Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Premier ministre à l'issue du Conseil extraordinaire des chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre à l'issue du Conseil extraordinaire des chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne.

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Lisbonne, Portugal, le vendredi 24 mars 2000

LE PRÉSIDENT - Nous sommes heureux de cette occasion de faire le point avec vous à l'issue de ce Conseil et vous comprendrez que je souhaite commencer par des remerciements, qui ne sont pas seulement diplomatiques, qui sont sincères et que je viens exprimer au nom de la France à la présidence portugaise qui a très bien réussi, après avoir très bien entrepris la préparation de ce sommet. Au fond, on peut se poser la question : qu'est-ce qu'un bon Conseil européen ? C'est un Conseil qui vient à point nommé, à son heure. C'est un Conseil qui donne lieu à une vraie discussion, qui permet aux gens de s'exprimer sans pression. Et c'est un Conseil qui débouche sur un certain nombre de décisions concrètes. Je crois qu'on peut dire que c'est ça, un bon Conseil. De ce point de vue, ce Conseil de Lisbonne, je crois qu'on peut le dire, a été un bon Conseil. J'en tire d'emblée deux enseignements. D'abord, on peut dire maintenant qu'il y a, aujourd'hui, un vrai modèle social européen reconnu de tous. Même si, naturellement, il y a des différences entre nos pays, ce qui est tout à fait normal. Ce modèle s'est construit petit à petit, au fil des années, et c'est une force pour l'Europe et pour nos peuples. C'est le gage d'un meilleur développement. Nous avons voulu conforter ce modèle tout en soulignant la nécessité de l'adapter en permanence, et de l'adapter par le dialogue et, notamment, naturellement, par le dialogue avec les organisations professionnelles et syndicales. Deuxièmement, nous avons voulu adresser aux Européens un message de dynamisme. Nous avons voulu affirmer notre confiance dans les chances de l'Europe. Pour cela, nous avons voulu montrer que nous unissions nos énergies pour faire l'Europe de la croissance et de l'emploi. Ou, en tous les cas, pour mettre tous les atouts de notre côté pour la promotion de la croissance, qui est revenue, et de l'emploi. Nous avons voulu tirer, en un mot, le meilleur de notre Union économique et monétaire. Nous voulons mettre l'innovation -cela a été un thème que nous avons très largement développé- au coeur de nos stratégies économiques et sociales. Nous voulons mobiliser nos ressources humaines. Et au fond, je dirai que nous voulons faire confiance à l'homme. Dans la société de l'information, fondée sur l'intelligence, les qualifications et la connaissance, l'économie et l'humain seront de plus en plus solidaires, et donc ils doivent être conjugués. Nous sommes tombés d'accord sur un certain nombre d'objectifs et de résultats concrets pour la croissance, pour l'emploi, pour l'innovation et aussi en ce qui concerne la lutte contre l'exclusion, notamment les nouvelles formes que l'exclusion peut prendre dans une société marquée par l'omniprésence des moyens informatiques et des nouvelles technologies de l'information. La référence à une croissance de 3% qui était, vous le savez, une proposition française, comme objectif, non pas simplement comme voeu pieux, est une référence utile pour l'Europe, un objectif utile pour l'Europe. Tout simplement parce que c'est un objectif mobilisateur et que nous sommes dans une période où les opinions publiques, nos concitoyens, se rendent bien compte que la croissance est revenue. Et donc, il y a un climat favorable à la mobilisation. Donc, cet objectif, de ce point de vue, est positif. Naturellement, il faut que nous définissions ensemble les moyens d'installer cette croissance dans la durée, et notamment par la poursuite de nos réformes et de nos adaptations à la fois structurelles, économiques et sociales. Nous avons également affirmé l'objectif d'une véritable activité pour chaque Européen dans les prochaines années. Nous pensons que c'est un objectif aujourd'hui accessible, et, notamment si nous envisageons un certain nombre de mesures, sur lesquelles je reviendrai, pour permettre l'adaptation de l'emploi aux réalités d'aujourd'hui. Nous avons également arrêté les orientations nécessaires pour accélérer le développement de l'économie de la connaissance. Nous avons fait pour cela le choix de l'innovation, de la mobilisation de notre potentiel technologique, de l'affirmation selon laquelle la vue pessimiste des choses, qui s'affirme dans les propos de ceux qui disent que nous sommes en retard sur les États-Unis, doit être très largement corrigée, en soulignant l'importance des secteurs où nous sommes, non seulement à égalité, mais souvent en avance sur les Américains, dans ces nouvelles sciences et techniques. Nous avons pris un certain nombre de décisions dans cet esprit : créer un brevet communautaire au plus tard en 2001, installer Internet dans la vie des Européens, et pour cela abaisser son coût d'accès, connecter toutes nos écoles dès 2001, favoriser la création d'entreprises de croissance, créer un espace européen de la recherche, mettre en place des pôles européens universitaires de recherche d'excellence, adopter une charte des PME pour conforter leur rôle moteur dans l'activité et dans l'emploi. Ces objectifs, nous les réaliserons si nous savons accompagner la transformation de nos sociétés vers plus d'initiative, plus de responsabilité, plus de dialogue. Donc, faire toujours plus confiance à l'homme. Le terrain social à tous les niveaux et notamment, bien sûr, européen, est appelé dans cet esprit à jouer un rôle majeur dans l'évolution de notre modèle social et de nos systèmes de formation. Nous avons souhaité lui donner toute sa place. Il doit contribuer à ce que cette nouvelle période fortifie la cohésion sociale en préservant les garanties auxquelles les Européens sont attachés. Et aussi en mettant en place la formation tout au long de la vie et en faisant reculer l'exclusion sociale et l'illettrisme qui, compte tenu de l'importance que prend la lecture dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication, pourraient conduire, si on n'y prend pas garde, à une nouvelle forme d'exclusion qui serait extrêmement dommageable et inadmissible. Ces politiques doivent s'inscrire dans la durée, naturellement, elles doivent être adaptées aux réalités de chacun de nos pays et elles doivent donc faire l'objet de calendriers précis. C'est pourquoi la France a proposé, vous le savez, un agenda social. Cet agenda social a été, cette idée a été adoptée par l'ensemble de nos partenaires et nous avons mission de la mettre en oeuvre, ce que nous espérons mener à bien sous présidence française. Enfin, nous avons eu hier soir un débat important, à l'occasion du dîner, sur les Balkans. Conformément à notre souhait, l'Union européenne, qui accomplit déjà des efforts considérables, a décidé des mesures nouvelles pour améliorer la coordination, l'efficacité, la visibilité de ces actions et elle en a confié la responsabilité au Haut représentant pour la PESC, sous le contrôle permanent du Conseil affaires générales. Donc, au total, un Conseil qui a été dense, riche, ouvert sur l'avenir, mobilisateur, dans lequel il n'y a aucune crispation, difficulté ou problème psychologique entre les uns ou les autres, sur tous les sujets que nous avons évoqués, qui étaient des sujets d'ordre économique et social de notre avenir commun. Les Quinze sont unis dans leurs ambitions et leurs objectifs. Voilà pourquoi je dis qu'au total cela a été un bon Conseil. Mais le Premier ministre va probablement maintenant compléter mon propos.

LE PREMIER MINISTRE - Si le ministre des Affaires étrangères m'y autorise ! Mesdames, Messieurs, comme vient de le souligner le Président de la République, ce Conseil a permis des échanges très denses sur un champ large de questions. Stratégie économique à moyen terme, emploi, innovation et recherche, société de l'information, réformes économiques, cohésion sociale, protection sociale. C'était un des paris de ce Conseil, Conseil que nous avons souhaité, que la France a proposé, il y a quelques années, afin de dégager à quinze, une stratégie, une cohérence, des priorités et des mesures concrètes. Et il me semble, comme le Président vient de l'indiquer, qu'au terme de ces deux jours, le pari semble gagné. Un certain nombre de points forts se dégagent, qui sont à nos yeux, autant d'avancées positives, et pour certaines très importantes. Nous avons affirmé l'objectif de reconquérir le plein emploi à l'horizon de la décennie. Cet objectif doit désormais guider collectivement nos choix économiques et sociaux. Cette perspective exige un volontarisme politique, c'est pourquoi je me réjouis qu'un consensus ait pu se dégager sur cette proposition dont nous avons été porteurs. Nous avons marqué notre volonté de conduire en Europe une politique de croissance en affichant la perspective de 3 % en moyenne dans les années à venir. Nous n'avions pas pu obtenir, lors de précédents Conseils, que cette référence soit explicitement formulée. Elle figure dans les conclusions de Lisbonne, c'est là aussi un pas en avant très important qui récompense notre persévérance. De nos débats, ressort également l'affirmation politique du lien indissociable entre ce que l'on appelle la réforme économique, l'amélioration de la compétitivité de nos économies, d'une part, et le renforcement de la cohésion sociale d'autre part. Notre modèle social est un atout dans la compétition mondiale parce que la première richesse de notre continent, ce sont les femmes et les hommes qui y vivent, qui y travaillent et qui y étudient. C'est de leur éducation, de leur qualification, de leur implication au travail que dépend largement notre compétitivité dans la nouvelle économie. Et cette idée, je crois, désormais s'impose au-delà des sensibilités différentes qui s'expriment effectivement entre les Etats membres. Nous avons également marqué la volonté de prendre des mesures concrètes pour faire entrer pleinement l'Europe dans l'économie de l'innovation et de la connaissance. Certaines ont été adoptées aujourd'hui, comme la mise en oeuvre d'un raccordement de toutes les écoles européennes à l'Internet dès 2001. Je sais qu'en France, tous les lycées sont déjà raccordés à Internet et que les chiffres progressent beaucoup dans les écoles. L'accès généralisé à tous les services publics de base d'ici 2003, la mise à disposition de nos entreprises d'un brevet communautaire dès 2001 ou encore l'établissement d'un tableau de bord européen de l'innovation que nous avons nous-mêmes proposé. Plus généralement, nous avons mis l'accent sur le développement d'un espace européen des connaissances, respectant les diversités nationales, tout en fixant des objectifs communs. Comme, par exemple, la réduction de la moitié de la proportion de jeunes n'ayant accompli que le premier cycle de l'enseignement secondaire d'ici 2010, ou encore l'encouragement à la mobilité pour les étudiants, les professeurs et les chercheurs. Et la présidence française prendra d'ailleurs des initiatives sur ce dernier point. De même nous nous sommes fixés pour objectif d'achever l'unification du marché intérieur des services financiers. A l'heure de la globalisation financière, il faut définir une véritable régulation financière européenne qui permettra tout à la fois de favoriser l'investissement et de limiter les excès d'un capitalisme purement financier. Pour aider au développement des nouvelles entreprises, la Banque européenne d'investissement consacrera un milliard d'euros supplémentaires au financement du capital risque. Autre avancée nouvelle de ce Conseil, la coordination et le renforcement des politiques nationales de lutte contre l'exclusion, autour d'actions prioritaires communes avec une première étape d'ici juin pour identifier des indicateurs et des objectifs pertinents. Nous souhaitons une seconde étape sous présidence française qui nous permettrait de définir des objectifs communs que les états membres mettraient en oeuvre dans des plans nationaux d'action en s'inspirant de la méthode définie à Luxembourg pour l'emploi. Enfin, comme le Président l'a rappelé, la perspective d'un agenda social européen, qui est, comme vous le savez, une proposition française, a été retenue. Un mandat est donné à la commission de présenter un projet et nous nous sommes fixés pour objectif d'adopter cet agenda à la fin de l'année 2000, au Conseil européen de Nice. Cela constituera donc un dossier important pour la présidence française de l'Union. Ces avancées s'inscrivent dans le mouvement engagé depuis bientôt trois ans pour rééquilibrer la construction européenne en faisant de la lutte contre le chômage notre priorité. Nous savons bien qu'il est difficile d'avancer à quinze, que cela demande beaucoup de persévérance et de persuasion mais après Amsterdam, Luxembourg et Cologne, Lisbonne marque un nouveau pas en avant qui en appelle d'autres, et nous nous efforcerons donc d'inscrire la présidence française, qui débute dans bientôt trois mois, dans cette dynamique. J'ajouterai qu'au-delà de tous les développements sur la politique extérieure -les Balkans et la Russie, dont le Président a parlé, sur lesquels je ne reviens pas- nous avons aussi mentionné l'importance des régions ultra périphériques, et nous attendons de la Commission qu'elle fasse ses premières propositions dans cette direction. Vous savez à quel point, pour notre pays, ces régions sont importantes.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous avez eu une occasion de parler à Monsieur Schuessel, de faire le point avec lui ? Que lui avez-vous dit, dans quel esprit cette rencontre a eu lieu, si elle a eu lieu ? Et la deuxième question, en ce qui concerne la durée des sanctions, est-ce que cela dépend du comportement du gouvernement, de Monsieur Haider, ou est-ce que le FPOE doit simplement quitter la coalition à Vienne ?

LE PRÉSIDENT - Ce qui m'a frappé au cours de ce Conseil, c'est la très grande unité qu'ont montrée les Quatorze dans leur attitude à l'égard de la situation politique en Autriche. Personne n'a cherché à remettre en cause les mesures bilatérales qui ont été arrêtées le 31 janvier dernier, et celles-ci resteront donc en vigueur tant qu'un parti extrémiste et xénophobe participera au Gouvernement. Pour le reste, l'Autriche est membre de l'Union européenne, à égalité de droits, mais, je le souligne, également à égalité de devoirs avec tous. Et l'Union continuera à fonctionner. C'est ce qui s'est passé pendant ce Conseil de Lisbonne.

QUESTION - Monsieur le Président, hier, vous avez appelé les Quinze à poursuivre d'une part leur effort d'assainissement budgétaire et, d'autre part, les réformes structurelles, en citant notamment la réforme de l'État ou la réforme des régimes sociaux. Est-ce que, de ce point de vue, vous êtes satisfait de l'action de votre Gouvernement ?

LE PRÉSIDENT - Si vous ne l'avez pas remarqué, cher Monsieur, je ne fais jamais de commentaires sur la situation, qu'elle soit politique, économique, sociale en France lorsque je suis à l'étranger. C'est curieux, parce que je vous ai vu très souvent dans ces salles. J'avais espéré que vous l'auriez remarqué.

QUESTION - C'est une question pour le Premier ministre. Qu'est-ce qui vous embête avec la date de 2004 pour libéraliser les marchés de l'énergie ? Est-ce que la France va encore renâcler à libéraliser ou alors est-ce qu'il y a un problème avec cette date ?

LE PREMIER MINISTRE - Mais nous avançons à notre rythme. Nous pensons qu'on ne peut pas mettre sur le même plan des secteurs comme celui des télécommunications, de l'information, des nouvelles technologies de la communication où l'instantanéité est l'instrument de mesure, où la mobilité est une nécessité absolue et des secteurs comme l'énergie ou les transports, où les rythmes d'évolution, où la forme des déplacements, où le rapport au temps est sans commune mesure. La France reste favorable, naturellement à l'objectif de réalisation complète du marché intérieur. La France est favorable à une libéralisation ordonnée des échanges et à l'ouverture différente des secteurs. Elle souhaite qu'on tienne compte de la diversité de ces secteurs et, aussi, je dirais des conditions sociales dans lesquelles ceux-ci évoluent. Alors, nous rappelons contre une vision que nous trouvons parfois, je le disais lors du Conseil extraordinaire, à nos amis britanniques, un peu trop uniforme et cartésienne. Nous suggérons pour une fois le pragmatisme et d'avancer au rythme qu'il convient dans ces domaines. C'est pourquoi nous souhaitons que ces discussions se poursuivent comme elles ont lieu dans les Conseils spécialisés et nous avancerons de cette façon, de façon utile. J'ai rappelé d'ailleurs que l'objectif d'unification du marché intérieur pose la question de l'harmonisation fiscale et de la lutte contre les formes déloyales ou abusives de compétition fiscale, parce que c'est un élément du marché intérieur. La France souhaite que l'ensemble de ces problèmes soit examiné de façon harmonisée. Pas nous demander d'évoluer dans un certain nombre de secteurs, malgré les contraintes que l'on connaît, si par ailleurs il y a déblocage dans d'autres. Cela, c'est vraiment une vision que nous défendons, le Président de la République et moi-même, en commun, depuis déjà plusieurs Conseils.

QUESTION - Je voudrais poser une question sur l'équilibre entre l'économique et le social. A lire les conclusions, on compte un nombre de dates impressionnantes concernant les échéances auxquelles la nouvelle économie doit avancer, qui vont plutôt dans le sens de la libéralisation. On ne compte pas le même nombre de dates concernant l'aspect social. Je voudrais savoir comment vous vous trouvez satisfaits de cet équilibre, l'un et l'autre, d'autant que vous aviez fait des déclarations avant d'arriver à Lisbonne concernant des objectifs contraignants en matière sociale ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas compté le nombre de dates inscrit dans les délibérations. Cela ne me paraît pas être un critère déterminant. En revanche, critère pour critère, si nous prenions par exemple celui du temps passé à discuter, tant dans la discussion générale que dans la relecture des textes, sur les problèmes économiques et notamment sur ceux de l'innovation, qui sont des problèmes relativement nouveaux et qui exigeaient un approfondissement, et du temps passé sur les problèmes sociaux, je crois qu'on peut dire, en gros, que ces temps ont été égaux. Ce que je peux vous dire en tous les cas, et c'est la première fois que je le sens de cette façon-là dans un Conseil européen, il me semble, et c'est pourquoi je parlais tout à l'heure de la réalité du modèle social européen, qu'aujourd'hui l'ensemble des Quinze ont parfaitement compris que dans le cadre de notre propre civilisation, de notre propre culture commune, le progrès social n'était absolument pas un frein au progrès économique mais était au contraire un appui à ce progrès. D'où le fait que l'équilibre, je crois, a été bien respecté. C'est quelque chose de relativement nouveau. Monsieur le Premier ministre, d'ailleurs, je crois, était de cet avis.

LE PREMIER MINISTRE - Absolument, Monsieur le Président de la République. Au-delà des propositions que vous aviez faites vous-même, je crois, en 1995 sur ces sujets, je crois que tous les observateurs attentifs de la réalité européenne, peuvent constater que depuis le Sommet d'Amsterdam, il y a eu quand même un rééquilibrage des objectifs de l'Union européenne, une insistance plus grande sur la coordination économique et le passage à l'euro. La réalisation de la monnaie unique a rendu de toute façon cela inévitable et un accent plus fort sur les problèmes d'emploi et sur les problèmes sociaux. Je crois que si on réagit en terme historique, si on voit la séquence qui a commencé en gros à Amsterdam, cela paraît éclatant, quelles que soient les questions de date que vous évoquiez à la lecture d'un document. Ce qui prouve que vous les lisez de façon attentive. J'ajouterai une deuxième chose. Il ne vous a pas échappé peut-être qu'un agenda social européen, c'est un instrument dans lequel il y a des dates. Cela paraît être la caractéristique d'un agenda. Donc, au fond, l'objectif d'un agenda social européen pour nous -nous commençons seulement à y travailler et nous allons y travailler davantage- est d'identifier les principaux enjeux des avenirs dans le domaine social et de s'efforcer de définir les objectifs et les actions à mettre en oeuvre pour y répondre. Donc il s'agira, pour nous, et nous aurons à en convaincre nos partenaires de l'Union, de mettre en place un cadre de travail sur plusieurs années, un agenda social européen, qui permette de se fixer des échéances pour mener à bien les actions qui s'imposent, en explicitant les responsabilités de chacun des acteurs concernés : la Commission, le Conseil et les partenaires sociaux pour leur réalisation.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous allez effectuer une visite officielle en Turquie comme prévu ? D'après la presse turque, vous avez retardé votre visite en Turquie parce que la Turquie a écarté la France dans un projet d'acquisition d'hélicoptères. Est-ce que c'est vrai ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, on ne mélange pas une visite d'État et la signature d'un contrat économique et financier. Il est prévu, nous avons, M. DEMIREL, le Président DEMIREL et moi, nous avons prévu une visite de ma part en Turquie. Le principe en a été arrêté, la date n'a pas encore été fixée. Notamment parce que vous voyez bien que les contraintes de l'arrivée de la présidence française nous posent quelques problèmes. Alors, nous discutons de la date, qui n'est pas encore fixée. En tous les cas, ce que je peux vous dire, c'est que les relations entre la Turquie et la France sont d'excellentes relations, elles n'ont rien à voir avec des hélicoptères qui, par ailleurs, sont néanmoins les meilleurs du monde. Personne ne le conteste sérieusement.

QUESTION - Monsieur le Président, j'aimerais vous demander, est-ce que le fait qu'on n'a pas mentionné l'élargissement de l'Union européenne à ce Sommet veut dire qu'on n'a même pas pensé à une stratégie pour ces pays qui sont candidats à l'Union, qui doivent s'adapter pour réaliser les buts ambitieux que vous avez mentionnés ? Est-ce que tout cela ne confirme pas certaines craintes qui sont exprimées dernièrement par les chefs de ces pays, je pense surtout à la Pologne et à la Hongrie, que l'Union serait contaminée par une sorte de virus d'égoïsme ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, je n'ai ressenti aucune espèce de crainte chez les chefs d'Etat et de Gouvernement de ces pays, notamment ceux que vous avez cités. Mais chez les autres non plus. Les négociations se poursuivent tout à fait normalement. Il n'y a, en ce qui concerne l'élargissement, aucun problème particulier aujourd'hui. Les décisions d'Helsinki sont très claires. Tout simplement, aujourd'hui, nous faisions un Conseil, ici, sur les problèmes sociaux et les problèmes économiques et l'innovation. On ne parlait pas d'élargissement. Il ne faudrait pas donner au fait que nous n'avons pas approfondi ces problèmes ici et maintenant un sens que cela n'a pas du tout.

QUESTION - A Lisbonne, vous avez parlé quand même aussi un petit peu des Balkans et de la défense. Dans le projet de déclaration finale, il est fait mention un moment dans le chapitre défense de la création possible d'un comité de gestion civile des crises. Est-ce que vous pouvez élaborer un peu ?

LE PRÉSIDENT - Il y a des crises qui peuvent être effectivement civiles. Et c'est un point qui préoccupe certains de nos partenaires, notamment nos partenaires suédois. Il est évident qu'ils ont raison lorsqu'ils évoquent la nécessité d'avoir une structure adaptée à la gestion de crises civiles. Tout ceci fera l'objet d'ailleurs, je le crois, je parle sous le contrôle du ministre des Affaires étrangères, d'une décision à Feira, au prochain Conseil. Notre position, qui je crois est très largement partagée par nos partenaires, c'est que cette gestion relève, en tous les cas globalement, du COPS mais peut très bien faire l'objet d'un comité spécialisé, d'un sous-COPS, si j'ose m'exprimer ainsi, pardon de la technicité du terme, pour la gestion des crises civiles. Tout ceci devrait être réglé définitivement à Feira dans le détail.

QUESTION - Je me permets, Monsieur le Président, de revenir au cas de l'Autriche. M. Schuessel a fait quand même hier soir, selon nos informations, plusieurs propositions pour sortir de la crise, dont une était le combat commun contre le populisme, le racisme et la xénophobie. Et l'autre proposition était de trouver les procédures à Quinze pour des cas où, justement, il faut pouvoir constater aussi qu'un Etat membre a commis des infractions contre des valeurs démocratiques. Cette proposition-là a été aussi, dans une forme un peu différente, reprise par le Président de l'Autriche.

LE PRÉSIDENT - Moi, j'ai dit ce que j'avais à dire sur l'Autriche et je n'ai rien à ajouter. Mais peut-être que le Premier ministre voudra dire quelque chose ?

LE PREMIER MINISTRE - Simplement, Monsieur le Président de la République, pour dire qu'hier soir, à la fin du dîner, où nous avons parlé, pour l'essentiel, de la situation dans les Balkans et de l'action importante entreprise par l'Europe et son souhait de coordonner mieux encore sa politique, M. Schuessel, Chancelier d'Autriche, a souhaité intervenir pour parler des relations de son pays avec ses partenaires de l'Union européenne dans le nouveau contexte politique qui a été créé en Autriche. Et le Président en exercice de l'Union, Antonio GUTERRES, lui a répondu. Il l'a fait au nom des Quatorze sans, d'ailleurs, faire écho aux propositions que vous venez d'évoquer, et nous en sommes restés là.

QUESTION - La France a mis beaucoup d'insistance à obtenir de nos partenaires, quelquefois réservés, cette mention de 3 % de croissance présentés comme objectif. Est-ce que vous pourriez, simplement à titre pédagogique, expliquer quelle est la portée de cette mention ? Est-ce que cela signifie qu'il va y avoir des inflexions dans les politiques menées en Europe ?

LE PRÉSIDENT - Cela signifie simplement que nous avons une politique volontariste et une ambition mobilisatrice. C'est vrai que la France a été à l'origine de cette demande, c'est vrai qu'il y a eu quelques réserves au début. C'est vrai que nous avons sans mal convaincu nos partenaires.

LE PREMIER MINISTRE - Oui, j'ajouterai en souriant, Monsieur le Président de la République, dans l'esprit de ce que vous venez d'indiquer, que l'hésitation d'un certain nombre de nos partenaires à accepter cette mention s'est progressivement réduite au fur et à mesure que les taux de croissance, en Europe, y compris chez nos partenaires, tendaient à progresser. Ce qui prouve que l'Europe a avancé au cours des dernières années. Alors sans durcir indûment l'approche française, ce qui n'est pas notre intention, c'est vrai que l'Europe s'est focalisée dans la période antérieure autour d'un certain nombre d'objectifs chiffrés, par exemple, en vue de l'Union économique et monétaire et de la réalisation de la monnaie unique. Et que dans la nouvelle période dans laquelle nous sommes, dans laquelle cet objectif a été atteint dans la plupart des pays, ceux qui n'ont pas rejoint la monnaie unique, ne l'ont pas fait parce qu'ils ne pouvaient pas satisfaire aux critères, mais pour d'autres raisons, disons politiques. Donc, un certain un certain nombre de ces objectifs ayant été atteints, nous avons pensé que dans un certain nombre de domaines, c'était des objectifs chiffrés touchant à d'autres grandeurs économiques, à d'autres priorités également essentielles de la politique économique que nous devions faire avancer. C'est ça l'esprit de ces 3% comme perspective. Je crois que c'est aussi comme ça que ça a été compris. Et c'est pourquoi nous considérons que nos idées avancent en Europe.

QUESTION - L'Union a fait un plan économique et social très ambitieux. Pensez-vous que l'Union peut devenir la nouvelle super puissance économique et même dépasser les États-Unis ?

LE PRÉSIDENT - Je crois qu'on peut dire que, sur le plan de la puissance économique, l'Union a déjà dépassé les États-Unis. De toute façon, nous ne nous situons pas dans une politique de compétition avec les Américains, mais déjà, l'Union européenne est la première puissance économique du monde. C'est aussi la première puissance, et de loin, contributrice au développement pour les États qui en ont besoin. Et cette puissance de l'Union ne peut que se développer dans les années qui viennent.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, on est quand même frappé par cette sorte de révolution culturelle à laquelle pousse le Conseil de Lisbonne du fait d'une nécessaire adaptation à la nouvelle économie et par le contraste avec des pesanteurs fortes qui se sont manifestées ces dernières semaines en France. Est-ce que l'Union européenne ne va pas trop vite pour la France ?

LE PRÉSIDENT - Avant de donner la parole au Premier ministre, je voudrais tout de même faire remarquer que la croissance en France s'est accrue plus vite que dans la moyenne de l'Union. Donc, on peut se demander plutôt si la France ne va pas un peu vite dans certains domaines pour l'Union. Mais, enfin, ils nous rattrapent, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ont accepté sans difficulté le critère de 3% qui les faisait tiquer avant. Mais, sur le sujet, je préfère donner la parole au Premier ministre.

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président, je reste dans cette imagerie ferroviaire, ou plutôt, je la précise. Si vous avez lu un certain nombre d'articles qui sont parus dans la presse anglo-saxonne, souvent, aussi dans la presse germanique, vous aurez vu qu'à plusieurs reprises on a dit qu'en termes de croissance, et dans d'autres domaines, la France pouvait être considérée comme la locomotive. Ce terme a été utilisé. Il est rare que les wagons dépassent la locomotive pour me référer à ce que vous suggériez. Simplement c'est vrai, et vous trouverez aussi des secteurs du service public français où les progrès technologiques sont très rapides. Je pense, par exemple, à l'adaptation ou la présence de l'Internet à l'école en France. C'est un domaine dans lequel un volontarisme s'est exprimé de la part notamment du ministre de l'Éducation nationale. Je vous le disais tout à l'heure, tous les lycées sont raccordés à l'Internet et les progrès des raccordements dans les collèges et les écoles sont extrêmement rapides. Donc, il y a un certain nombre de secteurs de l'administration, des entreprises publiques et du service public français où cette modernisation s'opère. Dans les entreprises publiques françaises, c'est très clair, si vous prenez France Télécom ou bien d'autres entreprises. Donc, je ne crois pas qu'il faudrait opposer ces pesanteurs à un mouvement général. Mais ce qui est vrai, c'est que sous des formes spécifiques, parce qu'il y a des statuts, parce qu'il y a des principes, parce qu'il y a des valeurs, parce qu'il y a un souci de l'intérêt général auxquels sont attachés les légitimement les agents, l'adaptation au changement, à la modernité, aux nouvelles technologies doit se faire différemment dans le secteur public. Mais cette nécessaire évolution doit se faire, c'est-à-dire que le secteur public ou l'administration françaises doivent évoluer à leur manière mais elles ne peuvent pas se tenir à l'écart de cette modernité et notamment ce cette construction de la nouvelle économie.

LE PRÉSIDENT - Une dernière question, et, au regard du principe de la parité, elle revient à une dame.

QUESTION - Pour continuer sur ce que vous disiez, Monsieur JOSPIN, qu'est-ce que ça veut dire comme réforme dans l'Éducation nationale, en termes de formation à propos des fameux diplômes qui vont être européens, autour des technologies ? Quel est le chantier que l'on va devoir entreprendre en France pour se mettre ...

LE PREMIER MINISTRE - Mais ce chantier, nous n'avons pas à l'entreprendre, il est entrepris. Des pas extrêmement significatifs ont été faits dans cette direction, notamment pour une harmonisation des diplômes et pour une mise en référence des cursus universitaires ou de formation dans les grandes écoles. Donc, nous sommes engagés dans cette démarche. Mais là aussi, il s'agit de notre politique intérieure et donc j'applique l'adage du Président.

LE PRÉSIDENT - Il nous reste à remercier tous les représentants de la presse. Je sais, nous savons parfaitement que ces Conseils sont souvent très contraignants pour les représentants de la presse, sur le plan matériel ou du travail. Et, par conséquent, je tiens à vous exprimer notre gratitude pour avoir assumé ces responsabilités, semble-t-il avec une certaine bonne humeur. Merci.





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