Conférence de presse du Président de la République à Luanda.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'hôtel Costa do sol à Luanda.

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Hôtel Costa do Sol, Luanda, Angola, le mardi 30 juin 1998

LE PRÉSIDENT -

Je voudrais -sachez que ce n'est pas une formule de nature diplomatique- vous exprimer tous mes remerciements parce que ce voyage n'a pas été facile, parce qu'il était dense, parce qu'il a duré longtemps, parce que les conditions de travail n'étaient pas toujours aisées et j'ai remarqué qu'il y a eu une présence continuelle, permanente de la presse que j'ai observée quelles que soient les circonstances, et qu'il a été fourni un travail tout à fait considérable dans les différents organes de presse que vous représentez.

Alors je trouve que vous y avez un certain mérite et je voulais vous en exprimer ma gratitude et ma reconnaissance.

Moi, c'est la première fois que je venais en Afrique australe, je crois qu'il en était un peu de même pour une grande partie d'entre vous, si j'ai bien compris.

Je voudrais, aujourd'hui, assez rapidement bien sûr, vous dire quelques réflexions que m'inspirent cette tournée dans cette région. Je l'écrivais, hier soir, simplement pour moi puis je me suis dit qu'au fond je pourrais peut-être vous en faire profiter.

D'abord ces pays, naturellement, sont différents des pays de l'Afrique francophone. En Afrique francophone, les indépendances ont été acquises dans le dialogue et dans l'amitié. Le plus grand drame a été le discours de SEKOU TOURE auquel le Général de GAULLE a fait une réponse sèche, depuis c'est tout ce qu'il y a eu comme affrontement.

Tandis qu'ici la chose a été différente, les indépendances ont été acquises dans des luttes qui sont devenues rapidement fratricides et ces indépendances ont été conquises. Alors naturellement cela crée une situation psychologique différente et cela pèse sur l'histoire de ces pays.

Deuxièmement, la France, ici, au fond est assez mal connue. On a laissé véhiculer toute sorte de clichés réducteurs sur notre pays et il y a un effort à faire pour remonter cela.

J'ai noté que les dirigeants des quatre pays que j'ai visités -mais je l'avais noté pour d'autres dirigeants de l'Afrique australe de passage à Paris et que j'avais reçus- veulent approfondir leur relation avec la France. Cela ne fait aucun doute. Ils se disent au fond qu'il y a quelque chose et que la France devrait pourvoir leur apporter un appui et aussi une considération politique. De son côté, la France aujourd'hui souhaite élargir son champ d'intérêt en Afrique. Je pense vous l'avoir dit mais je pense que c'est la bonne formule, que j'avais donnée en réponse à une question d'un de vos confrères en Afrique du Sud, pour la télévision, qui me demandait si je voulais élargir la sphère d'influence de la France. Je lui avais répondu : " pas du tout, l'influence, c'est une notion qui s'éteint, qui s'efface et qui s'effacera de plus en plus dans l'évolution historique du monde ". Ce que je voudrais étendre c'est la sphère d'amitié, c'est cela je crois.

Donc la France veut maintenir, cela va de soi, ses relations traditionnelles avec ce qu'on a appelé son pré-carré, ce qui était une notion complètement dépassée, avec les pays francophones mais s'ouvrir aux autres.

Ce que j'ai vu aussi c'est qu'il était légitime d'exprimer de la confiance à l'égard de ces pays. Ils ont de grands potentiels économiques et humains et, au total, les choses quand même y progressent.

Nous voudrions établir avec les dirigeants de ces pays et avec ces pays et ces peuples des relations de partenariat. Négocier sans a priori. Nous n'avons aucune ambition d'ingérence à quelque titre que ce soit, nous voulons établir des relations de partenariat. Tout ceci vous montre qu'en réalité, tout en étant modernisée, la politique africaine -l'intérêt de la France pour l'Afrique- n'a pas changé. Et au fond la France peut offrir pour les dirigeants de ces pays une alternative politique. Ces dirigeants souhaitent entendre la France, cela me frappe beaucoup, et la France est disponible pour les écouter, pour les comprendre.

J'ajoute qu'il y a deux tendances lourdes qui se manifestent ici et que nous les apprécions. C'est d'une part l'intégration régionale au plan économique, cette région est en avance par rapport à tout le reste du continent avec la SADC et les premiers pas vers une intégration pour ce qui concerne le maintien de la paix. Là, nous n'en sommes encore qu'au début. Mais cela progressera.

Enfin, il y a une chose qui est claire et sur laquelle nous n'avons pas bougé d'un iota, c'est que nous considérons que l'aide publique au développement est un complément substantiel et inévitable au développement des affaires, du commerce et des investissements.

Alors, les impressions, pour conclure, générales que j'en ai tiré, c'est d'abord une impression d'optimisme. Je sais très bien ce qui ne va pas mais je vois aussi ce qui s'améliore. Au plan politique, les États finalement se construisent, la démocratie s'enracine, la "bonne gouvernance" s'améliore, l'état de droit se renforce. Je veux dire globalement en Afrique, et en particulier en Afrique australe, avec tous les problèmes qu'il y a et qui ne m'ont pas échappé, bien entendu. Cela, c'est un mouvement qui ne peut, à terme, que faciliter la paix.

Au plan économique, il y a de très grandes potentialités, certaines sont déjà mises en valeur, fortement, comme le pétrole, d'autres exigent un effort important mais, au moins, tout le monde en a conscience, aussi bien la France que les pays concernés.

Au plan social, il reste naturellement beaucoup de choses à faire pour rattraper un retard considérable et c'est, là aussi, ce qui justifie l'aide publique au développement. Sans aide publique au développement, il ne peut pas y avoir les progrès sociaux sans lesquels il n'y aura pas de progrès économique. Tout ce qui touche l'éducation, la santé, l'environnement, tout cela, qui relève d'actions non rentables, ne peut être financé que par l'aide publique au développement et pourtant ce sont des éléments essentiels pour qu'ensuite l'économie puisse se développer. Donc ce concept "trade not aid" que nous récusons totalement, nous voulons essayer d'y substituer le concept "aid for trade" tout ceci pour caricaturer bien entendu.

J'évoquais aussi, dans ces pays, une forte détermination à prendre en main leur destinée. Selon leurs propres analyses et selon leurs propres rythmes. Ce sont des pays qui éprouvent une grande fierté de leur indépendance, je le répète acquise difficilement et donc ils sont très attachés à leur indépendance pour ce qui concerne leur développement.

J'ai décelé une attente certaine à notre égard.

Dans le domaine politique, nous avons à l'évidence une capacité d'écoute que nos partenaires apprécient et puis ils apprécient aussi que nous soyons toujours attentifs à relayer leurs préoccupations, leurs problèmes dans les instances internationales. Ils savent que finalement la France est le seul pays qui relaie systématiquement leurs préoccupations dans les instances internationales.

Mais aussi dans le domaine de la coopération où nos instruments sont utiles et naturellement ils voudraient qu'ils s'expriment plus dans leur direction et en matière de coopération, notre expertise est indiscutablement reconnue car elle n'est pas immédiatement intéressée.

Dans le domaine culturel, nous sommes un peu partout présents : vous aurez observé qu'ici tous les dirigeants parlent français. Dans leurs gouvernements, il n'y pas un ministre qui ne s'exprime pas normalement en français. Nous sommes donc présents, nos alliances françaises sont brillantes. Enfin nous sommes présents culturellement parlant.

Et enfin, dans le domaine économique, il y a une vraie attente pour nos entreprises, nos investissements, notre commerce et j’ai, au fond, un regret : que nous ne soyons pas plus présents. Or, notre présence, c'est notre développement économique, c'est-à-dire ce sont nos emplois. Je ne cesse de répéter, mais je ne m'en lasserai pas de le faire, qu'en France, un Français sur quatre travaille pour l'exportation. C'est-à-dire que l'exportation est un élément déterminant de l'emploi dans notre pays, déterminant ! Chaque fois qu'on facilite l'exportation, chaque fois que l'on facilite le développement de notre commerce extérieur, mais aussi de nos investissements extérieurs, qui eux mêmes sont producteurs ensuite d'importations, chaque fois que l'on facilite la formation des cadres étrangers, on crée des capacités d'exportation pour nous.

Cela c'est tout à fait, tout à fait essentiel. J'en reviens encore plus persuadé que je ne l'étais, si possible, dans ce domaine.

Voilà les quelques observations que je me faisais, hier soir, et que j'ai voulu vous faire partager et je suis tout prêt naturellement à répondre à telle ou telle question que vous souhaiteriez me poser.

QUESTION -

Je voulais vous demander quelle réflexion vous inspire l'annulation de votre rendez-vous, prévu tout à l'heure, avec Monsieur DEMBO et ce que vous auriez souhaité lui dire ?

LE PRÉSIDENT -

L'annulation du rendez-vous, je ne sais pas ce qu'il faut en conclure, on m'a dit, et les autorités d'ici -qui n'ont pas pour Monsieur DEMBO une amitié particulière, ça je l'imagine- m'ont dit qu'il n'était pas là. D'ailleurs il n'était pas ce matin à l'Assemblée, et que, par conséquent, je ne pouvais pas le voir.

Donc je ne tire aucune conséquence de cet incident -incident n'est pas le mot- du fait qu'il ne soit pas là je ne tire aucune espèce de conséquence.

Ce que je lui aurais dit c'est qu'ici pas plus qu'ailleurs, ailleurs en général mais en particulier ici, on ne réglera aucun problème par la force -est une période dépassée- et que la solution des problèmes est une solution concertée, que par conséquent je souhaite beaucoup que les accords de Lusaka soient intégralement respectés.

Lui même, qui est ici, j'imagine peut très bien comprendre ce sentiment. Je souhaite que Monsieur SAVIMBI le comprenne aussi. Nous sommes pour le respect des accords de Lusaka, nous l'avons clairement exprimé à l’ONU au moment des sanctions contre l'UNITA. Il n'y a pas de sortie de la crise ici sans la réintégration de la totalité de l'UNITA dans des conditions qu'il convient ensuite de rendre acceptables dans les institutions du pays.

QUESTION -

Monsieur le Président, vous avez évoqué, hier, au Mozambique, le lien entre l'aide française et la démocratisation. Je voudrais vous poser une question sur le lien entre l'aide française et, ce que vous avez appelé à l'instant, la "bonne gouvernance". Est-ce que vous croyez qu'il doit y avoir une prime à la bonne gestion qui, dans certains de ces pays, ne paraît pas évidente ?

LE PRÉSIDENT -

Je considère que les pays qui ont une "bonne gouvernance" et les pays qui s'orientent délibérément vers la démocratie, les deux étant un peu complémentaires, doivent effectivement être privilégiés, c'est évident. Cela c'est le principe. Dans la pratique il faut nuancer cela parce qu'on ne peut pas, non plus, condamner les peuples à la misère au prétexte qu'ils ne sont pas bien gouvernés. Alors il faut faire la pression nécessaire pour qu'ils soient bien gouvernés mais il faut tenir compte aussi de leur situation.

QUESTION -

Monsieur le Président , je voulais savoir, en Afrique du Sud, vous avez évoqué à la fois les points de convergence et peut-être les points de divergence mais au-delà de ces points est-ce qu'on a l'impression que les Sud-Africains attendent que maintenant vous fassiez quelque chose pour qu'ils puissent signer l'accord de coopération avec l'Union européenne et est-ce que par ailleurs vous attendez qu'ils admettent la France dans l'association des pays riverains de l'océan Indien ? Cela vous paraît-il correct, pour résumer le premier test de ces retrouvailles ?

LE PRÉSIDENT -

Je n'appellerai pas cela tout à fait des retrouvailles parce que j'ai toujours eu avec le Président MANDELA, et depuis longtemps, des relations suivies et, je dois le dire amicales, et j'avais rencontré à plusieurs reprises le Président MBEKI et évoqué avec lui les problèmes entre nos deux pays.

Vous dites qu'on a eu des points de convergence et des points de divergence : pour dire la vérité, je ne vois pas beaucoup de points de divergence entre les autorités sud-africaines et la France. Toutes les analyses que nous avons pu faire, sur les problèmes internationaux en particulier - et nous les avons fait longuement, tant avec Monsieur MANDELA qu'avec Monsieur MBEKI, qu'il s'agisse de l'Afrique, qu'il s'agisse du Moyen-Orient, qu'il s'agisse de l'Asie - nous ont conduit à une approche et à des analyses qui étaient tout à fait identiques et à des espoirs qui étaient tout à fait convergents.

Alors s'agissant de l'Union européenne et de l'accord République sud-africaine/Union européenne j'ai déjà dit, et je n'y reviendrais pas, que d'abord je crois que les torts ont été un peu partagés et c'est pour ça que cela a duré. Je ne suis pas si sûr que chacune des deux parties ait mis toute l'énergie nécessaire pour élaborer les compromis et tout d'un coup à l'occasion de ce voyage on s'est dit : "ah, il faudrait peut-être faire quelque chose !" Certains de nos partenaires disaient : "c'est de la faute de la France, la France n'en avait pas du tout conscience". Je ne ferais pas de polémique avec quiconque naturellement, tout ce que je peux vous dire c'est que l'on s'est mis d'accord sur, je dirais, une volonté clairement affirmée de signer cet accord avant la fin de l'année. Je pense pouvoir vous dire que cela se fera. Alors il n'y a pas là de point de divergence ou, plus exactement, s'il y en avait eu un, il est aujourd'hui effacé.

En revanche, c'est vrai que j'ai demandé à la République sud-africaine de bien vouloir soutenir notre demande d'adhésion à l'Indian Ocean Rim, parce que nous avons une présence considérable dans l'océan Indien qui justifie amplement d'y être présent. Je rappelle que Madagascar, les Seychelles, Mayotte, les Comores, notre flotte, tout cela justifie amplement que nous fassions partie de cette association. Je l'ai demandé également à Monsieur CHISSANO. J'espère que cela finira par arriver.

QUESTION -

Monsieur le Président, vous avez dit hier que vous souteniez la politique régionale de José Eduardo DOS SANTOS dans la région et notamment dans les pays en crise. Vous avez dit aussi, hier, que vous souteniez la démarche de la CEDEAO à Bissau. Est-ce que cela veut dire que la France a décidé, aujourd'hui, de ne plus intervenir dans les guerres civiles africaines et de s'appuyer sur les puissances régionales comme l'Angola, le Nigeria, l'Afrique du Sud, une sorte de politique nouvelle ?

LE PRÉSIDENT -

Le temps des interventions militaires est également un temps dépassé. La France a des accords de défense avec quelques États, naturellement ces accords de défense existent et ils seront intégralement respectés dans toutes leurs conséquences si la situation exigeait leur mise en oeuvre, bien entendu. Mais la France n'a aucune intention, là où elle n'est pas liée par un accord de défense d'intervenir militairement. Cela, c'est de l'ingérence. La France n'a plus à faire d'ingérence, si tant est qu'elle en a fait dans le passé... Ce qui est un peu vrai... Mais c'était d'autres circonstances, c'est comme ça, c'est la vie n'est-ce pas, les choses évoluent.

Par conséquent nous n'avons absolument pas l'intention de faire d'ingérence, c'est la raison pour laquelle, par exemple, bien qu'ayant été sollicités, nous avons refusé d'intervenir dans l'affaire de la Guinée-Bissau. C'est vrai que pour la Guinée-Bissau, nous avons conseillé, à nos amis sénégalais, qui eux avaient un accord de défense avec ce pays mais qui ne nous impliquait pas, de saisir la CEDEAO et l’OUA bien entendu, parce que c'est une affaire régionale et qu'ils n'ont qu'à prendre leurs responsabilités sur le plan régional.

Vous avez parlé de l'Angola, et vous avez fait allusion, j'imagine, à l'intervention de l'Angola au Congo. Nous ne sommes pas intervenus au Congo mais, pour vous dire les choses telles qu'elles sont et tout à fait franchement, je me suis réjouis de l'intervention de l'Angola au Congo pour une raison simple c'est que ce pays était en train de s'effondrer dans la guerre civile, de s'autodétruire et qu'il était souhaitable que l'ordre revienne. Il y avait quelqu'un qui était capable de le faire revenir, c'était Denis SASSOU-NGUESSO. Il lui fallait un soutien extérieur pour cela et pour un certain nombre de raisons, l'Angola le lui a apporté. La paix est revenue, les conditions du développement reprennent. Cette ville de Brazza, qui est devenue martyre, commence à se relever et Denis SASSOU-NGUESSO s'est engagé à mettre en oeuvre le processus de démocratisation dans un délai d'un maximum de deux ans, ce qui est considéré, par les autorités internationales, comme quelque chose de bon.

QUESTION -

- Vous avez cité plusieurs fois la SADC comme un exemple pour l’Afrique, pour le niveau d’intégration. Vous avez dit, tout à l’heure, qu’il est en avance par rapport au reste du continent. Pouvez-vous nous dire en quoi vous voyez cette avance, quelle est la différence entre la SADC et la CEDEAO par exemple puisque la CEDEAO existe depuis trente ans ? Qu’est-ce qui vous fait vraiment dire cela ? Est-ce qu’il y aurait finalement des pays de la région de l’océan Indien qui s’opposeraient à l’adhésion de la France à l’association des pays de l’Indian ocean Rim.

LE PRÉSIDENT -

Sur la deuxième question, je ne connais aucun pays qui s’oppose et puis cela ne se fait pas, alors il doit bien y avoir quelque chose quelque part, n’est-ce pas ? Aucun pays n’a dit : "on ne veut pas la France", ou "on y met un veto", sauf, je crois, un fonctionnaire sud-africain qui a dit : " ah ! Mais la Réunion, est-ce que, par hasard, ce n’est pas une colonie ? Alors, si c’est une colonie, on ne peut pas la prendre". Mais, cela ne se fait pas. Alors, cela veut dire qu’il y a un problème quelque part, et j’ai donc alerté l’ensemble des chefs d’Etat pour leur demander un appui.

La SADC est l’organisation d’intégration régionale la plus forte, la mieux organisée en Afrique. A cet égard, elle est un exemple et elle peut être, elle doit être, le début d’un processus de la même nature que l’Union européenne. La CEDEAO avec laquelle nous avons, naturellement, d’excellentes relations, est loin d’une organisation aussi systématique, aussi forte que la SADC.

Vous savez que ma conviction est que le monde évolue vers un système multipolaire. Je le répète sans arrêt. L’Afrique ne peut pas être étrangère à ce mouvement et donc l’intégration régionale est valable pour l’Afrique, comme pour les autres. L’Afrique australe l’a compris avant les autres et elle s’est engagée dans ce processus de façon beaucoup plus déterminée que les autres pays. Mais, je ne doute pas que les autres y viendront.

QUESTION -

- L’Afrique du Sud est candidate à l’achat de matériel militaire français. Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction entre cette fourniture de matériel et le fait que l’on ne souhaite pas, semble-t-il, la voir jouer un rôle de gendarme en Afrique ou d’être la puissance militaire montante du continent ?

LE PRÉSIDENT -

D’abord, l’Afrique du Sud n’a pas manifesté, pour le moment, ses intentions en matière d’achat d’armement. J’espère qu’elle les manifestera, je l’espère même fortement... L’Afrique du Sud a prévu un programme qui s’appelle le " Defense Review " qui prévoit des sommes importantes, je crois de l’ordre de trente milliards de dollars -je ne vous garantis pas le chiffre- pour la modernisation de ses forces armées dans les domaines maritime, terrestre et aérien.

Naturellement, la France est candidate. Notre industrie d’armement, qui est en voie de restructuration d’ailleurs, est à la fois un élément d’entraînement considérable par les percées technologiques qu’il permet, et un élément très important d’emploi de haute qualification qui est déterminant dans un certain nombre de régions. Il va de soi que nous voulons vendre des armements à condition, naturellement, que cela ne soit pas à des pays totalement irresponsables, ce qui n’est pas le cas de l’Afrique du Sud.

Alors, vous dites que l’Afrique du Sud deviendrait le gendarme. Je n’ai pas du tout ce sentiment. Je crois que c’est un peu, là-encore, un cliché. L’Afrique du Sud ne m’a pas donné l’impression de vouloir être le gendarme de la région. En revanche, l’Afrique du Sud veut pouvoir se défendre. C’est une grande puissance potentielle, cela ne fait aucun doute, et une grande puissance est une puissance qui a une défense, sinon elle n’est pas une grande puissance. Le programme qu’ils ont élaboré est un programme, je dirais, relativement modeste par rapport aux ambitions politiques qui peuvent être celles de l’Afrique du Sud. Voilà, j’espère qu’ils achèteront français.

QUESTION -

- Pardonnez-moi d’une question qui n’a rien à voir avec l’Afrique australe. Vous n’êtes pas sans savoir que la France joue contre l’Italie vendredi en Coupe du monde. Je voudrais savoir quel est votre sentiment, si ce n’est votre pronostic ?

LE PRÉSIDENT -

Devinez ! Je rêve, je rêve à un Président de la République française qui, le 12 juillet, remettrait la Coupe au capitaine de l’équipe de France. Alors, vous pouvez en conclure ce que je pense pour le match France-Italie. Mais je ne ferai pas de pronostic !

QUESTION -

- Allez-vous y assister ?

LE PRÉSIDENT -

Je l’espère. Si je le peux, je l’espère.

QUESTION -

- Dans le cadre des forces de maintien de la paix qui pourraient être bâties en Afrique australe, est-ce que l’un ou l’autre pays, ou plusieurs, vous ont demandé une éventuelle coopération française pour les formations, ou un peu plus, pour bâtir cette force dans le cadre de la SADC ?

LE PRÉSIDENT -

Quand je parlais, tout à l’heure, de l’intégration régionale en disant que j’y étais très favorable, c’était vrai sur le plan économique, et vrai sur le plan du maintien de la paix. Dans ce domaine, il ne nous appartient pas de donner de leçons, naturellement. C’est à ces pays de prendre leurs responsabilités de mettre en oeuvre des systèmes militaires intégrés de nature à permettre des interventions pour le maintien de la paix. Mais c’est une idée qui progresse, sans aucun doute. Je dois dire que nous y sommes favorables.

Alors, nous-mêmes avons soumis quelques idées, je dois dire avec beaucoup de prudence. Il ne s’agit pas de leur donner des conseils dont ils n’ont pas besoin. Et, surtout, nous avons indiqué que, le cas échéant, et si on nous le demandait, nous étions tout prêts à participer, d’une façon ou d’une autre, notamment dans le domaine de la logistique ou de la formation, à la mise en place de forces de maintien de la paix. Ils le savent, ils l’ont noté. J’en ai parlé avec chacun des quatre chefs d’Etat avec lesquels je me suis entretenu. Pour le moment, ils sont encore, il faut le reconnaître, au stade de la réflexion et de la recherche. C’est vrai aussi pour l’Afrique francophone, n’est-ce-pas.

QUESTION -

- Vous avez évoqué le pré-carré français en faisant....

LE PRÉSIDENT -

J’ai eu tort d’utiliser ce terme, vous voudrez bien le considérer comme " off ". Quoiqu’il ne soit pas laid.

QUESTION -

- ...notre zone d’amitié traditionnelle.

LE PRÉSIDENT -

Voilà.

QUESTION -

- ...notre zone d’amitié traditionnelle, vous avez fait remarquer que les indépendances s’étaient globalement passées sans drame. Aujourd’hui, en France, il y a de fortes critiques venant de certains courants par rapport à l’ensemble de la politique africaine de la France, notamment après le drame du Rwanda. Après avoir visité cette Afrique là, que vous ne connaissiez pas, quel regard avez-vous, justement, sur l’action globale de la France en Afrique depuis les indépendances ? (sourires)

LE PRÉSIDENT -

Je n’ai pas bien compris pourquoi cette question, simple et claire, provoquait des réactions. Comment ? Ne vous inquiétez pas, contrairement à mes habitudes je serai bref !

Vous savez, vous avez toujours, en France, des courants qui critiquent la France. C’est une de nos grandes spécialités. Cela n’existe pas que chez nous. Mais, nous avons là, comme dans d’autres domaines, une grande expertise. Cela ne fait aucun doute. Alors, cela ne m’a jamais vraiment impressionné...

Le bilan de la France est positif. Je rappelle que nous partons de pays colonisés -on peut porter le jugement que l’on veut sur le système colonial, enfin, c’était le départ. La France s’est retirée et a fait accéder les pays, qui étaient ses ex-colonies, tranquillement à l’indépendance. Ce n’est pas la même chose ailleurs. Je dirais donc que la France peut être fière de ce qu’elle a fait.

Deuxièmement, la France est aujourd’hui le premier donneur d’aide publique au développement, et de loin, en Afrique, qui est le continent globalement le plus pauvre du monde. La France peut être fière de ce qu’elle y a fait.

Voilà, c’est un bilan qui me paraît amplement positif. D’ailleurs, j’observe que lorsqu’on écoute les Africains, et notamment ceux de l’Afrique australe qui n’ont pas bénéficié ni des conditions politiques d’indépendance, ni de l’aide de la part des anciens pays coloniaux -ce qui a été le cas des pays qui étaient d’anciennes colonies françaises- c’est toujours avec une très grande admiration qu’ils parlent de la France sur ces cinquante dernières années.

Alors moi, je trouve que le bilan de la France est excellent. Il y a quelques pleureurs, généralement professionnels et pas toujours désintéressés, qui ont la critique facile et le verbe haut, d’autant plus haut, d’ailleurs, qu’ils ne connaissent pas, en général, les problèmes. Bon, c’est la démocratie.

QUESTION -

- Tout à l’heure, vous avez dit qu’hier soir, vous vous faisiez des observations, que vous écriviez. Je voulais savoir si c’est une méthode de travail : vous prenez souvent des notes, vous écrivez à un journal, est-ce qu’on aura le plaisir d’avoir votre...

LE PRÉSIDENT -

Non. Je n’écris pas de journal ! Vous n’aurez pas, même sous un nom d’emprunt, comme le suggère M. TONDRE, mes réflexions...

En revanche, comme je veux pouvoir avoir quelques réflexions personnelles sur des sujets, surtout lorsqu’ils ne me sont pas très familiers, comme la connaissance de ces pays, alors effectivement, il m’arrive très souvent, le soir, sur ce sujet ou sur d’autres, de prendre quelques notes pour me souvenir plus tard, pour me souvenir dans les mois qui suivent des engagements que j’ai pris, ou des questions que j’ai posées, des instructions que j’ai données.

QUESTION -

- Ecrivez-vous vos mémoires ?

LE PRÉSIDENT -

Non, non... Vous avez l’air de dire qu’il faudrait que je commence sérieusement à y penser, mais ce n’est, néanmoins, pas encore dans cette perspective !

QUESTION -

- Est-ce que vous diriez aujourd’hui, parce que la France aime bien les références historiques également, que la nouvelle politique africaine que vous semblez initier depuis quelques jours, depuis quelques semaines, peut-être plus longtemps, est toujours gaulliste ou est-ce qu’elle est essentiellement aujourd’hui pragmatique et moderne?

LE PRÉSIDENT -

Est-ce que vous croyez qu’il y ait une vraie différence entre gaulliste et moderne ? Ce n’est pas du tout, je vous le dis tout de suite, mon sentiment. Le gaullisme est, par définition, pragmatique et donc toujours moderne. Alors, il peut être bien ou mal exprimé, mais cela est un autre problème.

La politique africaine, qui est la mienne et qui est d’ailleurs celle du Gouvernement, d’abord ne date pas de quelques journées, de quelques semaines. C’est une lente et longue évolution. Je n’aime pas beaucoup le terme de "nouvelle politique africaine", parce qu’il ne correspond pas réellement à quelque chose. C’est une évolution inévitable. Nous sommes arrivés, à un moment donné, à la nécessité d’élargir notre champ d’intérêt en Afrique si nous voulions être cohérents avec un monde qui se globalise, avec des problèmes qui s’internationalisent. C’était cohérent, c’était une évolution, inévitable. Alors, cela n’enlève rien, je le répète, à nos partenaires traditionnels, rien sur aucun plan ni matériel ni affectif bien entendu, mais nous nous ouvrons à d’autres pays, comme nous le faisons en Asie, comme nous le faisons en Amérique du Sud.

Je vous remercie. Je vais songer à mes mémoires.





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