Conférence de presse du Président de la République à l'issue de la Conférence internationale sur le financement du développement.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue de la Conférence internationale sur le financement du développement.

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Monterrey, Mexique, le vendredi 22 mars 2002

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je ne peux pas ne pas vous remercier à nouveau, compte tenu de l'effort que vous avez fait pour faire ce voyage qui était, j'allais dire, court mais rude dans son approche géographique et, donc, je vous exprime toute ma reconnaissance. Et je vous souhaite, comme je nous souhaite, un bon voyage de retour, tout à l'heure.

Quelques mots, un peu en bilan de ces journées, ces deux jours à peine. D'abord, j'ai tenu à remercier le Président FOX. Il avait bien organisé son Sommet. Vous savez ce que j'ai fait, je ne reviens pas sur ce point. J'ai eu avec lui des entretiens comme j'en ai eus avec un certain nombre de chefs d'Etat africains ainsi qu'avec des chefs d'Etat non africains, et notamment avec le Président BUSH.

J'ai souhaité venir à Monterrey parce que, je l'ai dit, j'estime que c'était un moment important pour un pas en avant dans la prise de conscience de la nécessité, face à la mondialisation de l'économie, de s'engager clairement dans la mondialisation de la solidarité.

Autrement dit, de trouver une expression réelle à ce que je m'étais permis d'inscrire au G7-G8 de Lyon en 1996, c'est-à-dire la mondialisation au bénéfice de tous.

Alors, qu'est-ce que l'on peut tirer comme leçons de Monterrey?

La première leçon, c'est que des progrès ont été faits. D'abord, un progrès dans l'approche du développement et cela est très important psychologiquement et politiquement. On est passé insensiblement, et pas depuis longtemps, depuis un an, un an et demi, cela a commencé à Gênes, réellement, d'une logique d'assistance à une logique de partenariat. Et c'est un pas fantastique.

Deuxièmement, on a fait un certain nombre de pas dans la bonne direction. Je me souviens de l'époque où, jusqu'à il y a deux ans, jusqu'à Gênes pratiquement, il était tout à fait impossible de parler, en étant écouté, d'aide publique au développement, d'aide complémentaire. On n'était pas entendu. Il a fallu attendre Gênes pour que l'on ait le premier vrai, depuis bien longtemps, débat sur les problèmes de développement en général, et sur les problèmes africains en particulier. Cela a été le grand acquis de Gênes qui est passé inaperçu en raison des manifestations qui ont eu lieu, mais qui a été un vrai progrès. Et ce progrès, on l'a vu se confirmer petit à petit. Et finalement, il y a Monterrey.

Confirmation de la part des pays du nord qui ont levé le tabou sur le sujet de l'aide publique au développement. On a vu à Barcelone les Européens se fixer un objectif pour 2006 de 0,39%. On a vu le Président américain annoncer officiellement qu'il demandait au Congrès d'augmenter en trois ans de 50%, c'est-à-dire de 5 milliards de dollars, l'aide publique au développement. C'est quelque chose qui n'était pas concevable, qui était inimaginable, il y a encore un an ou deux.

Progrès au sud, avec non seulement cette prise de conscience mais l'affirmation selon laquelle le partenariat exigeait une volonté clairement exprimée de progresser dans le domaine de la bonne gouvernance. Et le témoignage le plus fort dans ce domaine est évidemment celui que donne l'Afrique avec le NEPAD.

Alors, certes, il reste beaucoup à faire. Je rappelle que le Président de la Banque mondiale, M. WOLFENSOHN, a rappelé, à juste titre, que pour tenir l'engagement du Sommet du Millénaire, c'est-à-dire diminuer de moitié en 2015 la pauvreté, il fallait doubler l'aide publique au développement, c'est-à-dire la faire passer de 50 à 100 milliards de dollars. Donc il reste encore beaucoup à faire.

Dans ce domaine, la France, après avoir diminué son aide publique, va reprendre l'augmentation et a pris à cet égard des engagements : 0,5% dans les cinq ans, 0,7% dans les dix ans, ce qui représente d'ailleurs une augmentation de l'aide publique un peu supérieure à la croissance. Ce qui est donc raisonnable.

Un autre problème intéressant, c'est qu'on cherche naturellement d'autres moyens pour compléter l'aide publique au développement. Alors, il y en a un certain nombre. Les Américains ont fait des propositions hasardeuses sur le montant de dons de l'aide de l'AID. Nous n'y sommes pas très favorables parce que cela pourrait avoir pour conséquence de stériliser très rapidement l'aide internationale au développement. En revanche, nous sommes très favorables aux idées que nous poussons beaucoup et qui sont les droits de tirage spéciaux pour les pays en développement.

Mais, surtout, il y a un tabou qui s'est brisé. C'est l'affaire consistant à financer la maîtrise et l'humanisation de la mondialisation par les richesses que la mondialisation procure. J'ai eu l'occasion de dire que, pratiquement, les échanges financiers internationaux, c'est quelque chose comme un milliard et demi ou un milliard sept cent millions de dollars par jour, que le commerce international, c'est quelque chose comme sept mille cinq cent ou huit milliards par an. Et qu'il y avait là une augmentation considérable due à une mondialisation qui, à cet égard, est très positive mais, générant des profits considérables, pourrait être humanisée et maîtrisée grâce à la perception d'une petite part de ces profits.

C'est une idée qui a été, en réalité, occultée par des campagnes qui ont été faites autour de la taxe dite Tobin. Elle nous a fait beaucoup de mal cette malheureuse taxe Tobin parce que chacun savait, en réalité, qu'elle était inapplicable en soi, indépendamment du fait qu'elle était inacceptable pour les trois quarts des pays du monde et qu'elle ne pouvait fonctionner que dans un consensus général. Mais elle était simple dans son expression. Alors, tout le monde a enfourché ce dada et, comme tous les dadas, il était dangereux. Et le danger, c'est qu'il a reculé indéfiniment une approche positive et intelligente de ce problème. Aujourd'hui, je crois que l'on s'est à peu près débarrassé de ce mythe, M. TOBIN ayant d'ailleurs peu de temps avant sa mort expliqué lui-même que l'idée de cette taxe, telle qu'on l'a présentée, était absurde. Mais, en revanche, l'idée de taxer les flux financiers d'une façon à déterminer et à préciser était une idée légitime et justifiée. Mais, si l'on pouvait s'accorder sur ce point, on pourrait imaginer d'autres taxations, comme les émissions de gaz à effet de serre ou d'autres taxes.

Mais enfin, il y a là quand même un tabou qui a été brisé, et c'est important, on accepte d'en parler, ce n'est plus obscène, et c'est important.

Enfin, le dernier point qui est également intéressant, c'est qu'aujourd'hui, l'idée selon laquelle la gouvernance mondiale est très en deçà des besoins de régulation qu'entraîne la mondialisation est une idée qui a progressé. Et, par conséquent, l'idée qu'il y a une gouvernance mondiale à mettre au point est une idée qui rallie davantage de pays aujourd'hui.

Alors, j'ai eu l'occasion d'intervenir ce matin dans la séance à huis clos, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. J'ai fait une intervention qui, je crois, vous a été distribuée et j'en ai fait une deuxième en séance plénière pour dire qu'au fond, il y avait cinq grandes directions dans lesquelles nous devions orienter nos efforts.

La première, c'est une direction, je dirais, pour renforcer l'éthique internationale. Avec la mondialisation, nous avons naturellement des destins qui sont de plus en plus liés. La période où nous étions chacun de notre côté est évidemment une période révolue. Si nous sommes liés, nous devons adhérer à des principes qui soient pour l'essentiel identiques. Et c'est pourquoi je pense et je le répète, je l'ai dit depuis déjà un certain temps, mais maintenant cela prend plus d'actualité, que les grandes organisations internationales, et notamment les organisations financières internationales -j'en parlé encore ce matin, avec Michel CAMDESSUS en sa qualité d'ex-Directeur général du Fonds monétaire international- doivent reconnaître officiellement dans leur statut la valeur de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Pour que l'on ait au moins une base commune sur le plan éthique. Ce sont des valeurs que nous reconnaissons et, par conséquent, il faut les intégrer clairement dans la pensée de nos grandes organisations internationales.

La deuxième, après l'éthique, c'est la démocratie. Il est évident que nous avons là encore des grands progrès à faire et notamment en associant mieux les ONG, qui ne sont pas toutes parfaites, beaucoup s'en faut, mais qui, pour la majeure partie d'entre-elles, sont composées de gens dont le coeur, la compétence, l'imagination, l'expérience sont irremplaçables et qui doivent être mieux associées aux définitions des grandes politiques de développement. Et, d'autre part, il faut mieux associer les pays du nord et les pays du sud. En l'état actuel des choses, les pays du nord, quand il y a une difficulté, un problème, une crise, prennent des responsabilités et les pays du sud, eh bien, ma foi, ils suivent. Alors, si le nord s'est trompé, tant pis pour le sud, si le nord a bien joué, a bien raisonné, tant mieux. Mais ce n'est pas obligatoirement le cas. C'est la raison pour laquelle j'ai relancé cette idée de créer, je dirais, quelque chose qui serait un peu l'équivalent du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui est pour le domaine politique, pour le domaine économique et social, de façon à pouvoir assurer une gestion commune des crises, dans le domaine économique, social, financier. Et non pas une gestion par le G7 ou le G8, sans aucune concertation avec les pays qui, par ailleurs, sont intéressés ou concernés directement ou indirectement.

La troisième valeur, la troisième direction, c'est évidemment l'environnement. Je l'ai évoqué sérieusement. J'étais ce matin, dans le tour de table, à côté de M. BUSH et cela m'a permis de le développer un peu plus. C'était un point que je n'avais pas eu le temps d'évoquer avec lui ce matin. J'ai pu l'évoquer plus longuement, à l'heure du déjeuner. Nous ne pouvons plus laisser la planète mise en cause. Les atteintes dont elle est l'objet ne peuvent pas être reconstituées par sa force propre. Nous ne pouvons pas laisser cette situation perdurer. Et donc, il nous faut une Organisation mondiale de l'environnement qui ait une autorité réelle et, je dirais, de la même nature que l'Organisation mondiale du commerce ou l'Organisation internationale du travail. Enfin, c'est à ce niveau qu'il faut situer nos ambitions.

Autre point, après l'éthique, la démocratie et l'environnement, c'est évidemment l'humanisme. On voit bien que les crises que nous connaissons aussi bien à l'intérieur du pays que sur le plan international viennent essentiellement d'un sens du respect de l'autre qui, petit à petit, a tendance à s'éroder. Alors, on pourrait spéculer longuement sur les raisons de cette situation mais, enfin, c'est un fait. Et c'est porteur de beaucoup de problèmes et de difficultés. Il faut donc faire un effort pour réaffirmer clairement que la diversité culturelle est essentielle, que le respect des autres est essentiel, que le dialogue des cultures est essentiel et que l'on ne peut pas imaginer un monde qui soit uniforme. Je veux dire qu'il serait automatiquement un monde en régression. La richesse du monde, c'est la richesse du nombre de ses cultures, exprimée par ses langues, par ses pensées, par son art et sa créativité.

Le dernier point qui commence à émerger, et qui est également important, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'affirmation des biens publics mondiaux. Il est certain qu'il y a un certain nombre de valeurs qui ne peuvent être gérées qu'en commun, qu'il s'agisse de la lutte contre les pandémies, de la lutte contre les fluctuations internationales d'ordre financier qui peuvent provoquer des catastrophes, au détriment de tant de pays, d'hommes et de femmes, qu'il s'agisse de la lutte contre le terrorisme, contre le grand banditisme et tous les trafics que l'on connaît aujourd'hui, il y a des choses qui ne peuvent être gérées qu'en commun. Et cela représente des moyens à mettre en oeuvre. Par conséquent, la gestion des biens publics mondiaux doit aussi maintenant être au premier rang de nos préoccupations. Autrement dit, nous avons l'habitude, toujours, de parler, on le voit beaucoup dans nos discours, de l'intérêt national. L'intérêt national suppose que, c'est vrai, il y a un intérêt national qui transcende les intérêts particuliers. C'est un fait. Et là, il faut se rendre compte aujourd'hui qu'au-delà de l'intérêt national, il y a aussi un intérêt mondial et que cet intérêt mondial, il faut en tenir compte. Bref, voilà un peu les réflexions que m'inspire Monterrey et c'est, je le répète, un pas de plus dans une prise de conscience d'une évolution inéluctable du monde, si on veut un monde serein et qui progresse. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas été déçu d'avoir pris la décision de venir ici.

Voilà, je suis à votre disposition pour quelques questions. On va commencer par la droite, comme il convient, mais je n'oublierai pas la gauche.

QUESTION - Monsieur le Président, une question sur l'aide publique de la France au développement. Le ministre de la Coopération dit que la France a commencé à diminuer son aide publique au développement depuis 1994 jusqu'à 1997 et que c'est aussi le constat que vous faites vous-mêmes ?

LE PRÉSIDENT - Mais c'est tout à fait exact ! L'aide publique au développement a commencé à diminuer effectivement en 1994-1995, je n'ai plus les chiffres précisément en tête, et elle a continué jusqu'à l'année dernière. Naturellement, on peut toujours discuter les chiffres, parce que la manière de comptabiliser les choses est complexe. On ne sait jamais exactement ce qu'il faut mettre, il y a les modalités de comptabilisation des annulations de dettes. Tout cela est compliqué, pour parler des chiffres. Mais c'est vrai. Alors, pour quelle raison cela a commencé en 1995, peut-être même en 1994 ? Pour une raison simple, c'est parce qu'on a été obligé, à ce moment-là, de faire face aux exigences de l'entrée dans l'euro, face à un déficit considérable qu'il fallait réduire impérativement et, effectivement, entre 1995 et 1997, le déficit a été réduit par le gouvernement français de 6,6 à 3,5%, ce qui était un effort colossal et tout y est passé, y compris l'aide publique au développement.

Ce que j'ai eu l'occasion de dire, le regret que j'ai eu l'occasion d'exprimer, c'est que, quand les temps meilleurs sont arrivés, c'est-à-dire qu'on était aux 3% en question et que, de surcroît, la croissance amenait une aisance financière plus importante, on n'ait pas repris et que l'aide ait continué à diminuer. Enfin, maintenant, on a une amorce de reprise et tout le monde est bien d'accord sur le fait qu'il faut un objectif d'augmentation. Et cet objectif a été plus ou moins arrêté pratiquement par tout le monde, je crois, pour se fixer aux alentours de 0,5% dans cinq ans, en gros.

QUESTION - Monsieur le Président, vous nous disiez, hier, que vous ne vouliez pas parler de la campagne en France. Il semblerait que la campagne arrive malgré tout à Monterrey puisque, ce matin, Lionel JOSPIN disait que vous étiez venu ici pour parler cinq minutes avant de repartir. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

LE PRÉSIDENT - Vous voyez, j'ai épuisé mes cinq minutes.

QUESTION - Monsieur le Président, on croit comprendre que vous avez discuté du Proche Orient avec le Président BUSH. Est-ce que vous pouvez nous dire si le Président ARAFAT va pouvoir se rendre à Beyrouth et avoir une garantie par les Américains et l'Europe d'un retour à Ramallah ? Et quelles sont les attentes de l'Europe et des Etats-Unis du sommet de Beyrouth ?

LE PRÉSIDENT - C'est un peu la vie qui veut cela, c'est au moment où l'on est le plus pessimiste, où on a l'impression que le drame a atteint des proportions irréversibles, que tout d'un coup un regain d'espoir se lève. Ce regain d'espoir a été dû, depuis quelques jours, à plusieurs initiatives. Chronologiquement, et c'est la plus importante, c'est celle prise par le Prince héritier d'Arabie Saoudite, le Prince ABDALLAH, qui a proposé l'échange de la terre contre la paix, conforme d'ailleurs aux grandes résolutions de l'ONU mais qui, cette fois-ci, prenait une ampleur toute particulière puisqu'il le disait au nom du monde arabe tout entier. Cette proposition est discutée actuellement et va faire l'objet, je le pense, d'une décision que je souhaite unanime du monde arabe à l'occasion, le 27 et le 28, du Sommet de Beyrouth, qui prendra de ce point de vue une nature historique. C'est un grand changement et j'espère de tout coeur le succès de l'initiative du Prince ABDALLAH. J'en ai encore parlé hier soir avec le Roi de Jordanie, avec quelques autres chefs d'Etat ou de gouvernement présents et je vois à quel point elle suscite de l'espoir.

Deuxième initiative, prise par les Etats-Unis, de présenter, de parrainer la résolution 1397 à l'ONU, ce qui était également un changement. D'autant qu'elle a été commentée de façon positive, par le Président lui-même, qui a dans la foulée décidé de renvoyer son envoyé spécial, le général ZINNI, et d'envoyer de surcroît le vice-Président CHENEY faire une tournée dans la région. Les choses ne sont pas faciles, bien entendu, mais elles progressent dans le bon sens, ce qui naturellement a permis, troisième point, à l'Union européenne de s'exprimer clairement et de façon cohérente avec ces initiatives à l'occasion de son Sommet de Barcelone. Je ne reviens pas dessus, tout le monde connaît sa déclaration.

Enfin, j'observe que dans l'opinion publique israélienne, telle que la presse la reflète, dans cette grande démocratie qu'est Israël, il y a un mouvement manifeste en faveur du retour au dialogue, à la discussion, avec comme objectif, naturellement, la paix et la sécurité, tout le monde prenant conscience qu'il n'y a pas de solution militaire à un problème de cette nature. Voilà en gros le contexte. Et dans ce contexte, le Sommet de Beyrouth. J'ai dit au Président BUSH, qui m'a tout à fait indiqué que c'était sa pensée, qu'il me paraissait nécessaire que le Président ARAFAT puisse se rendre à Beyrouth, ce qui suppose qu'il ait naturellement la garantie de pouvoir revenir chez lui. Alors, je souhaite que ce soit le cas. Et je crois que ce serait une grave erreur et une grave injustice que le Président de l'Autorité palestinienne ne puisse pas se rendre auprès de ses pairs, à Beyrouth, pour une réunion si importante, qui suppose, je le répète, qu'il puisse rentrer normalement chez lui.

QUESTION - Avez-vous eu l'occasion de rencontrer le Président argentin DUHALDE ?

LE PRÉSIDENT - J'ai rencontré le Président argentin, tout simplement parce que je voulais lui confirmer, ce qu'il savait d'ailleurs, que la France appuyait les efforts que fait l'Argentine actuellement pour trouver un accord avec le FMI, ce qui est vraiment une nécessité. Je m'en suis longuement entretenu aussi avec M. WOLFENSON, le Président de la Banque mondiale, et avec plusieurs autres chefs d'Etat et de gouvernement parce qu'il est tout à fait capital que l'on sorte le plus vite possible des incertitudes d'une crise argentine qui pourrait être dangereuse sans cela.

QUESTION - Monsieur le Président, une question en deux points. Premier point, le protocole de Kyoto a été adopté à Marrakech en novembre dernier, sans les Etats-Unis. Qu'avez-vous eu à dire au Président BUSH pour l'inciter à réintégrer le protocole, que vous avez été d'ailleurs l'un des rares orateurs aujourd'hui à évoquer dans votre discours en plénière ? Et, deuxième point, les subventions agricoles, dans le cadre de la PAC. Est-ce que la France poursuivra le soutien aux exportations agricoles et à des productions qui concurrencent les pays en développement sur les marchés ? Les pays du sud l'ont exprimé à plusieurs reprises, dans le cadre de cette conférence : ils souhaiteraient pouvoir aussi avoir accès à nos marchés. Donc, que faire pour une politique agricole commune plus équitable en faveur des pays du sud ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, sur Kyoto, vous connaissez la position de la France, elle ne s'est pas modifiée. Les Etats-Unis refusent, en raison des contraintes que le protocole de Kyoto ferait peser sur leur industrie, de signer. Alors, ils ne contestent pas qu'il y ait un problème. Ils y ont réfléchi et ils sont en train de mettre au point une, si j'ose dire, contre-proposition. Et cette contre-proposition a pour caractéristique non pas de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, mais de les stabiliser. Or, les choses étant ce qu'elles sont aujourd'hui, cela n'est pas suffisant. Ce n'est pas le problème de leur stabilisation, c'est le problème de leur diminution.

C'est ce que j'ai dit très clairement au Président BUSH aujourd'hui. Il n'y a pas d'alternative à la signature, à l'adoption par les Etats-Unis du protocole de Kyoto. Il n'y a pas d'alternative. Il y en aura peut-être dans dix ans, dans quinze ans, quand les progrès de la technologie auront peut-être permis de maîtriser les gaz une fois qu'ils sont émis, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui et, par conséquent, il est indispensable que les Américains le fassent. J'ai pris l'exemple de cet énorme morceau de banquise qui, tout d'un coup, s'est détaché. Je lui ai dit : vous savez, cela fait désordre, n'est-ce pas ? C'est un problème dangereux. Cela prouve bien qu'il y a un réchauffement et que ce réchauffement n'est pas purement naturel.

Dans le monde, on a vu que la planète a connu des périodes de réchauffement et de refroidissement cycliques, qui étaient d'ailleurs traditionnels, en gros, avec des cycles de quatre-vingt mille ans de froidure et de vingt mille ans de réchauffement. Mais là, c'était des effets naturels, tandis qu'aujourd'hui, on est en train de détériorer le système par une agression à l'égard de ce système ce qui est, évidemment, infiniment plus dangereux.

Donc, je lui en ai reparlé tout à l'heure, il y a deux heures. Ce qui ne veut pas dire, naturellement, que je le ferai changer d'avis. Enfin, j'aurai fait le maximum.

Sur les subventions agricoles, je ne veux pas engager un débat mais j'ai du mal à suivre un certain nombre de gens qui, dans ce domaine comme dans d'autres, d'ailleurs, se fondent simplement sur le "il n'y a qu'à". Je voudrais d'abord qu'on n'oublie pas que l'Union européenne est le marché le plus ouvert du monde. Du monde. Alors, que tous ceux qui nous donnent des leçons commencent par regarder un peu ce qui se passe autour d'eux. Nous sommes allés jusqu'à autoriser l'importation à droits zéro, sauf les armes, décidée à Doha pour tous les pays les plus pauvres. C'est le marché le plus ouvert du monde. Premier point.

Deuxièmement, s'agissant plus précisément de l'agriculture dont on parle beaucoup. Il y a huit cent cinquante millions de gens dont on dit, ce sont les statistiques de l'ONU, qu'ils sont en dessous du seuil de nutrition. Par définition, ils sont pour leur immense majorité dans les zones rurales. Les trois-quarts des gens qui ont faim, plus généralement, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas suffisamment, plus des trois-quarts, vivent dans des zones rurales.

Alors, à partir de là, est-ce que ces pays ont vraiment intérêt, j'en parlais tout à l'heure, avec le Président WADE qui était tout à fait de mon avis, à être orientés, alors orientés par qui ?, naturellement par le grand commerce international qu'on ne voit pas mais qui est toujours présent, bien entendu, mais qui, lui, n'est pas à Ouagadougou, il est plus volontiers à Londres ou à New York, être orientés vers la production de produits agricoles destinés aux marchés extérieurs ? Marchés dont chacun sait, par définition, qu'il sont extraordinairement spéculatifs. Ou est-ce qu'ils n'auraient pas intérêt à orienter ces producteurs vers l'autosatisfaction ou le commerce régional pour essayer de lutter contre les drames de l'insuffisance de nutrition ?

C'est important. Cela mérite en tous les cas d'être examiné. Et quand je lis un certain nombre de choses, je vois toujours tous ceux qui, par derrière, articulent les idées, tous ceux qui justifient que les grands produits des pays du sud ont droit à des bourses, comme le café, le cacao... Alors, je suis toujours un peu méfiant à l'égard de ce type d'affirmation, vous voyez. Et je dis que si on doit parler de l'agriculture, il ne s'agit pas seulement de savoir quels sont les intérêts des producteurs européens. Il s'agit de savoir quels sont les intérêts de tout le monde. Alors, là, oui, discutons mais pas à partir d'un débat faussé.

QUESTION - Avec le Président BUSH, avez-vous évoqué un des sujets de préoccupation d'aujourd'hui : l'Irak ? Si oui, dans quels termes et, si non, pourquoi ne l'avez-vous pas évoqué ?

LE PRÉSIDENT - Je l'ai évoqué et je ne ferai pas de commentaire au-delà de ce que je vais vous dire, pour des raisons, j'imagine, que vous comprendrez parfaitement. C'est que le fond du problème, de mon point de vue, et c'est ce que j'ai dit au Président BUSH, c'est que l'Irak accepte, parce qu'il doit l'accepter, le retour des inspecteurs. Et, aujourd'hui, il serait bien inspiré, les choses étant ce qu'elles sont, de répondre aux sollicitations fermes de l'ONU et du Secrétaire général de l'ONU. Alors, s'il ne le faisait pas, naturellement, l'opération resterait ouverte. Chacun sait, chacun entend dire que les Etats-Unis pourraient se résoudre à des procédures plus expéditives. Cela, c'est leur problème. A condition, naturellement, qu'elles soient adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU qui est le seul fondé à prendre ou à donner l'autorisation d'une intervention militaire dans le monde. Ce qu'il a fait, d'ailleurs, lorsqu'il a donné, sur la base d'une initiative française parce que nous avions alors la Présidence, l'autorisation aux Etats-Unis d'intervenir en Afghanistan au titre du droit de légitime défense.

QUESTION - Une question, Monsieur le Président, un peu technique, dans les chiffres de l'aide de la France, étaient comptabilisés les transferts qui étaient donnés à l'outre-mer français. Or ce pourcentage a été enlevé, ce qui fait que, naturellement, le pourcentage de l'aide française a baissé. Alors, est-ce que vous trouvez cela normal ou pas et pourquoi cela a été fait ? Et, deuxième question, n'avez-vous pas peur qu'en cette période de campagne électorale, on ne se dise : eh bien, le Président CHIRAC, c'est très bien, s'occupe de la pauvreté dans le monde, mais la pauvreté en France s'accroît, il le dit lui-même. Alors, quel est votre commentaire ?

LE PRÉSIDENT - La pauvreté en France ne s'accroît pas. Elle a stagné et ce qui a pu choquer certain, c'est qu'elle ait stagné en période de croissance, ce qui n'est pas normal.

Deuxièmement, je crois que les Français ont parfaitement conscience de l'enjeu que représentent la stabilité du monde et un certain nombre de principes moraux qui font qu'il est dans la vocation de la France d'être généreuse quand il faut l'être, et cela ne les privera pas de beaucoup de choses.

Troisièmement, s'agissant des transferts dans les départements et territoires d'outre-mer, c'est vrai qu'ils comptaient dans l'aide publique au développement. Cette correction statistique date, je crois, de deux ans. Naturellement, cette correction a eu pour résultat de diminuer l'aide publique au développement.

En tous les cas, je voudrais simplement vous dire que, moi, je voulais aussi que la France et les Français sachent que nous nous situons, pas seulement la France et les Français mais nos partenaires aussi, sachent que la France et les Français se situent du côté de ceux qui choisissent la solidarité contre l'exclusion, de ceux qui choisissent la dignité des personnes contre l'indifférence.

Et que cela est un des messages dont la France est porteuse depuis très longtemps, quand la France a affirmé sa vocation de porteuse des principes de liberté, d'égalité et de fraternité. C'est ce qui lui a donné une de ses grandes forces dans le monde. Et, aujourd'hui, je le répète une fois de plus, elle doit comprendre qu'elle est porteuse aussi de ces grandes valeurs au niveau mondial et pas seulement au niveau national.

Je vous remercie.





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