Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Président du Cameroun à l'issue du XXIe Sommet Afrique-France.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Paul BIYA, Président de la République du Cameroun à l'issue du XXIe Sommet Afrique-France.

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Yaoundé, Cameroun, le vendredi 19 janvier 2001

M. BIYA - Mesdames, Messieurs les journalistes, d'abord, le Président de la République française et moi-même sommes désolés d'arriver avec quelques heures de retard. Les débats étaient longs, profonds et nous n'avons pas pu venir à temps. Mesdames et Messieurs les journalistes, comme vous le voyez nous sommes au terme de nos débats sur le thème de l'Afrique face à la mondialisation. D'une manière générale, nous avons constaté que le thème passionnait les hautes autorités et cette grande conférence apparaît comme une réussite par le nombre de participants, de chefs d'État, par la qualité des débats, le nombre des délégations.

Nous pensons que cette rencontre a été un temps fort de la concertation, un temps fort pour célébrer la coopération entre l'Afrique et le nord, et particulièrement l'Afrique et la France. Les débats ont été longs, profonds et positifs. En marge, évidemment, des débats, les chefs d'État ont eu des contacts bilatéraux et la concertation a battu son plein pendant ces quarante-huit heures.

En tout cas, nous savons que vous avez suivi les débats. Le Cameroun est heureux et fier d'avoir abrité ces assises. Je ne vous retiendrai pas longtemps. Je veux donner la parole au Président de la République française, en lui disant toute l'appréciation de l'Afrique pour les efforts que lui-même, et la France et son Gouvernement, ne cessent de déployer pour que l'Afrique soit un continent stable, développé et actif dans les relations internationales.

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je n'ai pas grand chose à ajouter à ce qu'a dit le Président Paul BIYA. Juste une ou deux remarques.

Je ne suis pas sûr que, lorsque Hamani DIORI et Léopold SEDAR SENGHOR ont créé cette tradition d'un sommet Afrique-France, c'était en 1973, cette initiative pourrait prendre une telle ampleur et se dérouler avec une telle régularité.

C'est le XXIe sommet et cela m'amène à la deuxième remarque, qui est une remarque de gratitude adressée aux autorités camerounaises et au Président du Cameroun, mais également à l'ensemble du peuple camerounais, parce que nous avons été, ici, accueillis avec cette hospitalité tout africaine, beaucoup de gentillesse, beaucoup de spontanéité et, s'agissant des travaux, une excellente organisation. Des travaux qui ont été suivis et conduits avec beaucoup de qualité par la présidence camerounaise.

Ce n'est pas toujours facile de faire travailler ensemble des hauts représentants de cinquante-quatre, je crois, pays et cela s'est parfaitement déroulé, même si nous avons un peu de retard. Le Président Paul BIYA a eu raison de vous dire nos excuses à ce sujet.

Au fond, au-delà des sujets évoqués, sur lesquels vous avez obtenu toutes informations, ce qui est apparu clairement, c'est que l'équilibre général du monde de demain suppose que l'Afrique, face à la mondialisation, puisse assumer ses responsabilités. Car rien ne saurait plus immoral, mais aussi plus dangereux, qu'un monde à deux vitesses. C'est la raison pour laquelle le maître-mot, je crois, dans les circonstances actuelles, face aux pays en développement, et en particulier à l'Afrique, c'est le mot de solidarité. Une solidarité qui est une exigence aussi bien morale que politique.

C'est dans cet esprit que l'ensemble de nos travaux se sont déroulés et je tiens à renouveler au Président Paul BIYA mes félicitations pour la qualité de la présidence camerounaise.

Voilà, s'il y a des questions, nous sommes naturellement, le Président Paul BIYA et moi-même, tout prets à y répondre.

QUESTION - Monsieur le Président, à l'heure de la mondialisation, on peut peut-être se poser la question : est-ce qu'un tête-à-tête entre la France toute seule d'une part, et l'ensemble de l'Afrique d'autre part, a réellement un sens ?

LE PRÉSIDENT - Si vous m'interrogez, je vous dirai d'abord qu'il n'y a pas qu'un tête-à-tête entre la France et l'Afrique. Il y a eu, il y a peu de temps, au Caire, la réunion Europe-Afrique. Et puis, il y a un certain nombre d'instances internationales où l'Afrique est présente, la France aussi d'ailleurs, où s'échangent les propos et où s'étudient les problèmes.

Mais, dans ce contexte, il est bon également qu'un pays qui a toujours soutenu l'Afrique, qui n'est pas toujours suivi par le reste de la communauté internationale industrialisée, puisse avoir ce contact, ces échanges, conserver ce moyen de connaître et de comprendre les évolutions de l'Afrique. C'est très important pour la France. C'est très important pour l'Union européenne, car nous sommes ensuite tout naturellement les porte-parole de l'Afrique auprès de l'Union européenne. C'est également, je crois, important pour l'Afrique, qui peut recevoir de la part de la France, de façon tout à fait informelle et amicale, c'est le gros avantage de cette réunion, des informations sur ce que pensent les pays développés, qui sont souvent les pays donateurs en matière d'aide publique au développement, et qui peuvent également recevoir, de notre part, certaines suggestions.

Je crois que c'est effectivement très, très important. C'est quelque chose d'original. Mais le fait qu'un grand pays industrialisé puisse maintenir un contact informel et approfondi, sérieux, régulier et continu avec l'Afrique est très important pour les deux parties et se justifiera de plus en plus.

QUESTION - Monsieur le Président, justement à l'heure de la mondialisation, ne pourrait-on pas envisager plutôt un tête-à-tête entre l'Union africaine et le grand ensemble qu'est l'Europe, et subsidiairement la France ? À quand la signature et la ratification par le Cameroun de l'Acte constitutif de l'Union africaine ? Monsieur le Président, dans son propos, le Président CHIRAC a indiqué clairement, en parlant de la démocratie, que les populations ont pris conscience que le pouvoir devait procéder de la volonté librement exprimée. Il a ajouté : "il est vain de vouloir s'y opposer par la contrainte, la tromperie ou la force". L'une des pré-conditions pour, justement, bénéficier de cette manifestation de la démocratie n'est-elle pas le consensus minimum autour de ce qui doit présider à la transparence dans le cadre intérieur ? Il y a une opposition forte par rapport à l'Observatoire national des élections qui a été votre choix, du fait que le Président du parti dominant est en même temps, juge et arbitre, puisque c'est lui qui doit désigner l'ensemble des institutions devant présider à cet organe. Je vous remercie. Ma question s'adresse au Président BIYA.

LE PRÉSIDENT - Merci.

M. BIYA - S'agissant du dialogue, vous pensez qu'il aurait été plus opportun qu'il ait lieu entre l'Europe et l'Union africaine. Je dis simplement que l'un n'exclut pas l'autre. Le Président CHIRAC vient de le dire. En réalité, cette rencontre France-Afrique, c'est un moyen pour les Africains réunis ici, que ce soit l'OUA ou d'autres organismes africains, non seulement de se concerter mais d'envoyer un message aux autres dirigeants du monde, surtout en direction du nord.

Nous avons à cet effet jeté, si je peux dire, le dévolu sur un des plus qualifiés. Il aime l'Afrique et cela ne date pas d'hier. La France aime l'Afrique. Nous parlons d'abord entre nous et nous sommes sûrs que c'est le Président qui a montré, dont le pays a montré, un intérêt particulier. Je ne dis pas que les autres ne le font pas, mais en tout cas, il sera le meilleur messager que nous puissions avoir auprès du G7-G8. Et, inversement, il nous explique un peu plus en détail l'état d'esprit, les moyens les meilleurs de se faire entendre.

Voilà, je pense qu'il n'y a pas d'antinomie entre une concertation France-Afrique et une éventuelle concertation avec l'Union africaine. J'arrive justement à cette Union africaine. Elle est un projet qui est cher au coeur de tous les Africains. C'est une idée ancienne. Nous soutenons cette idée d'Union africaine. Je crois que, dans les mois qui viennent, il y aura une réunion pour continuer à aller en avant dans la voie de la constitution de l'Union africaine.

Quant à la ratification, je peux vous dire que c'est l'Assemblée nationale du Cameroun qui devra m'autoriser à ratifier. Nous allons signer ce texte mais, puisque nous devons jouer cartes sur table, il y avait des petites réserves. Par exemple, pour la prise de décisions, nous pensons que, dans un stade initial, la loi de l'unanimité doit être suivie. Nous y allons mais peut-être avec quelques réserves. Vous voyez donc que nous ne sommes pas aussi loin que ça de l'Union africaine.

Vous avez abordé également le problème de l'Observatoire électoral. Je serai bref. Nous avons une loi électorale, avant l'Observatoire, qui est une des plus sophistiqués. C'est une loi qui permet aux partis de l'opposition ayant des candidats de participer au dépouillement du scrutin, que ce soit au niveau des arrondissements, des départements ou au niveau national. Le résultat est transmis à la Cour suprême, avec possibilité pour les députés, enfin, pour les partis de l'opposition, de saisir cette Cour suprême. Mais comme les Observatoires, les organismes nouveaux sont dans le vent, nous nous sommes adaptés.

Nous avons fait un Observatoire et j'ai dit que cet Observatoire a été proposé à l'Assemblée. L'Assemblée l'a voté. Il n'y avait pas que mon Parti ! Il y avait d'autres partis. Je crois que, dans une République, la loi est l'expression de la volonté générale et j'espère que tous les participants à la vie politique du Cameroun accepteront d'appliquer les lois. Voilà ce que je voulais dire à ce sujet. Le débat reste d'ailleurs ouvert. Mais on ne peut pas changer les lois jusqu'à atteindre l'unanimité. Si on l'atteint, tant mieux. Mais là, elle a été votée à une forte majorité et c'est une loi valable pour tous les Camerounais.

QUESTION - Une question au Président Jacques CHIRAC. Monsieur le Président, l'action de la France au sortir de cette XXIe Conférence France-Afrique, comment la concevez-vous ? Avec ou sans vous, étant entendu que ce sommet est le dernier avant l'échéance de 2002 ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, l'action de la France, dans le cadre de sa politique à l'égard de l'Afrique, est une action ancienne qui a été suivie par tous les Présidents de la République successifs. Chacun a adapté à l'évolution des choses, naturellement, et aux exigences des temps, la politique africaine, sans pour autant qu'on en ait changé la substance. Eh bien, je peux vous dire qu'il y a tout lieu de penser que cela continuera.

QUESTION - Ma question s'adresse au Président CHIRAC. Monsieur le Président, hier, dans votre allocution, vous avez évoqué la nécessité de mettre en place des mesures correctives pour que tous les pays, y compris les plus faibles, tirent partie de la mondialisation. À votre avis, puisque la mondialisation n'est pas un phénomène organisé, qu'est-ce qui va modifier les règles du jeu, aujourd'hui, telles qu'elles existent ?

LE PRÉSIDENT - La mondialisation, c'est d'abord une réalité qui s'impose. Il serait tout à fait vain de vouloir s'y opposer. Elle résulte du fait que les techniques modernes conduisent à ce que les hommes, les marchandises, les capitaux se déplacent librement et que les initiatives privées, dans le cadre d'une démocratie qui, Dieu soit loué !, se développe partout dans le monde, sont respectées. Le résultat est que tout le monde est dans la mondialisation.

Alors, il n'en reste pas moins que cette mondialisation peut comporter des risques. Pour ma part, j'en vois trois principaux. Le premier, c'est le risque de marginalisation, d'exclusion des plus faibles. C'est vrai pour les hommes et les femmes, dans un pays. C'est vrai pour un certain nombre de pays dans la communauté internationale. Autrement dit, c'est le phénomène classique : les riches devenant de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Je caricature, naturellement. Mais ce risque d'exclusion est évident au détriment de ceux qui n'ont pas les moyens ou la force d'aller aussi vite que les autres.

Le deuxième risque évident, c'est le risque de mise en cause de notre écosystème planétaire et le risque pour notre environnement. Et le troisième risque, lié aussi aux technologies modernes, c'est le risque de développement de la criminalité internationale.

Ces trois risques conduisent et doivent conduire les responsables de la communauté internationale à prendre des mesures, naturellement pas pour supposer à la mondialisation, ce serait stupide et cela n'aurait aucun sens, et, de plus, elle est par ailleurs porteuse de beaucoup de progrès économiques et sociaux, mais pour réguler, pour humaniser, pour maîtriser en quelque sorte ces phénomènes. Autrement dit, pour bien clairement affirmer que ce n'est pas la jungle et que s'il est légitime de gagner de l'argent, cela ne justifie pas n'importe quoi.

Voilà, en gros, ce qui justifie, ce qui explique la nécessité de maîtriser la mondialisation. C'est l'un des problèmes que nous avons évoqués au cours de ces deux journées.

QUESTION - Monsieur le Président, Laurent GBAGBO, à l'issue de son entretien avec vous, tout à l'heure, nous a dit que la France le soutenait, que vous lui aviez apporté votre soutien. Est-ce que vous le confirmez ? Et puis, question subsidiaire, c'est la première fois que vous vous rencontriez, je crois, comment l'avez-vous trouvé et que pensez-vous de lui ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, c'est effectivement la première fois que je le rencontrais es-qualité, mais ce n'était pas la première fois que nous avions des échanges de vue puisque nous nous sommes téléphonés à différentes reprises. Deuxièmement, il est évident que la France apporte son soutien aux autorités constituées, comme d'ailleurs tous les pays de la région, en Côte d'Ivoire. Et comme chacun voit bien que la Côte d'Ivoire traverse actuellement une période, je dirais, un peu d'adaptation, un peu difficile, chacun doit être conscient du fait que personne n'a évidemment intérêt, indépendamment de toute autre considération, à un affaiblissement, voire à une déstabilisation de la Côte d'Ivoire. Et, par conséquent, ce que vous a dit le Président GBAGBO est tout à fait exact.

QUESTION - C'est une question pour le Président CHIRAC. Monsieur le Président, il y a trois jours, à Abidjan, un correspondant de l'AFP ivoirien a été arrêté et est toujours détenu. Aujourd'hui, c'est un autre correspondant de l'AFP, à Kinshasa, qui est arrêté par les autorités locales. Que pensez-vous de ces freins mis à la liberté d'informer par les autorités africaines de ces deux pays ?

LE PRÉSIDENT - Ne visons pas de pays en particulier, parce qu'hélas, le métier de journaliste est un métier dangereux, et un peu partout dans le monde. Et si le dernier rapport de Reporters sans frontière a indiqué qu'il y avait eu une légère amélioration l'année dernière par rapport aux dix dernières années, en France, nous ne nous en sommes pas aperçus puisque nous avons été frappés par les affaires de Jolo, de la Tchéchénie et de votre confrère de Paris-Match. Donc, il y a en permanence des dangers.

Alors, s'agissant des deux cas que vous venez d'évoquer, pour ce qui concerne M. OUATTARA, qui est le journaliste de l'AFP qui a arrêté à Abidjan, j'en ai personnellement parlé au Président GBAGBO dans le cadre de l'entretien auquel on faisait allusion tout à l'heure. Et je lui ai demandé de bien vouloir prendre les dispositions permettant, sauf si on pouvait lui imputer un crime, de le libérer. Je pense, enfin, il m'a dit, en tous les cas, qu'il prendrait les dispositions nécessaires. J'ai beaucoup insisté, naturellement, sur ce point.

S'agissant de M. CARIOU, qui a été arrêté ce matin, à Kinshasa, nous sommes immédiatement intervenus à tous les niveaux. Je l'ai fait auprès du chef de la délégation de Kinshasa tout à l'heure, ici. Le chef de la délégation a même fait savoir à l'instant à M. DUPUCH qu'il espérait pouvoir nous donner des informations dès ce soir et qu'il espérait qu'elles seraient positives. Je vous dis tout cela naturellement de façon tout à fait conditionnelle. Et notre Ambassadeur à Kinshasa est intervenu immédiatement. Mais nous ne connaissons pas exactement la situation à Kinshasa. Nous ferons, je n'ai pas besoin de vous le dire, le maximum pour que ces deux journalistes soient libérés dans les meilleurs délais.

QUESTION - Ma question s'adresse au Président CHIRAC. Monsieur le Président, j'ai une autre préoccupation, c'est le Sida. Cette pandémie qui décime le continent africain. Hier, dans votre discours, vous avez fait état de l'engagement de votre pays en faveur de la diffusion des médicaments de traitement du Sida aux malades, à tous les malades, aussi bien ceux du nord que ceux du Sud. Concrètement, comment se traduit dans les faits cet engagement de votre part ?

LE PRÉSIDENT - Nous l'avons évoqué à l'occasion de notre réunion de cet après-midi. Le développement des actions de prévention et l'apparition de nouveaux traitements, les trithérapies, ont eu des effets bénéfiques. Ils sont source d'espoir, naturellement, mais cela suppose d'abord, je tiens à le dire, que les efforts de vigilance ne se relâchent pas. Or nous constatons, en tous les cas dans les pays du nord, un relâchement de ces efforts de vigilance et il faut bien être conscient que le Sida est toujours aussi actif, si j'ose dire, et dangereux, et qu'il convient d'abord de ne pas relâcher la vigilance.

Ensuite, il continue malheureusement à progresser. ONUSIDA dit qu'aujourd'hui, trente-six millions de personnes, soit cinq de plus que l'année dernière, sont touchées par le Sida. Ce sont les chiffres qu'ONUSIDA vient de publier. Et, hélas, c'est l'Afrique qui est le continent le plus touché par ce terrible fléau. ONUSIDA évalue à vingt-six millions le nombre d'Africains touchés, dont sept-cent cinquante mille enfants.

Alors, dans ce contexte, il y a un devoir de mobilisation mondiale contre le Sida, mais aussi de mobilisation particulière en faveur de l'Afrique. Car on ne peut pas accepter que les neuf dixièmes des malades, qui vivent au sud, n'aient accès qu'à 10% des médicaments. 90% des malades, vivant au sud, n'ont accès qu'à 10% des traitements. C'est dans ce sens que j'avais souhaité la création d'un Fonds de solidarité thérapeutique international, idée que j'avais développée à Abidjan et qui a été mise en oeuvre avec difficulté. Il m'a fallu beaucoup de détermination pour réussir à mettre en oeuvre ce Fonds. Il existe maintenant et ses moyens viennent encore d'être renforcés.

C'est une exigence à mes yeux impérieuse pour les pays du nord d'aider les pays en développement, et singulièrement l'Afrique, à accéder aux nouveaux traitements et aux actions de prévention. Alors, cela pose bien évidemment le problème financier. Cela, je crois, on peut le régler et c'est dans cet esprit que la France a proposé au dernier G8, à Okinawa, proposition qui a été adoptée, une réunion internationale, cette année, entre les représentants des pays donateurs, les représentants des pays bénéficiaires, les représentants d'associations et les représentants des grands groupes pharmaceutiques qui fabriquent ces médicaments, de façon à voir comment on peut apporter ces traitements aux pays en développement à des prix qui soient compatibles avec leurs moyens.

Et, deuxièmement, cela pose le problème de la mise en oeuvre. Nous avons maintenant une importante expérience, en France, de la mise en oeuvre de ces trithérapies dans l'Afrique, et on s'aperçoit que l'on se heurte à beaucoup de difficultés car il faut avoir un réseau compétent, organisé. Autrement dit, en clair, il faut avoir, en toute hypothèse, les deux ou trois médecins dévoués, engagés, déterminés à agir, les deux ou trois infirmières, les deux ou trois pharmaciens, de façon qu'ils soient capables de recevoir ces médicaments et qu'ils soient capables de les distribuer dans des conditions techniquement contrôlées et bonnes. Car on a vu dans des pays en développement des opérations se traduire par un fiasco parce qu'il n'y avait de structures convenables de mise en oeuvre. Et qu'en clair, les médicaments ont instantanément disparus et ont été revendus au prix fort dans la foulée.

Donc, si vous voulez, il y a un problème de mise en oeuvre. L'accès aux trithérapies est essentiel, c'est vrai. Mais il faut également s'attaquer à tous les autres aspects de cette maladie. La prévention, bien entendu, je l'ai dit, mais aussi la transmission materno-foetale. Et là, je voudrais saluer l'initiative de la Croix-Rouge française qui a annoncé le 1er décembre dernier à Brazzaville un programme de diffusion de médicaments aux femmes africaines pour prévenir la transmission du virus de la mère vers l'enfant. Je voudrais généraliser ce programme. À Brazzaville, on a trouvé justement la structure, on a trouvé les quelques hommes et femmes congolais dévoués, compétents et décidés à mettre en oeuvre cette structure de façon efficace. Généraliser ce programme permettrait d'éviter la contamination de plusieurs dizaines de milliers de bébés africains chaque année. Alors, nous nous efforçons de généraliser ce programme et nous poursuivrons, en tous les cas moi, je poursuivrais, le Gouvernement français poursuivra, avec détermination, cette action.

QUESTION - Au moment où les pays africains intensifient le dialogue d'abord entre eux et, ensuite, avec les pays européens et particulièrement la France, l'on se rend compte que le Cameroun vit en ce moment une crise de dialogue. Un processus a été engagé. Je voudrais poser la question au Président BIYA : où en est-on en ce moment avec le dialogue entre le pouvoir camerounais et l'opposition camerounaise ? Et, au Président CHIRAC, est-ce que la France ne peut pas jouer un rôle dans ce blocage qu'est le dialogue camerounais ? Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT - Avant que le Président BIYA ne réponde sur le fond, je voudrais dire que la France a vocation à aider l'Afrique, cela, c'est normal. Elle n'a pas vocation à faire de l'ingérence dans les affaires africaines. Et elle n'a pas du tout l'intention de le faire.

M. BIYA - D'abord, je m'inscris en faux contre cette qualification de blocage. Nous sommes en démocratie. La démocratie ne veut pas dire nécessairement l'unanimité. Le dialogue existe. Il existe au niveau de l'Assemblée, entre les députés de la majorité et ceux de l'opposition et le gouvernement. Nous avons un des seuls gouvernements en Afrique qui soit soumis régulièrement aux questions orales pendant les sessions. Comment appelez-vous cela ? Le dialogue. C'est le dialogue. Le Premier ministre, les membres du gouvernement font des conférences de presse où tous les journalistes de toutes obédiences sont conviés. Je ne parle pas des tournées en brousse où l'on reçoit aussi bien les gens de la majorité que ceux de l'opposition. Et nous-mêmes, nous sommes ouverts au dialogue. Alors de quel dialogue s'agit-il ? Le dialogue est permanent, il est là. Nous sommes ouverts au dialogue, mais nous n'entendons pas nécessairement l'unanimité. Si nous y arrivons, tant mieux.

QUESTION - Ma première préoccupation est adressée au Président Paul BIYA. Monsieur le Président, pensez-vous qu'au-delà des voeux, la France, l'Union européenne, l'OMC, le G7 et les autres bailleurs de fonds entreprennent des actions pour faciliter l'intégration de l'Afrique à la mondialisation ? C'est cela ma première préoccupation. Ma deuxième préoccupation est adressée au Président CHIRAC. Que pensez-vous de la situation de la dette en Afrique, notamment des demandes des dirigeants des pays africains pour son annulation pure et simple ? Et ma dernière préoccupation : aujourd'hui, vous parlez de la mondialisation. En novembre 98, vous parliez de la sécurité, de la paix dans le monde, lors du Sommet France-Afrique de Paris. Pensez-vous que les positions prises alors ont été suivies d'effets avec ce que l'on voit, ce qui se passe aujourd'hui en Afrique dans la sous-région d'Afrique, centrale et de l'ouest ? Je vous remercie.

M. BIYA - Si j'ai bien compris la première question, vous demandez ce que nous comptons faire pour obtenir le déblocage des investissements massifs en Afrique pour faire face à la mondialisation. Je dirai que nous ne faisons que cela dans la plupart de nos interventions, aujourd'hui et avant. La dernière fois que l'on était à Lomé, on a crié sur les toits, on a demandé l'intervention des capitaux des pays du nord, des organisations internationales, pour redresser la situation en Afrique. Nous ne faisons que cela. Vous pouvez nous faire confiance, on va continuer...

LE PRÉSIDENT - Sur la dette, je voudrais d'abord dire que l'annulation de la dette des pays pauvres endettés avance et avance relativement bien. Je voudrais rappeler que l'initiative que j'avais prise en 96, au G7 de Lyon, est un peu à l'origine du processus d'annulation de la dette. Un pas décisif a été franchi alors, puisqu'on a décidé d'aller au-delà des rééchelonnements, ce qui était la technique de l'époque, en prévoyant des annulations du stock de dette et aussi en mettant, c'était le deuxième point capital, à contribution les institutions financières internationales, c'est-à-dire, en clair, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international pour qu'eux aussi apportent leur écho à cet effort général et procèdent à l'annulation de leurs créances.

Alors, ce système s'est mis en marche. Mais on s'est aperçu assez vite que les modalités techniques, qui avaient échappé naturellement aux chefs d'État et de gouvernement et qui étaient mises en oeuvre par les ministères des finances, que ces modalités techniques étaient apparues rapidement trop rigoureuses pour que l'on puisse atteindre le but recherché, qui était de rendre la dette soutenable, acceptable, dans les délais les plus proches possible pour chaque État concerné. Donc, la France a relancé dans les G7 suivants toute une série d'initiatives qui ont permis d'apporter des aménagements successifs pour faciliter l'accès à ce que l'on appelle le point de décision et ensuite réduire le délai pour aller à ce qu'on appelle le point d'achèvement. Ce qui permet de bénéficier plus vite et pleinement des annulations de dettes. Parce que, quand un pays demande l'annulation des dettes, on commence par examiner la situation, puis on décide qu'il y a point de décision. On décide qu'on annulera les dettes et on met en oeuvre une concertation avec le pays pour voir ce qu'il fera en contrepartie, sur le plan social essentiellement. Et on arrive à ce moment-là au point d'achèvement, qui est l'annulation réelle des dettes.

Parallèlement, on a amélioré le quantum, puisqu'on est passé de 80% à 100% d'annulation des dettes. Actuellement, sur la trentaine de pays africains qui sont éligibles, c'est-à-dire qui peuvent prétendre, 23 ont atteint ou sont sur le point d'atteindre le point de décision. Parmi ceux-ci, je constate avec plaisir que se trouve le Cameroun, ce qui veut dire que le Cameroun a su gérer convenablement ses affaires et que les techniciens ont porté un jugement très positif sur la gestion des affaires du Cameroun, qui bénéficiera donc de ces annulations de dettes. Je vous rappelle que, tout en poussant ces initiatives, la France, elle, est allée sensiblement au-delà, en prévoyant non seulement l'annulation de la totalité de la dette à l'égard de son aide publique, mais également des créances commerciales traitées au Club de Paris, ce qui représente pour les pays africains une annulation de dettes de 10 milliards d'euros. 10 milliards d'euros, cela fait de l'ordre de 10 milliards de dollars. Ce n'est pas quelque chose de négligeable.

J'ai annoncé cet après-midi que les autorités françaises avaient pris une décision complémentaire d'annulation de dettes, la semaine dernière, pour accélérer encore le processus d'annulation de dettes, en tous les cas pour ce qui concerne les dettes à l'égard de la France. Car il faut savoir que la France est un gros créancier. Il y a des pays qui disent : annulons ! Annulons ! Et quand on regarde, on s'aperçoit qu'ils n'ont pas de créances. Alors, évidemment, c'est très bien de dire : annulons ! annulons ! quand on n'a pas de créances. Je pense à certains de nos amis européens pour lesquels, par ailleurs, j'ai la plus grande considération. Tandis que nous, on est pratiquement les plus gros créanciers. Alors, évidemment, quand on annule les dettes, cela nous fait plus mal à nous qu'à d'autres. Enfin, néanmoins, nous le faisons pour des raisons de fond.

Ces raisons de fond, tiennent notamment au fait qu'hélas, nous voyons depuis quelques années, depuis dix ans, l'aide publique au développement diminuer. Cela, c'est une évolution extraordinairement dangereuse pour tout le monde. Et tout à fait en contradiction avec les exigences à la fois de la morale, de l'équité et de la sécurité. Il fut un temps où l'on disait : on consacrera 0,7% du produit intérieur brut des pays industrialisés à l'aide au développement. Un pays comme les États-Unis, doit en être à 0,0 quelque chose. En dehors du Japon qui est en valeur absolue le premier contributeur mondial à l'aide publique au développement, et de la France qui est en valeur absolue toujours le deuxième contributeur mondial en ce qui concerne l'aide au développement, et qui ont à peu près maintenu leurs efforts, compte tenu précisément de l'effort fait également en matière de dette, malheureusement la plupart des pays industrialisés n'ont cessé de faire des croix sur l'aide au développement. Je le déplore et il n'y a pas une réunion internationale au cours de laquelle je n'évoque pas ce problème, pour essayer de faire prendre conscience aux pays industrialisés de l'absolue nécessité de poursuivre l'aide publique au développement. Non pas que cela soit une solution permanente et pérenne au problème mais, encore pendant un certain nombre d'années, elle s'impose.

Et pour prouver qu'elle s'impose, je vous citerai simplement deux ou trois chiffres. Les pays, dans un grand élan de générosité, se sont réunis et ont décidé d'adopter un objectif. Cet objectif, c'était de diminuer de moitié la pauvreté en Afrique dans quinze ans. C'est très bien. Ils peuvent souscrire. Il y a progression démographique africaine qui exige, pour maintenir la situation telle qu'elle est, c'est-à-dire la pauvreté au niveau insupportable qui existe aujourd'hui, simplement pour la maintenir, une croissance de 5%. Si l'on veut diminuer de moitié, dans quinze ans, la pauvreté en Afrique, il faut une croissance moyenne de 7%. Alors, est-ce que c'est possible ? L'expérience, notamment d'un certain nombre de pays asiatiques, prouve que l'on peut atteindre une croissance de 7% sur une longue période.

Donc, ce ne serait pas inatteignable. Mais pour l'atteindre, il faut que les investissements soient égaux à 30% du produit intérieur brut de chaque pays. Or, en Afrique, les ressources d'épargne dans chaque pays ne dépassent pas 10% des produits intérieurs bruts. Il y a donc un "gap" entre ce qui est possible et ce qui est nécessaire. Ce "gap" ne peut être comblé que par l'aide publique au développement, naturellement. Il n'y a pas d'autres moyens de le faire. C'est la raison pour laquelle je dis, ou bien nous disons, que nous allons renforcer l'aide publique au développement, pendant au moins une période de 10 à 15 ans, de façon à permettre aux pays africains concernés d'avoir une croissance de 7%. Prenez le Cameroun, qui est un pays bien conduit et bien géré. Il fait 5% de croissance. 5%. C'est tout à fait remarquable. Il faut encore plus, 7%. Donc, ou bien on se met en situation de permettre aux pays africains de faire 7% de croissance, et cela veut dire qu'il faut apporter une aide publique au développement, pour le développement des infrastructures de toute nature, qu'elles soient sociales, économiques, sanitaires, éducatives, etc. ou bien, ce n'est pas la peine de dire qu'on diminuera la pauvreté de moitié dans quinze ans. Parce que ce n'est pas vrai. Voilà, donc, si vous voulez, tout cela est un ensemble. Et nous en avons longuement parlé, naturellement, pendant ces journées. Je voulais faire le point en vous disant qu'en tous les cas, que pour l'annulation des dettes des pays pauvres endettés, les choses évoluent de façon satisfaisante.

QUESTION - Qu'on le veuille ou non, la disparition brutale du Président KABILA a quelque peut éclipsé le thème choisi pour ce sommet. À l'évidence, la violence, l'assassinat, le coup d'État, la guerre demeurent en Afrique comme ailleurs un mode d'accession au pouvoir et de règlement des contentieux politiques et territoriaux. Est-ce que les rencontres tenues en marge des travaux du sommet ont permis de progresser dans la résolution de ce casse-tête récurrent, qui est la prévention des conflits ou le règlement négocié ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, nous avons été unanimes à condamner de la façon la plus ferme et l'assassinat du Président KABILA et l'assassinat, plus généralement, en tant que moyen d'accéder au pouvoir ou d'empêcher quelqu'un d'exercer le pouvoir. C'est tout à fait évident. Pour le reste, il y a eu évidemment énormément de discussions et de réunions en marge du sommet pour examiner la question de la République démocratique du Congo. Il faut dire que nous n'avons pas encore toutes les informations qui permettraient de prendre des mesures. Mais il y a eu un débat intéressant en fin de journée aujourd'hui, à la suite de l'intervention du chef de la délégation de la République démocratique du Congo et, à cette occasion, j'ai précisé que, pour ce qui concerne la France -je crois que c'est un point de vue largement partagé-, nous considérions comme illégitime et inacceptable l'occupation par des pays étrangers d'une partie du territoire congolais, et le pillage des ressources qui en est la conséquence, et que nous estimions qu'il était indispensable de respecter toutes les résolutions de l'ONU, de mettre en oeuvre les accords de Lusaka, nous condamnons les pays qui ne respectent pas leur signature, et de déployer la MONUC y compris naturellement les cinq cents observateurs qu'elle comprend, et, bien entendu, de donner une priorité à la mise en oeuvre du dialogue politique inter-congolais à l'intérieur de la République démocratique du Congo. Et pour ma part, j'ai indiqué que je ne verrais que des avantages à ce qu'il y ait des sanctions économiques prises contre les pays qui ont des comportements que la morale réprouve et qui sont ceux que je viens d'évoquer tout à l'heure.

Je crois que c'est terminé, merci beaucoup.





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