Conférence de presse du Président de la République à Samara.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République.

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Samara, Russie, le mardi 3 juillet 2001

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d'abord remercier chaleureusement le Premier ministre, M. KASSIANOV, qui est un ami de longue date, remercier de tout coeur M. le Gouverneur de Samara, qui nous a réservé un accueil particulièrement chaleureux, qui nous reçoit chez lui et qui nous donne l'hospitalité pour ce point de presse, remercier M. le Vice-Premier ministre KLEBANOV qui, non seulement a eu la gentillesse de nous accompagner, mais surtout a eu un rôle décisif dans les discussions qui ont permis d'aboutir à des accords très importants, notamment sur le plan de l'aéronautique et de l'espace, annonces qui ont été faites pour la première étape, qui sont encore à confirmer pour la deuxième mais qui, en toute hypothèse, devront beaucoup au travail personnel de M. KLEBANOV. Qu'il me permette de lui dire toute ma reconnaissance.

Je suis heureux, naturellement, de la présence des ministres français, de nos ambassadeurs et des personnalités, notamment les Parlementaires, ici présentes, ainsi que des personnalités du monde culturel ou industriel qui ont bien voulu nous accompagner. Et je salue, bien sûr, les journalistes qui sont ici pour faire ce dernier point de presse à l'occasion de ce voyage.

J'ai eu l'occasion de vous informer, hier, des conclusions que je tirais de nos entretiens politiques de Saint-Pétersbourg et de Moscou. Et par conséquent, je ne reviendrai pas sur ce point dans les détails, sauf à répondre à telle ou telle question que vous souhaiteriez me poser.

La journée d'aujourd'hui a été consacrée aux problèmes scientifiques et industriels qui sont le prolongement naturel des entretiens politiques de la veille. Ce matin, j'ai eu le privilège de rencontrer, avec les industriels français qui avaient bien voulu venir à ce voyage, les principaux industriels russes, pour d'abord leur dire comment je voyais l'évolution à court et à moyen terme de la relation économique et financière entre la Russie et la France, quels étaient les domaines de satisfaction, et ils sont nombreux, quels étaient les points d'interrogation qui existaient encore.

Et puis, nous avons pu avoir un échange de vues auxquelles certains d'entre vous ont assisté, mais pas tous, je crois, extrêmement intéressant entre chefs d'entreprise français et chefs d'entreprise russes. J'ai tiré, pour ma part, des conclusions extrêmement utiles et intéressantes de cet échange de vues.

Parmi ces conclusions, je voudrais en souligner une, sous le contrôle des industriels qui sont ici. J'ai eu le sentiment que les entreprises françaises, notamment les nouvelles, abordaient le marché russe avec beaucoup plus d'enthousiasme, beaucoup plus d'allant, beaucoup plus de détermination que par le passé. Je dois dire que je m'en suis réjoui parce que je pense que ce marché en vaut la peine et que la place de la France doit être éminente en Russie.

Alors, certes, il y a encore quelques obstacles -mais où n'y en a-t-il pas ?-, qu'ils soient de nature administrative, réglementaire ou fiscale. Il est apparu très nettement que le Gouvernement russe avait la volonté d'effacer petit à petit, et notamment par les dernières lois qui ont été votées par le Parlement, tous ces obstacles de façon à faciliter le développement à la fois des investissements et de la production en Russie.

Vous savez l'importance que j'attache, quand je suis à l'étranger, à promouvoir la présence française, commerciale, financière, en termes d'investissement. Et je me suis réjoui de cette situation, qui m'a paru confirmée par les analyses et les propos des chefs d'entreprise qui nous ont accompagnés.

Le secteur aéronautique et spatial était pour moi le point fort de cette visite. Je ne rentrerai pas dans le détail puisque M. CAMUS, que je salue ici, a fait, je crois, hier, une conférence de presse sur ce point avec ses homologues russes. Mais nous n'avons pas été déçus.

L'accord qui a été signé est un accord de partenariat très important, qui doit se poursuivre dans les semaines qui viennent par d'autres décisions également très importantes qui, au total, auront pour résultat de créer entre la Russie et l'Union européenne, en particulier la France, dans le domaine aéronautique et spatial un partenariat très fort qui est de bon augure pour l'avenir.

Il faut bien comprendre que l'alternative est une alternative américaine. Il est évident que, compte tenu de notre niveau de coopération et de connaissance, l'accord entre la Russie et l'Union européenne était de loin préférable pour les deux parties. Je suis heureux que cela ait pu être clairement concrétisé à l'occasion de ce voyage. C'est une grande affaire.

Mais importantes également sont les négociations qui ont été conduites par le ministre de l'Industrie dans le domaine énergétique et gazier et qui sont également essentielles dans la mesure où l'objectif c'est d'assurer sur le long terme l'approvisionnement énergétique de notre pays. C'est cela qui est en cause et, pour nous, c'était extrêmement important. Les résultats ont été extrêmement positifs. Je ne peux que m'en réjouir. Je crois que le ministre, M. PIERRET, a fait un point de presse dans ce domaine, je n'entrerai donc pas dans le détail.

Je veux quand même, après la journée d'aujourd'hui, revenir d'un mot sur les conclusions que je tire de cette visite sur le plan politique.

La première conclusion que j'en tire, c'est que, sur le plan politique, le concept de multipolarité que j'avais lancé, il y a maintenant six ans, et qui était reçu avec plus ou moins d'enthousiasme, aussi bien en France d'ailleurs qu'à l'étranger, est en train de prendre corps et de faire racine. Il apparaît aujourd'hui de plus en plus clairement, qu'il s'agisse des États-Unis, mais aussi de l'Amérique du sud, de la Chine, de l'Inde, également de l'ASEAN, de la Russie et de l'Union européenne, que la voie est tout naturellement déjà empruntée pour la constitution d'un monde composé d'un certain nombre de grands pôles. Ce qui veut dire que l'idée d'un monde bipolaire telle qu'elle a existé pendant si longtemps est une idée, je crois, révolue, pour bien des raisons dans lesquelles il serait trop long d'entrer, et puis pour une raison, c'est que ce n'est plus du tout dans la conception même américaine du monde de demain.

Donc, nous nous orientons, et l'évolution de ce point de vue des rapports entre la Russie et l'Union européenne est tout à fait caractéristique, vers un monde multipolaire qui se renforce petit à petit. Et tout le problème sera de faire en sorte, naturellement, que les rapports entre ces pôles soient des rapports qui respectent les principes de la démocratie, des relations pacifiques et enfin de la diversité culturelle.

La deuxième conclusion, c'est sur la nature et l'évolution du partenariat entre la Russie et l'Union européenne. On en avait déjà jeté les bases à Paris, lors du sommet Russie-Union européenne, l'automne dernier, et d'ailleurs aussi lors du sommet Russie-France qui avait suivi dans la foulée. Cette fois-ci, nous avons été nettement plus loin et la déclaration stratégique qui a été adoptée, la déclaration qui a été adoptée sur les questions stratégiques, montre qu'il y a de vraies convergences dans notre approche du monde de demain, de sa sécurité, dans notre volonté commune d'assurer la paix dans ce monde de demain. C'est un pas de plus dans le renforcement du partenariat entre la Russie et l'Union européenne, un partenariat dont, je le répète, la mission fondamentale, c'est d'abord de confirmer la paix dans le monde en général et dans notre région du monde en particulier, et ensuite d'enraciner, grâce à la paix notamment, la démocratie.

Ce sont des idées que j'avais eu l'occasion de développer dans un récent discours à l'Institut des hautes études de la Défense nationale et également à l'occasion d'une intervention que j'avais faite à l'OTAN, à Bruxelles. Enfin, je vois qu'elles sont reprises par la réflexion que l'on fait ici à Moscou sur ces problèmes, ce qui nous a permis, sans difficulté, de faire une déclaration stratégique commune.

Au moment où le monde est en train de se développer, une relation dense et équilibrée entre la Russie et l'Europe ne peut que servir le développement. C'est dans cet esprit que j'ai beaucoup apprécié le contact extrêmement rapide que j'ai pu avoir hier avec les étudiants de l'Université de Moscou. Et j'ajoute que j'ai été profondément touché par le geste du Président de l'Université, qui a bien voulu me conférer ce doctorat honoris causa.

Au fond, qu'est-ce que nous souhaitons, nous, Français ? Nous souhaitons une Russie moderne, démocratique, respectueuse de la liberté et du pluralisme. Voilà le grand partenaire que nous souhaitons pour l'Europe. Et je pense, c'est ce que j'ai retiré de ce contact avec les étudiants, que c'est bien sur cette voie qu'on est engagé. En bref, j'ai senti un souffle nouveau dans les relations entre la Russie et l'Union européenne, entre la Russie et la France. Et je m'en suis réjoui.

Voilà quelques conclusions que je voulais tirer de ces deux jours, mais si certains souhaitent me poser des questions sur ce voyage, j'y répondrai, naturellement, bien volontiers.

QUESTION - Monsieur le Président, pourriez-vous nous expliquer la place, dans vos accords dans le domaine aérospatial avec M. POUTINE, de l'usine Progress que vous venez de visiter ici, à Samara ? Quelle est la place de l'usine de Samara dans cet accord ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, cette usine. Je disais tout à l'heure que certains gestes étaient pour moi émouvants et j'avais évoqué l'Université. Beaucoup de choses provoquent mon émotion quand je suis en Russie. C'est le même terme que j'utiliserai en évoquant l'usine de Samara. Car cette usine qui est née il y a plus d'un siècle, qui a commencé à fabriquer des vélos et qui, aujourd'hui, fabrique l'une des plus prestigieuses réalisations spatiales du monde moderne, a quelque chose de profondément émouvant. Comme son Président d'honneur, constructeur d'honneur, qui nous l'a fait visiter, était également un personnage qui portait en lui une telle passion que l'on ne pouvait que l'admirer.

Donc, l'avantage d'une coopération spatiale entre la Russie et l'Europe, pour l'usine de Samara, est évident. Notamment si, comme il est probable, en tous les cas comme je l'espère, le lanceur Soyouz peut être lancé, demain ou après-demain, sur la base de lancement de Kourou, en Guyane. Ce sera évidemment une coopération très forte entre nos deux industries spatiales qui ne peut que servir les deux ensembles. Donc je suis très optimiste sur ce point, notamment pour la belle usine de Samara.

QUESTION - Monsieur le Président, au cours de ce voyage, justement, on a appris que, dans un travail préparatoire, le Procureur de la République estimait que vous pouviez comparaître comme témoin assisté. Et on aimerait ici, tous les journalistes, avoir votre commentaire sur ce travail préparatoire.

LE PRÉSIDENT - J'imagine que vous avez remarqué que nous sommes ici en Russie. Et vous comprendrez donc que je ne puisse traiter d'aucune question politique intérieure, ni de celle-ci, ni d'autre nature.

QUESTION - Monsieur le Président, je pense que vous êtes au courant du fait qu'à côté du rouble, il y a une autre monnaie quasi-nationale en Russie, à savoir le dollar américain, qui est aussi demandé que le rouble et a peut-être plus de poids dans l'économie russe que le rouble. Il y a même une blague qui existe en Russie, à savoir que si on réunissait ensemble tous les dollars qui sont en circulation dans notre pays, on pourrait racheter l'Alaska et acheter encore une petite dizaine d'États américains avec cet argent. Dans ce contexte-là, pourriez-vous nous dire comment vous voyez l'avenir de l'Union européenne, l'avenir de l'euro, par rapport au dollar ? Est-ce que vous estimez qu'un jour, l'euro pourrait évincer le dollar qui, pour l'instant, est la monnaie mondiale. Et quelle est la place, dans le futur système monétaire, de la Russie ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, l'euro, qui va être définitivement acquis dans quelques mois, est pour l'Europe un avantage considérable. Pendant très longtemps, nous avons eu des monnaies différentes dans chacun de nos pays. Résultat : lorsqu'un pays avait une difficulté, il manipulait sa monnaie. Ce qui provoquait des conséquences généralement mauvaises dans les autres pays. Maintenant, c'est fini. On ne peut plus dévaluer sa monnaie. Nous avons une monnaie unique qui représente une économie forte, dynamique et qui a, sur le plan du commerce international, une place considérable. L'euro est donc dorénavant une monnaie puissante au service de l'économie européenne et de la stabilité monétaire mondiale. Ce sont ses deux vocations.

Alors, naturellement, l'euro n'a absolument pas pour ambition de lutter contre le dollar. Vous l'imaginez bien. Il a l'ambition de participer, avec le dollar, avec le yen, avec les autres monnaies mondiales, à la stabilité monétaire internationale.

J'ajoute enfin, s'agissant du rouble, que le fait qu'il s'agisse encore d'une monnaie qui ne s'est pas imposée tient à la situation de l'économie russe. Mais il est évident que le progrès que connaît actuellement l'économie russe fait que, tout naturellement, elle servira d'appui à une monnaie forte. Et j'ai toute confiance dans le rouble de demain.

Je vous remercie.





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