Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Premier ministre du Royaume-uni et du Premier ministre à l'issue du Sommet franco-britannique.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Tony BLAIR, Premier ministre de Grande-Bretagne et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre à l'issue du Sommet franco-britannique.

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Cahors, Lot, le vendredi 9 février 2001

LE PRÉSIDENT - Mesdames, messieurs,

C'est le terme de cette journée de travail et de ce sommet entre le Royaume Uni et la France et je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement pour leur accueil la ville de Cahors et son maire qui nous ont reçus avec beaucoup de gentillesse et de soleil. Le soleil dans le ciel et aussi dans le sourire. C'est une terre que les Anglais aiment, c'est comme le Périgord, et que le Premier ministre Tony BLAIR connaît bien.

Nous avons eu un bon sommet, ça n'étonnera personne, qui nous a permis d'adopter de nombreux projets d'intérêt commun, des sujets d'intérêt commun. D'abord, bien entendu, l'Europe. Nous nous sommes réjouis de la réforme des institutions acquise à Nice et qui nous permet d'aborder l'élargissement auquel, vous le savez, l'Angleterre et la France sont très attachées, d'autres aussi naturellement.

Nous sommes également convenus de lancer rapidement le débat sur l'avenir de l'Europe, conformément à ce qui a été décidé dans la déclaration de Nice, et de le faire en concertation, l'essentiel étant la démocratisation du débat qui est une exigence de notre temps et une exigence particulière du moment auquel est arrivée l'Europe aujourd'hui, qui doit en quelque sorte interroger l'ensemble des citoyens. Et donc, nous sommes convenus que c'était bien, comme le prévoit la déclaration, l'ensemble des citoyens qui devaient débattre, c'est-à-dire non seulement le Parlement européen et les Parlements nationaux, bien entendu, mais également toutes les organisations syndicales, professionnelles, associatives, les ONG, les intellectuels, les universitaires, les jeunes, enfin tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont quelque chose à dire. C'est un grand débat démocratique qui est nécessaire.

A plus court terme, la prochaine échéance européenne c'est le Conseil européen de Stockholm qui portera, vous le savez, sur les questions économiques et sociales. Nous avons adopté une déclaration qui recense nos priorités conjointes pour Stockholm. Vous verrez que ces priorités sont assez nombreuses, que ce soit en matière d'innovation, d'emploi, de lutte contre l'exclusion sociale, etc.

Sur la défense européenne, il n'y avait pas d'initiative nouvelle, naturellement, puisque les décisions ont été prises à Nice. Nous avons marqué notre satisfaction des dispositions adoptées à Nice, qui étaient elles-mêmes le terme d'un long processus dans lequel nos deux pays s'étaient très fortement impliqués.

Nous avons donc vu comment nous allions mettre en œuvre ces décisions et nous avons décidé de proposer à nos partenaires la tenue d'une nouvelle conférence de capacités, qui nous paraît aller dans le sens de nos préoccupations.

Nous avons naturellement insisté sur le fait que, contrairement à ce que certains pourraient craindre, le développement de la politique européenne de sécurité et de défense se fait et ne peut que se faire en complète harmonie avec l'OTAN. Il s'agit de deux voies complémentaires qui, au total, renforcent l'Alliance et ses moyens, et non pas de voies concurrentes. Cela va de soi. Nous le répétons depuis longtemps, mais cela va encore mieux quand on le dit.

Sur le plan des questions internationales, nous avons passé en revue toutes les grandes questions internationales d'actualité, les Balkans, le Proche Orient, nous avons eu un échange de vues sur la nouvelle administration américaine et nous avons à nouveau parlé de l'Afrique. Vous savez qu'à Saint-Malo, nous avions décidé d'avoir une concertation plus approfondie sur l'Afrique. Eh bien, nous avons poursuivi nos réflexions dans ce domaine et prévu les initiatives que les ministres des Affaires étrangères de nos deux pays pourraient prendre ensemble en Afrique pour manifester l'importance et l'intérêt que nous attachons à l'évolution de ces pays tant sur le plan de leur développement que sur le plan de la paix.

Il y a eu d'importantes discussions entre les ministres de l'Intérieur, et aussi d'ailleurs entre le Premier ministre français et M. Tony BLAIR, sur les relations trans-Manche. Je demanderai peut-être au Premier ministre, qui les a conduites, d'en parler de façon plus détaillée car c'est un sujet qui préoccupe nos amis britanniques et qui nous préoccupe, aussi, naturellement. Je crois qu'on peut dire que nous avons progressé dans l'approche et l'appréhension communes de ce problème et des difficultés qu'il génère. Il s'agit naturellement de tout ce qui touche l'immigration clandestine et qui doit être traité ensemble.

Voilà, à grands traits, les principales préoccupations que nous avons évoquées. Nous nous sommes réjouis, en fin de réunion, du fait que, pour le Vendée Globe Challenge, un Français et une Britannique illustraient admirablement le lien entre nos deux pays et nous les avons chaleureusement félicités, ainsi naturellement, cela va de soi, que tous les autres candidats à cette course, qui ont tous été tout à fait remarquables dans leur qualité humaine sportive ou technique.

M. TONY BLAIR - Permettez-moi tout d'abord de réitérer les remerciements qu'a exprimés le Président CHIRAC à l'égard du maire et de la commune et des citoyens de Cahors. Nous leur sommes particulièrement reconnaissants de nous avoir offert un accueil très chaleureux dans leur ville. Merci beaucoup, Monsieur le Maire, et merci beaucoup à tous.

Permettez-moi également de dire que nous sommes particulièrement satisfaits de la direction qu'ont pris nos débats aujourd'hui. Je voudrais remercier à nouveau la présidence française de l'Union européenne, comme je l'avais fait après Nice, la remercier pour la conduite de cette négociation très difficile, une négociation qui s'est quand même conclue par un bon résultat qui ouvrait la voie à l'élargissement de l'Union européenne. C'était une vraie négociation, très complexe, mais je voudrais à nouveau rendre hommage à la présidence française pour la conduite de ces négociations.

En ce qui concerne les débats qui ont eu lieu aujourd'hui, je voudrais commencer par l'immigration clandestine. Lionel et moi-même en avons parlé longuement, de même que nos ministres de l'Intérieur. Je suis ravi de voir que nous avons pu trouver un accord sur des mesures à prendre ensemble pour aller de l'avant sur un problème qui touche tant la Grande-Bretagne que toute l'Europe, en particulier sur la législation en France, une législation qui pourra permettre de mieux contrôler les gens qui prennent les moyens de transport pour aller en Angleterre, tant à Paris qu'à Calais, et également les contrôles qui seront faits de façon encore plus exhaustive et permettront de contrôler encore mieux l'immigration clandestine.

Nous sommes également convenus d'aller de l'avant pour contrôler mieux la source de cette immigration clandestine, en particulier dans les Balkans. Et, de plus, nous allons travailler sur la Commission trans-Manche dans un exercice de longue haleine.

La question de l'immigration clandestine et de l'asile est une vraie question, un vrai défi qui se pose à l'Europe d'aujourd'hui. C'est une question, comme je le disais, qui se pose pour la Grande Bretagne mais pour toute l'Europe. Il nous faut trouver la bonne façon de traiter correctement et avec toute la dignité nécessaire les vrais demandeurs d'asile et, dans le même temps, prendre les actions qui s'imposent, les mesures qui s'imposent, contre les trafiquants, les trafiquants de personnes qui agissent généralement en connexion avec la criminalité organisée et les trafics de drogue.

Donc, je crois que les mesures que nous avons adoptées vont permettre de faire une vraie différence sur cette question. C'est pour cela que je voudrais remercier mes collègues français en particulier.

Sur la défense européenne, je me félicite de ce que nous avons pu dire et du fait que nous sommes convenus de suggérer à nos collègues européens de réunir une nouvelle conférence d'engagement des capacités, cette année, et, dans le même temps, de continuer de travailler sur ce que nous avons accepté et décidé à Nice.

Nous avons également décidé des mesures sur la sécurité maritime, sur la sécurité sanitaire des aliments. Dans ce cadre, nous avons parlé de l'ESB évidemment. Nous avons également parlé du sommet économique de Stockholm qui poursuivra le processus de réforme économique et je suis ravi de voir que nous avons adopté des mesures pour unifier le marché des capitaux en Europe, aider les petites entreprises, réduire l'exclusion sociale.

Evidemment, nous avons parlé du Moyen-Orient et je suis ravi, également, de voir l'accord que les ministres des Affaires étrangères ont trouvé sur l'Afrique. Je crois que nous sommes d'accord pour dire qu'étant donné notre lien historique profond avec l'Afrique, nos deux pays doivent faire ce qui est possible, tout ce qui est en leur pouvoir, pour faire progresser la situation sur le terrain.

En ce qui concerne l'avenir de l'Europe, permettez-moi de dire que je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire le Président CHIRAC, en particulier en ce qui concerne la nature même du débat. Je crois, effectivement, qu'il faut faire participer les citoyens européens au débat sur l'avenir de l'Europe. C'est leur Union, leur Europe, et je crois que plus nous allons faire participer les citoyens européens sur la meilleure voie à choisir pour l'Europe, en particulier une Europe élargie, eh bien, meilleur sera le résultat du débat. Là encore, nous partageons ce point de vue avec nos amis français et je suis convaincu qu'avant de préjuger des résultats du débat, il faut faire participer l'opinion publique et les citoyens.

Encore une fois, Jacques, permettez-moi de dire tous mes remerciements tant à vous qu'à Lionel pour m'avoir accueilli et mes ministres. Je crois que nos débats ont été excellents et je crois, Mesdames et Messieurs, que les textes que vous avez, ou que vous aurez, vous montreront que nos débats ont été très productifs.

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier ministre, je voudrais avant tout remercier Bernard CHARLES député-Maire de Cahors, président du Conseil général du Lot, l'ensemble des élus et des autorités qui nous ont accueillis, le plaisir de me retrouver dans ma région.

Je ne vais naturellement pas répéter les points nombreux, qui ont fait l'objet de nos discussions et que vous avez évoqués, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre. J'ajouterai peut-être que nous avons eu, notamment avec le Premier ministre, un échange sur la situation économique dans nos deux pays, sur les perspectives économiques en Europe, et nous avons tenté aussi une appréciation des formes que pourrait prendre l'atterrissage, en quelque sorte de l'économie américaine. Nous espérons, et des signes vont dans ce sens, que ce sera plutôt un atterrissage en douceur qu'un atterrissage brutal, dont les conséquences, bien sûr, sur la conjoncture économique internationale seraient plus fortes. Cela nous a conduit, bien sûr, au delà de nos relations, à réfléchir ensemble au prochain sommet de Stockholm, qui comme sommet de printemps sera consacré aux questions économiques et sociales. Nous avons d'ailleurs, à cet égard, adopté une déclaration qui montre que nous envisageons en commun, de travailler sur certaines des perspectives de Stockholm. Du côté français, nous souhaitons que les chefs d'Etat et de gouvernement essayent de se concentrer sur quelques grands sujets, pour que la discussion soit féconde, dans l'esprit de ce que nous avions fait à Lisbonne, et aussi à Nice. Nous sommes attachés, les uns et les autres, malgré les nuances parfois entre nous, à ce modèle économique et social européen fait d'équilibre et je crois que c'est dans cet esprit que nous entendons travailler, de façon concrète aussi, par rapport aux préoccupations de nos concitoyens qui ont fait l'une des priorités de la Présidence française, nous avons marqué, à nouveau, y compris par un travail et des décisions communes, l'importance que nous attachons à la sécurité maritime, sur laquelle les deux ministres des transports ont travaillé en commun et aussi sur les problèmes de sécurité alimentaire.

Je ne dirai qu'un mot, parce que le Président en a parlé et le Premier ministre aussi, de ce futur de l'Europe et du débat démocratique. Nous ne voulons pas du côté français, je crois que c'est la préoccupation britannique, que soit enjambé ce débat démocratique, ni confisqué ce débat démocratique. Nous devons absolument faire en sorte que le débat institutionnel, le débat sur l'architecture future de l'Europe ne soit pas un débat qui soit mené en vase clos par des experts, qui nous feront d'excellentes propositions, mais qu'on puisse prendre tranquillement le temps de débats nationaux, d'un débat européen, auxquels nous associons les représentants des différents courants dans nos pays et auquel nous associons au maximum notre peuple.

Le Premier ministre a eu raison, je terminerai sur ce point, d'insister sur le fait que le gouvernement français a marqué à travers les deux ministres, particulièrement le ministre de l'Intérieur, mais aussi à travers mon engagement propre, le fait que nous entendions aider la Grande-Bretagne à faire face aux problèmes spécifiques d'immigration clandestine qu'elle doit affronter. Naturellement, ces questions sont valables aussi pour notre pays, nous posent des problèmes, y compris d'ailleurs à Calais. C'est une question européenne, mais il y a un problème particulier sur la liaison trans-Manche, nous en sommes tout à fait conscient, et notre volonté politique au-delà des mesures que nous avons déjà prises, est de renforcer encore notre coopération dans ce domaine et d'apporter à nos amis britanniques tout l'appui dont ils ont besoin. Non seulement, cela passe par un renforcement des moyens, des moyens en hommes pour les contrôles, mais aussi par des évolutions importantes. La ratification du protocole de Sangatte interviendra au plus tard en juin 2001, même si nous sommes maintenant en période de vacances parlementaires, bien sûr, pour cinq semaines environ. Cela permettra aux autorités britanniques d'exercer des contrôles sur les personnes dans les gares françaises concernées et aux autorités françaises d'ailleurs, de faire de même en territoire britannique pour l'entrée en France.

Nous allons également adopter des modifications législatives qui sont nécessaires pour permettre de donner à la liaison Paris-Calais-Londres par l'Eurostar le caractère d'une liaison internationale permettant donc d'assurer une sécurité identique à celle qui existe sur les liaisons internationales.

Nous prendrons aussi des mesures de renforcement en amont du flux de trafic et là, nous avons le souci, Tony BLAIR en a parlé avec Guiliano AMATO, c'est une question que j'avais évoquée avec lui au Sommet de Turin, récemment, nous avons besoin de travailler aussi avec l'Italie, parce que les flux migratoires venant notamment des Balkans, des pays de l'ex-Yougoslavie arrivent souvent d'abord en Italie, parce que la géographie, naturellement, le veut. Pour traiter de toutes ces questions nous mettons en place une commission trans-Manche comportant des experts, des spécialistes des deux pays, des responsables administratifs pour suivre ces problèmes. A travers cela, nous espérons d'ailleurs qu'à partir du moment où ces dispositifs seront mis en place et plus efficaces, que la question des amendes qu'infligent, on comprend bien sûr pourquoi, les autorités britanniques aux transporteurs routiers, donc y compris français, puisse être traitée dans un esprit plus ouvert, c'est-à-dire en gardant la même rigueur, la même sévérité pour tous ceux qui peuvent se faire les complices d'un trafic, mais évidemment en laissant la possibilité à ceux qui ont agi de bonne foi, la possibilité de se défendre véritablement, sans être pénalisés.

Pour le reste, je terminerai en disant que nous ne stigmatisons pas les personnes, les hommes et les femmes qui souvent poussés par la misère, par l'espoir d'une vie meilleure viennent dans nos pays. En même temps, nous savons bien que nous ne pouvons pas les accueillir de façon illégale et dans des conditions dignes, donc, nous devons le leur indiquer, de la façon la plus nette. Et puis, par ailleurs, nous savons tous cela, le prétexte à un trafic criminel dont les conséquences peuvent être tragiques pour les migrants eux-mêmes, on l'a vu avec ces plus de soixante ressortissants chinois qui sont morts dans des conditions effroyables, et pour cette criminalité là, qu'elle prenne ce champ ou qu'elle prenne celui de la drogue ou de la prostitution, nos deux pays de concert avec les autres pays européens ont bien l'intention d'être impitoyable dans le respect du droit.

QUESTION - Vous décrivez l'immigration clandestine comme étant une menace principale à laquelle sont confrontées toutes les nations. Diriez-vous qu'il peut y avoir une immigration légale pour certains ?

M. TONY BLAIR - Je crois que c'est une question toute autre. Bien sûr, des pays peuvent avoir leur propre système qui permet l'immigration légale, notamment pour faire face à certains problèmes de pénuries de compétences dans des secteurs technologiques. Mais c'est tout à fait autre chose, par rapport aux trafics de personnes.

Nous devons absolument faire cesser les choses en termes de législation, et ici en France, en terme de contrôle que nous allons pouvoir opérer. S'agissant des mesures que nous prenons à la source, dans certains des pays qui donnent lieu à cette immigration clandestine, elles seront très importantes pour prévenir cela. Mais, dans le même temps, il faut opérer un distinguo très clair, n'est-ce pas, entre l'immigration légale et le trafic d'êtres humains. La première est parfaitement acceptable. Comme l'autre ne l'est pas, il faut donc être sur ses gardes.

QUESTION - Monsieur BLAIR, quelle sera la différence dans cette idée d'avoir des responsables d'immigration à la gare du Nord et en d'autres lieux en France ? Pensez-vous que ce sera vraiment un pas en avant ?

M. TONY BLAIR - Oui, c'est un pas en avant très important, n'est-ce pas, parce que ce qui va se passer, c'est que les gens vont donc pouvoir vérifier, s'assurer que ceux qui voyagent, même s'ils ne se rendent a priori qu'à Calais, en France, s'ils voyagent à bord de l'Eurostar, s'ils n'ont pas les papiers valables, à ce moment-là ils ne voyagent pas. C'est donc là un très grand pas en avant et, tous les mois, plusieurs centaines, voire plus, entrent illégalement en Angleterre de cette façon. Donc c'est un grand changement, c'est un grand pas en avant. Et la Commission que nous venons de créer, visant à étudier cette question et à voir quelles sont les autres mesures qui s'imposent, constitue un pas très important pour nous. Mais, chaque mois, nous avons des centaines, sur une année des milliers, de personnes, qui entrent illégalement en Grande-Bretagne de cette façon. Nous allons maintenant pouvoir vérifier et les empêcher de monter à bord de l'Eurostar, même s'ils ont l'intention simplement de rester en France au bout du compte. Donc, c'est un changement très important, qui est nécessaire afin d'endiguer ce trafic de personnes humaines.

QUESTION - Monsieur le Président, il semble que, ce matin, avec le Premier ministre britannique, vous ayez évoqué une Europe fédérale d'Etats-Nations. Pourriez-vous expliciter cette réflexion, s'il vous plaît ?

LE PRESIDENT -Nous avons évoqué l'avenir de l'Europe. Nous voyons bien que nous sommes, après Nice et avec l'élargissement, à un moment où il faut très sérieusement s'interroger sur quelle Europe voulons-nous pour demain et après-demain. Car il y a d'abord la forme et ensuite le fond.

La forme : nous ne pouvons plus imposer une Europe en dehors de tout débat démocratique. Et cela a été, je crois, l'un des acquis de Nice que de décider qu'un grand débat démocratique serait engagé pour que les Européens et, dans chacun de nos pays, les uns et les autres, puissent s'exprimer sur ce qu'ils veulent, sur ce qu'ils sentent, quelles sont leurs intuitions, quelles sont leurs volontés. Je crois que c'est capital. On ne peut plus traiter aujourd'hui les grands problèmes concernant l'avenir simplement au niveau des bureaux, des administrations ou des responsables politiques. On ne peut pas confisquer les débats. C'est vrai pour la mondialisation, c'est vrai pour l'Europe.

Alors, à partir de là, j'observe, en écoutant, en regardant, que tout nous conduit à approfondir la démarche européenne, à approfondir l'Europe. A nous intégrer davantage. Nous voyons bien aujourd'hui la puissance américaine. Nous voyons les perspectives de puissance en Asie, la Chine, le Japon, même s'il connaît quelques difficultés actuellement, il en sortira plus vite qu'on ne le pense, l'Inde, l'Amérique du sud. Nous voyons bien que, si nous voulons conserver notre place dans le monde, si nous voulons maintenir nos valeurs et les défendre le cas échéant, nous devons être organisés. Je crois que plus personne ne le conteste, encore que ce débat aura probablement pour effet également d'en faire prendre plus clairement conscience. Et que, par voie de conséquence, cette plus grande intégration, cet approfondissement nous conduisent effectivement vers ce que certains pourraient appeler une Fédération d'Etats-Nations. Si je parle de Fédération d'Etats-Nations, je dis tout de suite que je ne fais référence à aucun principe revendiqué par les uns ou les autres. Je crois que la véritable notion sortira du débat démocratique. C'est en s'appuyant sur ce débat que l'on pourra le définir.

Je pense que personne, aujourd'hui, en Europe, n'est prêt à renoncer à l'identité de sa nation. Je ne crois pas, en dehors naturellement de quelques personnalités, soit visionnaires, soit, peut-être, moins responsables, je crois que personne ne peut aujourd'hui envisager de remettre en cause les Etats-Nations dans leur identité, en tant que personnes du droit international. Mais, en revanche, chacun voit bien que le rapprochement, l'intégration, conduisent à un système qui est déjà une certaine fédération et qui ne peut qu'accentuer cette image, cette organisation.

Alors, voilà la façon dont je ressens les choses, aujourd'hui. Mais, je le répète et c'est ce qui est essentiel, tout ceci doit aujourd'hui dépendre non pas de l'affirmation de quelques responsables mais doit sortir d'un vrai et grand débat démocratique éclairant l'ensemble du problème, à partir de quoi, naturellement, les responsables politiques pourront en tirer des conclusions. Voilà ce que je pense aujourd'hui.

QUESTION - Je voudrais rester sur ce débat sur l'avenir de l'Europe. Je voudrais savoir si le Premier ministre a une réaction à cette proposition de Fédération d'Etats-Nations ? Egalement si le Premier ministre britannique pourrait nous donner sa réaction sur l'idée d'une Fédération d'Etats-Nations ?

LE PREMIER MINISTRE - La formule de la Fédération d'Etats-Nations a été employée par le mouvement d'idée, le mouvement politique auquel j'appartiens depuis plusieurs années. Je l'ai utilisée moi-même donc, sur mon rapport à ce concept précis, je le reconnais comme mien. Mais ça laisse quand même au débat le temps de se conduire et de s'ouvrir dans l'esprit que j'ai indiqué tout à l'heure, qui est celui, effectivement, d'un débat démocratique non confisqué et non enjambé parce que l'année prochaine, c'est 2002, l'année suivante c'est 2003, donc l'année prochaine ce n'est pas 2004 !

M. TONY BLAIR - Moi, j'ai une vision tout à fait particulière et très claire. Je ne voudrais pas faire de commentaire sur une phrase en particulier et sur une expression en particulier mais je crois que j'en reviens au discours que j'ai fait à Varsovie, l'an dernier. Je crois que c'est très clair : l'Europe va continuer de coopérer, de coopérer de façon de plus en plus intense. C'est déjà vrai dans le domaine de la défense, du marché unique, de l'environnement. L'asile et l'immigration sont deux domaines dans lesquels l'Europe coopère de plus en plus et c'est tout à fait normal.

Donc, je crois que plus ce sera clair pour tout le monde que la coopération ne nous force pas à abandonner nos intérêts, mais qu'au contraire les Etats-Nations sont protégés et interviennent dans la coopération, plus ce sera accepté.

Je veux vraiment que la Grande-Bretagne soit en Europe et soit un vrai acteur de l'Europe, pas juste parce que je suis en faveur de l'Europe mais parce que c'est un des intérêts nationaux de la Grande-Bretagne. Donc, je crois vraiment que ce qu'a dit le Président est tout à fait exact. Je crois qu'il n'y a aucun pays en Europe, aujourd'hui, qui veuille abandonner ses intérêts, qui veuille abandonner l'Etat-Nation tel qu'il existe. Je crois que nos deux pays représentent des Etats-Nations fiers de leur Histoire. Et je crois qu'avec une coopération intensifiée en Europe, l'idée que nos nations se rapprochent de leur plein gré, parce que c'est dans leur intérêt, est protégée. Donc je crois que plus l'Europe sera proche des citoyens européens, plus cette coopération sera intense. Donc c'est pour ça qu'à mon avis, le débat sur l'avenir de l'Europe ne doit pas être préjugé. Il ne faut pas l'éviter et il faut absolument faire participer les citoyens pour qu'ils nous donnent leur avis, leurs idées, leur volonté pour l'avenir. Mais je suis convaincu qu'avec le temps, l'Europe sera de plus en plus forte, de plus en plus unie. Et, pourtant, les pays qui se rapprocheront voudront continuer à préserver leur identité. Mais il faut savoir que ce sentiment de mouvement vers la coopération la plus intense sera essentiel dans le débat.

LE PRESIDENT -Juste un mot pour ajouter que j'adhère totalement à ce que vient de dire le Premier ministre, M. Lionel JOSPIN, quand il dit que ce débat est très important et qu'il doit être ni confisqué, ni enjambé. Ça, je trouve que c'est une exigence très importante.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé de la nécessité d'impliquer les populations dans l'avenir de l'Europe. Ça comprend M. MENDELSON en tant que Commissaire pour l'euro···

M. TONY BLAIR - Ne posez même pas la question ! Je ne ferai aucun commentaire...

QUESTION - Monsieur le Président, une question à vous, une question au Premier ministre. Tout d'abord, une explication. M. MENDELSON est un ancien ministre qui recherche un nouvel emploi, c'était donc la question que posait mon collègue.

Vous auriez aujourd'hui exprimé un vif désir de maintenir les développements de la défense européenne proches de l'OTAN et des Etats-Unis. Vous seriez peut-être inquiet des développements aux Etats-Unis, à caractère unilatéral s'agissant d'un bouclier anti-missile, qui pourrait séparer les intérêts de l'Europe et des Etats-Unis. Je me demande si vos propos ont été correctement repris sur cette question et je me demande si le Premier ministre pourrait répondre à la question de mon collègue tout à l'heure. M. MENDELSON aurait dit qu'il souhaiterait que vous expliquiez au monde qu'il n'a pas menti et nous nous demandons si vous avez une remarque à faire à ce stade sur cette question, merci.

LE PRESIDENT -Nous sommes ici à Cahors. Une ville dont nous sommes fiers, où l'on mange bien et où l'on travaille dans la sérénité. Nous ne sommes pas ici pour parler des problèmes internes de l'Angleterre ou de quelque pays que ce soit. Bon. Alors, je vais répondre sur la NMD, qui me paraît la question de substance. Le reste n'étant pas de notre compétence.

Alors, c'est vrai que nous sommes nous, Français, et nous ne sommes pas les seuls, inquiets à l'idée de la mise en œuvre d'un parapluie plus ou moins important, que les Américains appellent aujourd'hui la NMD. Nous sommes inquiets, d'abord parce que nous pensons que c'est une incitation forte à la prolifération. Vous savez, c'est la plus vieille question du monde, c'est la lutte entre le glaive et le bouclier. Depuis l'origine du temps, depuis la découverte de l'arc, il y a dix mille ou douze mille ans, il y a la lutte entre le glaive et le bouclier. Et il n'y a pas un exemple que les civilisations du monde puissent retenir où le bouclier aurait gagné. Jamais. C'est toujours le glaive qui a gagné, par définition.

Alors, cela veut dire que ce nouveau bouclier risque fort de nous engager vers une amélioration du glaive, qui gagnera naturellement, mais qui coûtera extrêmement cher. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la prolifération et c'est donc ce qui nous inquiète énormément.

Deuxièmement, la mise en œuvre d'un système de cette nature va perturber les relations internationales, fortement, et créer des oppositions alors qu'il va de soi que l'intérêt du monde d'aujourd'hui c'est d'aller vers le calme et non pas vers les tensions. Or une initiative de cette nature ne peut qu'engendrer des tensions. Et nous, nous ne sommes pas favorables aux tensions.

Alors, troisième et dernier élément, cette ambition, ce projet, d'ailleurs plein d'incertitudes techniques, va coûter extraordinairement cher. Et nous trouvons que, véritablement, le monde étant ce qu'il est, l'aide publique au développement étant réduite à ce à quoi elle a été réduite, les perspectives démographiques par grandes régions du monde étant ce qu'elles sont, il ne nous semble pas tout à fait prioritaire, pour des hommes responsables ayant une certaine vision de l'avenir, de consacrer des sommes aussi importantes à un projet qui, par ailleurs, a les caractéristiques que je viens d'évoquer. Voilà pourquoi nous sommes tout à fait réservés.

Mais, naturellement, nous souhaitons nous concerter avec l'ensemble de nos partenaires, notamment européens, pour avoir une attitude commune à l'égard de la nouvelle administration américaine, que nous ne connaissons pas encore, en fait.

QUESTION - Un dernier point, Monsieur le Premier ministre. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ? Vous nous avez dit que des progrès avaient été faits sur l'Eurostar et la police. Vous nous aviez dit à peu près la même chose il y a un an. Quels sont les vrais progrès qui ont été faits ? Est-ce que c'est parce que la France est prête à ratifier plus rapidement ? Et puis, une deuxième chose, est-ce que je pourrais poser à M. JOSPIN la question suivante : est-ce que c'est votre intention que la Commission trans-Manche s'occupe des questions sociales et également du blocus des ports ?

M. TONY BLAIR - Bien, alors je crois que les mesures très pratiques qui ont été adoptées aujourd'hui sont très différentes de ce qui a été fait avant. Les contrôles conjoints à la gare du Nord, cela veut dire que des officiels britanniques vont pouvoir exercer les contrôles de police sur ceux qui prennent le train à Paris. Deuxièmement, des contrôles entiers sur tous les services Eurostar entre Paris et Londres, pour éviter que ceux qui ont un ticket pour Calais ne puissent prendre ce train s'ils n'ont pas les documents nécessaires pour pouvoir passer la frontière, si jamais ils ne descendaient pas à Calais.

Comme le disait le Premier ministre, après l'intersession parlementaire, les dispositions nécessaires seront prises pour modifier la législation de façon à nous permettre de mettre en œuvre les contrôles dont nous avons besoin. Nous n'allons pas pouvoir bloquer complètement l'immigration illégale mais nous allons pouvoir faire des contrôles. Il est très clair qu'aujourd'hui, il y a plusieurs milliers de personnes qui prennent un billet Paris-Calais avec l'intention d'aller jusqu'à Londres même s'ils n'ont pas les documents de voyage nécessaires pour aller jusqu'à Londres. Nous allons les bloquer à la frontière.

LE PREMIER MINISTRE - Oui je crois, comme le Premier ministre Tony BLAIR, que les nouvelles mesures qui vont être arrêtées au delà du travail qui a déjà été accompli, dans la mesure où elles répondent à des lacunes du droit et aussi à des trous dans les dispositifs de contrôle, je pense que ces nouvelles mesures apporteront véritablement un surcroît d'efficacité et un changement réel. Quant aux questions sociales, s'il en est ou s'il en naît, et bien elles seront traitées comme d'habitude entre les deux gouvernements mais pas dans le cadre de cette commission dont l'objet est spécifique et concerne l'immigration illégale et le travail des êtres humains.

LE PRESIDENT -Voilà, Mesdames et Messieurs, nous vous remercions chaleureusement.





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