Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République et de M. Lionel JOSPIN Premier ministre à l'issue de la réunion informelle des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne (Petersberg, Allemagne)

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre, à l'issue de la réunion informelle des chefs d'état et de gouvernement de l'Union européenne.

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Petersberg (Republique Federale d'Allemagne), le vendredi 26 février 1999


LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, nous voilà au terme de cette journée de travail. Je voudrais en commençant, chacun le comprendra, adresser au Chancelier allemand et à ses collaborateurs, de la part de l'ensemble de notre délégation, nos remerciements et notre gratitude pour un accueil agréable et une organisation efficace de notre journée, qui n'avait pas, vous le savez, pour objet d'arriver à des conclusions, mais de mieux faire apparaître les points d'adhésion ou les points d'opposition, en quelque sorte de mieux se comprendre mutuellement, comme il est d'usage dans ces réunions informelles.

Nous avons réaffirmé naturellement notre volonté unanime de conclure les 24 et 25 mars sur les problèmes de l'Agenda 2000. Je pense que nous y arriverons, nous pensons que nous y arriverons. Ce n'est pas facile naturellement, mais je crois que l'ambiance est bonne pour trouver les voies et moyens permettant d'atteindre cet objectif. D'ailleurs, hier soir, la présidence allemande a transmis un document, que vous avez certainement, sur lequel je ne reviendrai pas, mais qui allait, de notre point de vue, et du point de vue d'une majorité de délégations, dans le bon sens, notamment dans la mesure où il soulignait la nécessité de la stabilisation de la dépense communautaire, et vous savez que c'est un point de vue qu'a toujours soutenu la France.

Pour ce qui concerne notre position, nous avons souligné les principes sur lesquels repose la position de notre pays. D'abord le principe d'équité : nous pouvons arriver, si nous le voulons, à un résultat, mais à condition que chacun, chaque pays, apporte sa part de l'effort, et que l'effort soit équitablement réparti. Deuxièmement, le principe de globalité, c'est-à-dire ne pas tronçonner la négociation. Il y a un seul paquet d'ensemble, celui qui sera, je l'espère, nous l'espérons, adopté le 25 mars, ce qui veut dire en clair qu'il ne peut pas y avoir un accord agricole séparé ou préalable au paquet d'ensemble. Le troisième principe, c'est le refus des formules qui sont contraires aux principes de l'Union et à l'acquis communautaire, ce qui exclut des pratiques du type du cofinancement ou de l'écrêtement des soldes. Et enfin, je l'ai déjà évoqué, mais ceci a bien progressé, le quatrième principe sur lequel nous avions fondé la position de la France, c'était la stabilisation de la dépense. Il va de soi que, notamment dans la perspective de l'élargissement, la dépense doit être stabilisée.

Je note au passage que, dans la négociation agricole telle qu'elle s'est déroulée ces derniers jours, aucun de ces quatre principes n'a été respecté. Nous l'avons souligné, et à la quasi-unanimité, les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé d'envoyer un signal très fort aux ministres de l'Agriculture pour qu'ils recadrent la négociation, ce qui, je le dis au passage, justifiait la position que la France avait prise à l'occasion du Conseil agricole. Alors, ces négociations vont reprendre cette semaine, elles ne seront pas faciles naturellement, enfin elles sont tout de même bien recadrées, et elles devraient permettre, je l'espère là aussi, d'aboutir dans des conditions acceptables pour l'agriculture française et pour les paysans français, à l'occasion du paquet d'ensemble auquel nous arriverons. Voilà, en gros, comment les choses se sont passées, mais je vais demander au Premier ministre de bien vouloir les compléter.

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, j'ai peu de choses à ajouter. Le Président de la République, ce matin, a donné la cohérence de la position française, qui, certes, part de la défense légitime de nos intérêts nationaux, mais aussi d'une approche qui vise à faciliter un compromis. Il a montré en quoi, entre la discussion sur les dépenses communautaires et sur les ressources propres, il y avait un lien étroit. Et la question du cofinancement en particulier le montre, j'y reviendrai peut-être.

Dans ce sommet aujourd'hui, qui, pour nous, représente un pas positif en avant, ce qui m'a frappé, c'est que l'on pouvait mesurer, en entendant chacun, la complexité de la confrontation des intérêts nationaux et la nécessité de trouver une solution, hors de formules simples, par la prise en compte des préoccupations de chacun. Et cette idée du partage, de l'effort, que nous avons soutenue dès le début, a quand même été une idée qui a été au coeur de la discussion, de même qu'il m'a semblé que la délégation française était elle-même au coeur de ce sommet informel. De ce point de vue là, il n'y a pas eu de polarisation bilatérale, comme on a pu le lire ces derniers jours, mais une discussion de chacun avec tous.

Je crois que dans ce sommet, en tout cas moi je l'ai ressenti comme tel, l'idée du cofinancement a reculé, et il est vrai que ce n'est pas une bonne solution. Non seulement parce que, comme l'a dit un des représentants des Etats membres, c'est juridiquement infondé, cela ne trouve pas de référence dans les traités, parce que ce n'est pas une mesure qui permet de limiter ou de maîtriser les dépenses, mais au contraire, et on l'a vu d'ailleurs dans la discussion agricole telle qu'elle s'est engagée, même si nous l'avons recadrée aujourd'hui, l'illusion, que personne ne doit avoir, l'illusion du cofinancement tend à provoquer une dérive de la dépense. Et nous, nous disons qu'il faut maîtriser les dépenses, y compris les dépenses agricoles, mais à l'intérieur des acquis communautaires et des principes de la politique agricole commune. Donc, je pense que cette idée, en raison de son manque de fondement juridique, de son caractère non communautaire, de son inefficacité dans la maîtrise de la dépense, est une idée qui me semble avoir reculé, et je m'en réjouis.

Je crois aussi que l'idée d'essayer d'aller vers des ressources mieux proportionnées pour tenir compte de la capacité de chacun, avec notamment l'idée de passer progressivement de la ressource TVA à la ressource fondée sur le PNB a progressé dans cette discussion, et donc je pense comme le

Président que la possibilité de déboucher en mars existe, en tout cas, la délégation française est prête à aider la Présidence allemande à déboucher positivement à Berlin dans un mois, même s'il reste beaucoup de travail à faire.

LE PRÉSIDENT - Après le Premier ministre, je voudrais souligner que contrairement à ce que certains observateurs ont pu imaginer, à partir d'ailleurs de faits précis, il n'y a pas de problème franco-allemand dans cette négociation. Il y a des Allemands qui défendent leurs intérêts, il y a des Français qui défendent leurs intérêts, mais il n'y a pas de problème. Alors, ce qui a fait imaginer ça, ce sont les difficultés du Conseil agricole. Mais vous êtes ici suffisamment expérimentés pour savoir que, quand les ministres de l'Agriculture sont ensemble, c'est toujours un peu électrique. C'est la règle du jeu, c'est le genre, ça a toujours été comme ça, et ce sera toujours comme ça. Mais il n'y a pas, je vous prie de bien le souligner, il n'y a pas de problème franco-allemand dans cette affaire. Il y a un problème général d'ajustement des positions, qui n'est pas facile à régler, et une volonté générale de le régler.

QUESTION - Peut-on dire qu'une quasi-unanimité des chefs de Gouvernement a été d'accord pour donner un cadrage aux ministres de l'Agriculture ?

LE PRÉSIDENT - Un signe fort pour demander aux ministres de l'Agriculture de recadrer leur discussion, qui avait tendance à déraper un peu dans le sens d'un excès de dépenses et de répartition de l'avantage à tout le monde. Donc, c'est ça un peu le message de Petersberg, si j'ose dire, aux ministres de l'Agriculture.

QUESTION - Il y avait peut-être un cadrage ou un message fort qui s'appuie sur la proposition de la note de la Présidence, à savoir 40,5 milliards pendant 7 ans. Quand vous dites une quasi-unanimité des chefs d'État, est-ce qu'il y a encore une possibilité qu'au niveau des ministres de l'Agriculture, certains Ministres refusent parce que leur chef d'État ou de Gouvernement aurait aujourd'hui exprimé des réticences à s'engager dans la voie de la négociation que vous venez de souligner ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas entendu de réticences à proprement parler, et je n'ai pas à préjuger le comportement des ministres de l'Agriculture, qui défendront leurs intérêts comme ils le souhaiteront.

LE PREMIER MINISTRE - Le Président a bien précisé dans son intervention dans le Sommet informel, je crois, il y a fait allusion de façon plus discrète tout à l'heure, que pour nous il n'y aura d'accord que global. Et donc, il n'est pas possible d'envisager que se fasse un accord dans un champ seulement ou dans une négociation seulement. On peut esquisser les bases de cet accord, mais un accord formel, certainement pas.

Un élément concret de ce message ferme dont parlait le Président, c'est effectivement que l'idée de 40,5 milliards d'euros, avec des visions parfois différentes sur le début ou la fin de la période, mais que cela en moyenne par an était quand même une référence à laquelle la plupart des délégations étaient attachées. Et moi, je voudrais ajouter personnellement à cet égard, parce que j'ai vu ce débat légitimement se développer dans la presse, dans les médias français, que au-delà de la question du cofinancement qui est très importante et que nous écartons résolument et dont j'ai dit qu'elle m'avait semblée tout à fait reculer aujourd'hui, au-delà de l'enveloppe globale, du montant global pour la politique agricole commune, il y a aussi les choix de politique agricole qui sont importants.

J'ai été frappé par une intervention aujourd'hui de quelqu'un qui disait : " on parle environnement, on parle santé publique, et en même temps, on l'oublie quand on parle de l'agriculture parfois ". Alors je voudrais rappeler que l'approche française, c'est bien l'approche d'une agriculture de qualité, certes d'une agriculture compétitive, d'une agriculture capable d'exporter, mais aussi d'une agriculture de qualité. C'est le choix d'une agriculture protectrice de la santé. Et il y a tout le dossier des oléagineux derrière cela. C'est peut-être parce qu'on a pas fait assez d'efforts dans ce domaine qu'on a dû recourir autant qu'on l'a fait dans le passé pour l'alimentation animale à un certain nombre de produits qui ont posé les problèmes dramatiques de santé que l'on connaît. Donc, une agriculture de qualité, une agriculture protectrice de la santé, une agriculture animant l'espace, une agriculture préservant les sols et les eaux, et notamment une agriculture plus extensive, ce sont quand même des choix agricoles français qui me paraissent devoir être pris en compte dans la discussion agricole telle qu'elle va se dérouler dans les jours qui viennent.

QUESTION - Monsieur Tony BLAIR vient de nous dire que l'argent renommé de Madame THATCHER ne sera pas renégocié. Est-ce que vous croyez qu'à Berlin on va renégocier cet argent britannique, cette question de compensation britannique ?

LE PRÉSIDENT - Je ne préjugerai certainement pas de ce que nous ferons à Berlin. J'ai cru observer qu'une très grande majorité, une immense majorité des participants à la réunion d'aujourd'hui considérait que chacun devait apporter quelque chose, devait faire sa part de sacrifice, et, pour ce qui concerne nos amis britanniques, ce sacrifice devait porter sur au moins le réexamen de l'avantage britannique, de l'avantage financier britannique. Nous verrons où les choses iront.

Il faut bien comprendre que, si nous voulons un accord, tout le monde, il faut que chacun apporte quelque chose. La France y est extrêmement attachée au soutien de son agriculture, comme vient de dire le Premier ministre, et la première à accepter d'apporter sa contribution dans ce domaine, qui est celui où elle perçoit le plus d'avantages. C'est pourquoi nous avons proposé d'examiner les conditions d'une dégressivité des aides selon des modalités à établir, qui serait l'une de nos participations à l'effort global. Cela suppose que chacun fasse son effort, y compris l'Angleterre. Je ne doute pas qu'elle le fera.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, les Allemands souhaitent que leur contribution au budget européen soit réduite. Jusqu'à présent, nous n'avons pas beaucoup entendu de précision sur l'effort qu'ils demandent à leurs partenaires, les seuls chiffres cités ont été ceux de l'opposition allemande ou bien ce que nous-mêmes Français, notamment, imaginions. Est-ce qu'aujourd'hui cette réunion vous a permis d'en savoir un peu plus sur la portée de cet effort ?

LE PREMIER MINISTRE - Comme souvent, la délégation qui a la présidence, cela a été le cas du Chancelier Schröder aujourd'hui, assume d'abord sa fonction de Président. Il y a seulement un moment où le Chancelier Schröder et pour vraiment quelques instants a éprouvé le besoin de dire qu'il retirait sa casquette présidentielle, de président, pour parler en tant que Chancelier allemand. Il a évoqué l'idée d'un "filet de sécurité", on va reprendre ce concept qui est une formule un peu large, un peu vague, si vous voulez, il y a eu des mots plus précis qui ont été utilisés. Tout le monde est conscient qu'il faut prendre en compte les problèmes des différentes délégations et, notamment, le problème de l'Allemagne. La question est de savoir comment on le fait. La France a cette préoccupation. Elle comprend ce souci allemand. Elle pense qu'on ne peut pas le faire par des méthodes contraires à l'esprit, aux acquis et aux mécanismes communautaires. Le Président de la République l'a dit il y a un instant. Elle prouve surtout qu'il y a un paradoxe à vouloir réduire son solde net tout en laissant filer la dépense, que ce soit la dépense agricole ou que ce soit la dépense sur les fonds structurels et que c'est par la maîtrise des dépenses que l'on peut apporter le mieux la réponse à cette question. Elle était présente dans la discussion d'aujourd'hui. Elle n'y a pas été de façon intense ou massive, mais c'est un des problèmes que nous trouvons devant nous et que nous devons traiter dans un esprit de compromis, si nous voulons déboucher correctement à Berlin dans un mois.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Gerhard Schrôder vient de répéter qu'en cas d'échec de l'Agenda 2000 il y aurait des conséquences négatives sur les marchés financiers et donc sur l'euro. Est-ce que cette crainte vous paraît justifiée.

LE PRÉSIDENT - Il faut toujours être extrêmement prudent. Si le Chancelier a dit cela, c'est qu'il a peut-être ses raisons. Je me garderai bien de faire le moindre lien entre une négociation économique et la situation des marchés financiers.

QUESTION - J'ai entendu vos démentis sur les tiraillements supposés franco-allemands. A Potsdam, on était resté sur le sentiment que les deux pays travailleraient ensemble pour arriver aux échéances actuelles avec des positions communes ou des ébauches de compromis, ce qui n'a pas été le cas. Pourquoi l'esprit de Potsdam n'a-t-il pas soufflé ces derniers jours ou ces dernières semaines ?

LE PRÉSIDENT - Cher Monsieur, permettez-moi de vous dire qu'il n'y avait pas de rapport avec l'esprit de Potsdam, qui consiste à moderniser l'ensemble de la relation franco-allemande pour la rendre plus efficace, plus conviviale, mieux adaptée aux exigences du temps présent, la méthode sur laquelle les procédures étaient fondées jusqu'ici ayant vieilli, comme nous tous. On n'a jamais dit à Potsdam qu'on allait arriver avec une position commune pour l'Agenda 2000, c'eût été absurde, ce n'était pas l'objectif de nos décisions et cela n'aurait pas été raisonnable. Donc, je me permets de vous dire qu'il y a une confusion des genres entre la relation franco-allemande qui se modernise, qui s'amplifie et le fera de plus en plus, et la négociation qui est une négociation et qui donc, demande à progresser lentement.

LE PREMIER MINISTRE - Je voudrais ajouter, d'après le récit que m'en a fait le Président, que l'esprit de Potsdam régnait dans le dîner qu'a eu le Président avec le Chancelier Schrôder à Strasbourg. Il régnait dans la soirée que j'ai passée avec lui et avec nos épouses quelques semaines auparavant en Allemagne. Je le retrouverai lundi à Milan. C'était aussi l'état d'esprit du coup de téléphone que nous avons échangé. Simplement, comme l'a dit le Président de la République, Potsdam, c'était surtout la relation franco-allemande dans sa dimension bilatérale, mais aussi dans ce que l'Allemagne et la France peuvent apporter dans le domaine de l'emploi, dans le domaine de la croissance, dans le domaine des coordinations des politiques économiques. Les liens qui sont noués entre les gouvernements et les ministres à cet égard, sont des liens tout à fait positifs, dont on a vu les premiers signes. Peut-être que le fait d'aborder cette discussion Agenda 2000, d'abord par l'agriculture et autour du concept, je pense au cofinancement qui ne sont pas des concepts véritablement opératoires, a pu créer une impression un peu différente. Je pense que ce recadrage dont parlait le Président de la République tout à l'heure, le message qui a été adressé, devrait, à mon avis, contribuer à faire que les choses se passent un peu différemment de l'impression que vous avez pu en avoir, laquelle n'était pas pourtant pas tout fait infondée.





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