Conférence de presse du Président de la République à l'issue de sa visite en Algérie.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue de sa visite en Algérie.

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Résidence El Mithak, Alger, Algérie, le samedi 1 décembre 2001

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs,

Je voudrais saluer et remercier les journalistes de la presse algérienne, de la presse française et les autres. Je voulais tout d'abord remercier très chaleureusement le Président BOUTEFLIKA et les autorités algériennes. Et aussi le peuple algérien qui nous a accueillis tout à l'heure avec beaucoup de gentillesse et beaucoup de chaleur qui m'ont beaucoup ému.

C'était en effet une vraie émotion pour moi de venir dans ce quartier d'Alger qui a été si cruellement meurtri par ce récent drame qui a connu tant de victimes. Et si je n'étais pas venu plus tôt m'incliner devant la douleur des familles, devant les victimes, c'est parce que je savais que je devais venir quelques jours plus tard en visite, non pas officielle, mais de contact amical en Algérie. Mais j'étais tout de même très ému, tout à l'heure, d'imaginer l'ampleur de ce drame, d'imaginer ce qu'avaient pu ressentir les victimes, ceux qui ont tout perdu et qui se trouvent pratiquement dans l'obligation de recommencer, en quelque sorte, une vie dans ce quartier de Bab-el-Oued, bien sûr cher au coeur des Algérois et des Algériens, mais, vous le savez aussi, cher au coeur de beaucoup de Français.

Je remercie donc le Président BOUTEFLIKA qui m'a permis de rendre cet hommage et de manifester ainsi cette solidarité concrète et affective que l'immense majorité des Français, pour ne pas dire tous les Français, ont ressentie à cette occasion pour les Algériens. J'ai d'ailleurs dit au Président que la France souhaitait participer activement au rééquipement de la maternité et de l'hôpital Maillot de Bab-el-Oued et aussi apporter une aide aussi efficace que possible pour les projets à plus long terme destinés à améliorer les conditions de vie de cette population, notamment en matière de réhabilitation des quartiers sinistrés et aussi de résorption de l'habitat précaire. Nous sommes également tout prêts, je l'ai dit au Président, à soutenir de façon importante, financièrement, la modernisation des réseaux de distribution d'eau dans la capitale qui ont été, naturellement, affectés par ce drame.

Alors, au cours de nos entretiens, nous avons également évoqué la situation internationale, la lutte contre le terrorisme, en ayant parfaitement conscience que cette lutte ne pouvait être que globale, c'est-à-dire mondiale, que son expression afghane et militaire, aujourd'hui, est un des éléments de cette lutte plus générale qui doit associer l'ensemble de nos moyens en matière de police, de justice, de renseignements pour lutter contre tout ce qui permet à ce terrorisme de se développer : les moyens financiers, les moyens judiciaires. Et dans ces domaines, nous partageons tout à fait le même sentiment.

Nous avons également évoqué la nécessité d'un accord politique, le soutien que nous apportons à M. BRAHIMI dans le processus de Bonn. Nous avons évoqué aussi la nécessité d'une aide humanitaire d'urgence et la nécessité de la faire parvenir. Nous y travaillons. Ce n'est pas toujours facile. La nécessité, également, dès qu'il y aura des autorités afghanes représentatives, c'est-à-dire un gouvernement de transition provisoire, de mettre en place un plan de reconstruction de ce pays qui a été entièrement détruit par les Taleban.

Nous avons, vous l'imaginez, évoqué les crises régionales et tout particulièrement celle du Proche-Orient. Mais, là, notre conscience commune s'est affirmée en ce qui concerne la nécessité de trouver le moyen pour les deux partenaires, Israéliens et Palestiniens, de se mettre à la même table, et d'urgence, je dirai, sans préalable si possible, pour restaurer la paix. Je crois que l'on a connu depuis l'Intifada le millième mort. C'est ce que j'ai lu dans le journal aujourd'hui, dont, je crois, 200 Israéliens et 800 Palestiniens. Comment, si j'ose dire, en est-on arrivé là ? Il est temps, grand temps, que la raison reprenne le dessus des deux côtés de la table.

Enfin, j'ai évoqué longuement avec le Président la nécessité de s'associer davantage, ce qui est son sentiment comme d'ailleurs celui du Président BEN ALI que j'ai vu ce matin, dans un effort pour développer le dialogue des cultures. Nous refusons le choc des civilisations que certains voudraient imaginer et qui est à la fois absurde, infondé et dangereux, naturellement, comme tous les chocs.

Nous souhaitons refuser à ce titre tout amalgame, qui est parfaitement infondé là aussi, entre le terrorisme et l'islam. L'islam est une religion qui, comme toutes les grandes religions, est une religion de paix et de charité au sens authentique du terme, qui n'a rien à voir avec l'expression criminelle que rien ne saurait ou ne peut justifier qui est celle des terroristes.

J'en ai profité d'ailleurs pour lui dire l'importance que nous attachions, évidemment, à la très importante et très active communauté algérienne en France, pour bien sûr nous réjouir du fait que nous n'observions pas, aujourd'hui, de problème particulier pour ce qui concerne cette communauté, je veux dire lié aux événements internationaux et aux tensions que nous connaissions, mais que nous devions y être très vigilants. J'ai tenu à lui dire combien je voulais rendre hommage, ici, en Algérie, à cette communauté qui est, pour une grande part d'entre elle, française, mais qui reste très profondément attachée, naturellement, à sa terre d'origine.

Dans le domaine des relations franco-algériennes, nous avons constaté une très grande convergence de vues. Cela se manifeste sur le plan économique où nos relations augmentent d'année en année. Et chaque année, elles s'améliorent sur le plan qualitatif, également.

Nos échanges politiques n'ont jamais été aussi intenses. Il en va de même d'ailleurs pour nos échanges entre les collectivités locales, entre les parlementaires, au sein de la société civile. Nous avons rouvert le Consulat général d'Annaba, celui d'Oran va rouvrir bientôt. Le Centre culturel est un succès, le lycée international, que nous faisons ensemble à Alger, sera prêt pour la rentrée prochaine, en 2002, je crois.

Tout ceci est évidemment très satisfaisant et nous préparons activement ensemble l'année de l'Algérie en France qui aura lieu en 2003. Le responsable français pour cela est M. BOURGES. Nous sommes tout à fait satisfaits de l'évolution qui permettra de renouer un contact important entre deux traditions, deux cultures, deux civilisations à la fois fortes et anciennes. Naturellement, il reste toujours à faire. Mais je dois dire que l'horizon est un peu à l'égal du soleil qui nous a accueillis en arrivant ici.

Enfin, je me suis réjoui du fait que les discussions sont pratiquement terminées avec l'Union européenne pour l'accord d'association. Je crois que c'est une très bonne chose pour l'Algérie. C'est une très bonne chose aussi pour l'Europe et pour la France. Je me suis donc réjoui de cette bonne évolution qui va permettre à l'Algérie de signer certainement avant la fin de l'année l'accord d'association avec l'Union européenne.

QUESTION - Monsieur le Président, bienvenue en Algérie. Vous avez parlé effectivement de relations économiques qui s'améliorent. J'aurais voulu savoir en quoi elles s'améliorent avec l'Algérie. Est-ce qu'on pourrait quantifier, donner des signes concrets de cette amélioration des relations économiques entre la France et l'Algérie ?

Le deuxième point, c'est celui d'Air France, c'est-à-dire ou une compagnie aérienne qui tarde à venir. On sait que nous avons Allitalia qui n'a pas hésité à se poser en Algérie dans des conditions difficiles, donc à aider l'Algérie, alors que la France a été terriblement absente dans le coeur, non seulement des Français d'Algérie, dans le coeur des Algériens en Algérie, mais également des Français d'origine algérienne.

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, je ne vais pas sortir des chiffres de ma serviette même s'ils y sont. Quand je vous dis que les relations économiques entre l'Algérie et la France se sont améliorées, c'est dans tous les domaines. C'est vrai de nos échanges commerciaux qui progressent chaque année, notamment depuis trois ou quatre ans. C'est vrai des investissements français en Algérie qui progressent également de façon importante.

C'est vrai de l'intérêt que portent les investisseurs français à l'Algérie, mais aussi que portent les hommes d'affaires algériens à la France. C'est quelque chose, je ne dirais pas de nouveau, puisque cela date de quelques années, mais c'est quelque chose qui va croissant et qui est indiscutable.

Sur la desserte ? Air France, bon, il faut dire les choses, a été traumatisé par ce qui s'était passé et que n'a pas connu Allitalia. Et cela explique les craintes des personnels d'Air France. Or ce n'est pas l'État qui prend ces décisions, c'est la compagnie. Et la compagnie, naturellement, a très envie de revenir. Ah oui ! En France, c'est la compagnie qui prend la décision et si l'État voulait se substituer à la compagnie, vous auriez immédiatement une grève générale, c'est notre système. Air France souhaiterait vivement revenir, notamment parce que c'est un marché intéressant sur le plan financier. Mais il faut reconnaître qu'Air France n'a pas encore trouvé les conditions acceptées par son personnel. Je crois qu'on y arrive et j'espère qu'on y arrivera parce que je souhaite que le pavillon d'Air France soit ici aussi. Alors, je dois dire qu'en attendant, Airlib est pratiquement sur le point de décider de venir à Alger, ce que je souhaite également beaucoup.

QUESTION - Bonjour, Monsieur le Président. Vous avez dit qu'il y avait une importance de la situation internationale, vous avez largement développé les questions du terrorisme et vous avez parlé de l'amitié entre le Maghreb et la France et des relations bilatérales. Si vous deviez hiérarchiser entre ces trois temps et donner un sens à votre visite, qu'est-ce qui l'emporte ?

LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas que l'on puisse faire de priorités. Je pense que l'intérêt de l'Europe, et en particulier l'intérêt de la France et des autres pays méditerranéens, c'est de renforcer la relation entre les deux bords de la Méditerranée. Je crois qu'en 1995-1996, j'avais eu l'occasion, étant invité par l'Université du Caire, de faire un discours où j'avais évoqué l'idée du processus de Barcelone. Et je disais : il faut faire de la Méditerranée non plus un obstacle, mais un pont. Cela, je crois que c'est ma conviction profonde. Je crois que l'ensemble de l'Afrique du nord a intérêt, comme nous l'avons fait en Europe, à régler ses problèmes et à renforcer ses liens, comme nous le faisons en Europe, et qu'ensuite il faut que ces deux grands ensembles européen et maghrébin aient une relation très forte et croissante. Cela, c'est l'idée générale.

Dans ce contexte, il va de soi que l'Algérie étant un peu le pivot dans le Maghreb, la relation entre la France et l'Algérie, pour des raisons à la fois géographiques, économiques, mais également pour des raisons historiques, doit être une relation forte et confiante. Il se trouve que nous avons à assumer le poids de l'histoire. Mais le poids de l'histoire, cela finit par s'effacer. Le poids de l'histoire était beaucoup plus difficile à effacer entre l'Allemagne et la France. Il n'existe plus du tout. Et pourtant le contentieux était séculaire, considérable et se chiffrait par des millions et des millions de morts, dans des guerres successives. Donc j'ai la conviction très profonde que la relation entre la France et l'Algérie est dans la nature des choses, dans l'intérêt des deux pays, des deux nations, des deux peuples et qu'elle ne peut que se développer.

Enfin, troisièmement, parmi les raisons qui justifient tout cela, il y a le fait qu'en France, nous avons un grand nombre d'Algériens. Nous avons près de cinq millions de musulmans, en France, dont pratiquement plus des quatre cinquièmes, on peut dire quatre millions et demi, sont d'origine maghrébine et dont un nombre très important est d'origine algérienne. Par conséquent, nous ne pouvons pas ignorer cette réalité. Qu'ils soient Français ou qu'ils soient Algériens ou Marocains ou Tunisiens, mais travaillant en France. C'est une réalité qui fait partie de notre chair, qui participe à toutes nos joies, tous nos malheurs, nos inquiétudes, nos espoirs, etc. Tout ceci nous conduit naturellement à une relation préférentielle, privilégiée.

QUESTION - Monsieur le Président, en matière de lutte contre le terrorisme, l'Algérie sait de quoi elle parle, malheureusement. Est-ce qu'il vous a semblé que le Président BOUTEFLIKA avait une appréciation spécifique de la manière dont la communauté internationale lutte contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre aux États Unis ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas à faire parler, naturellement, le Président BOUTEFLIKA. Il est certain que, s'agissant de la lutte contre le terrorisme tel qu'il est incarné par El Qaida, BEN LADEN ou ceux qui les entourent, sa détermination est très, très grande. D'ailleurs, de ce point de vue, dès le lendemain des attentats aux États-Unis, la position de l'Algérie n'a fait aucun doute pour personne. En revanche, nous tirons un certain nombre de conclusions. Et de ce point de vue, je peux vous dire que la relation pour un objectif de lutte contre le terrorisme entre l'Algérie et la France, aujourd'hui, se renforce, au niveau du renseignement, au niveau de la coopération. Elle se renforce sensiblement. Je m'en réjouis et c'est dans l'intérêt des deux pays.

QUESTION - L'Algérie comme la Tunisie se sont plaintes à plusieurs reprises qu'un certain nombre de réseaux terroristes trouvait un appui, voire une base arrière, en Europe, dans certains États européens. Est-ce que rétrospectivement, vous trouvez que ces critiques étaient fondées ?

LE PRÉSIDENT - Oui. Je n'accuserai personne, mais elles l'étaient. Et c'est d'ailleurs pourquoi nous avons considérablement accéléré, au niveau européen, l'élaboration de l'espace judiciaire commun et en particulier le mandant d'arrêt européen. Ceci afin de lutter contre tous les sanctuaires que pouvaient trouver, ici ou là en Europe, un certain nombre de terroristes. C'est un fait. Je pense qu'à notre Conseil européen de Laeken, dans quelques jours, nous pourrons boucler définitivement cette affaire et décider de la création du mandat d'arrêt européen, qui se substituera aux procédures d'extradition et qui, par conséquent, rendra beaucoup plus difficile les sanctuaires où les terroristes pouvaient se trouver, ici ou là en Europe, plus à l'aise.

Je vous remercie.





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