Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Premier ministre et du Président de la Commission européenne à l'issue du conseil européen.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre et de M. Romano PRODI, Président de la Commission européenne à l'issue du conseil européen.

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Acropolis, Nice, Alpes-Maritimes, le lundi 11 décembre 2000

LE PRÉSIDENT - Bien. Cela a été une conférence longue, difficile, qui se termine tard mais qui a réussi. Je disais, en descendant, je faisais une observation au Premier ministre et au Président de la Commission, je leur disais : vous verrez que ce Sommet de Nice restera dans l'histoire de l'Europe comme un grand Sommet par l'ampleur et la complexité des problèmes qui ont été réglés.

Nous avons, en effet, dans un premier temps, traité toute une série de problèmes touchant à la vie de nos concitoyens, allant de la Charte des droits fondamentaux aux perspectives de l'élargissement en passant par la défense, problème que nous aurons réussi à régler en Europe en moins de deux ans.

C'est vrai pour l'agenda social et toute une série de progrès tels que la décision sur l'Autorité européenne alimentaire, pour la sécurité maritime avec les mesures qui ont été prises et qui seront définitivement confirmées lors du Conseil des ministres des Transports du 21 décembre, la déclaration sur les services d'intérêt général et vous savez l'importance que la France y a attaché, la déclaration sur la spécificité du sport que nous avons dû négocier longuement, face à certains partenaires qui, n'ayant pas exactement la même sensibilité, n'étaient pas favorables à la reconnaissance de cette spécificité. Les ministres des sports ont fini par aboutir aussi à un résultat. C'est vrai pour les régions ultrapériphériques où, grâce à l'action déterminante du Président de la Commission, des propositions ont pu être faites, puis qui sont satisfaisantes. C'est vrai pour le sommet de Zagreb qui aura permis à l'Europe de reprendre sa place et ses responsabilités dans cette région des Balkans.

La CIG. C'était là aussi un exercice difficile. Nous avions échoué à Amsterdam et là on touche aux choses les plus délicates, celles qui font mal, les plus sensibles. Alors, chacun est à la fois prudent, voire agressif et finalement, à force de discussion, d'argumentation, nous avons réussi à obtenir un résultat convenable, mieux que convenable d'ailleurs, un bon résultat. Et c'était important pour pouvoir poursuivre les travaux permettant de tenir nos engagements à l'égard des pays candidats dans le cadre de l'élargissement.

À la suite de cet accord, la Commission pourra continuer à jouer son rôle avec efficacité. Elle aura un nombre de commissaires inférieur à 27, avec un système de rotation égalitaire avec, naturellement, une période de transition jusqu'en 2010 et avec des pouvoirs renforcés, très renforcés pour le Président. Ce que nous souhaitions. J'ajoute que, dorénavant, le Président sera désigné par le système de la majorité qualifiée. Cela aussi c'est un progrès.

Des progrès significatifs ont été faits dans le domaine du vote à la majorité qualifiée. Oh, je sais bien que tout n'a pas été fait mais ces choses-là évoluent avec une sage et nécessaire lenteur. J'entends parfois certains dire : " ah ! On n'a pas suffisamment d'ambition, il n'y a qu'à faire ceci, il n'y a qu'à faire cela ! " Mais faire l'Europe, c'est naturellement obtenir d'un certain nombre de chefs d'État et de gouvernement, en liaison avec la Commission, des progrès mais c'est aussi faire ratifier ces progrès par les populations. Alors, ceux qui prétendent confondre hâte et précipitation font du bien mauvais travail, dans la mesure où ce qui n'est pas accepté par les populations conduit à un rejet de l'Europe. Et on ne fera pas l'Europe sans les Européens.

Je prends un exemple, dont le Premier ministre parlera certainement tout à l'heure. Nous avons, dans notre tradition, une identité culturelle qui nous conduits à être très attentifs à conserver nos libertés de manoeuvre. Alors, naturellement, certains de nos partenaires nous disaient : mais, enfin, c'est ridicule. Non, ce n'est pas ridicule, c'est notre culture. Et si l'on veut la bousculer, le seul résultat, ensuite, c'est l'idée européenne qui sera repoussée. Donc, la construction européenne, c'est tout un art, c'est l'art du possible. C'est d'ailleurs celui, en règle générale, de la politique, animé bien sûr par une vision, animé par la volonté de dominer les choses et les événements mais aussi par l'art de respecter les hommes, sinon cela risque de ne pas marcher.

Donc, en matière de majorité qualifiée, nous n'avons pas été aussi loin que certains l'auraient souhaité, notamment le Président de la Commission, et je le comprends bien sûr parfaitement et je l'approuve parfaitement, mais on a tout de même fait des progrès substantiels.

Enfin, nous avons fait un accord, nous sommes arrivés à un accord, c'est ce qui a été peut-être le plus délicat, pour la repondération des voix, qui est un accord pour une repondération significative des voix. Vous savez que nous avons toujours pensé que notamment dans le cadre de l'élargissement, il était indispensable de retrouver une repondération qui donne tout de même un peu plus la place qui doit être la leur aux pays les plus peuplés. Non pas du tout que ces pays soient plus importants que les autres, naturellement, j'aurai l'occasion certainement d'en dire un mot tout à l'heure, mais simplement parce que c'est tout de même une exigence de la démocratie que l'on tienne au moins un peu compte de la population.

Et, enfin, nous avons, et ça c'était une chose à laquelle, vous savez, la France tenait beaucoup et qui au début, il y a quelques mois, était considérée comme inatteignable, nous tenions beaucoup à pouvoir mettre en oeuvre des coopérations renforcées parce qu'avec une Europe à 27 on ne peut pas exclure, naturellement, l'hypothèse dans laquelle les gens ne soient pas toujours aussi motivés qu'on le souhaiterait. Et les coopérations renforcées donneront la possibilité à l'Europe d'avoir une sorte de moteur, d'entraînement, qui montrera la voie et qui convaincra les autres de suivre et de s'associer. Naturellement, il va de soi que ces coopérations renforcées obéissent à deux règles. La première, c'est qu'elles sont ouvertes, toujours, et à tous, et la deuxième c'est qu'elles respectent intégralement l'acquis communautaire, cela va de soi.

Donc, voilà ce que nous avons fait pendant ces trois journées de travail intensif et, je le répète, je suis tout à fait persuadé que ce sommet restera dans l'histoire européenne comme un grand sommet réussi.

Je pense que le Premier ministre a un certain nombre d'observations à faire, ainsi que d'ailleurs le président de la Commission, après quoi, naturellement, nous vous donnerons la parole.

LE PREMIER MINISTRE - Merci, monsieur le Président. Je voudrais d'abord dire que je suis heureux ce matin, heureux pour l'Europe, heureux aussi pour la France qui a joué son rôle, répondu à sa responsabilité. Nous avons eu l'occasion de souligner avec le Président, et le Président vient de le refaire à nouveau, les résultats qui avaient été obtenus sous la présidence française par les quinze sur un certain nombre de dossiers importants, je ne les rappelle pas, ils viennent d'être évoqués et nous vous avons rendu compte par nos conférences de presse, les ministres ou le président et moi-même de ce qui avait été accompli.

Mais au fond, dans la perspective de ce Conseil européen de Nice, tous ces résultats étaient comme surplombés par la perspective de réussir ou de ne pas réussir la conférence intergouvernementale. On nous disait, oui sans doute, vous avez fait avancer tel ou tel dossier, la société européenne, la fiscalité de l'épargne, l'agenda social, toutes les questions qui ont été réévoquées par le Président, mais qu'est-ce que vous allez faire à l'occasion de ce rendez-vous ?

Ce rendez-vous était stratégiquement placé, il se trouve que cette conférence intergouvernementale tombait sous la présidence française, que ce dossier était extraordinairement complexe, que nous avons mesuré à travers ces heures et ces heures de négociations, de discussions, d'écoute, de propositions, à quel point les visions étaient souvent différentes où les intérêts nationaux très marqués et que nous ayons réussi, grâce à l'aide de tous et avec la Commission, à dénouer cette négociation, à la nouer, puis à la dénouer positivement est une très bonne chose.

C'est un paquet équilibré qui a été finalement accepté après des propositions que nous avons faites et que nous avons dû modifier, changer, pour obtenir un résultat, et à cet égard, je crois qu'il faut saluer, puisque vous le saviez, il y a eu un moment d'attente. Il faut saluer l'effort qu'a fait le Premier ministre belge, Guy VERHOFSTADT au dernier moment, pour permettre que l'accord qui s'esquissait à 14 puisse devenir un accord complet. C'est, je crois, un vrai accord de substance dans la mesure où sur les mêmes questions nous n'avions pas pu réussir, malgré les talents de Wim KOK, il y a trois ans et demi à Amsterdam. C'est un accord qui ouvre la voix à l'élargissement, c'est en ce sens que je disais qu'il était stratégiquement placé et, si nous n'avions pas réussi ce matin, même très tard et donc très tôt, je pense que pour l'élargissement, pour tous les candidats à l'adhésion, tous ceux qui attendaient les résultats de Nice, cela aurait été une très mauvaise nouvelle.

Bien sûr, ce paquet aurait pu être plus ambitieux, nous étions de ceux qui le souhaitaient, notamment en matière de majorité qualifiée et dans les champs dans lesquels on nous attendait, peut-être un peu sur la réserve, nous avons bougé, évolué, fait des compromis tout en veillant, bien sûr, à défendre des conceptions, qui sont pour nous fondamentales et qui le sont d'ailleurs pleinement.

Je crois donc que c'est un bon travail qui a été fait, je ne vais pas rappeler les différentes données, le Président vient de le faire, et puis nous aurons peut-être l'occasion de répondre à vos questions. Mais je pense que nous avons pu faire cette réforme nécessaire des institutions européennes, peut-être pas avec l'ambition, la rigueur que nous pouvions souhaiter, mais je pense que si vous mesurez ce qu'aurait été un échec à ce moment, vous pouvez aussi apprécier l'importance de ce qui vient d'être décidé, même si on peut, les uns et les autres, se fixer naturellement des objectifs plus ambitieux. De toute façon, ce traité ne sera pas le dernier dans l'histoire de l'Europe, mais il était absolument indispensable de réunir les conditions de la signature de celui-ci.

M. PRODI - Bonjour à vous tous et à vous toutes,

Comme l'a dit le Président CHIRAC, après des intenses journées de négociation, nous avons pu en arriver à cet accord sur ce Traité de Nice.

C'est un bon accord. Ce matin, nous avons pu conclure ce sommet en applaudissant. Cela a été un sommet majeur, intéressant. Je dois remercier le Président CHIRAC et le Premier ministre JOSPIN des efforts et des capacités qui ont été les leurs lors de la gestion de ces négociations.

Vous n'ignorez pas que l'ambition de la Commission était particulièrement élevée et certainement plus que celles des autres chefs d'État et de gouvernement. Aussi bien moi-même que Michel BARNIER, que je remercie pour son travail remarquable.

Nous nous étions faits l'interprète des fortes demandes du Parlement européen. Nous ne vous cacherons pas que, de ce côté-là, c'est vrai que je regrette un peu de ne pas en avoir fait plus. Nous avons tâché, simplement, d'atteindre le meilleur résultat possible. Je crois que nous pouvons nous satisfaire des résultats obtenus. C'est vrai que les ambitions de la Commission étaient élevées. Alors, c'est vrai que nous sommes un tout petit peu déçus parce que nous aurions voulu en faire plus.

Mais ce qui a été décidé relève d'une grande importance. Pourquoi ? Parce que les conditions existent maintenant. Conditions qui permettront de lancer le processus d'élargissement et nous pourrons même le faire dans le cadre d'un calendrier conforme à nos intentions, peut-être même plus rapide. Les travaux d'Amsterdam sont maintenant conclus. Il n'y a plus de " left overs " à Nice.

Nous avons aussi décidé de lancer le grand débat sur les finalités de l'Union et de traiter des questions qui sous-tendent nos travaux. Le processus post-Nice confirme bel et bien que notre action d'intégration est vive autant que forte et que la Commission, dans ce sens également, jouera son rôle qui est celui de déployer le maximum d'efforts.

Il est une conquête importante de ce Traité, c'est la coopération renforcée. J'avais demandé à ce qu'elle soit incluse à l'ordre du jour et elle est maintenant intégrée de plain-pied dans le Traité. Son fonctionnement est rendu plus souple et ceci à tous ses niveaux. Les pays qui le désireront disposent à présent d'un instrument efficace, souple, ouvert à tous les États membres pour aller vers une intégration de plus en plus intense. La Commission profitera de cet instrument.

Nous avons également développé le vote à la majorité qualifiée, même si nous avons voulu aller plus loin. Des secteurs importants ne seront plus décidés à l'unanimité. C'est plus particulièrement vrai pour ce qui est de la politique commerciale. Ce que je veux dire, c'est que l'Union sera à même de traiter d'une manière plus efficace au plan international.

Le rôle de la Commission s'est vu renforcé également. Nous avons pu adopter une formule à deux étages. L'étage actuel puis l'étage futur, lorsque l'élargissement deviendra réalité. De toute façon, nous pourrons toujours jouer notre rôle avec efficacité.

Le Président CHIRAC vous a déjà présenté certains détails sur le système de repondération. Nous n'y reviendrons pas. Mais il s'agit d'un système qui rend possible un processus décisionnel rapide et efficace.

Nous disposons maintenant du Traité. Il faut convaincre les peuples de l'Europe que ce Traité représente un pas en avant décisif pour nos travaux. Il nous faut donc lancer, à partir de maintenant, le processus de ratification qui, étant donné l'état de complexité de la vie politique de beaucoup d'États membres, ne rendra pas les choses faciles. La position du Parlement européen va également largement influencer les choses.

J'aimerais maintenant conclure. L'élargissement, à ce jour, dispose de ses propres règles qui lui permettront d'être mis en oeuvre d'une manière efficace. Je crois aussi qu'à partir de maintenant, nous pourrons lancer des travaux sérieux et forts.

Je ne peux que noter, cela sera ma conclusion, un certain regret. En effet, l'extension des votes à la majorité qualifiée ne s'est pas faite dans certains secteurs pourtant essentiels de notre vie politique. Mais on nous a opposé certains veto insurmontables sur lesquels nous n'avons même pas pu discuter, ceci malgré la bonne volonté de beaucoup.

Nous devrons réfléchir à cela dans l'avenir. Nous devrons expliquer le pourquoi et le comment de ces moments de notre vie européenne. Croyez bien que la Commission, de son côté, fera tout ce qu'il lui sera possible pour faire avancer ces travaux de stimulation et de contrôle au nom de l'intérêt général européen.

Merci à vous tous et merci à la Présidence française, qui a rempli ses tâches d'une manière efficace. Tâches, je le répète, extrêmement difficiles et complexes. Merci.

QUESTION - Monsieur le Président, à votre avis, dans combien de mois ce Traité sera-t-il ratifié par les quinze pays membres ?

LE PRÉSIDENT - C'est difficile à dire. Nous souhaitons naturellement qu'il soit ratifié le plus vite possible, c'est-à-dire dans les dix-huit mois qui viennent. Mais je ne peux pas vous le garantir.

QUESTION - Monsieur le Président de l'Union européenne, aujourd'hui, l'avenir de l'Europe est garanti par ce succès. On se pose des questions pour le Caucase du sud. La première concernant le rôle que l'Europe peut jouer demain dans le règlement des conflits au Caucase du sud. Est-ce que l'Europe a l'idée de tester son système de défense et de sécurité au Caucase du sud de demain ? La deuxième question est liée à l'avenir, aux perspectives historiques de l'élargissement de l'Union européenne. Est-ce que l'idée de l'Europe de l'est jusqu'à Bakou, si populaire hier, est toujours dans la tête des responsables européens. Sinon, pensez-vous que cette canalisation des ambitions, si je puis dire, est due au fait qu'il y a toujours une force de contrainte voisine aux pays du Caucase qui existe toujours ?

LE PRÉSIDENT - L'Europe suit naturellement avec beaucoup d'intérêt l'évolution des choses au Caucase, dans les trois pays. Le ministre français des Affaires étrangères est très présent dans les relations de la France avec ces trois pays. La France, vous le savez, copréside avec la Russie et les États-Unis le groupe de MINSK. Nous n'avons jamais lésiné sur nos efforts pour essayer de faire progresser les choses. Nous entretenons avec chacun de ces pays d'excellentes relations.

Alors, l'Europe de l'Atlantique à Bakou, ce n'est pas tout à fait pour demain. Vous le comprenez. Mais la coopération entre l'Union européenne et les pays du Caucase, cela est un sujet qui est d'actualité. Et nous souhaitons la voir se développer.

QUESTION - Le Président CHIRAC a eu raison de dire que c'est une base de la démocratie que de prendre en compte la dimension des populations, lorsqu'on choisit le nombre de voix au Conseil des ministres, notamment. Étant donné que Malte a la même taille que le Luxembourg par la population, pourquoi Malte n'a-t-elle pas reçu le même nombre de voix ni le même nombre de députés que le Luxembourg ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, je crois que Malte a une population un peu inférieure à celle du Luxembourg. Deuxièmement, traditionnellement, et cela peut s'expliquer, les pays qui ont la plus grande ancienneté bénéficient d'un avantage, parce qu'ils ont beaucoup apporté, dans l'Histoire, à la construction européenne. Et, enfin, si la démographie, je vous l'ai dit, est un élément qui doit être pris en considération, il n'est pas le seul. Il y a aussi notamment le produit intérieur brut, enfin tous les éléments d'appréciation qui doivent être également pris en compte. C'est ce qui a motivé la décision du Conseil. Elle ne change pas grand chose avec Malte.

QUESTION - Mon coeur bat la chamade quand je vous pose cette question, parce que d'un côté, en tant que Polonais, je suis extrêmement heureux que les portes de l'Europe s'ouvrent devant la Pologne, mais de l'autre côté, ayant observé ce grand sommet difficile et long, je me demande : si c'était tellement difficile de faire quelque chose à quinze, comment cela sera-t-il possible de faire quoi que ce soit à vingt-sept ou à trente ?

LE PRÉSIDENT - Je l'ai toujours dit. L'Europe a des côtés extrêmement séduisants, et notamment le fait que cela soit la meilleure garantie d'enracinement de la démocratie, de la paix et, par là même, du développement économique et du progrès social. Cela, c'est l'aspect séduisant.

Mais, pour que cela fonctionne, il faut naturellement faire des efforts et comme nous sommes dans des démocraties, ces efforts ne peuvent pas être imposés. Ils supposent une concertation, un dialogue permanents. Alors, il est évidemment plus rapide de se concerter lorsqu'on est trois, ou même lorsque nous étions six, que lorsqu'on est vingt-sept. Mais cela n'a pas d'importance. Ce n'est pas ce qui doit nous décourager. Il n'y a pas d'alternative, je le répète, à l'enracinement de la paix, de la démocratie et du progrès.

QUESTION - Monsieur le Président, il a été dit à ce sommet que le 1er janvier 2003, les portes pouvaient peut-être être ouvertes aux premiers candidats, ceux qui réunissaient les conditions pour l'adhésion. Est-ce que vous pensez, je reviens un peu sur la question de mon collègue précédent, que les procédures de ratification seront terminées et que l'on ne risque pas, le 1er janvier 2003, d'attendre encore quelques ratifications du Traité de Nice ?

LE PRÉSIDENT - À Helsinki, l'Europe, l'Union européenne, a pris un engagement, celui d'ouvrir sa porte le 1er janvier 2003, à ceux qui rempliront les conditions, naturellement, pour franchir le seuil. Elle tiendra sa parole. Cela ne fait aucun doute.

QUESTION - À propos de la repondération des voix. Je voudrais que vous nous expliquiez un petit peu la logique. Je n'ai pas le dernier état du compromis, mais j'imagine bien ce qui s'est passé. Manifestement, la Belgique a décroché par rapport aux Pays-Bas, 5 millions d'habitants en moins. Ce sont des États fondateurs, comme la France et l'Allemagne, donc historiquement aussi anciens, qui ont porté autant la construction européenne, alors que la France n'a pas décroché par rapport à l'Allemagne. Je voudrais juste que vous expliquiez aux citoyens de l'Union européenne quelle est la logique qui sous-tend, dans un cas, le décrochage et, dans l'autre, l'absence de décrochage. Si cela s'est bien passé comme cela, car on n'a pas l'état du compromis final.

LE PRÉSIDENT - J'ai déjà eu l'occasion de dire un mot sur ce point. Le Premier ministre aussi, qui complétera, sans aucun doute, ma réflexion. Au lendemain de la guerre, nous avons pu, enfin certains hommes de vision, mesurer combien les affrontements avaient été douloureux, absurdes et combien il fallait faire la paix, vraiment. Et cela a été la réconciliation entre la France et l'Allemagne.

Il a été décidé d'effacer tout ce qu'un passé trop lourd avait accumulé entre nos deux pays et, à partir du moment où cette décision a été prise, il est évident que l'on ne pouvait le faire que sur un pied de stricte égalité. Ce n'était plus une question démographique ou de puissance économique ou militaire.

C'était deux peuples égaux en tout et qui entendaient se retrouver. Et c'est ce qui s'est passé. Alors, pour garantir cet enracinement de la paix, on a appelé le Bénélux, l'Italie pour, ensemble, faire l'Europe de la paix. Et cela a été l'Europe des six. Et puis cette Europe s'est élargie. Alors, évidemment, les problèmes démographiques se sont posés et je comprends parfaitement qu'entre la Belgique et les Pays-Bas, des différences peuvent intervenir. Mais ceci n'est pas de nature à modifier le pacte fondamental entre la France et l'Allemagne. D'ailleurs, la France avait déjà environ dix millions d'habitants de moins que l'Allemagne de l'ouest de l'époque au moment de la réconciliation et au moment de la création de l'Europe. Donc c'est un phénomène d'une autre nature. Voilà pourquoi j'ai toujours dit que ce problème ne créerait pas de difficultés entre l'Allemagne et la France. Mais, sur ce point, peut-être que le Premier ministre pourrait utilement compléter ma vision des choses.

LE PREMIER MINISTRE - Avec plaisir, Monsieur le Président.

Je pense que le nombre des voix dont disposent les États à l'occasion des votes ne prend une force symbolique que quand on en débat à nouveau. Soit que des questions soient posées et la perspective de l'élargissement nous a amené à souhaiter notamment une repondération des voix qui était liée à la fois au choix que faisaient les grands États les plus peuplés de renoncer à un commissaire, puis même, éventuellement, dans le cadre d'un plafonnement de la commission que nous souhaitons, dont le principe a été décidé, mais dont vous savez qu'il est différé, dans le cadre de ce plafonnement, voire à travers la rotation égalitaire. Pouvoir à certains moments même ne pas avoir un commissaire, cela devait être compensé par une repondération des voix et celle qui a été réalisée nous amènera, en gros, d'un rapport de 1 à 5 à un rapport de 1 à 9,7, presque 10. Donc c'est un changement qui était nécessaire et qui n'était pas nécessaire à cause simplement de cette question des commissaires, mais aussi en raison de l'élargissement qui amènera progressivement dans l'Union des pays plus nombreux et dont certains n'ont pas une population forte et tout cela a naturellement des effets que vous connaissez bien sur lesquels je n'insiste pas.

Donc, dans le cadre de cette repondération, ces questions ont été à nouveau posées, posées pour les nouveaux membres et posées aussi entre certains membres. Alors cela prend une force symbolique. Mais vous savez très bien pour suivre ces questions de près qu'ensuite cela en réalité s'oublie un peu, c'est-à-dire que dans les nombreuses décisions qui sont prises par l'Union européenne, on n'est pas constamment en train de se référer au nombre des voix qui sont attachées à des décisions. C'est une première chose que je voulais dire.

La deuxième chose, vous le savez, c'est que la répartition des voix n'a jamais reflété strictement la démographie parce que sinon nous n'aurions pas pu faire sur cette base l'Europe à six et nous n'aurions pas pu progressivement l'élargir.

Alors il en va de même, et il y a un groupe on va dire des pays les plus peuplés, même s'il y a quelques distinctions entre eux. Il y a un groupe des pays moyennement peuplés et puis il y a un groupe de pays moins peuplés. Cette notion de groupe subsiste et puis il y a un certain nombre de raisons historiques aussi, démographiques, qui font qu'il y a des rapports différents entre certains de ces pays.

Mais c'est cette réalité multiple, diverse, qui s'est exprimée à nouveau à travers les débats de ces derniers jours et qui trouve sa traduction dans cette pondération des voix au conseil telle qu'elle vous est présentée. Pour le reste je suis sûr que vous saurez vous-mêmes l'interpréter.

QUESTION - Vous avez pris cette présidence française en période particulière de cohabitation. Je voudrais savoir, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre également, si vous estimez, tout compte fait, puisque cette période va s'achever bientôt, que cette situation a été un atout, un handicap ou qu'elle a été neutre pour la réussite de la présidence française ?

LE PRÉSIDENT - Ce que je peux vous dire en tous les cas, et ce qui est certain, c'est qu'elle n'a pas été un handicap. Et la preuve en est nous avons réussi ce sommet. Nous l'avons réussi ensemble.

LE PREMIER MINISTRE - Comme je pense que c'est un atout, cela veut dire que le résultat est neutre.

Non, je pense qu'en tout cas vous l'avez su, deviné, vous avez été informés, ces quatre jours, ou surtout ces trois jours parce qu'il y a eu la conférence européenne d'abord, mais ces trois jours de discussions très difficiles ont été menées non seulement bien sûr avec une unité complète des ministres du chef de l'État et du Premier ministre, mais je dirai même aussi avec une fusion intellectuelle et humaine des équipes qui a été extrêmement frappante. Mais puisque je dis ça, je voudrais, avant ce moment du sprint final, rendre hommage à tous ceux qui ont travaillé dans cette conférence intergouvernementale, qui, à tous nos représentants permanents, mais notamment aux deux ministres, au ministre des Affaires étrangères, au ministre des Affaires européennes qui, eux, ont consacré des centaines d'heures à ce travail, en tout cas plus de 300 heures, je voudrais les remercier de la tâche qu'ils ont accomplie.

LE PRÉSIDENT - Juste un mot. Il faudra que les méthodes de travail changent. Ce n'est pas normal de terminer à 5 heures du matin et ce qui est encore moins normal c'est d'imposer aux collaborateurs des chefs d'État et de gouvernement et des ministres un rythme de travail absolument incompatible avec la sérénité. C'est-à-dire, en réalité, leur imposer de quasiment pas dormir pendant trois ou quatre jours est absurde. Et donc il y a un problème d'organisation qui se pose et qui n'est pas encore réglé. Nous avons essayé en décidant de ne pas faire de séance de nuit avant-hier, cela n'a servi à rien, on est quand même rentrés à une heure et demie du matin.

QUESTION - Ma question s'adresse à vous, Monsieur le Président de la République. Vous avez souhaité pendant la préparation du Sommet de Nice, mettre entre parenthèses toutes questions de politique intérieure. Pensez-vous, par exemple avant la fin de l'année, avoir l'occasion de vous expliquer à la fois sur les résultats de ce sommet devant les Français, peut-être sur d'autres questions qui agitent ces jours-ci la politique intérieure française ?

LE PRÉSIDENT - Vous n'ignorez pas que je suis à Nice non pour ajouter mon commentaire aux polémiques de l'actualité, mais pour présider, au nom de la France, et avec le Premier ministre, un sommet qui engage l'avenir de la construction européenne et que nous avons, heureusement, mené à son terme. Je n'ai pas d'autres commentaires à faire sur ce point.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous interroger sur l'après-Nice. Je sais que nous sortons à peine de ce sommet-ci, mais j'aimerais avoir votre sentiment étant donné que vous n'êtes pas totalement satisfaits pour la majorité qualifiée ou pour d'autres sujets comme la Commission, ce qui a été acquis ici. Donc quels sont les espoirs que vous mettez dans le post-Nice ?

LE PREMIER MINISTRE - D'abord, l'après-Nice, en tant qu'il pourrait déboucher sur une négociation formelle se situe à l'horizon 2004 environ, ce qui veut dire que les grandes questions qui sont devant l'Union européenne, en particulier la perspective de l'élargissement seront traitées bien avant.

D'autre part, dans Nice, c'était des questions essentielles, l'équilibre entre les trois grandes institutions, l'efficacité de ces institutions européennes avant l'élargissement qui était en cause, indépendamment de tout ce qui a concerné l'Europe de la sécurité, de la défense, par exemple. Et donc, c'était ces questions qu'il fallait résoudre si nous voulions que l'Europe soit en mesure d'affronter les nouveaux défis, en particulier celui de l'élargissement et c'est ce que nous avons fait. À notre sens nous aurions pu être plus ambitieux, par exemple dans le domaine des majorités qualifiées et la France était tout à fait en mesure de passer à la majorité qualifiée pour les décisions concernant le fiscal ou concernant le social par exemple, et donc il n'a pas dépendu d'elle que ces sujets pratiquement ne soient pas traités du point de vue de la majorité qualifiée.

Par contre dans d'autres champs, où nous étions attendus, nous avons avancé, même si nous l'avons fait en préservant entièrement des principes pour nous essentiels. J'aurais l'occasion d'y revenir, si vous vous intéressez de plus près à la politique commerciale commune et à l'article 133. Mais nous avons traité ces grandes questions, et l'après-Nice est d'une autre nature, cela prendra du temps, cela sera une réflexion plus large sur l'avenir de l'Europe, notamment dans la perspective de l'élargissement. Je ne pense pas que cela sera très vite un débat institutionnel et en tout cas la difficulté que nous avons eu à résoudre les grandes questions concrètes qui étaient à notre ordre du jour pendant ces trois journées après des mois de travail sur la CIG montrent que l'on peut se fixer parfois des objectifs très ambitieux, mais il est beaucoup plus difficile ensuite de mettre quinze pays d'accord, et il y en aura peut-être plus de quinze d'ailleurs, parce que, après tout, à partir du 1er janvier 2003 certains pays peuvent entrer dans l'Union européenne s'ils sont aptes à le faire. Il est beaucoup plus difficile de se mettre à quinze ensuite sur des textes des réformes. On vient d'en faire l'expérience.

Donc je crois qu'il faut aborder ce sujet de l'après Nice avec une parfaite disponibilité intellectuelle avec un véritable goût de l'échange, mais qu'il faudra être très réaliste et très prudent dans les pronostics que l'on pourra faire à propos de cet exercice.

QUESTION - Monsieur le Président de la République, Monsieur le Président de la Commission, est-ce que vous pourriez nous dire si, avec le système des voix au Conseil qui sera maintenant installé, le système sera très compréhensible pour les citoyens européens ?

LE PRÉSIDENT - Nous allons laisser le Président de la Commission répondre à cette question.

M. PRODI - La réponse est non. C'est vrai que c'est difficilement compréhensible, c'est vrai que c'est compliqué.

Nous avions pour cela proposé un système beaucoup plus simple, celui de la double majorité. Mais, là-dessus, il n'y a pas eu d'accord.

Cependant ce système fonctionnera. Il fonctionnera. Pourquoi ? Parce qu'il permet tout de même d'exprimer une volonté d'une manière efficace. Je regrette qu'il ne soit pas compréhensible, parce qu'une des grandes fonctions de l'Europe c'est précisément cela, c'est d'être transparente immédiatement devant ces citoyens.

Cependant, et par rapport à la situation précédente, d'un point de vue opérationnel, c'est un progrès.

LE PREMIER MINISTRE - S'il y a plus de croissance en Europe, dans les années qui viennent, s'il y a moins de chômage, s'il y a toujours la capacité à bâtir des politiques industrielles, communes réalisées, à mettre en place des grands groupes dans la compétition mondiale, si nous savons mieux régler les questions de la sécurité sanitaire, si nous savons protéger notre environnement, je pense que cette Europe parlera davantage à nos concitoyens, européens ou français, je pense que les débats institutionnels sont nécessaires, ils sont ce qui nous permet de nous doter d'instruments utiles, et c'est ce que nous avons fait en réussissant cette CIG. Mais je crois que fondamentalement les Européens s'identifieront à l'Europe si elle répond à leurs grandes aspirations, à la fois dans leur vie quotidienne et dans leurs perspectives d'avenir. Si l'Europe sait peser dans la paix, sait peser face au défi du développement, sait favoriser la diversité culturelle, alors cette Europe-là parlera à nos concitoyens. Je pense que c'est ce qui, pour moi, est fondamental dans l'Europe, et c'est ce qui fait que je suis profondément Européen et à cet égard-là non pas un euro-réaliste, mais un euro-enthousiaste sur ces grandes questions de fond.

LE PRÉSIDENT - Vous savez, depuis plusieurs mois, les ministres, présidents des Conseils des ministres européens, le Premier ministre et moi-même, nous nous sommes donnés beaucoup de mal, beaucoup de mal. Nous avons beaucoup travaillé. De longues heures de préparation, de discussions. Eh bien, nous ne les regrettons pas car nous considérons que nous avons assumé notre responsabilité et que les échéances ont été couvertes de façon positive, que l'Europe a progressé sous présidence française.

Je n'en dirai pas plus en ce qui concerne l'Europe. Mais je voudrais faire une dernière réflexion.

Nous sommes venus à Nice, cinquième ville de France, et je voudrais dire aux Niçois combien nous avons été sensibles à leur accueil, car nous les avons beaucoup dérangés. D'abord, naturellement, l'organisation matérielle d'un sommet de cette importance, qui a eu jusqu'à 27 chefs d'État ou de gouvernement le premier jour, impose des contraintes de circulation, de sécurité, etc. considérables et, ensuite, il y a eu des actions menées de l'extérieur, soit par des gens responsables et qui apportaient leur participation au débat, je pense notamment aux grandes organisations syndicales regroupées dans le cadre de la Confédération européenne des syndicats, soit, hélas, aussi des gens qui n'avaient pas les mêmes principes, ni les mêmes comportements et qui ont dû être maîtrisés par les forces de l'ordre. Le Premier ministre et moi-même, nous avons tenu à féliciter les autorités dépendant du ministère de l'Intérieur, c'est-à-dire essentiellement les autorités civiles et militaires du département et aussi de la région, parce qu'il est venu naturellement des renforts des départements autour, pour la qualité de leur action et pour avoir parfaitement maîtrisé la situation, ce qui n'a pas été le cas depuis Seattle dans les sommets importants qui ont connu les mêmes problèmes.

Donc, je tenais naturellement à remercier les autorités civiles et militaires du département. Mais je tenais aussi à remercier les Niçois qui ont vraiment assumé avec beaucoup de gentillesse et beaucoup d'hospitalité, tous nos collègues nous l'ont dit, cette courte période pendant laquelle Nice aura été la capitale de l'Europe. Je vous remercie.





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