Point de presse du Président de la République à Yaoundé.

Point de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République.

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Yaoundé, Cameroun, le samedi 24 juillet 1999

LE PRÉSIDENT - Nous avons avancé de vingt-quatre heures, à la fois notre départ et aussi ce point de presse, puisque chacun le sait, je me rends, et chacun le comprendra, aux obsèques du Roi du Maroc, en compagnie d’ailleurs du Président Paul BIYA qui part lui aussi pour Rabat cette nuit.

Je suis donc conduit à tirer quelques conclusions rapides de ce voyage en Afrique et à répondre à quelques questions.

Je voudrais dire qu’une fois de plus, j’observe qu’il y a un certain besoin de France en Afrique ; que dans l’ensemble, notre politique africaine est comprise et, je dirais même, approuvée ; que nous sommes ressentis comme, peut-être, le meilleur avocat de l’Afrique dans le monde d’aujourd’hui. Une Afrique qui en a bien besoin de bons avocats.

C’est vrai pour ce qui concerne l’aide publique au développement qui, vous le savez, est plus ou moins contestée par les uns ou par les autres et dont nous restons de fidèles supporters, considérant qu’il n’y a pas de commerce qui puisse régler les problèmes économiques d’un pays qui n’aurait pas, par ailleurs, les infrastructures et les minima sociaux nécessaires pour pouvoir assumer la formation des hommes et le développement de l’économie.

C’est vrai pour ce qui concerne le problème particulier de la dette des pays les plus pauvres. N’oublions pas que nous sommes, et le dernier rapport du PNUD le confirmait il y a quelques jours, dans un monde où les plus pauvres s’appauvrissent et où les plus riches s’enrichissent. Je parle des pays, mais ce n’est pas seulement vrai pour les pays. Et qu’il y a donc un vrai problème de réajustement à un moment donné, qui ne peut se faire que par l’annulation des dettes.

C’est vrai dans le domaine du maintien de la paix ou de la gestion des crises. Naturellement, nous n’en sommes plus au temps des guerres coloniales, mais le système mis en place par la France, ce que l’on appelle RECAMP, est un système qui, incontestablement, a fait ses preuves en matière d’efficacité et qui est considéré par les pays africains comme la bonne intervention, celle qui leur laisse la responsabilité, mais qui leur donne les moyens de l’exercer pour des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix.

C’est vrai dans le domaine de la démocratie et des droits de l’homme. La démocratie en Afrique progresse, avec des soubresauts. Je répète que se sont des soubresauts que nous connaissons aussi en Europe. Nous ne devons pas oublier ce qui c’est passé au Kosovo et dans le reste de la région, d’ailleurs, depuis quelques années. La démocratie progresse. Nous avons pour vocation d’inciter, d’aider ces pays africains à ancrer, à enraciner une démocratie qu’ils ont, aujourd’hui, en règle générale, adoptée comme principe, mais qui reste encore dans bien des endroits à être confirmée dans la pratique.

C’est vrai pour les méthodes de bonne gouvernance. L’Afrique n’est pas le seul pays où les choses sont gérées de façon contestable, et éventuellement inefficace, mais l’Afrique a besoin de toutes ses ressources si elle veut redresser sa situation. Elle a besoin de l’aide et de la coopération du monde occidental, mais elle a également besoin de mobiliser la totalité de ses ressources. Elle ne le fera qu’en les gérant avec sérieux. Ce qui progresse, également, de façon inégale c’est vrai, mais ce qui progresse.

Voilà quelques uns des appuis que nous pouvons apporter aux pays africains quand ils le souhaitent, bien entendu, sans pour autant faire d’ingérence, nous n’en sommes plus à cette époque. Et je crois qu’ils ont parfaitement compris, les uns et les autres, quelle était la nature du partenariat qui devait et pouvait exister entre les pays occidentaux, notamment la France, et eux-mêmes.

Alors ce voyage qui se termine pour moi, aujourd’hui, et les entretiens que j’ai pu avoir, m’ont, au fond, sous des aspects divers et avec des façades particulières, confirmé, à la fois dans la conviction que nous devions aider et coopérer avec l’Afrique, et que nous avions, en gros, déterminé les moyens les plus efficaces de le faire.

Voilà les réflexions que m’a inspirées ce voyage. Mais je suis tout prêt à préciser les choses, s’il y a des questions.

QUESTION - Monsieur le Président, vous partez ce soir pour le Maroc, je voulais savoir si vous connaissiez personnellement le Prince héritier MOHAMMED VI et si vous le pensiez prêt à assumer la succession de son père ?

LE PRÉSIDENT - Je connais très bien et depuis très longtemps celui qui était le Prince héritier qui est, aujourd’hui, le Roi MOHAMMED VI. Cette question m’a souvent été posée, j’ai toujours répondu de la même façon.

Je connais le Roi, je le répète, depuis qu’il était tout jeune. J’ai pour lui une grande estime et j’ai surtout la certitude qu’il est en mesure d’assurer la continuité, de poursuivre l’oeuvre de rénovation engagée par le Roi HASSAN II. Qu’il est l’homme capable de renforcer, de raffermir au Maroc la démocratie et le développement. Je lui fais, pour ma part, toute confiance.

QUESTION - Avez-vous évoqué avec Paul BIYA un pays voisin du Cameroun qui vous est très cher, le Congo Brazzaville ? Souhaitez-vous que le Président SASSOU essaie de mater militairement la rébellion ou au contraire qu’il négocie avec Monsieur LISSOUBA et KOLELAS ?

LE PRÉSIDENT - Je me garderai bien de donner des leçons ou d’entrer dans les détails. Je dirai simplement que la situation au Congo me préoccupe, comme elle préoccupe le Président Paul BIYA avec qui je m’en suis effectivement entretenu. J’ai aussi la conviction que, notamment en Afrique, c’est par le dialogue que l’on peut aller vers la réconciliation et le rétablissement des équilibres politiques, le rétablissement de la démocratie, la possibilité de faire des élections. C’est par le dialogue. Je souhaite au Congo comme ailleurs, que ce dialogue puisse être repris entre les différentes forces politiques du pays et qu’il puisse aboutir à ne réconciliation sans laquelle il n’y a pas, à mon avis, de solution durable.

QUESTION - Monsieur le Président de la République, il y a quelques jours à Lomé, vous avez dit qu’il y a un rythme africain de la démocratie. Je voulais savoir : à votre avis, ce rythme est normal, régulier, y a-t-il des choses à refaire ou à revoir ? Par extension, Monsieur le Président de la République, est-ce qu’il y a un rythme standard de la démocratie vers lequel on devrait évoluer ?

LE PRÉSIDENT - Cher monsieur, je n’ai pas dit qu’il y avait un rythme de la démocratie. J’ai dit qu’il y avait un rythme africain, comme il y a un rythme dans toutes les évolutions de toutes les sociétés. Le rythme africain a été, je dirais, dans la période récente, beaucoup plus rapide que le rythme européen et je m’en réjouis.

S’agissant de la démocratie tous les rythmes doivent être en permanence accélérés. J’aime et je respecte l’Afrique. Je connais bien son histoire et beaucoup de ses hommes. Elle a, c’est vrai, son rythme de respiration. Je ferai tout, en ce qui me concerne, pour accélérer le rythme démocratique que je n’avais pas évoqué, mais que j’évoque puisque vous me posez la question.

QUESTION - Monsieur le Président, le récent Sommet du G8 tenu à Cologne en Allemagne a accueilli favorablement ce que l’on a appelé l’initiative de Cologne qui vise un allègement plus radical de la dette des pays les plus endettés. Quelle chance cette énième initiative a-t-elle d’aboutir ?

LE PRÉSIDENT - Enième, c’est beaucoup, même si vous avez raison de souligner que ce n’est pas la première... La France avait été à l’origine de la première initiative sérieuse, à l’occasion du G8 de Lyon, lorsque nous avions décidé de porter à 80% les possibilités de réduction des dettes des pays les plus pauvres. C’était une bonne décision. Elle n’a pas été appliquée avec la vigueur nécessaire. En ce sens que les organisations internationales ont été longues, très longues, à déterminer les pays qui pouvaient en profiter. Si bien que, trois ou quatre ans après, on s’est aperçu que seul un petit nombre de pays en avaient bénéficié, petit par rapport à l’ambition. C’est pourquoi nous avons décidé, lorsque nous avons préparé Cologne, de donner une vraie impulsion. On a retenu, à juste titre, la possibilité d’annuler les dettes des pays les plus pauvres. On a retenu des critères qui permettaient l’établissement de listes beaucoup plus larges. Ce que nous n’avons pas beaucoup dit publiquement, mais qui est, à mes yeux, aussi important que le reste, c’est que nous avons pris la décision d’accélérer considérablement le processus de mise en oeuvre. Si bien que, si nous avons été nous un peu déçus, nous Français qui sommes, vous le savez, des militants de la suppression de l’atténuation de l’aide des pays les plus pauvres, je pense que le processus de Cologne, lui, va donner satisfaction, d’abord aux intéressés, et ensuite à ceux qui en ont été les promoteurs.

QUESTION - Monsieur le Président, à l’aéroport de Yaoundé, aujourd’hui, en répondant au Président Paul BIYA, vous avez indiqué et compte tenu de l’actualité que vous pourriez effectuer une ou d’autres visites au Cameroun. Pouvez-vous préciser votre pensée à cet égard ?

LE PRÉSIDENT - Ma pensée, cher monsieur, elle est très simple. Chaque fois que je peux venir en Afrique, je suis très heureux. Donc, à défaut de pouvoir prévoir des échéances de façon très ferme, j’aime à rêver un peu que je vais revenir le plus vite et le plus souvent possible. C’est vrai que les Camerounais, les Français aussi, s’étaient mobilisés pour s’organiser demain à Douala et à Garoua pour accueillir le Président BIYA et moi-même. J’imagine qu’ils auront une petite déception. Je souhaite donc rattraper cela le plus rapidement possible et achever ma tournée camerounaise. Mais je ne peux pas fixer de date dès aujourd’hui.

QUESTION - Monsieur le Président de la République, à la vue de la forte délégation d'hommes d’affaires français qui vous accompagnent dans ce voyage, pouvons-nous voir, à travers cette présence, que l’afro-pessimisme est révolu ? D’autre part, dans un contexte de mondialisation, nous aimerions savoir, Monsieur le Président de la République, quelles sont les chances des économies africaines dans ce contexte ?

LE PRÉSIDENT - Je ne sais pas si l'on peut dire que l’afro-pessimisme est révolu. Il s’est sans aucun doute atténué, mais je me garderai de quantifier cette amélioration. D’autant que je ne suis pas un expert dans la matière, car moi, je n’ai jamais été afro-pessimiste. Je suis un afro-optimiste déterminé.

Je constate qu’avec toutes les difficultés et les problèmes auxquels l’Afrique est confrontée, les drames qui se multiplient dans beaucoup de pays, je constate que, globalement, la progression depuis dix ans de la richesse nationale africaine s’est accrue en moyenne de 5% par an, c’est-à-dire que pour la première fois de son histoire contemporaine, du Xxe siècle, la progression de la richesse a été plus rapide que la progression de la démographie. Les prévisions qui sont faites par les organisations internationales compétentes, notamment le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, c’est que ce courant devrait se poursuivre, en tous les cas pour un certain nombre d’années. Cela, c’est l’avis des experts.

Donc, sur cette réalité, si par ailleurs -c’est ce que j’évoquais tout à l’heure- on fait des efforts nécessaires en matière de bonne gouvernance, de maintien de la paix, de réduction de la dette, d’enracinement de la démocratie, et de respect des Droits de l’homme et de maintien de l’aide au développement, je pense qu’il y a lieu d’imaginer que le XXIe siècle sera le premier, depuis longtemps, positif pour l’Afrique. C’est ma conviction.

QUESTION - Monsieur le Président, on lit de temps à autre, dans la presse française, des articles sur une rivalité franco-américaine dans l’ancien pré carré français et plus généralement en Afrique. Quelle est la réalité, de votre point de vue ? Y-a-t-il une vraie rivalité, en quoi consiste-t-elle ?

LE PRÉSIDENT - Naturellement, j’ai lu ou entendu un certain nombre de commentaires de cette nature. Je n’ai jamais eu l’occasion de constater la réalité des faits, ni dans les initiatives américaines ou dans les initiatives françaises. Je n’ai jamais ressenti sur le terrain une rivalité malsaine. Je ne dis pas qu’ici où là, tel groupe d’affaires, telle entreprise américaine ait été en compétition avec une entreprise française. Mais je n’ai jamais ressenti cela. J’ai eu souvent l’occasion de m’entretenir de l’Afrique avec les dirigeants américains. En tous les cas au niveau le plus élevé, je n’ai jamais non plus ressenti de velléité ou de volonté de compétition malsaine.

Voilà, je n’ai pas d’autres commentaires à faire. Je crois que tout ceci relève davantage du romanesque que de la réalité. D’ailleurs, je vais vous dire une chose : comme je suis très attaché aux relations africaines avec la France, si tel n’avait pas été le cas, vous m’auriez sans doute entendu protester à une occasion ou à une autre. Ce que je n’ai pas fait. Une dernière question ?

QUESTION - Les Camerounais mettent souvent beaucoup de coeur dans les relations que leur pays entretient avec la France. A l’occasion de votre visite, peuvent-ils être rassurés quant à la place que leur pays occupe dans la politique africaine de la France ? Autrement dit, que représente le Cameroun d’aujourd’hui et de demain pour la France ?

LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire, la France, telle que je la conçois ne peut pas être indifférente à l’Afrique. En tous cas c’est ma conception des choses. Vous observerez que c’est d’ailleurs également la conception du gouvernement. Elle ne peut pas être indifférente, ce qui veut dire que ces relations ne sont pas liées à la présence ici ou là de telle ou telle personnalité, même si nous nouons avec les personnalités des relations qui sont souvent des relations de forte amitié. C’est par exemple mon cas avec le Président Paul BIYA et ceci depuis très longtemps. Ce n’est pas de nature à changer ou à conditionner la politique africaine de la France qui est une politique fondée sur la conviction que nous avons quelque chose à apporter à l’Afrique et que l’Afrique a quelque chose à apporter à la France en terme culturel, au sens civilisationnel du terme et, par conséquent je ne conçois pas une France indifférente à l’Afrique.

Je vous remercie.





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