Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères à l'issue du Conseil européen.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre et de M. Hubert VEDRINE, ministre des Affaires étrangères à l'issue du Conseil européen.

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Göteborg, Suède, le samedi 16 juin 2001

LE PRÉSIDENT - Bien ! Avec hélas un petit peu de retard, comme toujours, nous allons à la fois vous informer et répondre à vos questions.

Ce Conseil européen, d'abord, avant d'en venir à l'essentiel, a été marqué par de très violentes manifestations. Et au moment où nous nous réunissons pour faire progresser l'Europe, pour promouvoir la paix, pour défendre l'environnement, pour enraciner la démocratie sur l'ensemble du continent, il est consternant de voir que des groupes organisés recourent à la violence pour la violence.

Le comportement de ces casseurs est évidemment à l'opposé de toutes les valeurs humanistes qu'incarnent aujourd'hui, pour l'essentiel, les peuples européens. Ceux qui entendent progresser dans la construction européenne, ceux qui attendent avec impatience d'entrer dans cette Union européenne.

Alors, dans ces circonstances, je pense d'abord à tous ceux qui ont été blessés, parfois grièvement, et notamment aux officiers de police suédois. Et je voudrais, au nom de la France, exprimer ma sympathie à tous les habitants de Göteborg, qui s'étaient réjouis d'accueillir un sommet important, un sommet qui avait pour ambition de faire un progrès important dans le sens de l'élargissement, de l'environnement, de l'emploi, et qui ont été victimes de saccages. Je voudrais leur dire que nous sommes désolés et leur exprimer notre amitié.

Ce Conseil européen avait des questions importantes à aborder, et il a permis aux Européens de progresser dans un certain nombre de domaines et surtout d'affirmer leur unité, ce qui est évidemment essentiel. Ce fut le cas lors de notre dîner du premier soir, jeudi, avec le Président américain. Nous avons eu avec lui une conversation très ouverte, et même très agréable, sur un point qui, pour nous Européens, était essentiel, celui de la lutte contre le réchauffement planétaire.

Nous avons clairement et unanimement exprimé notre position et nous lui avons dit combien nous estimions indispensable de mettre en oeuvre le Protocole de Kyoto, tel que prévu. J'espère qu'il sera tenu compte de notre détermination unanime.

Après ce que j'ai évoqué sur la modification climatique, j'en profiterai pour dire que, conformément à ce qu'a souhaité une présidence suédoise qui, de notre point de vue, a été un grand succès et qui se déroulait dans les meilleures conditions possibles, qui a été conduite avec beaucoup d'intelligence et d'esprit de solidarité, de recherche de compromis positifs, ce sommet restera important sur le plan de l'environnement, parce que l'Union a jeté les bases d'une véritable stratégie de développement durable.

Nous avons adopté les principes, pas les modalités, naturellement, que nous n'avons pas eu le temps d'étudier, mais les principes, dans ce domaine, élaborés par la Commission et qui nous ont été transmis il y a une quinzaine de jours à peine. Et, au-delà, l'ambition, c'est bien de faire un pas important supplémentaire dans la définition d'un modèle de développement européen.

Pendant longtemps, l'Europe a été politique et technique, petit à petit elle est devenue économique et financière. Sur le plan économique, elle a progressé, depuis quelques années, notamment dans le domaine de l'harmonisation de nos économies et elle progresse, j'y reviendrai d'ailleurs d'un mot tout à l'heure, elle a depuis quelques années, intégré les exigences sociales de façon à affirmer un véritable modèle social européen. Et maintenant, elle vient d'intégrer la dimension écologique, environnementale, ce qui, économique, social, écologique, environnemental, nous donne vocation à élaborer ensemble un véritable modèle européen de développement.

Et, de ce point de vue, Göteborg aura été important. Le Conseil européen, naturellement, a examiné les conséquences du vote des Irlandais lors du dernier référendum, la semaine dernière. Nous avons écouté avec beaucoup d'intérêt les explications de M. AHERN, le Premier ministre irlandais. Nous avons naturellement manifesté notre respect à l'égard de la position de nos amis irlandais et à l'égard du vote du peuple irlandais. Mais nous avons également réaffirmé avec beaucoup de clarté, comme l'avaient fait les ministres il y a deux ou trois jours au dernier Conseil des affaires générales, notre refus unanime de rouvrir le Traité de Nice, notre volonté de poursuivre les procédures de ratification du Traité de Nice dans les délais prévus, et vous savez que pour la France c'est maintenant très proche, notre détermination à ce que l'élargissement ne subisse aucun retard.

L'élargissement a été en effet au coeur de nos travaux à Göteborg et je dois dire que la présidence suédoise a fait dans ce domaine comme dans les autres un travail tout à fait remarquable. Elle a clôturé un nombre considérable de chapitres de négociations et, au fond, je crois qu'on pourra dire qu'à Göteborg a été clairement affirmé le caractère définitif, irréversible, de l'élargissement. Je crois que cela sera l'une des dates-repères de l'histoire de l'Union européenne, de ce point de vue.

Et cela nous a permis d'adresser un message très clair et fort aux pays candidats qui, d'ailleurs, -comme vous le savez nous avons déjeuné avec eux aujourd'hui- se sont exprimés, tous. Ils ont parfaitement compris, ils ont parfaitement intégré cette dimension de nos travaux de Göteborg qui, pour eux, évidemment, revêt une importance tout à fait particulière, car n'étant pas toujours initiés aux détails des réflexions de l'Union, ils avaient été inquiets ces derniers temps, avec les résultats du référendum d'Irlande.

Alors, s'agissant de l'avenir de l'Union, la présidence nous a présenté l'état d'avancement du débat dans les États membres, et les choses sont bien lancées. Vous savez que la France, d'ailleurs, par les initiatives qu'elle a prises pour ce qui concerne le débat tant au plan national qu'au plan local, est, je dirai, en avance. Et nous pourrons comme prévu, lors du sommet de Laeken en Belgique, prendre les décisions nécessaires pour la préparation de la conférence de 2004.

Nous avons également adopté, je l'évoquais tout à l'heure d'un mot, les grandes orientations de politique économique de l'Europe. Au moment où nous connaissons un certain ralentissement économique en Europe, comme d'ailleurs aux États-Unis et dans le monde, nous avons demandé que l'Europe, nous, Français, avons demandé que l'Europe apporte une réponse collective et que nous mettions nos forces en commun, en coordonnant plus efficacement nos politiques, pour mieux faire face et pour préserver notre croissance, et donc nos emplois, autant que faire se peut bien entendu.

Ensuite, on a parlé de la sécurité, de la sécurité dans son ensemble. Dans ce domaine, le Conseil de Göteborg aura marqué probablement une date qui, à mes yeux, est tout à fait essentielle puisque c'est la prise de conscience politique de la nécessité de lutter efficacement contre un mal aussi sournois que dangereux qu'est la prolifération, en particulier dans le domaine balistique. Et donc, c'est à Göteborg qu'on a pris conscience collectivement de l'impérieuse nécessité de lutter contre la prolifération et notamment contre la prolifération balistique, c'est-à-dire la prolifération des missiles. Les Quinze ont aujourd'hui, aujourd'hui même, clairement marqué la priorité qu'ils lui accordaient. Il y a évidemment un certain nombre de propositions pour faire face à la prolifération des missiles. Il y a les propositions américaines, sur lesquelles nous avons naturellement ouvert le dialogue et que nous pouvons comprendre, même si, vous le savez, nous avons a priori un certain nombre de réserves à faire valoir. Mais nous ferons ça dans le cadre de la discussion avec nos alliés américains.

Il y a aussi un autre moyen de lutter contre le danger dans ce domaine, c'est de lutter contre la prolifération. Et les Quinze ont aujourd'hui clairement marqué, à Göteborg, la priorité qu'ils accordaient à la prévention. La prévention, cela veut dire moins d'armes et donc plus de confiance et moins de danger. Et nous avons repris une proposition, l'ensemble des Quinze ont repris une proposition française, que j'avais récemment présentée, le 8 juin dernier, devant l'IHEDN. Il s'agit de rendre universel le code de conduite du MTCR, et une conférence internationale pourra y être consacrée. Il s'agit en réalité de créer un nouvel instrument efficace, contraignant, international, de lutte contre la prolifération. Et je vous renvoie à la déclaration qui a été adoptée à ce sujet.

Enfin, nous avons évoqué la Macédoine et le Moyen-Orient.

Pour la Macédoine, la situation a été évoquée avec beaucoup de préoccupation, vous l'imaginez. Nous avons entendu un excellent exposé de Javier SOLANA, qui revient de Skopje où il a fait un travail remarquable. Nous l'avons félicité. Mais le cessez-le-feu est extrêmement fragile. Le dialogue politique entre les parties est également extrêmement fragile et il faut éviter une dégradation de la situation qui pourrait conduire à une crise ouverte en quelques jours ou en quelques semaines.

Alors, nous avons décidé d'agir de manière aussi forte que possible, notamment par le biais du Haut Représentant, dans la recherche d'une solution politique. Depuis dix ans, la Macédoine a été un exemple de cohabitation, de coexistence interethnique dans les Balkans. Il faut qu'elle retrouve cette voie en faisant notamment échec à l'action des extrémistes et en engageant un véritable processus de réformes politiques permettant aux albanophones, même s'ils ont des problèmes d'intégration, même des problèmes culturels, qu'on peut parfaitement comprendre, d'occuper une place qui soit conforme à leur dignité dans la société macédonienne.

Alors, pour renforcer son action, l'Union a décidé de nommer un Représentant permanent, pour quelques mois, à Skopje. Représentant permanent qui sera naturellement sous l'autorité générale du Haut Représentant, c'est-à-dire de M. SOLANA. Et lorsque cette décision a été prise, vous la retrouverez naturellement dans les documents qui vous ont été remis, la France a proposé la candidature de M. François LÉOTARD, ancien ministre de la Défense. Cette candidature sera examinée lors du prochain CAG qui a lieu dans quelques jours et j'ai tout lieu de penser naturellement qu'elle sera adoptée.

Enfin, sur le Proche-Orient, la présidence suédoise qui s'était, comme vous le savez, avec M. SOLANA, rendue sur place, nous a rendu compte de sa mission. La situation est évidemment, là aussi, je ne vous apprends rien, extrêmement fragile. Et, nous en avons parlé avec le Président américain, l'action de l'Union européenne, en liaison bien sûr avec les États-Unis, vise deux objectifs : le premier, c'est de consolider la trêve et de transformer la trêve en un véritable cessez-le-feu. Le second objectif, c'est d'assurer au plus tôt la mise en oeuvre du rapport Mitchell pour parvenir à un apaisement durable. Sur ce dossier, bien sûr, l'Union européenne est beaucoup plus présente aujourd'hui qu'elle ne l'était hier avec l'ancienne administration américaine. Elle est devenue aujourd'hui, je crois qu'on peut le dire, un acteur reconnu. Et bien entendu, elle mettra tous ses moyens à la disposition de la paix dans cette région comme dans les autres.

Voilà ce que je voulais vous dire. Monsieur le Premier ministre ?

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs, je prolongerai le compte-rendu et la réflexion du Président sur quelques points seulement.

D'abord, je voudrais dire que je partage le sentiment qu'il a exprimé à l'égard des violences qui se sont produites à Göteborg.

Nous avons constaté que ce phénomène de manifestations souvent de plus en plus violentes à l'occasion de sommets internationaux, mais maintenant de sommets européens tendent à se développer et c'est un objet de préoccupations. Quand des gouvernements légitimes de pays démocratiques se réunissent pour parler des problèmes de leurs peuples pour tenter d'y trouver des solutions, rien naturellement ne peut justifier l'utilisation de telles violences.

Je crois qu'il serait sage que personne ne manifeste de la complaisance à l'égard de tels phénomènes. Bien sûr il faut distinguer totalement ceux qui, pacifiquement et souvent en nombre, veulent exprimer des sentiments, des protestations, des interpellations, le font de façon pacifique et démocratique, encore qu'ils peuvent être amenés à se poser la question de la confusion entre leur légitime expression et le dévoiement que donnent à leur expression, sans qu'ils en soient responsables, ces manifestations extrêmement violentes, et puis il faut effectivement stigmatiser ces comportements de petits groupes, il faut donc être ouvert à l'expression des uns, d'ailleurs la présidence suédoise l'avait été, avait noué des dialogues encore ces dernières heures, et il faut faire face avec une absolue détermination au comportement et aux agissements des autres.

Je crois que c'est vraiment notre détermination commune, nous en avons parlé, entre les quinze et nous aurons à en tirer des conclusions. Et ceci d'autant plus que finalement ce n'est pas les sommets qui sont empêchés, nous, nous pouvons faire notre travail, mais ce sont des simples citoyens qui sont agressés, blessés, attaqués dans leurs biens et pris, en quelque sorte, en otage.

En ce qui concerne l'élargissement, il est frappant ...

LE PRÉSIDENT - ...C'est très, très juste, cela. On est vraiment dans l'absurdité la plus totale. Parce que nous ne nous sommes aperçus de rien. Nous avons travaillé comme si de rien n'était. Ce sont de pauvres gens qui sont victimes de ces choses.

LE PREMIER MINISTRE - En ce qui concerne l'élargissement, ce qu'on peut noter d'abord, c'est que justement des peuples aspirent à nous rejoindre, ils aspirent à rejoindre cette communauté d'États pacifique, démocratique, qui recherche la prospérité.

Le problème n'est pas tant, on en parlait encore au déjeuner avec nos partenaires, avec les pays candidats, le problème n'est pas tant d'unifier l'Europe, parce que l'Europe est unifiée désormais, politiquement elle n'est plus séparée, le problème est de rassembler des pays européens venant d'un autre espace dans une même communauté, et c'est ce qui fait au fond la difficulté, mais aussi le caractère passionnant du processus qui a été engagé.

De ce point de vue, nous avons, comme l'a dit le Président, voulu dans ce sommet de Göteborg adresser un message politique fort de soutien aux pays candidats, leur dire que le processus était irréversible et nous avons d'ailleurs constaté que les progrès dans les négociations, pour beaucoup de pays étaient extrêmement sérieux. Nous avons fixé un horizon temporel, une clôture possible des négociations fin 2002 pour les pays qui sont prêts avec comme objectif, vous le savez, une participation aux élections législatives européennes de 2004, et le fait d'avoir fixé symboliquement cette perspective de 2002 pour ceux qui sont prêts a été ressentie comme quelque chose de très fort par les pays candidats qui participaient au déjeuner aujourd'hui.

Mais cela ne veut pas dire que les pays candidats doivent relâcher leurs efforts, et les conclusions précisent bien que seuls ceux qui sont prêts pourront adhérer, si les progrès accomplis se poursuivent. Nous avons insisté nous-mêmes sur le caractère global des négociations pour dire que tous les sujets en question devaient être traités, aussi bien les questions de libre circulation des personnes ou des travailleurs, que les questions d'environnement, de normes ou les questions agricoles par exemple.

Sur le développement durable, je crois vraiment que le Président a tout dit, la France souscrit aux priorités retenues, mais le travail fait par la commission était tout récent, il nécessite une analyse technique, une expertise au niveau des États nationaux et de nos services, c'est pourquoi la première conclusion est une conclusion qui appuie les orientations et qui propose une méthodologie pour traiter ces questions.

Il a été important de constater à propos de Kyoto et du protocole que l'Union était restée unie et déterminée face aux États-Unis qui devront rechercher, d'ici Bonn, comment, puisqu'ils disent partager les mêmes objectifs, the same goal, comment ils pourraient à leur façon y souscrire. L'Union s'est engagée à ratifier le protocole de Kyoto.

Sur les questions économiques, je ne reprends pas ce qu'à dit le Président en insistant sur les grandes orientations de politiques économiques, les " Gope ", parce que vous savez qu'elles représentent pour la France un élément clé de la coordination des politiques économiques européennes sur le continent, mais je marquerai peut être un point, c'est que nous sommes revenus aussi au nom de la France sur le paquet fiscal, nous avons eu un peu l'impression, malgré tous les pas faits sous la présidence suédoise que les négociations techniques peut-être piétinaient un peu, et nous avons rappelé et obtenu que soit rappelé le caractère prioritaire de ce dossier dans les travaux communautaires.

C'est également une question que nous avons abordée, que j'ai abordé, dans le dîner avec le Président BUSH, jeudi soir, car nous avions été préoccupés par le changement de position qu'avait été celui des États-Unis à l'égard des travaux dans l'OCDE, et peut être même à l'égard des travaux du GAFI, ceci d'autant plus que les Américains co-présidaient avec nous ces travaux, et ce retournement nous a beaucoup préoccupé. Nous avons dit au Président BUSH qu'un pays qui se préoccupait aussi légitimement que les États-Unis des problèmes de la drogue, des problèmes du terrorisme, des problèmes de la criminalité internationale, ne pouvait pas se désintéresser de la lutte contre le blanchiment de l'argent sale, parce que c'est par-là souvent que passait le financement de cette grande forme de criminalité ou de menace, nous espérons bien que la délégation américaine aura peut être mieux pris conscience de cette nécessité.

Je terminerai simplement en disant, ce que je crois vous savez, que j'ai saisi l'occasion de ce conseil pour rencontrer la commissaire Margot WALLSTRÖM, commissaire à l'environnement, pour évoquer avec elle les problèmes de la chasse, car notre objectif sur la base de la loi qui a été votée avec une très grande majorité, c'est de sécuriser juridiquement ce dispositif en vue de la prochaine campagne, le dialogue est amorcé avec la commission, j'espère qu'il sera positif.

Campagne de chasse... J'ai vu des sourires, c'est pourquoi je me suis permis de...

QUESTION - Le Premier ministre espagnol a dit aujourd'hui qu'il y a des pays de l'Union européenne qui sont plus ouverts à l'élargissement et d'autres qui ont plus de résistance à l'élargissement. On l'a interrogé sur les difficultés de la France et de l'Allemagne à établir une date limite pour clôturer les négociations de l'élargissement. Que pensez-vous de ces questions ?

LE PRÉSIDENT - Attendez, je crois qu'elles ne se posent plus. Le Premier ministre vient tout à l'heure de dire très clairement les décisions qui avaient été prises par le Conseil et qui sont des décisions à la fois sages pour l'Union et encourageantes pour les pays candidats. Et, en fixant la date de 2002 dans les conditions qu'évoquait à l'instant le Premier ministre, je crois que la question ne se pose plus et nous nous en réjouissons.

QUESTION - Monsieur le Président, on a vu que, ce matin, vous avez eu un aparté avec le Premier ministre suédois à propos des bruits, clameurs et dégâts causés hier par des manifestants. Que lui avez-vous dit et est-ce qu'il y a des mesures prévues pour les pays organisateurs de conférences internationales ? Après Seattle, Prague, Göteborg et peut-être demain Gênes, finalement, les terroristes en herbe sont très menaçants.

LE PRÉSIDENT - Alors, premièrement, j'ai ce matin, effectivement, eu un bref entretien avec le Premier ministre suédois, il est vrai que c'était juste avant le commencement du Conseil. Je voulais lui dire toute notre sympathie, amitié, compréhension, compassion face aux incidents qui étaient intervenus et je voulais lui demander également de faire connaître à tous les blessés, notamment aux blessés de la police, de faire connaître aux gens qui avaient été soit agressés dans leur personne, soit dans leurs biens, nos regrets, notre sympathie, notre amitié. Voilà.

Pour ce qui concerne le phénomène en général, le Premier ministre l'a parfaitement défini à l'instant et j'y souscris sans réserve. Il y a d'une part, je dirai, des manifestants qui viennent apporter un point de vue. Et ces manifestants, la conclusion que je tire de tout cela, c'est qu'il faudra, comme nous disait à l'instant le Premier ministre, que nous ayions la capacité, avant les réunions, d'avoir avec eux un dialogue convenable. C'est vrai que le Premier ministre suédois a amorcé ce dialogue depuis deux jours, mais il faut prendre en compte ce besoin de dialogue, je dirai, de la société civile. Cela va d'ailleurs tout à fait dans le sens de l'évolution des choses, y compris le débat que nous organisons au sein des Quinze pour dire quelle est l'Europe que nous ne voulons pas, non seulement les responsables ou les élus, mais nous, les peuples. Donc, cela va tout à fait dans ce sens. Et là, c'est un problème de dialogue, d'organisation et de systématisation du dialogue.

Et puis, je le répète, mais enfin le Premier ministre l'a déjà dit, je n'ai pas besoin de le répéter, il y a les casseurs et, pour ceux-là, il faut se donner les moyens de les empêcher de casser.

QUESTION - Dans le communiqué final, il y a quelques lignes sur l'Algérie. L'Union européenne a toujours considéré le problème algérien comme un problème interne. Est-ce qu'il y a des changements dans la position de l'Union européenne vis à vis de l'Algérie et quel sera le rôle de la France là-dedans ?

LE PRÉSIDENT - Peut-être que le ministre des Affaires étrangères...

M. VÉDRINE - Nous sommes arrivés ici, à Göteborg, naturellement très préoccupés par les événements d'Algérie et nous avons constaté que toutes les délégations avaient le même sentiment. Un sentiment de préoccupation, d'inquiétude, devant les événements et l'ampleur qu'ils prenaient. Nous nous sommes donc tout naturellement et très facilement mis d'accord pour exprimer ce sentiment d'inquiétude, d'attention, de préoccupation, pour appeler les autorités algériennes à une initiative politique, comme il est dit dans ce communiqué, et pour rappeler, parce que nous voulons que cette démarche soit positive, naturellement, et ouverte, la disponibilité de l'Union européenne à accompagner tout effort de l'Algérie pour poursuivre les réformes et la modernisation.

Donc cela s'est fait en quelque sorte naturellement, en réaction à ces événements.

LE PRÉSIDENT - Nous sommes très attentifs à cette situation à Alger. Il y a, chacun le sait, je dirai, quelque chose de charnel entre l'Algérie et la France. Ne serait-ce que parce que nous avons un grand nombre de français ou d'étrangers résidant en France originaires d'Algérie. Donc nous sommes toujours très sensibles à ces problèmes et nous ferons tout, comme vient de le dire le ministre, pour essayer de faire que les choses évoluent au mieux.

QUESTION - J'ai deux questions. Une question pour Monsieur CHIRAC et une question pour Monsieur JOSPIN. Déjà, à Nice, il y avait une décision de principe de tenir les Conseils européens plutôt à Bruxelles qu'à des endroits différents. Est-ce qu'on va essayer de réaliser ce projet plus vite, maintenant, après ce que nous avons vécu à Göteborg ? Et, pour Monsieur JOSPIN, parmi les manifestants qui ont manifesté de manière violente à Göteborg, hier, il y avait des jeunes trotskistes suédois. Alors, est-ce que cela a été une action violente, pensez-vous que c'est une action politique ou purement agressive ?

LE PRÉSIDENT - Sur la première partie de la question : nous n'allons pas changer nos décisions ou nos habitudes parce que 200 casseurs venus des différents pays européens se sont précipités à Göteborg pour casser. Nous avons décidé, à Nice, que nous nous orienterons vers un système où la majorité, ou la totalité, tout cela n'est pas encore défini dans le détail, des Conseils auraient lieu à Bruxelles. Pour des raisons de commodité qui n'ont rien à voir, naturellement, avec la sécurité. Pour des raisons de commodité. Nous n'avons l'intention ni de changer cette décision ni d'accélérer sa mise en oeuvre, qui se fera petit à petit.

LE PREMIER MINISTRE - Il me semble m'être exprimé de façon très claire sur la violence tout à l'heure.

QUESTION - Sur le Proche-Orient, Monsieur le Président, le communiqué final entre la présidence américaine et l'Union européenne a accepté un rôle politique de l'Union au Proche-Orient. Est-ce que le fait qu'on travaille avec les Américains et les Européens va permettre à l'Europe d'avoir plus de poids pour parvenir à apaiser la situation ?

LE PRÉSIDENT - Je le pense. La situation au Moyen-Orient est complexe. Complexe au niveau, naturellement, de ses relations politiques, mais complexe au niveau des réactions des peuples palestinien et israélien, très profondément marqués par des phénomènes qui, généralement, engendrent l'irrationnel et qui sont la peur et l'exaspération. Alors, j'espère que nous ne serons pas de trop, Européens et Américains, pour essayer de faire entendre la voix de la raison et de la paix. En tous les cas, nous ferons, nous, le maximum, dans les conditions que j'évoquées tout à l'heure, pour aller vers l'apaisement, puis vers le retour à la table des négociations.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, vous venez de parler, à propos de l'élargissement, du caractère global des négociations. La Hongrie vient de signer pour cinq ans, voire deux ans, à propos de la liberté de circulation des personnes et des travailleurs. Est-ce que c'est un modèle pour les autres pays et quelles sont les contreparties de ce système qui va être réservé aussi aux travailleurs de l'Union ?

LE PREMIER MINISTRE - Oui, il y a deux idées importantes qui sont rappelées dans le communiqué, parce qu'elles président au déroulement de ces négociations. C'est l'idée de la globalité de la discussion qui est d'ailleurs un concept, un principe que l'on retrouve dans d'autres négociations. Je pense aux négociations, à l'OMC, par exemple, à l'Organisation mondiale du commerce, ce qui veut dire que tant qu'on ne s'est pas mis d'accord sur tout, il n'y a d'accord définitif sur rien. Et donc, ce n'est pas parce que les différents chapitres de la négociation sont discutés chronologiquement, qu'on peut considérer qu'un problème étant résolu, la libre circulation, par exemple, par la définition d'une période de transition, on ne se préoccuperait pas des questions qui n'ont pas encore été traitées dans la négociation. Je pense, par exemple, aux questions agricoles. Donc, cette approche de la globalisation est absolument nécessaire, et elle est reconnue par tous nos partenaires. Et puis, il y a une autre idée qui est celle de la différenciation, c'est-à-dire que même si nous avons fixé cet objectif d'une négociation pouvant s'achever à la fin 2002, c'est pour les pays qui seront prêts. C'est-à-dire que ce n'est pas sur un critère politique que nous fixons cette date, ce n'est donc pas une date butoir en quelle que sorte, c'est pour ceux qui sont prêts, et là on retrouve l'idée de la différenciation. Alors je crois qu'autour de ces méthodes, il n'y a pas de difficultés particulières à traiter le problème hongrois ou le problème polonais, du moment que ce sont les mêmes critères qui prévalent, et entre les quinze, le souci de l'équité entre les préoccupations des uns et des autres.

QUESTION - Pendant la visite du Président BUSH, on a eu parfois le sentiment que les Européens étaient parfois, si j'ose dire, un peu bluffés par la personnalité et la force de persuasion du Président américain, notamment à propos de la défense antimissiles et du réchauffement climatique. D'où ma question : est-ce que vous ne pensez pas que les Européens font encore parfois preuve de beaucoup de pusillanimité vis-à-vis de l'Amérique ?

LE PRÉSIDENT - Je trouve que le mot est mal choisi. En tous les cas pour ce qui concerne la France. On nous accuserait plutôt du contraire, aussi bien de ce côté que de l'autre côté de l'Atlantique. Ceci étant, nous ne devons être ni arrogants, ni pusillanimes. Et nous avons en la personne du Président américain, l'ancien comme l'actuel, un partenaire que nous respectons parce qu'il représente un peuple qui est profondément, et depuis toujours, notre ami et qui partage avec nous les mêmes valeurs essentielles, et pour ce qui concerne l'organisation du monde, de la paix, de la démocratie et de la sécurité. Alors voilà. Moyennant quoi, nous n'avons pas du tout le sentiment de devoir nous incliner devant le Président américain. Nous n'avons pas non plus la moindre intention d'être à son égard agressifs et nous avons eu des entretiens très agréables avec lui.

LE PREMIER MINISTRE - Si je pouvais ajouter deux petites notations, je dirais que si vous aviez assisté à ce dîner, je ne pense pas que vous auriez eu ce sentiment. Le dîner a été tout à fait cordial. Moi, j'ai été frappé de voir la netteté avec laquelle le point de vue de beaucoup, de presque tous les pays européens avait été exprimé.

La deuxième notation que je ferais, c'est que c'était quand même intéressant, peut-être parce que le Président BUSH n'avait pas, par ses fonctions antérieures la même expérience internationale ou la même connaissance de l'Europe que certains de ces prédécesseurs, cela à quand même été intéressant de voir que le Président BUSH, sur l'invitation du Président PERSSON, est venu de lui-même, en Europe, pour rencontrer tous les dirigeants européens. À d'autres époques, on voyait les dirigeants européens, qui iront bien sûr aux États-Unis, dont certains y ont déjà été, le Président de la République lui-même, mais avant d'ailleurs l'intronisation effective de M. BUSH, on voyait les pays européens se succéder. Cette démarche nous a paru être intéressante et peut-être un symbole un peu contraire à celui que vous sembliez suggérer, non pas comme symbole mais comme tonalité.

QUESTION - Dans le cadre d'un rôle plus important de l'Union européenne au Proche-Orient, est-ce que l'Union européenne, aujourd'hui, est prête à utiliser des pressions économiques pour convaincre Israël de lever le bouclage et de geler les colonies ?

LE PRÉSIDENT - Vous verrez la déclaration commune que nous avons faite sur ce point, elle est très claire. Nous ferons tout ce qu'il est convenable de faire, dans l'équilibre nécessaire, pour apporter notre contribution à la paix dans cette partie du monde à laquelle nous sommes très attachés.

Je vous remercie.





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