Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères à l'issue de la conférence européenne.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre, et de M. Hubert VEDRINE, ministre des affaires étrangères, à l'issue de la conférence européenne.

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Londres, Royaume Uni, le jeudi 12 mars 1998

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, voilà cette conférence qui s'est achevée, je dirais dans la bonne humeur.

C'était la première fois que se réunissaient ensemble les vingt-six pays membres ou candidats et, en soi, c'était tout de même, rien qu'à ce titre, un événement. Ils se réunissaient pour une journée de concertation politique et de coopération. Je trouve que c'est une bonne chose : chaque fois que des rencontres se font, que des liens se créent, on travaille en réalité pour la paix et pour les peuples.

Nous avons un regret : c'est l'absence de la Turquie. Vous savez que la Turquie avait été invitée, que celle-ci a mal compris les conclusions du Sommet de Luxembourg, à mon avis d'ailleurs à tort, mais enfin nous qui sommes très attachés à la présence de la Turquie dans l'Europe, à sa vocation européenne, nous avons évidemment regretté cette absence.

Le processus qui a été créé, est tout sauf un processus figé. C'est un processus évolutif aussi bien dans ses thèmes, dans ses procédures que dans sa composition ; je pense aux pays européens qui n'étaient pas là aujourd'hui, pas encore. Tout cela est ouvert.

Aujourd'hui, sur la proposition de la Présidence britannique, nous avons évoqué un certain nombre de sujets. Je n’y reviendrai pas, vous les connaissez. En particulier, des choses importantes ont été dites en ce qui concerne la lutte contre la criminalité organisée, la lutte contre la drogue et aussi la lutte pour maintenir, conserver, sauvegarder l'environnement.

La France, le Premier ministre français, sont notamment intervenus sur ce sujet en soulignant, entre autres choses, l'importance que nous attachons au problème de l'eau.

Maintenant il appartient aux ministres des Affaires étrangères, qui en ont reçu mission, d'assurer le suivi. Ils se réuniront cette année pour le faire et il a été prévu dans le communiqué, qui va vous être ou qui vous a été distribué, qu'il y aura un nouveau sommet des chefs d'État et de Gouvernement l'année prochaine. Donc tout cela n'est évidemment pas un événement planétaire et historique, mais c'est un événement important. C'est un pas supplémentaire dans le sillon que nous avons tracé depuis déjà quelques décennies pour créer et approfondir l'Europe et pour en faire un espace de paix, de progrès social et économique. Et cette journée est à mettre au crédit de ce processus.

LE PREMIER MINISTRE - Nous allons insister sur la question du suivi qui, pour nous, est importante parce que nous ne souhaitons pas que cette conférence soit une conférence sans lendemain, sur des questions au-delà des thèmes proposés par la Présidence britannique tels que la coopération régionale, dans le domaine économique, la question des flux d'investissement et puis aussi tout ce qui a trait aux coopérations dans l'ordre culturel, dans le secteur de l'audiovisuel et sur le plan universitaire.

Je crois que c'est tout, Président, sinon vous avez dit l'essentiel.

QUESTION - Deux questions. Première question : est-ce que vous avez le sentiment, après avoir assisté à cette réunion à vingt-six, que l’Union européenne peut fonctionner à vingt-six ? N’avez-vous pas le sentiment qu’aujourd’hui on a assisté à vingt-six discours unilatéraux, et que cela risque de devenir l’Union européenne de demain ?

Deuxième question, à propos du projet présenté par la commission, le NTM, la zone de libre-échange transatlantique : il semblerait que vous ayez eu un échange à ce propos avec le chancelier KOHL. Qu’en est-il ?

LE PRÉSIDENT - Sur le deuxième point, nous avons, en effet, appris les initiatives du commissaire, Monsieur BRITTAN, et nous ne les approuvons pas. Si bien que le Premier ministre et moi-même avons ensemble dit très clairement au Premier ministre britannique, à l’occasion d’un aparté, que nous nous opposerions à la mise en oeuvre d’un tel processus.

C’est une décision qui, en principe, doit être prise à l’unanimité. Nous avons donc un droit de veto. Si on devait, par telle ou telle procédure, essayer de contourner cet obstacle, nous n’hésiterions pas à évoquer et à invoquer les intérêts essentiels de notre pays.

Nous l’avons fait, de façon très claire pour éviter que ne s’engage une discussion qui aurait pu se poursuivre et avancer lors du sommet euro-américain, qui doit se tenir vers la mi-mai. Donc, nous voulons que la Présidence anglaise soit tout à fait au clair sur notre position et nous avons indiqué qu’il était donc inutile de mettre ce point à l’ordre du jour du sommet euro-américain. Je dois dire qu’entre-temps, les ministres des Affaires étrangères et nous-mêmes en avons également discuté avec plusieurs chefs d’État ou de Gouvernement, et notamment avec le chancelier KOHL. Et je pense que le chancelier KOHL a également ressenti le caractère en tous les cas prématuré de cette initiative.

Sur le premier sujet, vous me demandez si l’Union européenne peut fonctionner à vingt-six. J’ai connu l’Europe quand elle était à six, et quand on a fait le premier élargissement j’entendais alors tout le monde dire : " c’est impossible que cela fonctionne à neuf ". Je l’avais même pensé moi-même, pour ne rien vous cacher. Je me suis aperçu à quel point je m’étais trompé. Chaque fois qu’il y a eu un élargissement, on a dit : " ça ne peut pas marcher ".

Je reconnais que, cette fois-ci, on est arrivé à un point où je pense que ça ne pourrait plus marcher sans une modification des institutions. On est arrivé, je crois, au terme de la capacité de nos institutions à fonctionner à quinze, et on ne peut pas aller plus loin. Donc, et c’est la position de la France, nous avons, avant l’entrée effective de tel ou tel pays, l’obligation de modifier les institutions. C’est d’ailleurs ce qui a été dit à Luxembourg. C’est un sujet dont on commence à parler, dont le ministre des Affaires étrangères se préoccupe activement.

Mais naturellement que l’Europe peut fonctionner à vingt-six, et j’irai jusqu’à dire qu’elle doit fonctionner à vingt-six ! Vous savez, nous avons beaucoup souffert de la coupure de l’Europe en deux. Les " Yalta ", ça ne marche pas. Donc, la vocation évidente de l’Europe, c’est de couvrir la totalité de son territoire. Ce sera donc même plus de vingt-six. Et quand vous me dites que vous avez entendu vingt-six discours unilatéraux, permettez-moi de vous dire que je m’en réjouis, parce que si les vingt-six avaient parlé ensemble, ça aurait été ce que l’on appelle une cacophonie...

QUESTION - Une question pour le Président et pour le Premier ministre. Le Président de la Roumanie, M. CONSTANTINESCU, en son nom et au nom de la Bulgarie, a demandé la suppression du visa pour les ressortissants roumains et bulgares. Pensez-vous, Monsieur le Président et Monsieur le Premier ministre, que dans un futur prochain, ces deux pays pourront obtenir la suppression des visas pour leurs ressortissants ?

LE PRÉSIDENT - Pour le problème des visas, je vais peut-être demander au Premier ministre de répondre à cette délicate question...

La vérité, c’est que ce n’était pas à l’ordre du jour aujourd’hui. C’est un problème qui est examiné actuellement entre les ministres des Affaires étrangères et nous n’avons pas discuté de cela aujourd’hui. Mais le Président CONSTANTINESCU, effectivement, l’a demandé, et le Gouvernement français, le ministre français des Affaires étrangères examine cette affaire, de même que pour la Bulgarie.

En revanche, nous avons eu des entretiens approfondis avec le Président CONSTANTINESCU aujourd’hui, et j’ai renouvelé au Président, de la part du Gouvernement comme de la mienne, notre volonté déterminée de faire en sorte que la Roumanie et la Slovénie puissent entrer dans l’OTAN en 1999, ce qui est moralement et techniquement une nécessité.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit que l’Union européenne doit traduire par des gestes concrets sa disponibilité à accueillir la Turquie. Quels sont ces gestes concrets dont vous parlez ?

LE PRÉSIDENT - Peut-être que le Premier ministre peut répondre à cette question. Il n’y a pas l’ombre d’une divergence de vues entre nous.

LE PREMIER MINISTRE - Je crois que nous sommes devant un processus que vous connaissez bien. A Luxembourg, et en dépit des souhaits des autorités turques, il n’a pas été possible d’envisager que la Turquie soit mise sur la même ligne qu’un certain nombre d’autres candidats à l’adhésion. Vous savez pourquoi, et la France pouvait, à certains égards, avoir une position plus nuancée que certains des membres de l’Union européenne. C’est aussi pourquoi la présence de la Turquie à cette conférence européenne et au processus de la conférence européenne nous paraissait particulièrement souhaitable. Le Président de la République a rappelé, il y a un instant, pourquoi les autorités turques en ont décidé autrement. A l’occasion de la visite du Président de la République turque à Paris, récemment, nous avons échangé très amicalement et très franchement avec nos amis turcs sur ce plan. Cela n’a pas pu se réaliser aujourd’hui.

Nous souhaitons que ce processus de la conférence européenne se poursuive, se prolonge parce qu'il est nécessaire. Parce qu'aussi le mouvement concret d'adhésion à l'Union européenne prendra du temps avec chacun de ceux qui sont candidats et si, dans ce mouvement, la Turquie, sur la base de sa décision propre, à une autre étape peut être présente, nous le souhaiterons.

Peut-être, pourrais-je dire un mot pour prolonger la réflexion du Président de la République tout à l'heure sur cette proposition de M. BRITTAN. Je voudrais dire, vous savez, que le ministre de l'Économie et des Finances et le ministre des Affaires étrangères ont écrit déjà au Président de la Commission, au nom du Gouvernement, avec l'accord du Président de la République, pour marquer notre hostilité à cette initiative.

Je voudrais vous donner un ou deux arguments de fond, pour que vous ne pensiez pas que ce soit simplement une réaction d'humeur, - c'est le mot qui me venait spontanément à l'esprit - je ne sais pas si j'oserais l'utiliser, mais vous m'en donnez la latitude à l'égard d'une démarche qui est un petit peu unilatérale tout de même. Les projets de cette importance, l'idée de négocier à nouveau, justement le mot "round" ne conviendrait pas, mais une nouvelle perspective de libéralisation des échanges entre les États-Unis et l'Europe, c'est quand même un sujet très important qu'on l'approuve ou qu'on le désapprouve, l'idée qu'un commissaire aussi influent, soit-il, puisse prendre des initiatives sans que cette proposition soit faite à l'instance des chefs d'État et de Gouvernement est un peu surprenante, c'est vrai. Mais au-delà de cette réaction, notre sentiment est que, s'il doit y avoir de nouveaux épisodes de libéralisation des échanges, notamment sur les services, ce sera dans le cas de l'organisation mondiale, prévue à cet effet, c'est-à-dire l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. Celle-ci a pris la suite du GATT, elle est en train de se structurer et donc pourquoi la décrédibiliser en faisant en sorte que des pays, - comme le rappelait le Président ce matin, dans une de nos conversations - qui représentent ensemble plus de 60 % du commerce mondial discutent entre eux. Nous voulons que ce soit fait dans un cadre multilatéral et il y a des projets dans ce sens autour de l'an 2000.

D'ailleurs, si l'on discute multilatéralement, on a plus de chance de voir que les offres et les concessions faites par les uns et les autres sont effectivement examinées. Il y a donc cette première approche. La deuxième approche, nous le savons très bien, est que s'il y a une discussion bilatérale, si l'on peut dire, entre les Etats-Unis et l'Union, nous trouverons, à nouveau, et les problèmes de la culture entendus au sens large et notamment de l'audiovisuel et les problèmes de l'agriculture. Je ne pense donc pas que nous ayons envie de nous laisser conduire là où nous ne pouvons pas aller. Je crois que c'est donc des éléments de fond qui structurent une position commune avec le Président de la République.

QUESTION - Monsieur le Président, un texte a été adopté sur le Kosovo. Ce texte correspond-il à ce que vous souhaitiez et quelle importance lui donnez-vous par rapport aux autres initiatives qui sont tentées ici ou là pour venir à bout de ce problème ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord noter que le texte qui a été adopté aujourd'hui par la Conférence de Londres reprend, je dirais, intégralement le texte qui a été adopté à Londres lundi par les ministres des Affaires étrangères du groupe de contact. Ce qui prouve qu'il y a quand même une certaine cohérence dans l'action. L'action, qu'est-ce que c'est ? C'est, d'une part, le refus d'une nouvelle perspective guerrière dans cette région et, d'autre part, la volonté d'y établir une zone pacifique dans le respect de la dignité des habitants et, notamment, de leurs intérêts légitimes. Cela conduit l'Europe, hier à six et aujourd'hui à vingt-six dans les mêmes termes à faire, il faut le dire, une forte pression sur Belgrade, en disant très clairement à Belgrade que la communauté internationale n'acceptera pas un comportement contraire au respect des Droits de l'Homme d'une part, tel que nous avons, hélas, pu le voir ces derniers jours, ni l'ouverture d'un conflit de nature ethnique d’autre part sans intervenir.

En revanche, il faut que Belgrade sache que cette attitude de très grande fermeté qui doit le conduire à une solution amiable, c'est-à-dire une grande autonomie du Kosovo comme ce fut le cas dans le passé, mais dans le respect des frontières internationalement reconnues. En revanche donc, il faut que Belgrade sache que nous souhaitons -dans la mesure où la situation se normaliserait- réintégrer la Yougoslavie complètement dans la communauté internationale et donc supprimer les sanctions et autres embargos qui la frappent aujourd'hui. Nous ne disons pas aux Serbes : "C'est ainsi". Nous disons :"vous devez et nous ferons en sorte que vous assumiez vos responsabilités dans un cadre pacifique, mais naturellement en contre-partie, vous pouvez compter sur les conséquences qu'on en tirera, en ce qui concerne la normalisation des relations entre la Yougoslavie et le reste du monde ".

J'ajouterai un mot tout à l'heure - je l'ai dit au Premier ministre lundi- je voudrais seulement souligner que nous sommes attachés à la vocation européenne de la Turquie.

QUESTION - On a entendu que la France a demandé, si la partie turque de Chypre ne participe pas aux négociations, que soit renégociée la participation de Chypre à l'Union européenne. Alors, est-ce que cela veut dire que, sans les Turcs, la partie grecque ne peut pas participer à l'Union européenne ?

LE PRÉSIDENT - L'Union européenne n'a pas vocation à prendre un morceau de Chypre et à intégrer ainsi des problèmes, des conflits, qui ne sont pas les siens. Par conséquent, nous estimons que les négociations doivent commencer dans des conditions qui puissent conduire à des négociations avec une délégation mixte comprenant à la fois des Grecs et des Turcs, et nous souhaitons naturellement que cela se fasse le plus rapidement possible. S'il apparaissait clairement que l'on ne peut pas négocier avec l'ensemble de Chypre, alors il faudrait certainement en tirer les conséquences et attendre un peu plus longtemps qu'on puisse avoir une négociation normale avec un pays entier.

QUESTION - Concernant le Kosovo, puisque la grande famille européenne était réunie, est-ce que les vingt-six ont parlé d'une même voix concernant une pression diplomatique sur Belgrade ou y a-t-il eu des divergences profondes ?

LE PRÉSIDENT - Il n'y a eu aucune divergence au niveau des chefs d'État et de Gouvernement. Tout le monde a adopté le texte mais peut-être que le ministre des Affaires étrangères pourrait le dire de façon plus précise parce que le texte a été élaboré par les ministres et là je ne sais pas comment cela s'est passé.

M. VÉDRINE - Il n’y a eu aucune divergence non plus au niveau des ministres puisque le texte, comme le rappelait le Président tout à l'heure, commence par le soutien (le fait d'endosser le texte de lundi matin) au texte du groupe de contact. Donc les ministres des autres pays ont procédé à des informations, des échanges de vues. Notamment nous avons écouté en priorité tous les ministres des pays qui ne sont pas encore membres de l'Union et qui ont un point de vue intéressant à apporter en plus comme la ministre bulgare, c'est un pays qui a pris l’initiative d'un texte commun de toute une série de pays du Sud-Est de l'Europe, la Pologne parce que c'est le pays qui est président de l'OSCE en ce moment, donc c'étaient des apports complémentaires, échanges d'analyses, convergences et soutien au texte de lundi.

QUESTION - Est-ce que vous, Monsieur le Président, ou peut-être le Premier ministre, vous avez parlé avec le Premier ministre hollandais sur le sujet de la Présidence de la Banque centrale européenne ?

LE PRÉSIDENT - Ce sujet n'était pas à l'ordre du jour et nous ne l'avons pas évoqué.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit, il y a un instant, que la vocation de l'Union européenne était non seulement de réunir vingt-six pays mais davantage encore. Est-ce que vous pourriez être un peu plus précis sur ce point et nous dire quels sont les pays qui, selon vous, doivent s'ajouter encore aux vingt-six ?

LE PRÉSIDENT - La construction européenne est une oeuvre de longue haleine mais qui a pour vocation de rassembler l'ensemble de l'Europe et, selon nous, avec en plus la Turquie, la Turquie étant considérée comme européenne. C'est sa vocation.

Naturellement il y a des étapes qui doivent être franchies. Quand vous regardez bien les choses, vous voyez que c'est le seul moyen d'assurer la paix.

On a évoqué tout à l'heure la Roumanie. Je disais à quel point nous avions été choqués par le fait que la Roumanie ne puisse pas entrer dans l'OTAN dans la première vague. La Roumanie a été obligée d'accepter des contraintes fortes, économiques, sociales, compte tenu du régime antérieur, politique pour enraciner la démocratie, tout cela n'est pas facile. Elle l'a fait.

Que demandait la Roumanie en échange ? C'est d'être reconnue, une reconnaissance. La Roumanie n'est pas menacée sur le plan militaire. Mais en revanche l'entrée dans l'OTAN était pour elle une reconnaissance à laquelle elle avait droit.

Cela l'a conduite, pour faire le maximum, à régler des conflits centenaires avec l'Ukraine et avec la Hongrie. Des conflits qui n'auraient jamais été réglés et qui seraient restés comme des dangers, qui auraient pu être de la nature de ce qui s'est passé en Bosnie, si la Roumanie n'avait pas eu cette volonté d'intégrer l'Europe, l'Europe de la défense d'abord, l’Europe économique et politique ensuite. Je prends cet exemple pour vous dire que la paix c'est le véritable grand enjeu de l'Europe. Et nous voyons bien, hier avec la Bosnie, et quand je dis hier c'est un espoir que je formule aussi, n'est-ce pas, aujourd'hui avec le Kosovo, combien il est indispensable pour la paix et pour la dignité des hommes, pour la démocratie, d'être tous rassemblés et donc c'est l'ensemble de l'Europe qui a vocation à être rassemblé dans l'Union européenne, c'est pourquoi je dis que vingt-six c'est une étape. Il y a eu six, il y a eu neuf, il y a eu quinze, il y aura vingt-six et puis il y aura le reste, tous. Personne n'est exclu de ce processus. C'est l'intérêt de tout le monde, parce que c'est l'intérêt de la paix et du développement économique et social.

QUESTION - Est-ce que vous pourriez nous donner des précisions sur les négociations d'adhésion de Chypre ? Est-ce que vous croyez que, si le 31 mars il n'y a pas de délégation mixte avec les Chypriotes turcs, Chypre devrait commencer les négociations et puis elles devraient être suspendues ? Est-ce que vous croyez qu'on devrait monitoriser ces négociations ? Quelle est la position de la France ?

LE PRÉSIDENT - Le ministre des Affaires étrangères est en première ligne dans cette négociation et, de surcroît, il travaille avec son collègue de la Présidence britannique alors je vais peut-être lui demander de nous dire où en est la Présidence britannique.

M. VÉDRINE - Je serais très bref puisque le Président a déjà répondu il y a quelques instants à une question extrêmement proche.

Au Conseil de Luxembourg, nous avons retenu une disposition qui exprime le souhait que la délégation puisse naturellement incorporer des représentants de la partie grecque mais aussi de la partie turque de l’île et le Conseil européen a demandé que les efforts qui sont faits pour qu'il y ait une représentation de la partie turque, soient suivis d'effets. Si ce n'était pas le cas ce serait dans l'esprit qui a été indiqué tout à l'heure, compte tenu du problème que cela poserait d'avoir à poursuivre jusqu'à leur terme des négociations pouvant conduire à cette singularité que serait la perspective de l'adhésion d'un morceau d'île. Tout le monde comprend que cela pose un problème, personne ne peut nier que cela pose un problème naturellement.

Ce serait, à ce moment là, à la Présidence britannique, constatant la nature de cette délégation, la façon dont les choses s'engagent, ce serait à elle de faire une proposition au Conseil européen suivant pour savoir sous quelle forme il faut poursuivre ou non. On ne peut pas anticiper sur une situation qui est celle de fin mars et on ne peut pas faire ce constat à la place de la Présidence ni dire tout de suite les conséquences que nous en tirerions.

QUESTION - Concernant la Banque centrale européenne, ce sujet n’était pas à l’ordre du jour, mais j’ai entendu que vous aviez eu une réunion bilatérale avec le Premier ministre KOK, est-ce vrai ou pas ? Et...

LE PRÉSIDENT - Je vous interromps parce que la suite de la question probablement tombe. Ce n’est pas vrai.

QUESTION - Oui, mais si je peux continuer, d’une manière plus générale comment vous voyez, vous et Monsieur le Premier ministre, cette histoire, avant le sommet de mai, étant donné qu’une majorité des pays européens semble soutenir M. DUISENBERG pour ce poste ?

Et deuxièmement, si je peux revenir à l’histoire du marché transatlantique, est-ce que les autres partenaires ont aussi partagé les craintes de la France ? Vous avez mentionné le Chancelier KOHL. Est-ce que les autres pays aussi et est-ce que vous pouvez être un peu plus précis sur votre opposition à cette proposition ?

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, il n’y a pas d’autres commentaires à faire parce que ce n’était naturellement pas le jour de parler des problèmes de la Banque centrale européenne.

Sur le deuxième point, le Premier ministre, à l’instant, vous a dit très exactement la position de la France et, en plus, il a ajouté les raisons qui justifient cette position. Tout cela était parfaitement clair et je n’ai strictement rien à y ajouter.

En revanche, nous avons saisi cette occasion pour en parler à la Présidence britannique, naturellement parce que c’était l’occasion de le faire, ce sujet n’était pas à l’ordre du jour et donc il n’en a pas été parlé. Vous avez remarqué que nous avons eu un temps très court et qu’il y a eu très peu de relations bilatérales, compte tenu du peu de temps qui nous était imparti.

Je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit le Premier ministre sur ce sujet essentiel à nos yeux.

QUESTION - Monsieur le Président, juste pour clarifier la situation avec Chypre, Monsieur SIMITIS a dit que la candidature du Gouvernement chypriote a été faite à la communauté turque-chypriote pour qu'elle participe aux négociations et que si les Chypriotes turcs n'acceptent pas de participer, de toute façon, il y a une proposition légale du Gouvernement chypriote. Est-ce que la France acceptera que les négociations continuent avec Chypre si les Chypriotes turcs refusent de participer ?

LE PRÉSIDENT - Le Ministre des Affaires étrangères a répondu très clairement à votre question. Pour le moment, c'est la Présidence britannique qui est en charge de ce problème. La France a dit ce qu'elle en pensait, le ministre l'a rappelé tout à l'heure ; nous n'avons rien à ajouter, quant au reste, c'est la Présidence britannique. Quand la Présidence britannique sera arrivée au terme de ses réflexions et fera des propositions définitives, nous verrons à ce moment-là, quelles sont ces propositions et donc quelle est la position que nous prendrons. Mais c'est prématuré pour nous de le dire. Je dis cela sous le contrôle du ministre des Affaires étrangères qui est d'accord.

QUESTION - C'est une dernière question sur Chypre. Considérez-vous que c'est actuellement le dossier le plus empoisonné au sein des six pays qui sont candidats et qui participeront dès le 31 mars aux négociations pour l'élargissement ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, on ne peut jamais dire qu'un dossier est empoisonné ou non. Tout d'un coup, un dossier est difficile, une situation est complexe, voire dangereuse, puis, il y a des initiatives, et les choses s'améliorent. Donc, je ne tenterais pas de jugement sur la hiérarchie des difficultés. Je voudrais simplement dire en terminant ce que nous disions avec le Premier ministre, M. JOSPIN, tout à l'heure. C'est que, il est facile de dire que tout cela est un peu décevant. La construction européenne, comme d'ailleurs l'amélioration des situations dans le monde, et surtout l'éradication des risques de guerre ou des risques de mise en cause de la dignité des hommes, ce sont des efforts très longs. Il n'y a pas de coup d'éclat, il n'y a pas de feu d'artifice. Il y a des efforts qui doivent être poursuivis. Chaque fois, il se passe quelque chose, et chaque fois, il y a un élément positif.

Aujourd'hui, on s'est réuni à vingt-six, c'était la première fois. A vingt-six, on a pu parler, dans les mêmes termes, de la drogue, de la lutte contre la drogue, de l'environnement, de la lutte contre la criminalité organisée, de la coopération régionale, et de tous les sujets que vous avez vus.

On a pu arriver à un texte commun sans difficultés sur le Kosovo, on a pu prendre position sur un certain nombre de problèmes ; je ne reviens pas dessus. Ils sont dans les documents qui vous sont distribués. Je vais vous dire : "moi, je suis content". Ce que je souhaite, ce que nous souhaitons, c'est que la prochaine conférence soit encore plus efficace et plus large.

Je vois cette conférence évoluer vers une conférence ayant lieu sur deux jours, beaucoup moins formelle encore qu'aujourd'hui, pour apprendre davantage, avec en particulier nos partenaires candidats avec lesquels nous n'avons pas l'habitude de travailler en permanence, pour apprendre à mieux se parler, à mieux se comprendre, avec une première journée consacrée aux problèmes européens et une deuxième journée consacrée aux problèmes internationaux.

Et si on arrivait à faire cela l'année prochaine, je trouve que ce serait encore un progrès supplémentaire. C'est pourquoi, le Premier ministre, les membres du Gouvernement et moi-même, nous repartons contents, parce qu'on a l'impression d'avoir fait avancer la paix et les bonnes relations entre les Européens.

Nous vous remercions.





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