avez dégagée sur le développement de l'Afrique correspond exactement à la mienne. Aujourd'hui, je dis aux Maliens : "cap sur l'agriculture". Nous avons les hommes, nous avons les terres, nous avons l'eau et nous avons la volonté. Il n'y a pas plus pénible que de demander aux autres de vous nourrir. Or, le Mali dispose de potentialités énormes. Monsieur le Président, vous avez été ministre de l'Agriculture, vous continuez encore dans les grandes réunions à défendre cela. Je pense que le développement du Mali sera centré sur l'agriculture. C'est là où nous avons certainement les atouts les plus importants et c'est auprès de vous que j'ai reçu conseil, appui et promesse d'assistance.

Nous avons des filières particulièrement intéressantes. Je parlerai de la filière coton. Vous avez été l'un des premiers à le faire. Et, après vous, les chefs d'Etats africains ont emboîté le pas en février, en France, sans détour, mais avec beaucoup de chaleur et de conviction. Vous avez parlé du problème du coton. On m'annonce que cette année le Mali sera certainement le premier pays producteur de coton en Afrique. Jusqu'à maintenant, nous achetions des tee-shirts en Chine. Ce qui veut dire que nous n'avons pas de filature : aucun bas, aucun mouchoir de poche ne sont faits à Bamako. C'est un défi que nous devons relever avec nos partenaires et essentiellement avec les opérateurs économiques français.

Sur le plan de l'élevage, nous avons des atouts essentiels. Après le Nigéria, nous présentons les cheptels les plus importants d'Afrique.

Sur la filière or, après l'Afrique du Sud et le Ghana, nous sommes le troisième pays producteur d'or. Mais, je vous avoue que les bijoux que nos femmes portent ne sont pas faits au Mali. Donc, nous ne pouvons tirer aucune valeur ajoutée pour améliorer les conditions des producteurs et surtout pour améliorer la condition de ceux qui se sont investis. Et comme vous l'avez dit, c'est dans ces régions que l'on trouve les pauvres et ce sont eux qui produisent.

Nous avons parlé de l'eau. C'est un problème crucial, surtout pour la consommation humaine, et je sais que cela vous tient à coeur, Monsieur le Président. Il y a quelques mois, je suis sorti à quinze, vingt kilomètres de Bamako, et même dans certains quartiers de Bamako, on n'avait plus d'eau. C'est douloureux. Dans certaines régions du Mali, les ablutions et les prières, se font avec du sable fin parce qu'il n'y a pas d'eau. Mais, on nous dit quelque part que le Coran l'accepte.

Le problème de l'eau se pose, mais c'est surtout la maîtrise de l'eau. On ne peut pas voir ce fléau passer ici et dire qu'au Mali il y a un manque d'eau. Dans certaines régions, à Koulikoro -à quarante-neuf kilomètres de Bamako-, nous avons un débit compté, en bonne saison, d'environ de 40 milliards de m3, et de 10 milliards de m3 à Kayes, sur le fleuve Sénégal. C'est un problème fondamental.

C'est pour cette raison, Monsieur le Président, que j'ai demandé une expertise auprès de vous en association avec la coopération marocaine dont l'expertise est reconnue. On n'a pas besoin de grands barrages. Il faut de tous petits barrages. Il faut aménager les bas-fonds et disposer de quelques pierres pour retenir un peu d'eau pour les animaux, pour le travail de maraîchage des femmes, et pendant une certaine période pour la consommation.

Les grands projets, nous n'en avons pas besoin. Monsieur le Président, vous m'avez dit qu'ensemble avec le Maroc, nous allions voir quelles dispositions nous allions prendre pour pouvoir réussir.

Nous avons aussi parlé de l'environnement et de l'ensablement du fleuve Niger. Nous avons peur que le fleuve Niger demain, comme le fleuve Jaune, arrive à disparaître. Mais je vous assure que nous avons les atouts les plus importants de la sous-région, et peut-être du continent, avec l'Office du Niger qui avait commencé par la France et le Mali. Malgré les efforts de la France et des nôtres, nous sommes à moins de 10% d'aménagement. Nous sommes exactement à 7% d'aménagement possible de ces terres agricoles. Or, nous le pouvons, nous, au Mali, nous, la sous-région, et demain, peut-être l'Afrique développer cet aménagement. Il n'y a aucune raison que nous partions chercher du riz dans les pays asiatiques.

Le dernier problème, comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, c'est l'avancée du désert. Je vous ai montré hier ce qui se passe à Tombouctou. Voilà le point le plus essentiel auquel nous nous sommes attardés.

Monsieur le Président, les journalistes vont certainement nous demander : et l'émigration ? Cela n'a pas été le point central entre nous. Ce n'est pas par gêne ni par courtoisie, mais par principe. Nous avons déjà des équipes qui travaillent dessus. Nous connaissons le nombre de Maliens qui vivent à l'extérieur, et surtout en France. Lorsque le ministre de l'Intérieur est venu à Bamako, il a passé une excellente visite. J'ai souhaité que M. Sarkozy aille visiter la région de Kayes, d'où vient l'essentiel des émigrants maliens. Il a rencontré là-bas des gens plus âgés que nous deux. Ils étaient allés en France et avaient travaillé chez Citroën, chez Renault et chez Peugeot. Ils vous parlent d'une France et de Paris que moi je ne connais pas.

M. SARKOZY nous a compris. Nous avons établi des canaux de discussion. Nous sommes entièrement contre et nous n'encouragerons jamais l'émigration clandestine. C'est pour cela que nous avons décidé et souhaité améliorer nos polices des frontières, en l'informant et surtout en sécurisant nos documents. Nous avons mis en place un comité franco-malien qui s'occupe de ces questions convenablement et régulièrement à Paris, comme à Bamako. C'est leur travail quotidien de parler de l'émigration de la jeune génération, des familles polygames et de tout le reste.

C'est pour cette raison, que le Président et moi-même avons pensé que c'est un problème que nous ne négligerons pas. Mais ce n'est pas la priorité des priorités, bien que ce soit un point important pour la France et aussi bien pour le Mali. Sachez que l'émigration nous rapporte beaucoup d'argent. Il y a des Maliens qui ont leurs papiers et qui travaillent en France. C'est certainement eux qui contribuent le plus à l'économie malienne, près de 40 milliards de francs CFA. Ils nous rapportent presque autant que l'or, et Dieu seul sait que nous avons beaucoup de mines. C'est cette émigration que nous voulons encourager, consolider, protéger et aider.

Le dernier point sur lequel nous avons parlé ce sont les questions internationales. Nous avons vraiment des points de vue plus ou moins communs sur l'essentiel. Mais notre inquiétude, ce sont les conflits en Afrique. Notre préoccupation aujourd'hui, à nous, Maliens, c'est la situation en Côte d'Ivoire. Elle représente 70% de nos importations et exportations. Elle est la porte de sortie et le port le mieux équipé. Vous l'avez dit hier, il y a 1 million, 2 millions de Maliens qui vivent en Côte d'Ivoire. Pour nous, la Côte d'Ivoire, c'est un autre Mali, parce qu'à Bouaké, c'est certainement là où vivent le plus de Maliens après Bamako.

Mesdames et Messieurs, je laisse la parole au Président CHIRAC pour ne pas utiliser tout le temps. J'avoue que tout cela, nous l'avons expédié en moins d'une heure tellement nos convergences étaient faciles.

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord saluer les journalistes maliens ici présents, les journalistes français, les autres et les personnalités qui nous accompagnent, et dire d'abord au Président TOURE qu'il a, c'est vrai, tout dit et bien dit. Nous avons évoqué tous les problèmes que lui-même a soulignés à l'instant pour conclure tant sur le plan bilatéral que régional et international à une parfaite convergence de vue entre nous. Donc je n'évoquerai pas à nouveau ces problèmes sauf pour répondre aux questions qui pourraient être posées.

Néanmoins, je voudrais faire deux réflexions, en entrée en matière. La première c'est dire clairement l'estime que je porte, que la France porte, que la communauté internationale porte, je peux en témoigner, à l'action exceptionnelle conduite depuis dix ans par le Général puis par le Président TOURE qui a, dans un pays pas facile, fort d'une vieille culture, de grandes traditions, engagé ce pays clairement, fermement sur la voie de la démocratie et du développement. Avec la volonté de permettre à ses populations de vivre en paix dans la liberté et avec l'espoir que leur travail leur rapportera les ressources et les moyens qu'ils sont en droit d'en escompter.

C'est un bel exemple en Afrique qui mérite d'être souligné. Celui du consensus contre l'affrontement d'où rien de bon ne sort jamais. On le voit hélas dans un certain nombre de régions d'Afrique. Je voulais en mon nom, au nom de l'Union européenne et de la communauté internationale, Kofi ANNAN le soulignait encore il y a quelques jours, rendre hommage très fortement à l'action du Président TOURE, de son Premier ministre, de son gouvernement, de ses élus.

La deuxième réflexion, le Président l'a évoquée rapidement. Nous avons reçu hier à Tombouctou et ensuite, ici-même à Bamako, un accueil dans les grandes traditions africaines, du sourire, de l'hospitalité, de la générosité. Un accueil que j'ai trouvé exceptionnel et qui m'a beaucoup ému, comme je suis sûr il a ému toutes celles et tous ceux qui ont assisté à la présence de ce grand nombre de femmes, d'hommes et de beaucoup de jeunes. Et notamment d'enfants qui, nous l'évoquions avec le Président, représentent un grand problème parce qu'ils sont l'avenir de l'Afrique. Grâce à eux, l'Afrique peut envisager après des siècles de difficultés diverses, de reprendre le chemin du développement en s'appuyant sur une population jeune, dynamique, formée. C'est l'avenir de l'Afrique mais c'est aussi un immense défi qui peut être porteur du pire si l'on n'y prend pas garde, le pire étant la déception qui conduit toujours à des réactions négatives et dangereuses. Par conséquent, ce n'est pas là seulement le problème du Mali, ou de cette région de l'Afrique, c'est un problème international.

Est-ce que la communauté internationale sera en mesure d'apporter à cette jeunesse africaine ce qui est nécessaire pour que les autorités de ces pays puissent conduire une politique à la fois pacifique, démocratique et de développement ? Alors, le meilleur peut être attendu, y compris dans les échanges avec la richesse que les échanges facilitent pour tout le monde. Ou au contraire, les réactions d'égoïsme, de repli sur soi ou tout simplement d'ignorance des problèmes tels qu'ils se présentent, ne permettront pas d'apporter à cette jeunesse les moyens de son intégration, de son développement, de son bonheur. Alors là, le pire est à craindre. C'est un grand défi et ce n'est pas un défi africain, c'est un défi mondial.

Voilà les deux réflexions que je voulais faire, Monsieur le Président. Pour le reste, sur tous les sujets qu'a évoqués le Président, je n'ai rien à ajouter, il a dit exactement ce que je pensais et je suis, pour ma part, et s'il en est d'accord, tout prêt à répondre aux questions que vous voudriez nous poser.

QUESTION - Vous avez évoqué tout à l'heure le problème de l'immigration, et vous avez dit que les Maliens régulièrement arrivés en France y étaient les bienvenus et appréciés. Concernant l'immigration clandestine, vous affichez tous les deux votre volonté de lutter contre les filières que vous avez même qualifiées de mafieuses. Est-ce que vous avez évoqué des dispositions nouvelles concernant la lutte contre ces filières d'immigration clandestine, est-ce qu'il y a des projets, des pistes qui sont explorées ?

M. TOURE - Parfaitement. Tout d'abord, comme j'ai eu à le souligner, nous avons eu une discussion plutôt technique avec le ministre de l'Intérieur français. Nous avons dit que pour lutter contre ces filières d'immigration clandestine, il faut d'abord s'organiser, apprendre, s'informer, former la police des frontières du Mali, et enfin que ce personnel doit avoir une formation adéquate d'identification et surtout qu'il soit équipé en informatique. Nous avons pris des dispositions pour sécuriser le passeport malien, car nous avons vu des gens titulaires d'un passeport malien mais qui ne parlaient aucune langue malienne et qui ne nous ressemblent pas. Comment ont-ils pu avoir ces papiers ? Est-ce des gens qui naissent à Bamako et qui ne sont même pas Maliens ? Je cite un exemple : un homme passait par Bamako parce qu'Air France viendrait tous les jours et que cela coûte moins cher par rapport à certains pays voisins.

Nous voulons donc d'abord organiser, équiper, former toutes ces différentes équipes. C'est pour cette raison, Monsieur le Président, que nous avons parlé de l'état civil. C'est l'un des points difficiles. C'est la grosse épine de nos Etats, surtout pour l'organisation des élections. La plupart des problèmes concernant les élections sont fondés sur la mauvaise organisation, sinon la non maîtrise de l'état civil. La France a fait un travail remarquable avec la Mauritanie dont la carte d'identité est tellement sécurisée qu'elle sert également de carte d'électeur. Nous dépensons pour chaque élection 200, 300, 400 millions CFA pour établir des cartes d'électeurs et parfois les commissions nous disent qu'il y a erreur de couleur et nous sommes obligés de les refaire.

Nous sommes en train de prendre toutes les dispositions afin que les équipes techniques travaillent en ce sens et j'avoue que de faibles progrès commencent à être enregistrés. Nous nous engageons entièrement pour lutter contre cette forme d'immigration, non seulement pour le respect de nos propres institutions mais aussi pour protéger ceux qui sont correctement installés en France, qui y travaillent et qui nous rapportent.

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas grand choses à ajouter, si ce n'est que ce problème, qui existe, doit être traité de la façon la plus cordiale, non pas en terme d'affrontement mais en terme de recherche, de bonne foi, de solutions. Personne ne met en cause la présence des très nombreux Maliens qui vivent régulièrement en France et dont nous sommes particulièrement satisfaits et heureux de leur présence. Chacun sait qu'il y a également des problèmes d'immigration clandestine ou illégale pour tout un ensemble de raisons, y compris, vous l'avez évoqué et je l'avais dit aussi, des réseaux mafieux spéculant sur la pauvreté des gens qui cherchent quelque chose pour s'en sortir. Dans tous ces domaines, nous avons une approche que nous voulons consensuelle et nous essayons de gérer petit à petit ces problèmes de façon à les limiter au maximum.

La France est tout à fait ouverte, par ailleurs, à l'aide qu'elle doit apporter au Mali pour développer, c'est la clé des choses, l'activité permettant ainsi aux Maliens de rester chez eux et de travailler chez eux, ce qu'ils préfèrent plutôt que d'émigrer. Et d'autre part, pour traiter avec fraternité celles et ceux qui veulent venir travailler chez nous.

M. TOURE - J'ajoute que le co-développement ne découle pas directement de l'immigration. Mais c'est l'appui nécessaire apporté par certaines régions qui peut permettre le développement, parce que l'immigration vient -il faut le reconnaître-, de régions difficiles. Dans certaines régions difficiles du Mali, la tradition des grands-pères et des pères a été d'aller en France. Tout jeune souhaite y aller et à n'importe quel âge, que ce soit son grand-père, le grand frère de son grand-père, son père lui-même ou le tout petit cadet qui grandit. C'est une tradition.

A un moment, on m'a dit : "Monsieur le Président, il paraît que vous êtes contre les visas". J'ai dit : non. Nous allons toujours continuer à demander plus des visas à la France, mais nous voulons que cela se passe selon les normes, et que lorsque vous serez là-bas, vous soyez sécurisés. Là également, c'est une précision que nous souhaitons apporter.

QUESTION - Merci, Monsieur le Président, ma première question est de savoir si, au cours de votre entretien, vous avez évoqué la situation politique actuelle du Mali, caractérisée par l'absence de l'opposition parlementaire. Je voudrais savoir le point de vue du Président CHIRAC sur une démocratie sans opposition.

M. TOURE - Monsieur le Président, la question est plutôt pour moi. Je pense qu'il y a un problème de modèle de démocratie. Je connais à travers le continent africain plusieurs sortes d'opposition. Parfois, l'opposition ne représente rien du tout. Parfois, elle est fabriquée pour être là et dire à nos partenaires que nous en avons une. Parfois, elle est exclue de tout débat. Elle est dans l'opposition. Ce n'est pas ce genre d'opposition que nous souhaitons. Nous souhaitons une opposition qui réponde vraiment à son nom.

Une Assemblée qui a 90% d'un seul parti, un parti majoritaire faisant ce qu'il veut et qui laisse aux autres 10% dont 5% sont entretenus et votent avec eux régulièrement. Je ne parle pas de cette opposition. Non. Je ne veux pas d'une opposition gadget. Cela ne rime à rien.

Nous voulons une opposition responsable. L'Assemblée nationale du Mali aujourd'hui n'est pas la poste. Honnêtement, on ne voit pas les bulletins de vote qui passent directement. Nous avons une situation inédite, imprévue pour un parti politique, c'est-à-dire une Assemblée où il n'y a pas une majorité dominante. C'est le message que nos électeurs nous ont envoyé, et nous allons travailler dans ce domaine jusqu'à la limite. Les lois sont votées, l'Assemblée ne nous fait pas de cadeau et je ne suis pas un dictateur.

LE PRÉSIDENT - J'ajouterai simplement que la question est un peu étonnante. Je pense qu'elle doit être en réalité un peu provocatrice, parce qu'elle ne correspond pas à une réalité. Ce dont les démocraties modernes ont besoin, c'est de sortir des affrontements idéologiques, et de se respecter, en mettant en oeuvre des procédures de consensus, autant que faire se peut. Après, il y a les élections qui tranchent mais l'affrontement, même politique, n'est jamais porteur de progrès et notamment de démocratie. Je crois que de ce point de vue, la politique de consensus que cherche à promouvoir le Président est sans aucun doute, comme d'ailleurs l'observent tous les spécialistes internationaux, une procédure exemplaire de démocratie.

Je souhaiterais que tous les pays dans le monde fassent la même chose.

QUESTION - J'aurais aimé avoir votre sentiment à tous les deux sur l'accord de réadmission dont avait parlé Nicolas SARKOZY en rentrant de Bamako l'an dernier avec cette aide à la réinsertion qu'il se proposait d'augmenter à hauteur de 7 000 euros. Ici, on a des Maliens qui nous ont dit que ce n'était pas suffisant et en tout cas les candidats ne semblent pas se bousculer pour bénéficier de cette aide. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce processus.

M. TOURE - Monsieur le Président, je n'ai pas de sentiment particulier. J'ai plutôt fait le même constat que vous, c'est-à-dire que les gens ne se bousculent pas. Et je pense que nous continuerons toujours à entretenir un dialogue fécond et franc au niveau du comité franco-malien qui est spécifiquement chargé des cas d'immigration. Je n'ai pas trouvé de langue de bois pour vous répondre, je l'avoue. J'ai fait un constat : il y a une proposition mais les gens ne se bousculent pas pour bénéficier de cette aide. Pourquoi ? Peut-être qu'il faudrait se poser la question et trouver la réponse ? Malheureusement, je ne l'ai pas.

LE PRÉSIDENT - Vous apportez une réponse. Si elle n'est pas adaptée, naturellement, ensemble, il faudra l'améliorer.

QUESTION - Est-ce que vous avez parlé de la crise internationale à part la Côte d'Ivoire ? Sinon, Monsieur le Président CHIRAC, et le Président ATT, vous êtes tous deux hommes de paix. Quand la communauté internationale va-t-elle imposer la paix en Palestine ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons évoqué les problèmes internationaux, ceux du Moyen-Orient, et notamment les problèmes de l'Irak et de la reconstruction, du rétablissement de la souveraineté du peuple irakien, et ceux de la feuille de route, s'agissant du problème israélo-palestinien. Nous avons également évoqué les problèmes de l'Iran.

Nous ne pouvons que déplorer la situation, en ce qui concerne ce que nous observons un peu comme une faillite de la feuille de route. Nous avons, de ce point de vue, la même approche et nous en tirons les mêmes conséquences.

Naturellement, l'Union européenne, pour sa part, est tout à fait déterminée à tout mettre en oeuvre, notamment dans le cadre du Quartet, en accord avec les autres participants du Quartet, je parlais des Russes et de Kofi ANNAN, pour faire les pressions nécessaires et notamment pour obtenir que le début de la deuxième phase de la feuille de route, c'est-à-dire la réunion de la Conférence internationale, puisse intervenir le plus rapidement possible.

Mais chacun sait qu'il y a un intervenant déterminant, essentiel, qui sont nos amis américains. C'est la mobilisation de nos amis américains qui peut amorcer un mouvement permettant de retrouver la route de la table ronde, la route de la discussion qui là aussi, comme ailleurs, est évidemment la seule qui soit compatible avec les intérêts des uns et des autres.

M. TOURE - Je partage le point de vue que le Président CHIRAC vient d'évoquer sur un dossier qu'il traite tous les jours et qu'il connaît sans doute mieux que moi. Le Mali n'a pas une position de principe mais une position engagée. Nous souhaitons un dialogue. Nous sommes sûrs que rien ne pourra régler ce problème douloureux et regrettable, sauf le dialogue.

QUESTION - Monsieur le Président, en 1990, nous, jeunes Africains, nous avons fondé beaucoup d'espoir sur la démocratie africaine. De 1990 à maintenant, nous constatons avec amertume un embrasement de la sous-région ouest-africaine. Au Mali, il est vrai que nous avons trouvé une formule originale, à savoir la gestion consensuelle du pouvoir. Nous sommes entourés par des pays qui sont embrasés par des guerres ethniques, des conflits, entre autres, nous sommes incapables d'arrêter la circulation des armes légères dans ces régions. Toute chose qui contribue à fragiliser le développement initié par les autorités. Je voudrais savoir quelles sont les dispositions que la France compte prendre pour quand même sauver la démocratie malienne et nous aider à bien nous développer.

LE PRÉSIDENT - La démocratie malienne s'assume parfaitement et n'a pas besoin d'être sauvée.

En revanche, ce qui est vrai, c'est qu'elle subit les contrecoups négatifs et dangereux de conflits qui ne sont pas les siens, et dont elle n'est évidemment pas responsable. Au premier rang desquels, le Président TOURE l'évoquait tout à l'heure, le conflit incompréhensible de la Côte d'Ivoire.

Alors, comme vous le savez, avec l'accord unanime de la CEDAO, de l'Union africaine, du Conseil de sécurité de l'ONU, la France s'est engagée, en essayant de stabiliser la situation et d'éviter les affrontements, notamment guerriers. Elle l'a fait, la main dans la main, avec les forces de la CEDAO.

Nous sommes, je dois le dire, encore inquiets. Un processus avait été initié avec l'accord de tout le monde, CEDAO, Afrique, ONU, qui avait conduit à un engagement général à Marcoussis, chacun faisant un pas vers l'autre. Cet accord de Marcoussis, n'est pas encore tout à fait respecté, ni même probablement accepté par tout le monde. Pourtant, tous les experts africains, internationaux, français, pensent que c'est la seule voie permettant d'aller vers le rétablissement de la paix et de la sécurité civile. Nous essayons avec nos partenaires africains, avec le Mali qui joue dans cette affaire, notamment en raison à la fois de sa sagesse et de sa proximité, un rôle très important. Nous essayons de convaincre l'ensemble des forces en présence que l'accord de Marcoussis, de l'avis général, reste la meilleure voie pour sortir de la crise. Nous nous y employons au maximum. Nous ferons tout ce qui est possible dans ce domaine. Je voudrais dire en tous les cas au Président TOURE que nous avons bien conscience des conséquences pour son pays de la crise ivoirienne lorsqu'il disait tout à l'heure qu'à Bouaké, il y avait un nombre considérable de Maliens, chacun le sait, et ils sont évidemment dans une situation difficile.

M. TOURE - Monsieur le Président, pour répondre à la question, il ne faut pas être aussi pessimiste que cela. En dix ans, il y a eu des progrès, il faut le reconnaître, aussi bien dans le cadre de la démocratie qu'en ce qui concerne l'état de droit. Les gens ne sont plus élus, à 99%, et les pères de la Nation, il y en a de moins en moins. Il faut remarquer que tout ce qui est là, vous met face à vous-même, face à votre conscience.

Cependant, il y a une chose à souligner : je suis partisan du consensus et cela prendra du temps. Mais je suis convaincu que ce n'est pas une solution pérenne. A un moment donné, il y aura des intérêts divergents et chacun ira vers ses intérêts. C'est tout à fait normal. Peut-être qu'après cela, on pourra encore s'y retrouver s'il y en reste quelque chose. Je le souhaite pour le Mali. Mais cependant, je voudrais vous souligner un point···

LE PRÉSIDENT - ···Sagesse africaine !

M. TOURE - Je suis parti sur mon expérience personnelle. D'abord, le problème touareg. Cela a été douloureux pour nous. Lorsque j'ai dit qu'il fallait négocier, officiers, colonels et commandants de l'armée m'ont dit : "vous avez trahi en demandant la paix et en intégrant les forces touareg !". Les partis politiques ont dit : "il a vendu le Mali". Mais tout le monde a oublié que c'est un peu moi qui suis à l'origine de la paix. Aujourd'hui, tout le monde en est content et j'en suis très heureux. Que chacun prenne sa part. C'est un gros gâteau.

Ensuite, j'ai rencontré Stéphane Martin, comme Jean Hélène, dans certaines contrées difficiles de l'Afrique centrale. Je me suis rendu compte que l'on pouvait détruire un beau pays pour une querelle. Je connais des pays, aujourd'hui, qui ont tous les atouts que, nous, nous demandons et à qui, pourtant, il manque l'essentiel, c'est-à-dire la paix et la stabilité.

Je pense que c'est l'atout le plus important. C'est pour cette raison que je salue ici votre rôle pendant ma médiation en République centrafricaine. Le Président CHIRAC n'a pas dit ce que la France a fait pendant le temps où j'étais médiateur, et j'en suis le témoin. Si je décide d'écrire un jour mes mémoires, peut-être, j'en ferai mention.

QUESTION - Vous avez invité Jacques CHIRAC à se rendre cet après-midi au pays dogon. On nous a expliqué hier que c'était vraiment un privilège, dans la mesure où il allait assister à certaines danses qui normalement sont réservées à des initiés. Je voudrais savoir pourquoi vous lui avez offert ce privilège, et vous, Jacques CHIRAC, quelle importance vous accordez à ce moment ?

M. TOURE - J'ai remarqué que toutes les délégations françaises qui viennent nous voir, nous demandent : "Est-ce qu'il est possible de prendre un jour pour visiter le pays Dogon ?". Comme Tombouctou fascine, je pense que ce pays a une place particulièrement importante.

Nous avons tenu à ce que le Président CHIRAC vienne visiter le pays dogon pour qu'il se rende compte d'une culture que nous avons voulu préserver d'une certaines pollutions, si je peux me permettre du terme.

Deuxièmement, après Tombouctou et Bamako, nous avons voulu faire voir au Président CHIRAC le Mali profond. Et l'un des sites les plus importants du Mali profond, c'est certainement le pays Dogon. Voilà les raisons pour lesquelles nous avons souhaité que le Président s'arrête à Mopti pour visiter le pays Dogon.

LE PRÉSIDENT - J'ai accepté cette invitation avec un immense plaisir. Le Mali comme toute l'Afrique, mais le Mali particulièrement, est un pays chargé d'une vieille histoire, longue, prestigieuse, qui a donné naissance à des cultures très fortes, nombreuses, toutes aussi fascinantes les unes que les autres. Tombouctou hier en était un exemple exceptionnel et il est vrai que la culture dogon est quelque chose de très particulier et de très fort. Si bien que lorsque le Président me l'a proposé, j'ai accepté avec enthousiasme.

QUESTION - Monsieur le Président français, vous venez de promettre, c'était hier lors de votre allocution, que la France maintiendra son aide bilatérale à l'endroit du Mali, sous forme d'aide budgétaire et d'annulation de la dette monétaire à l'égard de votre pays. Peut-on savoir concrètement quelles sont les mesures qui seront envisagées après cette visite ?

LE PRÉSIDENT - J'ai confirmé au Président TOURE l'engagement de la France sur le plan de la poursuite de sa coopération au titre de l'aide publique au développement, au titre de l'aide budgétaire, à différents titres et je me suis engagé à améliorer cette aide. Ce qui est tout à fait légitime, et de l'intérêt de tout le monde y compris de la France. Comme en témoignaient tout à l'heure les chefs d'entreprises français qui sont ici présents, nombreux, et qui je le rappelle ont doublé en cinq ans les implantations d'usines ou de commerces d'affaires français au Mali. Ce qui prouve l'effort fait par le Mali pour initier la confiance et la confiance que les industriels français font à ce pays, à ses ressources et à son avenir. C'est la raison pour laquelle je me réjouissais d'avoir pu amener dans ma délégation un nombre important d'industriels, ceux qui ont des intérêts et ceux qui sont susceptibles d'en avoir pour le développement du Mali et pour les relations entre la France et le Mali.

Le deuxième problème important, c'est celui de la dette. Le Mali, malgré ses ressources insuffisantes a fait un effort exceptionnel de bonne gestion sur le plan financier. Cet effort a été reconnu par les institutions financières internationales et notamment le Fonds Monétaire International. Cette reconnaissance a conduit le Mali à être intégré dans le processus dit PPTE, c'est-à-dire des pays pauvres très endettés. C'est une procédure que j'avais eu le privilège d'initier au G7 il y a quelques années, qui maintenant porte enfin ses fruits. Ce qui veut dire que, avant la fin de l'année, la première tranche des annulations de dette, sera intervenue au niveau de 40% de la dette environ. Pour accentuer ce mouvement, la France a décidé, j'en ai informé le Président, car on ne peut pas juridiquement annuler à cause du Fonds Monétaire International, de ne pas demander le remboursement de la dette française pour les quatre prochaines années, à partir desquelles toutes les dettes seront éliminées, donc, le problème sera résolu. J'ai donc pris l'engagement que le Mali n'aurait rien à débourser pendant les quatre prochaines années au titre de la dette française qui, étant la plus importante, représente bien entendu une bonne opération entre nos deux pays.

Voilà les principaux points. J'ajoute que nous avons longuement parlé des problèmes de l'eau. On ne l'a pas évoqué ici, mais le Président l'avait évoqué avec beaucoup de compétence. Je ne voudrais pas que l'on passe sous silence cet aspect important des choses. Nous avons notamment parlé du fleuve Niger et de la nécessité de renforcer l'Agence du Bassin du Niger. Je disais au Président que nous avons en Europe, l'Agence du Bassin du Rhin, l'Agence du Bassin du Danube, et que nous en sommes satisfaits. Et que, à mon avis, l'Agence du Bassin du Niger devrait à son tour être un revue et renforcée. D'ailleurs, il y a eu une réunion récente à Niamey et les deux Présidents du Mali et du Niger ont approuvé la déclaration de Niamey pour une vision concertée de la gestion du Niger, s'agissant de l'eau, s'agissant de l'ensablement. S'agissant aussi des petites plantes qui le polluent actuellement et qui se développement, s'agissant des rochers, etc..

La France a d'ailleurs, à la demande du Mali et aussi du Niger, décidé de saisir immédiatement la Communauté internationale pour la mise en oeuvre d'un programme de développement durable du Niger, programme auquel la France a voulu donner l'exemple en affectant immédiatement 10 millions d'euros, ce qui représente quelque chose comme 6 milliards et demi de Francs CFA. J'ai proposé au Président TOURE, comme j'avais proposé au Président TANDJA, d'organiser, s'ils sont d'accord, prochainement à Paris, une réunion des donateurs pour améliorer les moyens de la gestion du fleuve Niger.

En clair, je trouve qu'il faut que les riverains fassent eux-mêmes un effort d'organisation entre eux, et que la communauté internationale fasse un effort important pour soutenir leurs actions en faveur du Niger, y compris des actions de petits barrages, de petits aménagements dont le Président TOURE soulignait tout à l'heure qu'ils étaient tout à fait déterminants. Il l'a fait en citant le Maroc, seul pays d'Afrique, sous l'impulsion de son roi, Sa Majesté HASSAN II, qui dès son arrivée sur le trône, avait décidé d'engager une politique systématique de l'eau, qui a remarquablement réussi. Ce qui fait que le Maroc est pratiquement le seul pays africain où les problèmes de l'eau soient réellement maîtrisés. Après, il faut le dire, vingt ou trente ans d'efforts. Efforts qui leur a donné une expérience et, nous l'avons évoqué avec le Président TOURE, une coopération entre le Mali, le Maroc et la France pour développer cette politique été évoquée tout à l'heure dans ce domaine.

M. TOURE - Mesdames et Messieurs, si vous le permettez, je voudrais au nom du gouvernement de la République du Mali et du peuple malien, saluer et remercier la presse internationale ici présente, ainsi que la presse du Mali. Pour les Maliens, je voudrais apporter une précision. Lorsque vous allez sortir, vous allez dire que ATT a dit hier au Président CHIRAC qu'il ne demandait rien. Mais je vous précise que lorsqu'on nous donne quelque chose, nous l'acceptons !





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