Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République, de M. Giuliano AMATO Président du Conseil italien et de M. Lionel JOSPIN Premier ministre à l'issue du sommet franco-italien (Turin)

Conférence de presse conjointe, de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre et de M. Giuliano AMATO, Président du Conseil italien.

- Propos du Président et du Premier ministre -

Turin, Italie, le 29 janvier 2001)


Le Président - Mesdames, Messieurs, avant de commencer, je voudrais évoquer ce que nous avons dit au début de la séance plénière, c'est-à-dire notre émotion et notre solidarité après les événements dramatiques qui ont frappé l'Inde et, bien entendu, notre pensée très forte pour ces innombrables victimes.

Je voudrais aussi remercier chaleureusement le Président du Conseil, les autorités italiennes, la ville de Turin pour un accueil, comme toujours en Italie, exceptionnel par sa qualité. D'abord, sa qualité matérielle. Ce Palais Royal est évidemment magnifique. Nous avons eu beaucoup de plaisir à le voir et à y travailler. Et puis, sa qualité, je dirais, sentimentale. Tout à l'heure, le président Amato faisait état de la nature de ces relations qui sont celles des Français et des Italiens, c'est particulièrement vrai d'ailleurs ici, à Turin, et qui sont faites d'amitié, de compréhension et de chaleur. Et, terminant la réunion tout à l'heure, le Premier ministre français disait que travailler ici c'était un plaisir. Je crois que le mot était bien choisi.

Et je voudrais donc à mon tour remercier pour cet accueil et remercier en particulier, donc, Turin qui est si proche de la France par l'Histoire, par la géographie, par le c.ur, peut-être surtout, et dire à Turin tous nos v.ux de brillante réussite, dont nous ne doutons pas, pour les Jeux olympiques d'hiver en 2006 qui, je l'espère, seront le préalable aux Jeux olympiques d'été à Paris en 2008.

Premier point capital qu'a souligné le président Amato, c'est la question des franchissements alpins. C'est effectivement une décision historique qui a été prise ce matin. Les autorités françaises y ont beaucoup travaillé et s'en réjouissent naturellement. Vous me permettrez de dire combien, personnellement, je me réjouis de l'aboutissement de ces discussions, car je suis un militant de cette liaison depuis bien, bien des années. Je crois que c'était indispensable. L'économie réclamait cette liaison. Nos populations l'ont souhaitée. Aujourd'hui, les préoccupations environnementales, mais aussi le bien-être de nos vallées alpines, rendaient cette décision nécessaire. Les modes de transport doivent être adaptés, le ferroutage développé.

Bref, c'est une grande décision et c'est une décision irréversible maintenant. Nous allons construire cette voie nouvelle. Nous nous sommes fixé un objectif qui sera une mise en oeuvre pour 2015. Nous devrons être imaginatifs et ambitieux sur le plan de son financement.

Voilà un grand moment pour la relation entre l'Italie et la France, mais, au-delà, pour la construction européenne. Elle se fait aussi par l'amélioration de ses infrastructures.

Je me réjouis aussi que nous ayons pu, que les deux ministres des Transports aient pu trouver un accord pour la réouverture, en toute sécurité, en toutes garanties assurées, du tunnel sous le Mont-Blanc, après le dramatique accident du 24 mars 1999, et ceci pour le mois de septembre. Nous avons naturellement parlé d'autres sujets. Le sommet a été l'occasion de constater combien nos relations étaient étroites. L'Italie est notre deuxième partenaire commercial et nos affinités culturelles n'ont pas besoin d'être soulignées. C'est dire à quel point nous nous sommes réjouis de la signature de cet accord sur l'Université franco-italienne qui a été tout à l'heure évoquée par les ministres compétents.

S'agissant de l'Europe, nous en avons longuement parlé. Là encore, nous partageons les mêmes ambitions, les mêmes réflexions. Et nous avons la même réaction à l'égard des choses.

Nous nous sommes réjouis ensemble de la conclusion d'un accord à Nice, qui était de notre point de vue excellent s'agissant des problèmes de société et le meilleur possible, compte tenu des circonstances, s'agissant de la Conférence intergouvernementale qu'il convenait de clore si l'on voulait poursuivre la politique d'élargissement dont l'objectif est d'enraciner la démocratie, la paix, le développement sur l'ensemble de notre continent. Et nous nous sommes donc réjouis d'avoir réussi cela à Nice. Cela aussi, c'était quelque chose d'historique.

Nous avons chaleureusement salué la déclaration sur l'avenir de l'Europe, sur laquelle nous sommes tout à fait en convergence de vues. Nous avons les mêmes ambitions, je l'ai dit tout à l'heure. Nous sommes des pays fondateurs de l'Europe. Nous avons porté cette Europe jusqu'où elle est maintenant. Et nous continuerons à la porter avec, je le répète, une grande ambition. Et c'est avec enthousiasme, ambition et sérieux que nous abordons ce débat qui va caractériser cette année 2001 dans le cadre des perspectives qui ont été arrêtées par les Quinze dans la déclaration et devant s'achever par une Conférence en 2004.

Les autres sujets européens qui ont été évoqués ont fait l'objet, là encore, d'une très grande convergence de vues et de décisions. Il s'agit de la sécurité maritime, de la sécurité alimentaire, de la préparation du Conseil européen de Stockholm sur les questions économiques et sociales. Nous n'avons dans tous ces domaines aucune divergence de vues.

Enfin, le président Amato a évoqué sa conception du G8, qui tend à revenir un peu à l'essentiel, ce qui avait été quelque peu perdu de vue depuis quelque temps et qui nous apparaît comme une conception parfaitement saine et sereine, comme il faut faire. Donc, à la fois sur les sujets à traiter et sur les modalités de mise en oeuvre de cette conférence du G7/G8, nous sommes complètement d'accord et nous apporterons à l'Italie un soutien aussi ferme et constant comme l'Italie, d'ailleurs, nous a apporté un soutien ferme et constant lors de la présidence française.

Enfin, je me réjouis que l'on puisse signer l'Accord Cosmos-Skymed, car il nous permettra d'acquérir une capacité d'observation satellitaire tout temps, grâce au radar. Et ce programme renforcera les moyens européens de renseignement et accroîtra par conséquent la crédibilité européenne dans ce domaine du renseignement militaire.

En conclusion, je crois que ce XXème Sommet restera une date dans l'histoire des sommets entre l'Italie et la France. Et je me réjouis que cette année 2001 s'annonce comme une année de concertation intense entre nos deux pays avec, je l'ai dit, le travail en commun que nous allons faire dans le cadre de notre ambition commune pour l'Europe, et pour le monde au travers des réunions du G7/G8. Encore une fois, un très grand merci au président Amato, au gouvernement italien et à la ville du Turin.


Le Premier ministre - M. le Président de la République, M. le Président du Conseil des ministres, Cher Giuliano, je m'associe naturellement aux remerciements qu'au nom de la délégation française, le président de la République a adressés à nos hôtes et amis italiens.

Cette XXème rencontre franco-italienne a permis à la fois d'illustrer la richesse et la densité de nos relations bilatérales et la proximité de nos vues en ce qui concerne le futur de l'Europe.

Sur le plan bilatéral, nos relations seraient étroites, même si nous n'avions pas eu aujourd'hui à annoncer des décisions importantes. Mais il vrai qu'il faut marquer que ce sommet franco-italien de Turin est en outre un sommet où des décisions tout à fait décisives sont prises.

Les premières sont celles qui vont frapper le plus sans doute à la fois de ce côté des Alpes et aussi de l'autre côté où j'étais, il y a quelques semaines, deux semaines à peine concernent les décisions que nous prenons sur les traversées alpines. Ce sont des projets dont on parle depuis longtemps. Nous avons donné un premier élan au Sommet franco-italien de Chambéry, il y a trois ans maintenant. Mais, aujourd'hui, nous pouvons annoncer des décisions. Je crois que cela tient à un travail considérable qui a été accompli depuis trois ans entre les deux gouvernements, particulièrement, bien sûr, entre les deux ministres des Transports, mais aussi entre les entreprises ferroviaires de nos deux pays. Et, la Commission intergouvernementale a naturellement permis de cadrer tout cela.

Alors, en ce qui concerne les traversées alpines, nous nous sommes, tous, je crois, rendu compte, que nous devions offrir des possibilités nouvelles, mais que nous ne devions plus le faire de la même manière. Et il est clair que nous devons opérer un transfert de la route vers le rail aussi important que possible. D'où cette nouvelle vision du ferroutage.

En ce qui concerne la réalisation de la nouvelle liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin, nous prenons donc la décision de moderniser la ligne existante, de commencer des expériences de ferroutage à partir de 2002, de les systématiser sur la période 2005-2006 et, naturellement, de creuser ce tunnel international de 50 kilomètres à l'horizon, avec comme perspectives de débouchés 2015. La partie française a arrêté elle-même de ce côté des décisions touchant le tunnel sous la Chartreuse et sous Belledonne et des aménagements routiers et ferroviaires qui permettront de remplir nos obligations.

En ce qui concerne la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, parce que ce travail de trois ans a été en même temps marqué par cette tragédie qui s'est produite et qui a profondément touché nos populations. Nous avons pris la décision d'une réouverture en septembre 2001, mais au terme d'un processus qui garantisse à la fois un haut niveau de sécurité et des mesures de régulation du trafic des poids lourds. Les populations de nos vallées ne pourraient se rallier à cette ouverture si elle devait se faire non seulement dans des conditions de sécurité qui ne seraient pas totalement, ou complètement modifiées, mais surtout en régulant le trafic en même temps que d'ailleurs le ferroutage va apporter ses propres solutions.

Je crois donc qu'il s'agit là de décisions tout à fait majeures qui impliqueront naturellement des financements considérables. Mais, de même que nous avons été capables de dégager les financements nécessaires aux études et que nous avons prévu sur nos budgets ou dans nos contrats de plan les financements nécessaires aux premiers investissements, de même je ne doute pas que les deux gouvernements, et en tous les cas les gouvernements français à travers le temps prendront les engagements financiers sans lesquels on n'avance pas à l'évidence. Je crois que c'est là aussi, un changement majeur qui a été opéré.

Je ne reviens pas sur ce qui a été évoqué par le président du Conseil des ministres et par le président de la République française, mais l'accord de coopération spatiale en matière d'observation de la terre que nous avions signé tout à l'heure, mon Cher Giuliano, est tout à fait important parce qu'il permet d'unir nos capacités respectives, optiques, plutôt du côté français et de radar plutôt du côté italien, en visant des applications à la fois civiles et militaires et, en nous inscrivant dans une coopération bilatérale ouverte elle-même à des perspectives européennes.

L'accord de coopération scientifique et technologique, le lancement de l'université franco-italienne, vous ont été présentés d'une façon particulièrement précise pour que je n'aie pas à y revenir.

A la charnière de nos relations bilatérales et de notre travail en commun dans l'Union européenne, se situe je crois, le plan de la coopération judiciaire entre les deux pays. Car nous avons à la fois à prendre des décisions concernant l'Italie et la France et la déclaration commune des deux ministres de la Justice vont dans ce sens et en même temps, à nous inscrire dans la mise en oeuvre des décisions prises à Tempere dans ce domaine. Piero Fassino a eu l'occasion pendant ce sommet de souligner que les questions dites du troisième pilier auraient dans l'avenir pour nos opinions publiques une importance considérable. Et que les gouvernements devaient être capables de donner des réponses aux problèmes de migration, aux problèmes de justice, d'entraide judiciaire, aux problèmes de lutte contre la criminalité sous toutes ses formes. Et c'est bien dans cet esprit que nous nous inscrivons.

Enfin, en ce qui concerne les questions européennes, je redis ce que je disais au départ, les visions de nos deux pays sont très proches. A la fois en ce qui concerne les réflexions du futur de l'Union, en même temps, et je crois que nous sommes d'accord sur ce point, nous avons insisté du côté français sur le fait que nous étions en 2001, la prochaine conférence intergouvernementale était en 2004 et que nous devions consacrer les mois qui viennent à un véritable débat démocratique.

Il faut que ces questions institutionnelles qui passionnent les experts, qui intéressent beaucoup les journalistes deviennent des questions familières pour nos peuples. Ce n'a pas été le cas jusqu'à maintenant, d'où parfois des incompréhensions et donc à la fois nos parlements nationaux, les forces politiques, mais aussi les syndicats, le mouvement associatif doivent être saisis d'un véritable débat sur la future architecture de l'Europe, et nous souhaitons que cette étape ne soit pas enjambée, sautée trop vite par les gouvernements se pressant de reprendre des processus, puisque la perspective est à 2004.

Nous souhaitons aussi une Europe qui réponde aux préoccupations concrètes de nos concitoyens, d'où notre vision commune et nos décisions notamment d'anticipation sur la sécurité maritime, d'où notre souci de la sécurité alimentaire, même si nous avons encore quelques souhaits bilatéraux en ce qui concerne l'exportation dans votre pays de la viande française, mais vous attendez, je le sais, des décisions de caractère scientifique, nous le comprenons, nous espérons bien que les réponses seront positives et qu'alors vous pourrez prendre à nouveau des décisions positives.

Et enfin, à la fois à moyen terme, puisque nous avons la chance que l'Europe est renouée avec la croissance, mais plus précisément encore pour le sommet de Stockholm, qui est le sommet de printemps consacré aux questions économiques et sociales, nous avons, je crois, la même vision d'une Europe au service de la croissance, du plein emploi et du progrès social, c'est-à-dire d'une Europe qui reste fidèle au modèle européen, voilà comment, moi aussi, après le Président de la République et le président du Conseil, je donnerai l'esprit de notre rencontre qui s'est faite (puisque le président a eu l'amabilité de me citer), sous le signe du plaisir.


Question: - M. le Président de la République, êtes-vous favorable à une réforme profonde de la Politique agricole commune, compte tenu de la crise grave que traverse l'Europe des Quinze ?

Le Président - Si vous faites allusion à la crise de la vache folle, la première chose, et je souscris tout à fait à ce qu'a dit le président Amato, c'est d'avoir une réponse coordonnée européenne à cette crise. Et c'est ce qui est en train de se faire. Aujourd'hui même, je crois, les ministres de l'Agriculture sont réunis avec ce point à l'ordre du jour. Donc, une réponse coordonnée.

Deuxièmement, s'agissant de la politique agricole commune, il faut certainement repenser les choses à moyen terme et à long terme. Mais je ferais néanmoins deux réserves, ou je donnerais deux précisions.

La première, c'est que le cadrage financier de cette Politique agricole commune a été arrêté à Berlin jusqu'en 2006, et c'est un engagement communautaire souscrit, signé. Par conséquent, la France ne saurait accepter la remise en cause de l'Accord de Berlin. La deuxième réflexion, c'est que je comprends très bien ce que dit, à juste titre, M. Amato quand il dit : il est scandaleux d'avoir nourri des herbivores avec des farines carnées. C'est évident. Il y a d'autres excès qui ont conduit à d'autres conséquences fâcheuses pour la santé alimentaire, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que, depuis bien des années, l'ambition essentielle des institutions européennes a été constamment de faire baisser le prix des produits agricoles. Depuis très longtemps, déjà lorsque j'étais ministre de l'Agriculture, je mettais en garde en disant : bien sûr il faut penser aux consommateurs en termes de prix mais il faut aussi penser aux consommateurs en termes de qualité, car une politique systématique de baisse des prix ne pouvait conduire en réaction, de la part des paysans, qu'à une politique, aussi, systématique d'augmentation des rendements de façon à maintenir le revenu. C'est ce qui s'est passé. Au fur et à mesure où on se félicitait de diminuer les prix, eh bien, on avait un nombre de plus en plus grand d'intrants dans l'agriculture, on faisait des rendements de plus en plus importants, avec les risques que cela comportait.

Aujourd'hui, on est probablement arrivé au bout de cette logique, que j'ai condamnée bien souvent, qui ne peut pas être imputée aux paysans qui n'ont jamais demandé cela, qui ont simplement réagi, ne pouvant pas faire autrement, qui doit peut être conduire à une réflexion un peu plus originale de la part des responsables agricoles européens pour ce qui concerne l'avenir d'une agriculture qui, de surcroît, est une puissance et une richesse pour l'Europe, notamment pour ses exportations.

Et j'ajoute, c'est mon dernier mot, que la France n'accepterait en aucun cas que l'on mette en cause la vocation exportatrice de l'agriculture européenne.

Question: - Vous avez parlé également de la nouvelle administration des Etats-Unis. Je voudrais savoir si vous avez de nouvelles informations quant au projet de défense anti-missiles. Et puis, vu qu'en Italie un débat s'est ouvert sur un retour éventuel des héritiers de Savoie, le président du Conseil, en tant que constitutionnaliste, a-t-il un mot à dire à cet égard ?

(...)


Le Président - Sur la première question, je voudrais juste ajouter une phrase. Notre inquiétude tient au fait que, pour nous, à nos yeux, la NMD ne peut pas ne pas relancer la course aux armements dans le monde. Cela nous inquiète énormément.

Deuxièmement, c'est une technologie qui représente des coûts colossaux. Et il nous apparaît qu'il y a quelque chose de contradictoire entre l'augmentation démesurée des dépenses militaires et une diminution très excessive des dépenses d'aide publique au développement dans le monde.






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