Conférence de presse du Président de la République à l'issue du Conseil européen de Copenhague.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue du Conseil européen de Copenhague.

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Copenhague, Danemark, le vendredi 13 décembre 2002

Mesdames, Messieurs,

C'est un moment un peu émouvant, en tous les cas pour ceux qui, à un titre ou à un autre, ont participé à l'histoire de ces dernières années, notamment depuis la chute du mur de Berlin. C'est un moment émouvant que de voir un nouveau pas important franchi dans la direction de l'union de l'Europe. Nous ne sommes pas, naturellement, au terme de notre processus mais nous avons franchi aujourd'hui une étape essentielle. Et on ne peut s'empêcher au fond de penser, ce soir, à toutes les victimes des guerres du XXème siècle, si nombreuses, des morts si absurdes, et on ne peut pas s'empêcher non plus de penser à toutes les victimes de l'antisémitisme, du racisme, de toutes ces catastrophes qui ont marqué notre continent en raison de ses divisions, de ses conflits d'intérêts, de la folie des hommes, de l'incapacité à se maîtriser. Et en voyant ce soir ces vingt-cinq nations, auxquelles sont rajoutées trois potentiellement de la famille, on ne pouvait pas s'empêcher d'avoir une vraie émotion, une vraie émotion.

Alors, je voudrais d'abord dire combien, pour ma part, j'ai apprécié la présidence danoise. Elle a été très remarquable de fermeté et d'intelligence, de finesse. Elle a réussi à franchir de très nombreux obstacles inévitables et les querelles d'intérêts, inévitables également, qui ont marqué cet élargissement. Elle l'a fait avec beaucoup de sens politique et beaucoup d'efficacité. Ce n'est pas un compliment de circonstance que j'adresse à la présidence danoise, c'est l'expression d'une vraie reconnaissance.

Nous avons marqué une volonté, qui est celle d'enraciner toujours plus profondément la démocratie et la paix, donc la stabilité, dans notre continent. Demain, nous aurons la Bulgarie et la Roumanie, nous aurons également la Turquie, si elle remplit les conditions en matière de Droits de l'Homme et d'économie de marché qui s'imposent.

Nous avons donc eu un Conseil très positif.

Alors, nous avons évoqué un certain nombre d'autres problèmes. Je n'en retiendrai qu'un, pour ma part, parce qu'il est de circonstance, qu'il illustre bien l'irresponsabilité des hommes et qu'il engage très profondément l'avenir : c'est la partie de notre Conseil de cet après-midi qui concernait la sécurité maritime. Les ministres de l'Environnement et des Transports ont pris, vous le savez, un certain nombre de décisions, je ne reviendrai pas dessus, et je les approuve, bien entendu.

Nous avons également évoqué les responsabilités. Nous ne pouvons pas rester dans un système général d'irresponsabilité où chacun peut faire, en réalité, ce qu'il veut sans risquer d'être pris. J'ai indiqué en particulier que, dans l'affaire du Prestige, dès que les eaux territoriales françaises seront touchées, si elles le sont, mais il y a un grand risque, et je ne peux pas le faire juridiquement avant qu'elles n'aient été touchées, je demanderai à la justice d'ouvrir une instruction pénale, instruction complémentaire à la procédure judiciaire espagnole, à l'encontre du capitaine, du propriétaire, de l'affréteur de ce bateau et de leurs complices, je pense naturellement à la société de qualification, à l'assureur du navire et à la société qui gère réellement le pavillon des Bahamas.

Voilà pour l'essentiel ce que je voulais indiquer en ce qui concerne le Conseil d'aujourd'hui et je suis tout prêt à répondre à vos questions.

QUESTION - Monsieur le Président, vous n'avez pas l'impression que ce moment d'émotion, comme vous l'avez souligné, a été gâché par les tractations un petit peu mercantiles ? Est-ce que cela n'a pas gâché la fête ?

LE PRÉSIDENT - Non seulement je ne considère pas qu'elles ont gâché la fête, mais je dirai qu'il aurait été impensable qu'elles n'existent point. Chacun doit légitimement défendre ses intérêts. Et le génie de l'Europe, c'est de savoir mettre ensemble des intérêts contradictoires. Alors, naturellement, il est essentiel que chacun puisse défendre les siens. Je trouve que, honnêtement, chacun l'a fait avec beaucoup d'élégance, beaucoup de détermination. Mais, vous savez, on ne pourra compter sur la solidarité agissante de chacun que si personne n'entre en ayant été peu ou prou humilié. Donc, je le répète, ces tractations n'ont rien de mercantile, elles sont essentielles, elles participent de la création d'une véritable solidarité, elles se sont exprimées d'une façon parfaite et, pour ma part, je ne peux que les approuver.

QUESTION - Monsieur le Président, la Commission est en train d'engager une réflexion sur les frontières futures, les possibles frontières futures de l'Europe. Je voudrais vous demander si vous pensez qu'il est judicieux, à ce stade, d'essayer de tracer des frontières définitives, par exemple de fermer définitivement la porte de l'adhésion à des pays comme l'Ukraine ou la Moldavie ou d'autres ?

LE PRÉSIDENT - Nous ne voulons fermer la porte à personne. Nous souhaitons que l'Union soit une Union européenne et nous pensons que toute l'Europe à vocation à y participer. Cela suppose, naturellement, que certaines conditions soient remplies par les candidats. Il serait mauvais pour l'Europe, mais probablement pire encore pour les candidats, d'adhérer sans avoir la capacité d'assumer les règles du jeu de l'Union européenne. Ce serait probablement pire pour eux encore que pour l'Europe.

J'ai eu, juste avant mon départ de Paris, un coup de téléphone du Président de la Macédoine s'exprimant au nom des cinq Présidents de cette région des Balkans, qui voulaient me demander que l'on n'oublie pas que, dans le cadre d'ailleurs du processus de Zagreb qui va se poursuivre, l'Europe des Balkans a aussi une vocation, même si elle n'a pas aujourd'hui la capacité, à entrer dans l'Union européenne. Donc, voilà, nous ne refusons personne. Ce que nous souhaitons, c'est que le mariage puisse avoir lieu entre des gens qui sont en mesure de se marier sans que personne ne soit ni l'otage, ni la victime du système.

QUESTION - Pour poursuivre la question, dans cet ensemble aux frontières géographiques dont on n'a pas une certaine idée, il fut un temps où il était question d'une certaine idée de la France. Alors, dans cet ensemble, est-ce que ce n'est pas le moment de parler de la différenciation, est-ce que les politiques du style monétaire pour l'euro ou en matière de défense ne doivent pas devenir la règle ?

LE PRÉSIDENT - Je dirai oui et non. Oui, il est dans la nature de l'élargissement de permettre à certains Etats qui sont davantage que d'autres prêts à accepter des contraintes ou des disciplines de le faire, sous deux conditions : la première, naturellement, que ce soit avec le respect total de l'acquis communautaire, cela va de soi. Et, la deuxième, qu'il s'agisse d'une ouverture à tous, chacun pouvant, le cas échéant ou le moment venu, s'intégrer dans cette minorité agissante. L'avantage est que cette minorité agissante montre le chemin et que, par conséquent, elle donne l'exemple. C'est un élément moteur. C'est pourquoi je ne verrais pour ma part que des avantages à ce que, dans certains domaines où une partie des pays européens estiment avoir la possibilité de s'engager plus vite et plus loin, comme l'euro, comme pour Schengen, qu'on puisse le faire. J'ai déjà proposé, vous le savez, cette solution et je pense qu'elle devrait être retenue par la nouvelle Convention.

QUESTION - Monsieur le Président, on vient donc de lancer la grande Europe. Et l'Europe de la défense, où en est-elle ?

LE PRÉSIDENT - Je suppose que vous avez la réponse et que vous voulez la confirmation. C'était, si j'ose dire, la bonne question puisque, en effet, nous avons l'accord, ce soir, qui est intervenu entre l'Union européenne et l'OTAN, après toutes les difficultés, y compris de procédure, auxquelles nous avons été confrontés. Le problème est réglé et, lundi matin, l'OTAN se réunira pour confirmer officiellement cet accord -c'est-à-dire Berlin plus- en matière de politique européenne de défense, cet accord entre l'Union européenne et l'OTAN. Vous savez que la France avait beaucoup milité dans ce domaine et nous sommes particulièrement heureux de ce résultat positif qui est intervenu ce soir vers 18 heures.

QUESTION - Monsieur le Président, les pêcheurs sont très inquiets. Ils l'ont manifesté mercredi. Ils sont très inquiets face à certaines décisions que l'Europe peut prendre. Inquiètes, aussi, les régions ultra périphériques face à cet élargissement. Alors, que faire, que dire aux uns et aux autres pour éventuellement les rassurer ?

LE PRÉSIDENT - S'agissant tout d'abord de la pêche, il y a, vous le savez, une opposition d'Etats membres, aujourd'hui, et notamment de la France, aux réformes de la Commission qui, sous couvert de mieux protéger la ressource, est prête à sacrifier une grande partie de la pêche européenne. Alors, naturellement, tout le monde est favorable à la protection de la ressource. Evidemment. Les pêcheurs eux-mêmes sont tout à fait d'accord sur cet objectif mais si, comme le fait la Commission, on explique qu'il faut supprimer les pêcheurs pour protéger les poissons, alors vous admettrez qu'il y a là un problème. Et donc, nous souhaitons qu'une vraie étude de fond scientifique soit faite pour nous dire la réalité de l'évolution de la ressource et les mesures qui doivent être prises pour la protéger.

Nous considérons que ces recherches n'ont pas été faites, en tous les cas pas à un niveau scientifique acceptable, et, deuxièmement, que ces recherches et l'élaboration de ces propositions ne peuvent pas se faire sans la participation des pêcheurs. Et là, nous touchons à un point délicat qui est le rapport entre le développement durable et le dialogue social. Je n'ai pas besoin de vous dire l'importance que nous attachons à tout ce qui touche au développement durable. Mais il n'y aura pas de développement durable s'il n'y a pas un dialogue social. Et là, nous avons voulu retenir une partie des préoccupations du développement durable, je parle de la Commission et du commissaire, en ignorant complètement le dialogue social. Eh bien, cela ne marche pas. Alors, les ministres de la pêche vont se réunir dans les tout prochains jours. J'espère qu'ils arriveront à un résultat positif. Mais je vous dis tout de suite qu’il n’est pas du tout exclu qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord lors de leur prochaine réunion dans quelques jours.

Alors, vous m’avez parlé des régions ultra périphériques. Vous savez l’importance que la France, de même d’ailleurs que l’Espagne et le Portugal, attache à la situation des régions ultra périphériques. Je peux vous garantir que nous sommes toujours aussi attentifs à ce problème qui n’est pas affecté, ni dans un sens, ni dans l’autre, par l’élargissement.

QUESTION - Monsieur le Président, l’une des frontières extérieures de l’Union européenne risque de se confondre à l’avenir avec la ligne verte qui sépare l’île de Chypre en deux. Est-ce que c’est une situation dont l’Union européenne peut s’accommoder ?

LE PRÉSIDENT - Ce n’est pas une bonne situation, vous avez raison de le souligner. Nous souhaitions vivement que ce problème puisse être résolu et que l’entrée de Chypre coïncide avec la réunion de Chypre. Et, dans cet esprit, nous avons beaucoup soutenu, les autres aussi d’ailleurs dans l’Union européenne, l’initiative et les propositions faites par le Secrétaire général de l’ONU et son représentant. Cela n’a pas marché. L’accord n’a pas pu se faire. Alors, pour autant, nous ne désespérons pas.

Conformément à nos engagements antérieurs, nous avons donc décidé que, néanmoins, c’était une décision antérieure, Chypre pourrait entrer. Mais ce n’est pas une solution idéale. Et, donc, nous continuons sur la voie d’un soutien sans réserves à l’initiative de l’ONU. J’espère que, compte tenu de la situation nouvelle créée par l’accord avec la Turquie, j’espère qu’on devrait pouvoir arriver à la réunification souhaitable et nécessaire de Chypre dans des délais acceptables.

QUESTION - Monsieur le Président, la décision des Quinze sur la Turquie a été précédée d’un certain nombre d’interventions, de pressions, voire d’ingérences, des Etats-Unis dans le processus de décision européen. Comment évaluez-vous ce comportement et comment appréciez-vous la capacité de résistance des Quinze à ce genre de pressions ?

LE PRÉSIDENT - Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons, le Chancelier fédéral allemand et moi, fait une proposition avant que ce que vous appelez les pressions n'aient commencé de s’exercer. Et nous n’avons pas changé notre position d’un iota. Donc je ne porterai pas de jugement sur d’éventuelles pressions qui ont pu être faites ici ou là. Ce que je peux dire en revanche, c’est qu’elles n’ont pas eu d’effet. Ce qui est tout à fait naturel et ce qui permet de se poser la question de savoir si c’était vraiment des pressions.

Je rappelle simplement que, s’agissant de la Turquie, en 1949, la Turquie a été membre fondateur du Conseil de l’Europe, qu’en 1952, elle a été membre actif de l’OTAN, qu'en 1963, elle a eu un accord d’association avec l’Union européenne, qu’on appelait alors la Communauté. 1963 ! L’Union européenne de 1963 a reconnu la vocation de la Turquie à entrer dans l’Union européenne. En 1995, nous avons eu l’Union douanière. Bref, la Turquie était évidemment sur la voie de l’adhésion.

Le seul obstacle à l’adhésion, c’était naturellement les critères dits de Copenhague, c’est-à-dire le respect par la Turquie de l’ensemble des mesures qui caractérisent une démocratie et qui assurent une économie de marché et le respect des droits de l’Homme, des libertés. Et, de ce point de vue, la Turquie n’était à l’évidence pas au point.

Elle a commencé depuis deux ans à faire des progrès, ou depuis un an. Elle a marqué une volonté très ferme, très forte, aussi bien dans sa nouvelle majorité que d’ailleurs dans son actuelle opposition, de poursuivre son alignement sur l’ensemble des critères de démocratie et d’économie de marché. Eh bien, a priori, nous sommes tout disposés à lui faire confiance. C’est une très vieille civilisation et nous n’avons naturellement ni la possibilité, compte tenu du passé et de l’histoire que je viens de rappeler, ni vocation à empêcher une Turquie totalement démocratique et libérale, libérale au sens de l’économie de marché, à nous rejoindre.

C’est le sens de la décision qui a été prise aujourd’hui, je le rappelle, à partir d’une proposition que nous avions, le Chancelier allemand et moi, mis au point à Berlin lors de notre dernier entretien, il y a quelques jours, et qui consistait à dire : la Turquie n’a pas aujourd’hui, ne remplit pas aujourd’hui les conditions, notamment au regard des Droits de l’Homme. Elle a la volonté de les remplir le plus vite possible. Eh bien, en décembre 2004, c’est-à-dire dans deux ans, il y aura une appréciation à partir d’un rapport et d’une recommandation de la Commission au Conseil européen. Si le Conseil, sur rapport et recommandation de la Commission, considère que la Turquie remplit dorénavant les conditions dites de Copenhague, à ce moment là, dans les mois qui suivent, dans les six mois qui suivent, six mois pour des raisons techniques, pour ce qui concerne les travaux de la Commission, la négociation d’adhésion pourra commencer. Si, au contraire, il apparaissait que la Turquie n’a pas encore fait l’ensemble des progrès en matière de démocratie que nous souhaitons pour pouvoir être membre de l’Union, eh bien, à ce moment là, naturellement, cette adhésion serait reportée.

Je pense pour ma part que la Turquie est déterminée et a la capacité à nous rejoindre sur le plan des Droits de l’Homme et de l’économie de marché.

QUESTION - Dans quel délai pensez-vous que l’accord Union européenne-OTAN permettra à l’Union européenne de prendre le relais de l’OTAN en Macédoine ?

LE PRÉSIDENT - Je dirais tout de suite. Matériellement, ce n’est pas une opération compliquée ni longue à mettre au point. C’est une question de quelques semaines et c’est exactement ce que nous avions, je dirais, prévu. Donc, les choses se dérouleront très vite, c’est-à-dire dans les semaines qui viennent.

QUESTION - Monsieur le Président, l’Europe vient de s’élargir à vingt-cinq. Il y a à peine trois jours, un sondage d’eurobaromètre révélait qu’un quart des Européens, et a fortiori des Français, sont incapables de citer même le nom d'un pays parmi les dix qui sont en train de nous rejoindre. Qu’avez-vous l’intention de faire pour remédier à cela en France ?

LE PRÉSIDENT - Alors, premièrement, vous savez, cela, c’est la vie. Je voudrais savoir combien de Français sont capables de citer les noms de cinq ou six ministres ou de dix ministres. Vous seriez surpris, probablement. Ministres français, naturellement. Et a fortiori combien sont capables de citer trois ou quatre chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne, pour ne pas parler naturellement de responsables plus lointains. Donc, c’est la vie.

Qu’est-ce que l’on compte faire ? Alors, s’agissant de l’Europe et de l’Union européenne, c’est une campagne d’information forte. Et là, je crois que les pays européens ont été un peu faibles. Quand nous avons lancé l’euro, quoique que, tout de même, cette année 2002 commence avec l’euro et se termine avec l’élargissement, c’est une grande année, c’est pour cela que je parlais d’émotion tout à l’heure, mais, quand on a lancé l’euro, on a fait, je parle des pays concernés, une campagne d’explication et de mobilisation forte et d’ailleurs intelligente. Ce qui a permis aux Français et aux Européens concernés de comprendre ce qu’était l’euro, comment cela marchait et pourquoi ils avaient intérêt à avoir une monnaie commune.

Il faut reconnaître que l’élargissement, qui est une réforme aussi importante que l’euro, n’a pas fait l’objet de la même sollicitude en ce qui concerne l’explication, et je le regrette. Alors, vous avez pu observer que le gouvernement, sous l’impulsion du Premier Ministre, avec le Ministre des Affaires étrangères et le Ministre des Affaires européennes, a engagé une grande campagne d'explication, qui a commencé déjà, de façon à ce qu’on donne le maximum d’informations aux Français sur ce qu’est l’Europe d’aujourd’hui élargie.

QUESTION - Monsieur le Président, concernant la ratification des traités d’adhésion, est-ce que le gouvernement français a déjà décidé comment vous allez faire ça ? Passez-vous par référendum, passez-vous par le Parlement ? Comment allez-vous faire cela ?

LE PRÉSIDENT - Le gouvernement n’a pas encore pris sa décision dans ce domaine.

QUESTION - Monsieur le Président, je ne suis pas expert en politique française mais, en suivant la gestion de la crise iraquienne au sein du Conseil de Sécurité, la France a eu une position suffisamment différente, nuancée par rapport à la position des Etats-Unis. Egalement, dans ce sommet, nous avons remarqué que l’axe entre Paris et Berlin est encore plutôt le moteur de l’intégration européenne. Est-ce que sous votre présidence, c’est une nouvelle politique française qui se dessine au sein de l’Union européenne ainsi que, peut-être, en dehors ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, ce que vous appelez l’axe Berlin-Paris et qui ne doit pas du tout être entendu comme une espèce de volonté d’hégémonie, cet axe s’est toujours, depuis l’origine, depuis la création à six de l’Union européenne, s’est toujours avéré être le moteur sans lequel l’Europe n’avance pas. J’ai souvent eu l’occasion de le dire : l’Allemagne et la France s’entendent, l’Europe avance. Il ne s’agit pas, je le répète, d’imposer quelque chose. C’est un phénomène de nature mécanique, presque. Si la France et l’Allemagne ne s’entendent pas, l’Europe s’arrête. Donc, il n’y a pas quelque chose de nouveau.

On l’a vu très nettement à la veille du sommet de Bruxelles. Il y avait une très profonde divergence de vues et d’intérêts entre l’Allemagne et la France, portant notamment sur le financement de l’élargissement, la politique agricole commune. Alors là, il y avait deux solutions : ou bien chacun campait sur ses intérêts et sa position, ce qui était la tentation naturelle de chaque Etat, de défendre bec et ongle ses intérêts, à ce moment-là, tout était bloqué, il n’y aurait pas eu d’élargissement aujourd’hui, ce qui n’était pas très raisonnable, ou bien un accord entre l’Allemagne et la France pouvait se dessiner. Un accord à partir, disons les choses clairement, d’une poire coupée en deux, chacun faisant la moitié du chemin pour arriver à un compromis. Et, à partir de là, tous les problèmes sont réglés. L’Europe a pu continuer d’avancer et n’a plus eu qu’à régler des problèmes tout à fait naturels d’intérêts au moment de l’adhésion de chacun des nouveaux membres.

Voilà, et c’est une réalité qui existe depuis, finalement, que le Chancelier ADENAUER et le Général de GAULLE ont réalisé que la paix, la démocratie, la sécurité, la stabilité en Europe passaient d’abord et avant tout par un accord franco-allemand. Et cela a été ça, l’origine de l’Europe. Cela a été ça, l’origine de l’Europe. Ensuite, on a mis autour un peu d’Europe avec les trois pays du Benelux et l’Italie. Mais à l’origine, c’était la volonté de surmonter nos querelles passées avec ce qu’elles avaient de dramatique et que j’évoquais tout à l’heure, je le répète, compte tenu de l’élargissement, avec beaucoup d’émotion.

QUESTION - Cet après-midi, Monsieur Abdullah GUL de la Turquie s’est réjoui de la séparation, en fait, entre une solution pour Chypre et le respect des critères de Copenhague. J’ai compris que, dans les coulisses, on n’y croit pas tellement. Est-ce que c’est vraiment tenable ?

Deuxième partie de la question, est-ce que les Kurdes resteront cachés sous le respect des critères de Copenhague, de la démocratie et du respect des Droits de l’Homme ou est-ce que la France et d’autres pays vont pousser la Turquie plus ouvertement à respecter le droit du peuple kurde ?

LE PRÉSIDENT - Le respect des minorités est au premier rang des exigences de la démocratie. La Turquie a déjà fait quelques pas dans cette direction, notamment sur le plan linguistique, s’agissant des Kurdes. Mais il y a encore beaucoup à faire. Et je vous l’ai dit tout à l’heure, si la Turquie veut entrer dans l’Union, et je crois qu’elle le veut réellement, elle devra faire ses réformes, non seulement dans les textes mais sur le terrain, dans la réalité. Je ne doute pas qu’elle en ait la volonté. Mais tout ceci demande à être naturellement prouvé. D’où le délai que nous avons mis pour l’examen de la situation et la condition sine qua non pour l’adhésion du respect de l’ensemble de ces critères.

S’agissant de Chypre, je suis un optimiste, même si j’ai les yeux ouverts. Et tant que la solution n’aura pas été confirmée, je resterai un peu inquiet. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous apportons un soutien total à la proposition de l’ONU, que cette proposition me paraît raisonnable, sérieuse et équilibrée et que je pense que chacun aurait intérêt à la considérer comme telle et à l’adopter.





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