Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Président d'Égypte.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Hosni MOUBARAK, Président de la République arabe d'Égypte.

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Le Caire, Égypte, le lundi 12 novembre 2001

M. MOUBARAK - Je voudrais souhaiter la bienvenue à Son Excellence le Président de la République, qui est un ami de plus de vingt-six ans, puisque nous nous sommes rencontrés la première fois en 1975 et par la suite de nombreuses fois lorsqu'il était Premier ministre, lorsqu'il était Maire et après quand il est devenu Président de la République.

Nous avons toujours eu d'excellentes relations. Et, dans notre entretien d'aujourd'hui, nous avons discuté de nombreux problèmes, dont l'Afghanistan, le Proche-Orient et les relations bilatérales.

Nous avons discuté bien entendu de la situation au Proche-Orient, situation qui se détériore d'une façon continue, et de tous les efforts qui sont déployés afin de mettre un terme à cette détérioration, afin que la communauté internationale, les États-Unis d'Amérique, puissent ramener à la table des négociations les Israéliens et les Palestiniens pour une solution juste qui ramène le calme dans la région.

Je répète, et je le répèterai inlassablement : tant que la question du Proche-Orient ne trouvera pas une solution juste par les efforts des Américains, principalement, et de l'Europe, il y aura des générations nouvelles de terroristes qui seront peut-être encore plus féroces que celles que nous voyons aujourd'hui. Et je crains par-dessus tout que, si cette détérioration devait perdurer, nous assistions à de nombreux revers dans la région, revers de la coopération entre les pays arabes et leurs amis occidentaux.

Nous avons parlé du terrorisme et nous étions tout à fait d'accord sur le fait que l'islam n'a rien à voir avec le terrorisme, qu'aucun lien ne peut être établi avec l'islam pas plus qu'avec aucune autre religion. Mais il faudra bien, en définitive, qu'une conférence internationale sous la houlette des Nations Unies aboutisse à une convention pour la lutte anti-terroriste, afin que tous les pays, petits ou grands, s'accordent à lutter ainsi contre le terrorisme.

Nous sommes d'accord sur ce point avec le Président Jacques CHIRAC. De même -nous l'avons dit aux États-Unis-, il ne faudrait pas étendre les opérations militaires de telle sorte à les élargir à d'autres pays que l'Afghanistan, car cela pourrait être néfaste pour le monde entier. Nous avons également dit qu'après la stabilisation de la situation en Afghanistan, il faut qu'il y ait rapidement une stabilisation politique afin que les choses retournent à la normale.

Encore une fois, je vous réitère mes souhaits de bienvenue, Monsieur le Président, pour cette visite éclair de deux ou trois heures et aussi avec l'espoir que vous reviendrez nous voir pour une plus longue visite. Merci.

LE PRÉSIDENT - Avec la permission du Président MOUBARAK, je voudrais, avant de commencer ce point de presse, dire ou redire une immense tristesse à la suite de la mort de deux journalistes français, Johanne SUTTON et Pierre BILLAUD, et de leur confrère allemand en Afghanistan. Ils sont morts au service de leur vocation, de leur métier, de la vérité. Et ceci mérite un hommage particulier de chacun d'entre nous et de la nation. Je voudrais simplement dire à leurs proches, à leurs familles, à leurs rédactions, mes condoléances très, très sincères à la suite de ce drame.

Je remercie, naturellement, chaleureusement le Président MOUBARAK. C'est toujours pour moi à la fois un grand plaisir mais aussi un grand enrichissement de parler avec lui des problèmes de la région et des problèmes du monde.

Une fois encore, je constate que l'Égypte et la France se trouvent sur tous les sujets exactement sur la même ligne de réflexion et de vision. Je ne répèterai donc pas ce qu'a dit le Président MOUBARAK. Je dirai simplement que nous sommes tout à fait spontanément, profondément d'accord sur l'analyse que l'on peut faire aujourd'hui de la situation dans le monde, notamment à l'égard de la lutte contre le terrorisme.

D'abord, aucun amalgame ne peut et ne doit être fait entre le terrorisme et l'Islam. Et, de ce point de vue, les déclarations qui ont été faites dès le 11 septembre par le Président MOUBARAK, mais aussi par le Mufti de la République et le Cheikh de l'Université Al Azhar, sont tout à fait caractéristiques de ce que nous pensons. Il est essentiel que cette idée soit bien partagée dans le monde.

Deuxième réflexion, si les affaires militaires, si l'action militaire en Afghanistan est conduite par les États-Unis, et nous sommes solidaires de cette action, je parle de la France, il faut bien avoir à l'esprit qu'une solution ne pourrait être trouvée que dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies, ce qui nous conduit à deux conclusions.

La première, c'est un soutien très affirmé aux efforts engagés par l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Lakhdar BRAHIMI, pour ce qui concerne l'accélération de la mise en oeuvre d'une solution politique acceptable par tous en Afghanistan. Et, dans le même esprit, il est essentiel que l'Organisation des Nations Unies, seule à même de le faire convenablement, prenne en charge de façon très rapide et très dynamique l'accélération de l'aide humanitaire à la fois aux réfugiés et à l'ensemble de la population afghane.

Notre troisième point d'accord, c'est que l'action militaire, dont je viens de parler, doit être circonscrite à l'Afghanistan. Le quatrième point, je n'ai pas besoin de le développer, le Président MOUBARAK l'a fait dans des termes que j'approuve sans réserve. Il est essentiel, notamment pour conserver la cohérence et la cohésion de la coalition contre le terrorisme international, que le conflit du Moyen-Orient soit réglé de façon pacifique, c'est-à-dire que les deux parties, Palestiniens et Israéliens, retrouvent la voie de la négociation, la voie de la paix, la voie d'un accord sur la base des résolutions des Nations Unies et des conclusions de la Conférence de Madrid.

Sur le plan bilatéral, les relations entre nos deux pays sont excellentes. Je ne ferai que deux remarques. La première en forme de remerciements et de reconnaissance, puisqu'un Conseil, hier, au Caire, a pris définitivement la décision de la réalisation de l'université française, ici. Je tiens à exprimer au Président notre très grande reconnaissance.

Sur le plan économique, à la suite des événements, la situation de tous les pays est préoccupante. C'est vrai en particulier pour l'Égypte dont un certain nombre de revenus, en particulier ceux qui sont liés au tourisme, ont beaucoup diminué. J'observe que les investisseurs français, qui sont des gens prudents, investissent aujourd'hui de plus en plus et font de plus en plus confiance à l'Égypte. Je crois qu'ils ont raison. Et je crois qu'on ne peut qu'encourager les investisseurs du monde entier à investir en Égypte.

Deuxièmement, compte tenu des charges exceptionnelles qui sont les siennes, il est certain que l'Égypte doit faire l'objet d'une solidarité internationale que nous ne pouvons pas récuser. Voilà, j'ai terminé et je peux répondre aux questions.

QUESTION - Une question pour les deux Présidents. Quel est selon vous le moyen dont vous disposez, s'il y en a un, de faire comprendre à George BUSH que, s'il continue à soutenir aveuglément Israël et M. SHARON, on va à la catastrophe générale ?

M. MOUBARAK - J'ai beaucoup parlé à ce sujet. Je continue de dire que, s'il n'y a pas de solution satisfaisante pour toutes les parties concernant la question du Moyen-Orient, et nous ne mettons pas de conditions spécifiques, mais si la situation n'est pas satisfaisante pour tout le monde, eh bien, c'est au bord du gouffre qu'on mène la région.

C'est pour cela que je pense qu'une telle action pour la paix doit être à la fois efficace, concrète, palpable pour tous les citoyens, qu'ils comprennent qu'il y a un espoir à travers une vie stable, sinon c'est vraiment le désastre pour Israël et pour toute la région.

LE PRÉSIDENT - Je partage tout à fait à la fois l'inquiétude et le sentiment du Président MOUBARAK. Naturellement, il n'y a pas de lien direct entre le conflit au Moyen-Orient et le terrorisme international. Je suis tout à fait certain que BEN LADEN n'attache strictement aucune importance au sort des Palestiniens et c'est une imposture de dire cela. Mais ce qui est vrai, c'est que la situation au Moyen-Orient, les images qu'on en voit tous les jours à la télévision, alimentent une humiliation pour certains, une rancoeur pour d'autres, une révolte enfin, qui ne peuvent que mettre en cause la cohérence et la cohésion de notre coalition. Or la lutte contre le terrorisme international est une lutte qui sera longue, qui sera difficile et qui est un élément nouveau mais incontournable de la gestion des affaires du monde pour demain.

QUESTION - Les agences de presse parlent de nouvelles idées françaises et britanniques pour relancer le processus de paix. Vous avez été vous-même, Monsieur le Président, aux États-Unis, vous en avez parlé certainement au Président BUSH. Quel est l'intérêt que le Président BUSH a prêté à ces idées françaises, parce qu'on a le sentiment, à écouter le discours prononcé par le Président BUSH devant l'Assemblée générale des Nations Unies, qu'il n'y a pas d'idées nouvelles qui apparaissent dans ce discours et que la rue arabe et palestinienne, en tout cas, ressent une très grande frustration ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas l'habitude de faire de commentaires sur les entretiens que j'ai avec un chef d'État. Ce que je peux vous dire simplement, c'est que j'ai exprimé au Président BUSH à la fois notre inquiétude, celle du Président MOUBARAK, la mienne, sur la situation actuelle au Proche-Orient et sur la nécessité d'avoir une nouvelle conférence de la paix, une table de la paix qui comprendrait à la fois les États-Unis, bien sûr, l'Union européenne aussi, puisque les États-Unis le souhaitent, mais également et naturellement, les Nations Unies, c'est à dire le Secrétaire général, l'Égypte et la Jordanie et puis la Russie, en tant que co-parrain du processus de paix. Et ceci suppose une action préalable qui est de convaincre les deux parties palestinienne et israélienne d'accepter ce processus. Et de ce point de vue, il faut reconnaître que les Américains sont sans aucun doute les mieux placés pour obtenir cet accord de la part des Israéliens. Je souhaite qu'ils l'obtiennent car je crains fort les conséquences d'une poursuite de la crise qui se développe aujourd'hui au Moyen-Orient.

QUESTION - Est-ce que vous croyez que les États-Unis, en refusant d'ouvrir les portes de la Maison Blanche au Président palestinien Yasser ARAFAT, font en ce moment ce qu'il faut pour encourager ou engendrer une solution ? Et est-ce que vous croyez que la France et l'Égypte sont capable d'amener les États-Unis à chercher une solution pour le Proche-Orient en même temps que l'on cherche à régler la crise en Afghanistan, une solution politique en Afghanistan ?

M. MOUBARAK - Il nous faut bien tenter par tous les moyens de parvenir à cet objectif sans que nous soyons pour autant assurés du succès. Mais il faut quand même déployer des efforts. Le fait, pour le Président BUSH, de ne pas rencontrer ARAFAT peut être dû à des raisons ponctuelles mais il faudra bien en définitive qu'il le rencontre un jour. Cela me rappelle le moment où le Président CLINTON avait proposé ce qu'on avait appelé le "package deal", le paquet global, comme solution et qu'il avait dit : "c'est à prendre ou à laisser". J'avais réussi par des efforts de bon sens à convaincre le Président CLINTON de rencontrer ARAFAT, d'écouter ses remarques, ce qui avait abouti par la suite à la rencontre de Taba. Et je pense que, même en dépit de toutes les déclarations qui vont dans le sens d'une non-rencontre, je pense que le Président BUSH rencontrera un jour ARAFAT. Maintenant, si Israël pense le contraire et attend qu'ARAFAT soit remplacé par un autre dirigeant pour négocier, eh bien, je peux vous dire que c'est là une illusion totale. Après ARAFAT, cela sera encore plus difficile de négocier, pas un seul Palestinien n'acceptera de faire les concessions qu'il ne fait pas.

QUESTION - Une idée fait son chemin actuellement en Israël suivant laquelle il faudrait commencer par Gaza, ce qu'on appelle "Gaza first", c'est-à-dire établir un État palestinien d'abord à Gaza et puis étendre ensuite cette étape vers la Cisjordanie. Est-ce que vous pensez que cette idée, défendue notamment par PERES, mérite d'être examinée ou bien qu'il ne faut pas s'attarder à ce genre d'idées ?

M. MOUBARAK - Votre idée est une idée, mais ce n'est pas à moi de me prononcer, ce sont les ayants droit eux mêmes qui pourront se prononcer sur la question en disant oui ou non. Ce sont eux qui ont la parole, ce sont eux qui pourront le dire. Personnellement, je pense que le fait de reporter cette question aux calendes grecques, pour ainsi dire, est très dangereux car il n'y a pas seulement la question de l'État, il y a la question de Jérusalem, des Lieux Saints et le report d'une telle question est extrêmement dangereux.

LE PRÉSIDENT - Je partage le sentiment exprimé par le Président MOUBARAK.

QUESTION - Monsieur le Président, je voulais connaître la position française sur l'élargissement des opérations de la coalition. Si on continue d'élargir et d'étendre les opérations de la coalition, vous aurez des réserves ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons, je vous le disais tout à l'heure, une position commune, le Président MOUBARAK et moi-même, qui fait partie des quatre conclusions que j'évoquais au début de mon propos. Nous considérons que l'action militaire devait être strictement circonscrite à l'Afghanistan.

M. MOUBARAK - Merci.





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