Point de presse conjoint du Président de la République et du Président de Lituanie.

Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Valdas ADAMKUS, Président de la République de Lituanie.

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Vilnius, Lituanie, le jeudi 26 juillet 2001

M. ADAMKUS - Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les journalistes,

Aujourd'hui je suis très heureux parce que je peux saluer le Président de la République française en Lituanie. Je me réjouis aussi du fait que sa visite soit d'une très grande importance pour nous.

À l'heure actuelle, en Europe, il y a beaucoup d'événements de grande portée. Nous constatons qu'il y a des problèmes en Europe qui la bouleversent. Mais une chose est absolument sûre, l'Europe est en train de se construire, l'Europe est en train de s'unir et la Lituanie est tout à fait résolue à rejoindre l'Europe à apporter sa contribution au renforcement de la démocratie en l'Europe.

La venue du Président de la République française nous conforte dans notre position et renforce notre détermination européenne. Et je remercie le Président d'avoir témoigné une si grande bienveillance à l'égard de la Lituanie. Nous avons parlé avec le Président de toute une série de questions qui sont actuelles pour les deux pays et je peux dire que nos positions, nos avis convergent sur pratiquement toutes ces questions. Et je crois que nous pourrons poursuivre nos contacts et notre coopération dans le même esprit. Je remercie encore une fois le Président d'être venu en Lituanie.

Maintenant je donne la parole à Monsieur le Président de la République française, Monsieur Jacques CHIRAC.

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je tenais tout d'abord à remercier chaleureusement le Président ADAMKUS pour la chaleur de son accueil.

J'avais eu l'occasion de le recevoir deux fois à Paris depuis 1999 et je suis heureux de lui rendre aujourd'hui sa visite ici, dans son pays.

Cette visite a pour objet naturellement de réaffirmer clairement l'importance que la France attache à la Lituanie et plus généralement à l'ensemble de cette région du nord de notre continent.

Nous avons évoqué, effectivement, les questions européennes, je n'entrerai pas dans le détail. La France apportera un soutien déterminé à la Lituanie pour l'achèvement des négociations qui, je l'espère, permettront à ce pays d'entrer dans la première vague, de l'Union européenne après avoir rattrapé le retard qu'elle avait pris au départ et avoir rattrapé les premiers.

J'aurais l'occasion le cas échéant, en répondant à telle ou telle question, d'en dire un peu plus long sur notre conception de l'Europe. Je dirais simplement que la France souhaite et fera tout son possible pour aider la Lituanie dans l'Europe.

Nous avons évoqué également les questions de sécurité et en particulier les problèmes de l'entrée de la Lituanie, et plus généralement d'ailleurs des trois pays baltes, dans l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, dans l'OTAN.

J'ai eu l'occasion de dire au Président que je considérais qu'il s'agissait là d'une décision qui relevait essentiellement de la volonté de la Lituanie et qu'il était évidemment normal de décider souverainement du système d'alliance auquel elle souhaite appartenir. C'est un principe du droit international.

Nous avons enfin parlé des problèmes bilatéraux, pour constater que nos relations politiques étaient excellentes, que nos relations industrielles, commerciales, d'investissement, bref, économiques étaient très insuffisantes, et que cela tenait essentiellement au fait que, pendant très longtemps, la France s'était tournée d'avantage vers le sud que vers le nord et qu'elle réalisait avec retard la qualité et l'importance des pays du nord, et donc tout particulièrement de la Lituanie. Et, donc, nous avons un retard en termes de commerce, mais aussi d'investissements, un retard que nous devons rattraper, que nous sommes déterminés à rattraper.

Voilà l'essentiel des conversations que nous avons eues, et je remercie encore le Président ADAMKUS pour son si amical et chaleureux accueil. Et maintenant nous sommes prêts, lui et moi, j'imagine, à répondre à vos questions.

QUESTION - Lorsque vous avez parlé de l'avenir de l'Europe, vous vous êtes prononcé en faveur d'un groupe de pays au centre duquel serait le couple franco-allemand. Mais vous savez que cette idée n'est pas tellement soutenue par certains pays européens, dont les pays du nord. Est-ce que vous n'estimez pas que cette théorie des pays d'avant-garde, ce peloton d'avant-garde, serait quelque peu discriminatoire pour les petits pays ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais essayer de répondre, si le Président m'autorise, cinq minutes à cette question en l'élargissant un peu et en m'adressant, au-delà de l'éminent journaliste qui m'a posé la question, à l'ensemble des Lituaniens.

Je connais et je comprends l'inquiétude que peuvent manifester une minorité, mais une importante minorité, certainement, de Lituaniens à l'égard de l'aventure européenne et je voudrais les rassurer. Et en particulier leur dire que certaines affirmations sont dépourvues de fondements.

Je voudrais d'abord les rassurer : qu'est ce que c'est que l'Union européenne ? C'est d'abord la garantie de la paix.

Nous avons tous, Européens, dans les générations qui viennent juste de nous précéder, souffert, et depuis longtemps, de ces guerres absurdes et de plus en plus dramatiques que nous avons subies. Il faut donc trouver un système qui instaure la paix. Ça, c'est l'essentiel, et seul un accord du type de l'accord européen est capable d'apporter cette garantie. Il n'y en a pas d'autre.

Deuxièmement, avec la paix, cet accord garantit la démocratie, c'est-à-dire le respect des droits de l'Homme. Nous avons aussi souffert beaucoup de situations dans lesquelles les droits de l'Homme ont été foulés au pied.

Cela aussi, nous pouvons l'éviter pour nos enfants avec une organisation intégrée de l'Europe.

Enfin, sur le plan politique, l'Europe garantit la stabilité des peuples, la stabilité des nations, la stabilité des frontières, et ça, c'est également tout à fait essentiel.

Sur le plan économique et social, vous savez, il y a un vieux principe qui est plein de sagesse, qui affirme que l'union fait la force. C'est la vérité. Seules, les nations ne pourront plus dans l'avenir assumer la défense de leurs intérêts et assumer leur développement. C'est ensemble qu'elles peuvent le faire.

Prenez l'exemple récent de pays comme la Grèce, le Portugal ou l'Espagne, entrés dans de grandes difficultés dans l'Union européenne et qui ont développé leur économie, leur système social, parce qu'ils étaient dans un ensemble plus vaste et où jouait la solidarité.

Enfin, nous voyons bien que le monde aujourd'hui est marqué par ces phénomènes de mondialisation. Alors, je sais bien que, certains voudraient les contester ou les nier, mais c'est évidemment absurde, c'est l'évolution des techniques, des technologies qui fait que les échanges, les échanges de personnes, de biens, de cultures, de capitaux, tout ce que l'on veut, sont de plus en plus libres. Et, naturellement, cette mondialisation qui apporte beaucoup de choses, qui nous apportera beaucoup de progrès, notamment parce qu'elle facilite le commerce, les échanges et qu'aujourd'hui la richesse vient des échanges, cette mondialisation comporte aussi des dangers.

Certains, naturellement, ont peur, se font une image dramatique de ces dangers. Ils ont peur. Mais c'est vrai, qu'il y a des dangers. Mais il faut lutter contre ces dangers et ce n'est pas chacun de nos petits pays qui luttera contre les dangers. C'est ensemble, une Europe de 500 millions d'habitants qui peut affirmer et sauvegarder un modèle européen humain, c'est-à-dire un modèle social, un modèle économique, un modèle culturel respectueux des valeurs qui sont les nôtres, c'est ensemble, dans le cadre de cette Europe que nous pourrons sauvegarder un modèle humain européen. Nous ne le ferons pas individuellement. Individuellement, nous serons balayés. Donc, la sécurité des personnes, c'est bien la construction d'une Europe solidaire et qui sait défendre ses intérêts.

Alors, j'ai entendu ici ou là des critiques. Vous en avez formulé une, me disant : mais les petits pays vont être soumis à la volonté des grands. Mais si ceux qui formulent ce genre de critiques s'étaient donné la peine de regarder simplement comment fonctionne l'Europe depuis qu'elle existe, ça fait tout de même près d'un demi-siècle, ils se seraient aperçus que ça n'a jamais fonctionné comme cela, qu'il n'y a jamais eu les grands pays et les petits pays, tout simplement parce que c'est absurde, car chaque pays défend ses intérêts tels qu'il les imagine, tels qu'il les ressent, et se trouve avoir des intérêts communs, soit avec des petits, soit avec des grands pays.

On n'a jamais vu, dans toute l'histoire de l'Europe, les petits pays d'un côté et les grands de l'autre. Cela n'a jamais existé. C'est absurde et ça ne peut pas exister. Demandez à un petit pays comme le Luxembourg, qui est le plus petit, il y a combien, 400 000 habitants au Luxembourg, je ne sais pas exactement, le Luxembourg est un pays qui marque l'Europe. Il a eu deux fois la présidence de la Commission, il a eu des présidences européennes brillantes, c'est un pays qui compte en Europe. 400 000 personnes à peu près. Et si vous allez lui dire qu'il est un petit pays, il ne sera pas content et il aura raison. Il ne s'est jamais senti mis à part, avec des petits pays contre des grands. Il est tantôt du côté des grands, tantôt du côté des petits, selon les intérêts.

Donc, cette idée est une idée qui ne tient pas debout, qui est une idée qui est l'expression de la méconnaissance des réalités et une peur de l'avenir. Je comprends très bien que les gens aient peur de l'avenir. Il y a toujours eu deux catégories de gens dans le monde, ceux qui ont peur de l'avenir et ceux qui n'en ont pas peur. Mais je crois que l'avenir n'a pas été pour la Lituanie si brillant, depuis quelque temps, qu'elle ne doive se dire qu'elle doive avoir peur de l'instabilité, peur de la guerre et qu'elle a tout intérêt à rejoindre une famille européenne solidaire.

Alors, il y a une autre critique que j'ai vue. On nous dit : ah, on va être obligé d'obéir à la technocratie de Bruxelles. J'ai lu ça dans un journal lituanien. Je le comprends, naturellement, et en plus c'est vrai. Vous savez, nous aussi, nous sommes agacés par cela.

Comment, pourquoi, est-ce qu'il faut que l'on obéisse ou que l'on se plie à la volonté exprimée par les technocrates de Bruxelles ? Oui, parfois on a tort, parfois on a raison, peu importe, c'est le prix à payer pour que le système fonctionne. Et vous savez, au total, le prix est très faible par rapport aux services rendus et donc, croyez-moi, ces craintes ne sont pas fondées.

Si nous voulons conserver notre avenir, si nous voulons léguer à nos enfants un monde en paix, un monde respectueux des droits de l'Homme et de la démocratie, un monde stable et un monde qui se développe, il faut que ça soit au sein d'une Europe aujourd'hui en mesure de faire face aux défis du monde moderne et de faire face solidairement à ces défis, et donc d'affirmer clairement le modèle de société qu'elle veut défendre et que je n'accepterai pas de voir remis en cause, et notamment le modèle social, économique ou culturel.

Je m'excuse d'avoir été un peu long, Monsieur le Président, mais je voulais répondre à cela.

QUESTION - Je voulais vous demander si vous pouviez nous donner des précisions sur les modalités de l'arrangement qui est en discussion pour les ambassades baltes à Paris, et notamment combien la France pourrait verser à la Lituanie comme compensation pour la perte de son ambassade ?

LE PRÉSIDENT - Alors, c'est pour nous, quand je dis nous, c'est pour nous deux, pour la Lituanie et pour la France, une bonne nouvelle que je vais vous annoncer, au terme des discussions qui ont eu lieu entre nos deux ministres aujourd'hui, le ministre lituanien et M. MOSCOVICI, nous sommes arrivés à un accord dans le détail duquel je ne rentrerai pas, mais le ministre sera en mesure de le faire probablement dans la soirée ou demain matin, nous sommes arrivés à un accord pour régler ce différend que nous avons depuis soixante ans et que la France a décidé de régler au moment où la Lituanie va rentrer dans l'Union européenne, le même problème se posant et relevant de la même stratégie pour la Lettonie et pour l'Estonie. Et j'espère que, dans les semaines qui viennent, tout sera définitivement réglé, ce dont je me réjouis parce que c'était la seule ombre au tableau de nos relations qui, par ailleurs, est un tableau clair et optimiste.

M. ADAMKUS - Si vous me permettez d'ajouter quelques mots ? Je voudrais vous dire quelques-uns de mes souvenirs. Il y a moins d'un an, lorsque j'étais à Paris, j'ai eu un entretien avec le Président CHIRAC et nous avons parlé, justement, de la question de l'ancienne légation lituanienne. Et, lors de notre entretien à Paris, le Président français m'a dit que ce problème pèse sur nous depuis trop longtemps. Il s'agit d'un caillou qui est tombé dans notre chaussure, a dit le Président français, donc vous imaginez qu'un caillou qui tombe dans une chaussure peut y rester assez longtemps, l'expérience nous l'a montré. Donc, j'ai rappelé au Président aujourd'hui que la chaussure a été enlevée à Paris et qu'ici à Vilnius, nous l'avons fait tomber de la chaussure et donc je tiens à remercier très sincèrement le Président français de la coopération et de la bienveillance s'agissant de la résolution de ce problème.

Ce problème pesait sur nous, je l'ai déjà dit depuis soixante ans. Il s'agissait d'un vrai problème qui, aujourd'hui, est résolu. La France a obtenu la cession des droits de l'ancienne légation de la Lituanie et donc le problème est réglé. Merci beaucoup au Président de la République française et au Gouvernement français.

QUESTION - Comment ce problème a-t-il été résolu ? Est-ce que le bâtiment sera restitué à la Lituanie ? Est-ce que le Gouvernement français va verser une compensation à la Lituanie ?

LE PRÉSIDENT - J'ai déjà dit que la Lituanie va céder ses droits de propriété au Gouvernement français et que c'est la France qui réglera le problème dans la deuxième étape. La décision a été prise et donc, aujourd'hui, l'accord sera signé à Vilnius.

QUESTION - Quel est votre avis sur la possibilité pour la Lituanie de devenir membre de l'OTAN ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons discuté de ce sujet, également, avec le Président. C'est un sujet très important. L'Alliance atlantique s'est engagée dans un processus d'élargissement, c'est un processus qui correspond à l'évolution de notre continent et, à l'évidence, ce processus a vocation à se poursuivre et les trois pays baltes ont vocation à s'intégrer dans ce processus, je ne vois pas qui pourrait leur contester ce droit. Or les pays baltes, tous les trois, ont choisi librement la solution de s'intégrer à l'OTAN. C'est une aspiration, c'est la leur, et donc elle est légitime, et la France ne peut que comprendre et donc accueillir favorablement cette position des trois pays, Lituanie, Lettonie, Estonie.

Chaque pays, je le disais tout à l'heure mais je le répète, doit pouvoir décider souverainement du système d'alliance auquel il veut appartenir. Ça, c'est un principe du droit international, un principe que personne ne peut contester.

Chaque pays doit pouvoir décider souverainement du système d'alliance auquel il entend ou il souhaite appartenir. Alors, bien entendu, l'élargissement de l'OTAN ne doit pas avoir pour conséquence ou pour résultat de créer une nouvelle ligne de fracture dans l'Europe et, à partir de là, les choses doivent être faites avec suffisamment de clarté, de diplomatie, de contact, pour que personne, et notamment pas la Russie, ne ressente comme une agression une décision de cette nature. Mais ce n'est pas une agression, c'est simplement un choix fait par ces trois pays et donc, je le répète, la France ne peut que comprendre et accueillir favorablement cette position.





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