Conférence de presse du Président de la République à l'issue de sa visite d'État en Tunisie.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue de sa visite d'État en Tunisie.

Imprimer

Tunis, Tunisie, le jeudi 4 décembre 2003

Mesdames, Messieurs,

Je salue amicalement les journalistes tunisiens, français et les autres pour avoir bien voulu suivre ce déplacement qui arrive à son terme pour sa première partie, c'est-à-dire la partie bilatérale. Elle va commencer pour sa deuxième partie, c'est-à-dire la partie consacrée au " 5+5 ".

Je voudrais tout d'abord remercier très chaleureusement le Président Ben Ali et toutes les autorités tunisiennes : le Gouvernement, le Gouverneur, le Maire de Tunis qui nous ont réservé un accueil particulièrement agréable, chaleureux, et je dirais amical, au sens le plus fort du terme qui, d'ailleurs, traduit bien la nature de nos relations.

J'ai eu l'occasion et nous avons eu ensemble l'occasion de souligner à nouveau la priorité politique pour la France de ses relations avec le Maghreb, bilatérales et euro-méditerranéennes, et notamment au sein du Maghreb, de sa relation et de sa coopération avec la Tunisie.

J'ai pu observer, une fois de plus, les progrès accomplis et les transformations assumées dans ce pays et notamment à Tunis. Je salue les efforts qui sont engagés et poursuivis par les autorités tunisiennes pour la modernisation de la Tunisie, pour la formation de sa jeunesse et de ses élites. Tout cela assure à la Tunisie une stabilité dont tout le monde a besoin, et notamment cette région.

Je n'ai pas beaucoup à dire sur notre coopération, si ce n'est que nous avons fait quelques pas supplémentaires avec un certain nombre d'accords qui ont été signés durant cette visite. Le premier était un accord de coopération franco-tunisien dans le domaine du tourisme. Deux conventions de l'Agence française de Développement portant sur un programme d'alimentation en eau potable en milieu rural et sur un programme national de réhabilitation de quartiers populaires, pour des prêts de l'ordre de 73 millions d'euros qui n'ont pas -je le dis, parce qu'il y avait eu une ambiguïté d'addition-, été diminués. Le total référentiel reste à son niveau initial qui est de quelques 103 ou 105 millions d'euros, répartis entre l'AFD et la PROPARCO.

Nous avons également eu un accord de caractère consulaire et social concernant les échanges de jeunes professionnels, concernant le service national des doubles nationaux français et tunisiens, et une convention bilatérale de sécurité sociale. Par ailleurs, il y a eu la mise à disposition d'une nouvelle facilité céréalière. Cela, c'est ce que nous avons signé aujourd'hui.

Enfin, nous avons réglé l'irritant problème des biens français qui traînaient depuis un certain temps : les bien immobiliers. Ce contentieux immobilier bilatéral a pu être définitivement réglé grâce, d'ailleurs, à l'imagination et à la bonne volonté, d'une part du Président du Conseil constitutionnel tunisien, mandaté par le Président Ben ALI et de Monsieur Pierre MAZEAUD, membre du Conseil constitutionnel français, mandaté par la France, qui ont trouvé un accord satisfaisant pour régler ce contentieux.

Nous avons évoqué les problèmes internationaux, d'abord euro-méditerranéens et la façon dont va se dérouler le prochain sommet auquel nous participons de grand coeur et avec conviction, le sommet de demain.

Nous avons évoqué, ensuite, les problèmes qui nous concernent tous et qui sont ceux du Moyen-Orient dans son ensemble, en particulier, le problème iraquien et celui du conflit israélo-palestinien. Dans l'un et l'autre cas, nous avons constaté avec une certaine tristesse que les choses n'avançaient pas dans la bonne direction avec suffisamment de dynamisme et de générosité. Bref, nous avons pu faire un tour d'horizon complet des problèmes qui sont communs à nos diplomaties.

Voilà les différents sujets qui ont été évoqués entre le Président Ben Ali et moi-même, d'abord, hier, en entretiens restreints et aujourd'hui, en entretiens élargis avec les ministres compétents.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez confirmer qu'actuellement il y a un entretien entre un membre de la délégation française et trois proches ou quelques proches de Mme Radia NASRAOUI, l'avocate en grève de la faim, preuve que vous vous intéressez finalement au cas de Mme NASRAOUI ?

LE PRÉSIDENT - Le " finalement " me paraît de trop. Je vous confirme effectivement l'entretien et c'est une démarche tout à fait normale. Je voudrais tout d'abord dire que la France accorde et que j'accorde la plus grande importance à tout ce qui touche les droits de l'Homme. La France a toujours dit que les droits de l'Homme avaient une valeur de nature universelle et qu'ils étaient, pour cela, indivisibles. Alors, dans le cas particulier qui a suscité une certaine émotion, il était tout à fait légitime que nous entendions les représentants de cette cause et nous le faisons avec la plus grande ouverture d'esprit. Par ailleurs, sur le fond, je souhaite qu'une issue, je l'ai dit déjà hier, soit trouvée à ce problème.

QUESTION - Monsieur le Président, une première question : vous avez prononcé un discours ce matin au Conseil économique et social. Pourquoi ce choix ? Deuxièmement, vous venez de le confirmer, vous avez des discussions avec le Président Ben Ali concernant les problèmes épineux qui sont l'Iraq et le Proche-Orient. Qu'allez-vous faire et que peut-on faire pour débloquer cette situation ? Troisièmement, vous avez fini la visite au Maghreb, allez-vous retourner vers le Machrek pour régler certains problèmes ?

LE PRÉSIDENT - Tout d'abord, pourquoi j'ai parlé devant le Conseil économique et social ? D'abord, parce que le Conseil économique et social m'a invité. C'était une raison qui se justifiait et donc j'ai accepté bien volontiers dans la mesure où le Conseil économique et social, ici, est une ancienne institution tunisienne puisqu'il a été créé, je crois, dans les années 60 et qu'il regroupe un certain nombre de représentants de la société civile, et en particulier des personnes qui s'occupent des problèmes économiques, sociaux, culturels, etc. C'était donc, a priori, un auditoire tout à fait légitime pour que je m'exprime sur ma vision de l'avenir des relations entre la France et le Maghreb, mais surtout entre l'Europe et le Maghreb, c'est-à-dire des relations euro-méditerranéennes.

Sur les crises actuelles au Moyen-Orient, je n'ai pas besoin de développer ni ma tristesse, ni nos suggestions qui sont connues. Je crois que s'agissant de l'Iraq, même si le 15 novembre une orientation nouvelle a été prise dans la bonne direction, je crains que nous soyons encore loin d'une situation où le transfert de la souveraineté, des responsabilités aux Iraquiens permettrait de les convaincre qu'il faut qu'ils s'associent à la mise en place d'un régime leur convenant, conforme à leurs intérêts et à leur nature et qu'ils le fassent sans recours à la violence.

Pour le Proche-Orient, vous connaissez aussi notre position. C'est d'ailleurs la même que celle du Président Ben Ali. Pour l'Iraq, également. Nous sommes consternés de ce processus qui se dégrade incontestablement depuis quelque temps et qui exige, à mon avis, une initiative plus forte de la communauté internationale, c'est-à-dire, en réalité, du Quartet. Ce qui suppose, bien entendu, un accord de nos amis américains. Nous suggérons, notamment, que la Conférence internationale prévue pour le début de la deuxième phase de la Lettre de mission puisse être engagée dès maintenant. L'idée, c'est de remettre tout le monde autour d'une table et de commencer à parler sérieusement. Nous n'en sommes pas encore là, hélas, et je le déplore.

Quant à l'intérêt que je peux avoir pour le Machrek où j'ai beaucoup d'amis, vous le savez, j'espère avoir l'occasion de m'y rendre bientôt et cela sera, pour moi, un grand plaisir.

QUESTION - Vous avez parlé du contentieux sur les biens immobiliers. Pourriez-vous être un peu plus précis et nous en dire un peu plus ?

LE PRÉSIDENT - Nous avions demandé, le Président Ben Ali et moi-même, à deux chargés de mission spéciaux, M. ABDENNADHER, le Président du Conseil constitutionnel tunisien et M. MAZEAUD, membre du Conseil constitutionnel français de dégager les termes d'un règlement de ce dossier contentieux qui nous ennuyait les uns et les autres.

Ils se sont réunis à plusieurs reprises et ils nous ont fait des propositions. Ces propositions, nous les avons adoptées, hier, et elles ont été officialisées aujourd'hui par la signature d'un acte entre nos deux ministres des Affaires étrangères. Je remercie le Président Ben Ali, je remercie le Président du Conseil constitutionnel qui nous ont permis d'aboutir. Une page de notre passé peut ainsi être tournée.

Les avancées ont été importantes, elles ont été obtenues pour les propriétaires français en Tunisie. La vente de leurs biens sera facilitée et les biens nationalisés à tort, c'était cela qui posait un vrai problème, dans le cadre de la loi de nationalisation agricole de 1964, seront restitués ou indemnisés.

Nous devons maintenant préparer l'avenir et nous allons le faire, notamment dans le cadre de notre partenariat. Les réserves que nous avions en ce qui concerne le plan des logements sociaux ont été, cela va de soi, immédiatement levées. Cela faisait partie de cet accord général.

Et nous avons décidé, je le dis parce que nous venons de le faire, et je ne l'ai pas encore dit au ministre des Affaires étrangères, de demander, comme ce sont des problèmes un peu complexes ensuite à gérer, dossier par dossier, immeuble par immeuble, qu'il y ait en France un responsable qui suive avec un responsable tunisien la bonne évolution de ces dossiers pour éviter que cela dure trop longtemps.

QUESTION - Monsieur le Président, votre ministre des Affaires étrangères a parlé, hier, à Naples d'une initiative que les Européens peuvent porter ou pourraient porter ou réfléchissent de porter sur la construction du mur entre Palestiniens et Israéliens devant la Cour internationale de La Haye. Par ailleurs, il a évoqué le fait que les Européens réfléchissent entre eux à une initiative européenne dans le cadre des Nations Unies à propos de la même question, donc du Proche-Orient. Est-ce que vous pouvez me donner votre sentiment vis-à-vis de ces propositions et comment voyez-vous la situation actuelle ?

LE PRÉSIDENT - Nous cherchons toutes les possibilités. Nous le faisons d'ailleurs, c'est vrai, de façon cohérente au sein de l'Union européenne qui, sur ce sujet, s'est prononcée de façon tout à fait unanime et cohérente pour essayer d'apaiser les tensions. Car c'est le préalable à tout retour à la discussion et à un accord. C'est dans cet esprit que le ministre des Affaires étrangères s'est prononcé. C'est dans cet esprit que l'Union européenne s'est prononcée. Alors, quel sera le résultat de ces propositions, je le souhaite, positives ? Je ne peux malheureusement pas vous le garantir car, je vous le répète, quelle que soit la volonté de la France et la volonté de l'Union européenne les affaires ne se traiteront pas de façon divisée avec les autres membres du Quartet, et notamment avec les Américains. C'est donc c'est dans ce cadre qu'en réalité on peut prendre des initiatives qui s'imposent.

QUESTION - Monsieur le Président, comment faut-il faire pour accroître l'engagement des Nations Unies dans les questions iraquiennes, dans la restauration de la souveraineté aux Iraquiens ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons dit depuis longtemps et notamment depuis l'initiative, que nous avons approuvée, du 15 novembre, l'orientation nouvelle du 15 novembre, que cet accord allait dans le bon sens mais qu'il avait deux points faibles ou deux insuffisances.

La première c'était d'être étalée sur une trop longue période pendant laquelle beaucoup de choses peuvent arriver. Et la deuxième, c'est qu'elle ne donnait pas aux Nations Unies la responsabilité qui doit lui incomber normalement. Plus nous irons dans notre histoire contemporaine et plus il est évident que la communauté internationale, en cas de crise, doit être consultée et décider de façon solidaire. Et cela ne peut se faire qu'au travers des Nations Unies. Pour le moment, le rôle des Nations Unies, est à nos yeux beaucoup trop modeste.

QUESTION - Monsieur le Président, selon une dépêche de l'AFP hier soir, vous avez développé une nouvelle thèse de la démocratie des Droits de l'Homme, vous avez avancé le droit de manger, etc··· Est-ce que vous soutenez, par cette thèse, une défense de la situation des droits de l'Homme en Tunisie ? Puis qu'est-ce qu'il y a de nouveau à propos du conflit franco-libyen ? Et est-ce qu'il y a une rencontre prévue entre vous et le Colonel KADHAFI ?

LE PRÉSIDENT - Sur le deuxième point, il y a naturellement une rencontre entre le Colonel KADHAFI et moi puisque nous allons siéger ensemble au même sommet. Ce serait étonnant qu'on ne se rencontre pas. D'ailleurs, j'ai déjà rencontré le Colonel KADHAFI et je n'ai naturellement pas de problème à le faire.

Nous avons, vous le savez, un différend dont nous souhaitons qu'il soit réglé. C'est un différend qui n'est pas un différend entre les Etats, c'est un différend entre la Fondation KADHAFI, présidée par son fils M. SAYF AL ISLAM et les associations représentant les victimes du vol UTA. Ces négociations se poursuivent, s'interrompent, reprennent, s'interrompent. J'ai tout lieu de penser, d'espérer, sans pouvoir vous le garantir qu'elles vont être reprises pour une phase finale. En tous les cas, je le souhaite fortement car c'est un problème qui porte une ombre, même si ce n'est pas un problème de relations d'Etats.

C'est un problème qui porte une ombre sur les relations entre la Libye et la France et ces relations, naturellement, dépendront de l'issue qui interviendra. Si un accord intervient c'est très bien, si un accord n'intervient pas, nous serons obligés de tenir compte de cette situation que nous considèrerons comme une situation d'insuffisante bonne volonté.

Sur le premier point, je me permets de vous dire que votre question m'a un tout petit peu étonné, au point que je me suis demandé si vous m'aviez écouté ou si vous aviez simplement repris dans un propos, je ne citerai aucun média mais dans un propos, une partie de ce que j'ai dit. Je répète ce que je vous ai dit tout à l'heure : la France a une thèse, depuis longtemps, c'est que les droits de l'Homme sont indivisibles, qu'ils sont universels et indivisibles. C'est d'ailleurs une conviction partagée par l'ensemble européen. J'ajoute que naturellement, j'adhère sans réserve à cette conception et que, dans cet esprit, j'attache la plus grande importance au respect des droits de l'Homme.

Il y a ensuite à porter un jugement sur une politique économique, une politique sociale, etc··· Mais les droits de l'Homme, c'est quelque chose qu'on ne peut pas, de mon point de vue, discuter. Je le répète, toute autre appréciation relève soit d'une incompréhension de ce que j'ai pu dire ou surtout de ce que je pense et surtout quelque chose d'injuste. A partir de là, j'ai répondu tout à l'heure sur le cas qui avait motivé cette question à votre consoeur.

QUESTION - Monsieur le Président, il y a un consensus en France sur les questions d'intégration et de politique d'immigration. Vous-même, vous avez nommé deux Ministres d'origine maghrébine ou d'origine musulmane, ce qui a été une première. Qu'est-ce qu'il reste pour que le droit de vote aux élections locales donné aux immigrés pose problème ? Il y a un consensus sur cette question, sachant qu'on peut la sortir éventuellement d'une réciprocité avec certains pays ou bien dans le cadre de la francophonie.

LE PRÉSIDENT - C'est un sujet qui s'intègre dans une approche globale et qui n'est pas pour le moment d'actualité. Nous avons le droit de vote pour les élections locales, c'est à cela que vous faites allusion. Pour ce qui concerne les Européens, c'est une décision collective et réciproque, les Français peuvent voter dans tous les pays européens. Nous n'avons pas d'accord de cette nature avec d'autres pays. Nous verrons comment évoluent les choses, ce n'est pas un problème de principe, ce sont des modalités pratiques qui ne sont pas encore au point. Nous ne l'envisageons pas maintenant.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce qu'il pourrait y avoir selon vous, concernant le conflit au Proche-Orient, israélo-palestinien, une issue positive à la suite des accords de Genève ? Avez-vous un commentaire concernant la visite de Colin POWELL, à la veille du sommet 5+5, la visite de Colin POWELL au Maghreb ?

LE PRÉSIDENT - J'ai eu l'occasion et la France, par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, a eu l'occasion de saluer l'effort de compréhension, de bonne volonté, de paix qui s'est manifesté, je dirais à titre privé, à Genève. Mais ce n'était pas une initiative comme cela. Cela a été une initiative longuement mûrie, longuement discutée entre des gens représentant les deux parties et qui ont mis leur intelligence, leur bonne volonté, leur imagination au service d'une cause qui est la paix. Ils sont conscients du fait que ce n'est pas dans un processus d'affrontement permanent, sans faire des concessions qui s'imposent les uns par rapport aux autres, que l'on trouvera une solution au problème israélo-palestinien.

Dans cet esprit, j'ai eu l'occasion et la France a eu l'occasion de saluer la démarche de Genève. Quelle suite pourra lui être donnée, je ne peux pas vous le dire mais l'esprit mérite d'être salué, que des hommes, des femmes, séparés par tant de choses, aient pu se mettre d'accord après, je crois, trois ans de discussions serrées. Cela témoigne d'une certaine confiance dans l'avenir et cela mérite qu'on leur rende hommage.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2004-11-21 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité