Conférence de presse du Président de la République sur le thème de l'Europe.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, sur le thème de l'Europe.

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Palais de l'Élysée, le jeudi 16 avril 1998

LE PRÉSIDENT - Mesdames et Messieurs les journalistes,

Bienvenue à l’Elysée pour un point de presse, si vous le voulez bien, que nous allons consacrer entièrement aux questions européennes. Vous connaissez ma conviction sur l’Europe. L’Europe, ce sera une France plus forte et plus moderne.

1998 sera une grande année pour l'Europe. Une Europe à laquelle les Français ont pris depuis très longtemps toute leur part. Bien sûr des personnalités éminentes ont rêvé, voulu, construit l'Europe, notamment le Général de Gaulle qui a imposé la mise en oeuvre du Traité de Rome, mais aussi bien sûr tous ses successeurs, dans une remarquable continuité. Mais rien n'aurait pu se faire, cela va de soi, sans l'adhésion et la volonté de nos compatriotes. L'engagement européen de la France a transcendé les querelles partisanes et les clivages politiques.

La dernière étape en date, l'application des critères de Maastricht, a été accomplie, pour ce qui nous concerne, grâce aux efforts des Français. Je voudrais une fois de plus le souligner.

J’ai dit que 1998 serait une année importante :

- cette année verra en effet le lancement de l'euro, qui sera la monnaie des Européens. Le 2 mai, à l’occasion du Conseil européen, j'engagerai la France aux côtés de la plupart de nos partenaires.

- 1998 a vu également le début de l'élargissement. C'est l'accomplissement d'un dessein historique : réaliser enfin l'unité de l'Europe, de tous les Européens, dans l'espace qu'ont défini la géographie, l'histoire et la civilisation européenne. C'est un devoir moral en faveur des peuples que la dictature communiste avait interdits d'Europe. C'est aussi une absolue nécessité si l'on veut enraciner sur notre continent à la fois la paix et la démocratie.

- Cette année verra également la ratification du Traité d'Amsterdam qui, entre autres dispositions et, je le rappelle, à l'initiative de la France, affirme les exigences d'un modèle social européen et définit les conditions d'une lutte concertée contre le chômage.



Beaucoup de gens s'inquiètent de ces évolutions. Vous le savez bien, mieux que quiconque, Mesdames et Messieurs les journalistes, pour vous en faire régulièrement, et heureusement, l’écho dans vos colonnes. C'est vrai, beaucoup de gens sont inquiets, je le sais.

On a peur du changement de monnaie : comment cela se passera-t-il ? On craint l'effacement des frontières, l'ouverture des économies, la concurrence, le rôle des marchés financiers, la libre circulation des hommes, plus encore peut-être la libre circulation des capitaux.

On craint qu'à la bureaucratie française s'ajoute une bureaucratie bruxelloise lointaine et tatillonne s'occupant de choses qui, à l'évidence, ne relèvent pas de sa compétence.

On craint au fond la disparition de notre identité nationale, la mise en cause de notre culture, de nos traditions, certains disent même de notre langue.

Je comprends parfaitement à la fois ces hésitations et ces peurs.

Mais je les crois infondées et excessives si, naturellement, nous sommes suffisamment vigilants et actifs à Bruxelles et à Strasbourg et si nous sommes, c’est l’essentiel, sérieux dans la gestion de nos affaires nationales.

De plus la vie nous apprend que rien n'est plus dangereux que de rester immobile dans un monde qui change.

Aujourd'hui, de grands ensembles régionaux émergent partout dans le monde. On le voit en Amérique du Nord et au Mexique avec l’ALENA, en Amérique du Sud avec le MERCOSUR, qui va s’élargir probablement petit à petit à la totalité du continent ; on le voit avec la Chine bien entendu, on le voit avec l’Inde, avec l’ASEAN ; même l’Afrique commence à s’engager dans un processus d’intégration régionale. Tous ces nouveaux grands ensembles ne seront pas tendres avec nos intérêts. L'Europe doit relever ce défi. Elle a pris de l'avance. Seule son union lui donnera la force nécessaire dans la compétition qui inévitablement l'attend. Elle peut et doit, compte tenu de son potentiel, devenir la première puissance du monde multipolaire de demain.

Vous savez, bien des choses dépassent aujourd'hui le cadre des Etats.

Unis, nous pourrons lutter plus efficacement contre la corruption, la drogue, la grande criminalité. Unis, nous pourrons mieux maîtriser l'immigration. Unis, nous pourrons assumer les charges de plus en plus coûteuses qu'exigent la recherche scientifique en général et la recherche médicale en particulier. Unis, nous protégerons mieux notre environnement. Nous ne pourrons pas le faire seuls. Unis, nous défendrons mieux nos cultures, nos langues, nos valeurs.

L'Europe est une grande aventure collective. C'est une aventure sans précédent. Chacun sait aujourd'hui que notre objectif commun est bien l'Europe des Nations. Il n’y a sur ce point aucun doute. La même conviction dans ce domaine anime aussi bien l'Allemagne et la France, les autres aussi bien sûr. C'est ce qui explique la priorité donnée, notamment par le Chancelier Kohl et moi-même, à la mise en oeuvre du principe de subsidiarité : aux Etats de faire ce qu'ils font bien ; à l'Europe d'agir elle-même lorsqu'elle peut le faire avec plus d'efficacité.

Si aujourd'hui nous unissons nos forces pour créer et gérer une monnaie, c'est en réalité pour ne pas subir la loi des autres.

Loin de disparaître dans l'Europe, la France, comme d’ailleurs les autres Etats membres, s'accomplira, j’en suis sûr, pleinement en étant européenne. C'est l'Europe organisée qui lui donnera la force et les moyens de faire valoir ses intérêts et de réaliser ses ambitions.



Pour dissiper les peurs, pour gagner, une forte ambition européenne doit aller de pair avec une grande ambition nationale. Nous avons des atouts, les Français le savent : notre situation géographique, nos infrastructures, la qualité de notre appareil de formation, pour n’en citer que quelques uns. Mais nous avons aussi des handicaps, les Français les connaissent : trop d'impôts, trop de bureaucratie, trop de dépenses publiques. C'est pourquoi nous ne réussirons dans l'Europe qu'à condition de nous adapter. C’est vrai pour nous comme pour les autres.

Des réformes sont nécessaires. Elles sont inévitables. Elles doivent être lancées ou poursuivies quand elles sont engagées.

- La réforme de la Sécurité Sociale, lancée par le Gouvernement d'Alain Juppé, porte aujourd'hui, on le voit, ses fruits. Elle était indispensable.

- La professionnalisation de nos armées, avec la restructuration de nos industries de défense, avec la création d'une industrie européenne de l'aéronautique et de l'espace, était inévitable.

- La réforme de l'Etat, qui doit se recentrer sur ses vraies missions et notamment sur la sécurité et le respect de l'ordre public pour que la France ne soit pas soupçonnée d’être un Etat où la sécurité n’est pas assurée. Un Etat qui doit aussi se moderniser et se rapprocher du citoyen, en remettant de l'ordre dans des structures administratives devenues trop complexes et aussi en simplifiant les procédures.

- L'adaptation de nos services publics à un monde de plus en plus concurrentiel. De ce point de vue, l'évolution de France-Télécom en est un exemple réussi.

- La réforme de la Justice, pour la rendre plus rapide, plus proche des Français, plus indépendante et plus respectueuse des droits du justiciable.

- La baisse des impôts, pour favoriser l'initiative et récompenser l'effort de tous ceux qui veulent agir, qui veulent créer pour réaliser leurs rêves et leurs ambitions.

- La modernisation de notre vie démocratique, notamment pour faciliter la participation de tous, et surtout des jeunes et des femmes, de toutes celles et de tous ceux dont le métier n'est pas la politique et qui doivent aider à construire notre destin commun, le destin de la France.

Voilà, pour l'essentiel, les réformes qui rendront la France plus tonique.

L'Europe nous y incite. Elle nous incite à être allants et éveillés. C'est ainsi que nous tirerons tout le parti de la croissance qui revient et que nous pourrons réellement lutter contre le chômage.

Nous ne pouvons pas faire, dans le domaine économique et social, cavalier seul. La France doit s'inspirer de ce que font les pays qui réussissent le mieux dans la lutte pour l’emploi.

C'est pourquoi nous devons placer l'esprit d'entreprise au premier rang de nos préoccupations, réduire résolument les charges pesant sur l'emploi peu qualifié, promouvoir des formes nouvelles d'organisation du travail librement négociées, ramener progressivement la part de l'emploi public dans la moyenne européenne.

Tout cela est nécessaire. Les Françaises et les Français en ont conscience. Ils voient souvent les choses avec plus de clairvoyance que bien des responsables. Il y a une aspiration profonde qui monte dans notre pays. Nous devons y répondre en prenant mieux en compte les préoccupations quotidiennes des Français.



Nous le voyons bien, l'impératif aujourd'hui c'est : avancer, s'ouvrir, s'adapter, se réformer pour mieux saisir les chances de la France, pour mieux saisir les chances de l'Europe.

Pour nous Français, la France, demain comme hier, est notre Patrie, un pays vivant, un pays fort qui veut trouver toute sa place, jouer tout son rôle, un pays qui veut gagner.

Pour nous, comme pour tous les peuples de notre continent, il faut regarder l'avenir en face. L'Europe, qui a été longtemps notre horizon, est désormais notre vie quotidienne.

Grâce à elle nous serons plus forts, chez nous comme sur la scène internationale. Nous serons d'autant plus forts que nous saurons nous affirmer comme une Nation volontaire et moderne. Voilà mon ambition et c’est pourquoi, en ouvrant ce point de presse, je vous indiquais ma conviction : l’Europe, je le répète, ce sera une France plus forte et plus moderne.

Voilà quelques mots d’introduction avant de répondre à vos questions.




QUESTION - Monsieur le Président, le lancement de l’euro va s’accompagner de la mise en place de la Banque centrale européenne. La France a avancé la candidature de Jean-Claude Trichet, l’actuel gouverneur de la Banque de France, pour présider cette Banque centrale européenne. On sait que d’autres pays, et notamment les Pays-Bas, ont avancé celle de Monsieur Duisenberg. Je vous demande où en est-on de ces négociations, est-ce qu’un compromis a été trouvé, est-ce qu’il le sera avant le 2 mai prochain ?

LE PRÉSIDENT - Je souhaite que la solution intervienne, non pas avant, mais pour le 2 mai. Ce n'est pas une obligation, mais ce serait psychologiquement préférable, notamment pour la mise en oeuvre de la réforme en question. Vous le savez, la France a un candidat, il s'agit de Monsieur Trichet, notre actuel gouverneur, et la France défendra son candidat. Dans l'état actuel des choses, je ne peux pas vous en dire plus. Je suis persuadé que la qualité de notre candidat sera prise en compte et qu'une solution très convenable interviendra.

QUESTION - Les résultats des élections régionales, la forte abstention et le vote extrême semblent confirmer que les Français prennent d'importantes distances avec la politique, expressions d'angoisse ou de désarroi, vous nous le direz peut-être. Ne croyez-vous pas, Monsieur le Président, qu'avec la construction européenne, une occasion, une chance, se présente pour impliquer nos concitoyens dans ce vaste chantier et créer ainsi une dynamique participative, ne considérez-vous pas qu'à l'occasion de la mise en oeuvre de l'euro, un vaste débat national puisse être organisé, et pourquoi pas un référendum ?

Enfin, à propos du Traité d'Amsterdam, qui introduit tant de modifications institutionnelles et qui entraîne une révision de notre Constitution, est-ce que ce ne serait pas l'occasion aussi de l'organisation d'un vaste débat et la consultation de nos concitoyens ?

LE PRÉSIDENT - Deux référendums, on dit jamais deux sans trois, on pourrait peut-être imaginer un troisième référendum... Prenez les choses dans l'ordre. S'agissant de l'euro, je me permets de vous rappeler qu'il a été l'objet d'un vaste débat et d'une procédure référendaire, puisque l'euro c'est le traité de Maastricht, et vous aurez le souvenir, je n'en doute pas, à la fois du débat et du référendum qui a adopté le traité de Maastricht. Alors je ne vois pas très bien au nom de quoi on pourrait, par un nouveau référendum, essayer de remettre en cause la légitimité de ce qui a été acquis par le premier. Alors vous me direz il y a Amsterdam. Mais ce n'est plus du tout l'euro. Vous nous dites " qui a apporté tant de modifications institutionnelles ", non, le Traité d’Amsterdam en apporte très peu. Mais Amsterdam exige néanmoins une réforme constitutionnelle, dans la mesure où certaines des mesures touchant à la libre circulation des personnes ne sont pas conformes à notre Constitution actuelle qui doit être à ce titre modifiée. Ce n'est pas une révolution, c'est, je dirais, une adaptation technique, qui ne me semble pas, a priori, justifier -si, peut-être un grand débat, et j'imagine que nous l'aurons, prochainement au Parlement- mais cela ne me semble pas justifier un référendum. Néanmoins c'est une décision que j'aurai à prendre. J'attends que le Gouvernement m'ait saisi des projets de lois correspondants, et comme vous le savez, conformément à la Constitution, il m'appartiendra de décider si la modification de la Constitution doit intervenir à l'issue d'un débat à Versailles, du Congrès, ou au contraire d'une consultation référendaire. Je me garderai bien de trancher tout de suite, je prendrai ma décision le moment venu. Mais, pour ne rien vous cacher, je ne suis pas convaincu qu'il y ait là véritablement motif à référendum ; mais enfin, c'est une réponse d'attente.

QUESTION - Vous avez dit que la France devait s'adapter dans la perspective de la réalisation de l'euro. Le projet de budget pour 1999 prévoit une réduction des déficits publics, mais qui resteront, malgré tout, plutôt supérieurs à la moyenne et aux autres pays européens. Est-ce que cela vous paraît suffisant, est-ce que cela vous préoccupe ?

LE PRÉSIDENT - L'essentiel, c'est que nous ayons été en mesure, ce qui est acquis depuis plus d'un an, de remplir les critères de Maastricht, et je le répète, non pas parce qu'il s'agissait de critères décidés à l'occasion d'un traité, mais parce que ce sont simplement des règles de bonne gestion. Pour l'avenir, nous devons bien constater que nous sommes encore à des niveaux de déficits élevés, les plus élevés de l'Europe, ce qui est un peu préoccupant. J'espère que -mais cela, c'est de la responsabilité du Gouvernement- ces déficits pourront être réduits.

Il y a quelques règles de bon sens que tout gouvernement serait bien inspiré d'appliquer, en France comme ailleurs, et, parmi elles, le fait que la dépense publique ne doit en toute hypothèse pas augmenter plus que l'inflation. C’est une règle qu'il faut s'imposer, sinon, on s'endette. L'endettement est une évolution extrêmement dangereuse et perverse. La plupart d'entre vous doivent savoir, qu'actuellement, en France, nous payons chaque jour un milliard de francs pour régler les seuls intérêts de notre dette. C'est vous dire le poids que fait peser sur notre pays les décisions, je dirais un peu légères qui ont été prises dans le passé et combien il nous serait utile d'avoir ces sommes aujourd'hui pour accompagner une croissance qui revient, semble-t-il.

Donc, les erreurs que nous avons commises dans le passé, nous devons nous efforcer de ne pas les commettre dans l'avenir, d'où la nécessité des critères de Maastricht, d'où la nécessité du pacte de stabilité, d'où la nécessité de ne pas augmenter la dépense publique plus que l'inflation.

QUESTION - Monsieur le Président, pouvez-vous prendre l'engagement que les Français ne devront pas sacrifier leurs acquis sociaux sur le thème européen ?

LE PRÉSIDENT - Cela, c'est un engagement que je prendrai sans aucune difficulté, cher monsieur. Je ne vois pas au nom de quoi nous sacrifierions nos acquis sociaux. Je me permets de vous rappeler, d'ailleurs, que la France a été le premier pays européen, il y a deux ans, à l'occasion du G7 social de Lille, à dire qu'en toute hypothèse, l'Europe devait avoir un modèle social européen et que, pour ce qui la concernait, il n'était pas question de remettre en cause ses acquis sociaux. On peut moderniser les choses en permanence, mais sans remettre en cause les acquis sociaux. Je l'ai évoqué tout à l'heure, à la suite d'une initiative française qui était d'ailleurs une initiative parfaitement concertée entre le Gouvernement et moi-même, nous avons obtenu d'abord la prise en compte de ce modèle social européen et, ensuite, d'ailleurs, une action positive en ce qui concerne le domaine de l'emploi.

QUESTION - Monsieur le Président, c'est un honneur pour moi de m'adresser au Président de la France. Je me permets et vous prie de dévier un peu de l'Europe et de parler d'un petit coin qui n'est pas l'Europe encore, du Monténégro, mais c'est là, et j'ai le courage de le dire, parce que notre Président est votre hôte actuellement.

J'ai assisté hier, à la conférence de presse de Monsieur Védrine et de Monsieur Djukanovic, Président du Monténégro, à ma question : " que compte faire la France pour le Monténégro ? ", Monsieur Védrine m'a fait comprendre qu'il s'agissait d'un soutien diplomatique et politique.

Mais je voulais vous dire que le Monténégro se trouve dans une situation si dramatique qu'il aurait besoin d'une aide économique, parce que ce petit pays a choisi la voie de la démocratie, des réformes démocratiques et il ne peut pas les réaliser sans une aide économique. Je vous prie de me répondre, peut-être le Monténégro dépend de vous, de vos paroles, de la France et de l'Union européenne.

LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas tout à fait le sujet de mon point de presse. Cependant la présence, en France, de votre Président et le souci que nous avons tous pour ce qui concerne cette région, notamment le Kosovo et le Monténégro me conduisent à vous répondre : nous sommes très préoccupés de la situation dans cette région, de la situation économique et de la situation politique. Ce que vous a dit Monsieur Védrine hier, et dont j'ai pris connaissance, représente exactement la position de la France. Nous apporterons au Monténégro l'aide politique que justifient les efforts qu'il a fait, notamment dans le domaine de l'implantation de la démocratie. Nous avons demandé à la Communauté d'examiner les conditions dans lesquelles nous pourrions apporter une aide économique au Monténégro. Vous pouvez être rassurée, nous n'abandonnerons pas le Monténégro.

QUESTION - Monsieur le Président, le Premier ministre, Lionel Jospin, doit s'exprimer à l'Assemblée sur l'Europe, mardi prochain. Qu'attendez-vous de cette intervention et comment doit-elle s'articuler par rapport à ce que vous nous dites sur l'Europe ?

LE PRÉSIDENT - Il y a des sujets qui font l'objet entre le Gouvernement et moi d'appréciations divergentes. Il en est d'autres sur lesquels il y a, je dirais, une appréciation commune. Tel est le cas de l'Europe. Donc je n’attends pas dans le propos que tiendra le Premier ministre de divergences de vues avec celui que je vous tiens. D’ailleurs, aux différentes négociations à l’occasion desquelles le Premier ministre m’accompagne, je n’ai jamais observé qu’il y ait eu la moindre réserve de sa part à l’égard des positions que je prenais. S’il y en avait eu, nous aurions réglé cela ensemble naturellement, sans leur donner de publicité. Tel n’a jamais été le cas.

QUESTION - Monsieur le Président, des élections européennes auront lieu dans un peu plus d’un an. Ne craignez-vous pas que ce scrutin traduise un affaiblissement, une division, à droite comme à gauche, et une poussée du Front national sur un créneau très anti-européen ? Et dans ce contexte, êtes-vous favorable à une modification du mode de scrutin pour les élections européennes ?

LE PRÉSIDENT - Je ne porterai pas de jugement sur la façon dont les partis politiques, à droite comme à gauche, s’organiseront pour ce qui concerne les élections européennes. En revanche, il y a un problème, c’est vrai, du mode de scrutin et j’ai eu l’occasion, dans les rencontres que j’ai eues récemment pour étudier les problèmes posés à notre vie politique et à sa modernisation, d’évoquer ce sujet avec tous les représentants des forces politiques républicaines.

J’en ai tiré la conclusion, qui d’ailleurs était intuitivement mon sentiment, qu’il faut changer de mode de scrutin. Il faut le faire, bien entendu, le plus vite possible, de façon à ce que le nouveau mode puisse s’appliquer aux prochaines élections européennes. Tout simplement parce qu’aujourd’hui le Parlement européen a de véritables pouvoirs, en tous les cas des pouvoirs qui se sont accrus. Il a acquis notamment des pouvoirs législatifs. Donc il est indispensable que les élus européens soient véritablement représentatifs de la population, ce qui suppose qu’ils lui soient connus. Ce n’est évidemment pas le cas aujourd’hui où il s’agit plutôt d’élus inconnus et désignés. Alors comment faire cette réforme ? Il faut en discuter naturellement et je ne suis pas là pour trancher ce point. Je pense qu’il faut maintenir un système proportionnel. J’observe que d’ailleurs pratiquement tout le monde est de cet avis et que tous les pays européens ont retenu ce principe, puisque les Anglais, comme vous le savez, vont changer leurs lois pour adopter le scrutin proportionnel. J’imagine mal que la France puisse faire différemment. En revanche, il y a un problème de circonscriptions. Toute l’idée, je le répète, étant de faire en sorte que les parlementaires européens soient connus de leurs électeurs, les connaissent, et puissent être véritablement représentatifs. Alors est-ce qu’il faut faire des grandes régions, des régions moyennes ou des petites régions ? Cela est un problème technique qu’il appartiendra au Gouvernement d’étudier. Mais je crois que c’est comme cela qu’il faudra procéder.

QUESTION - C’est une précision par rapport à une question de mon confrère de l’Humanité tout à l’heure, sur le Traité d’Amsterdam. Vous avez dit que vous attendiez les propositions du Gouvernement et, à Matignon, on indique qu’aux termes de l’article 89 qui semble la voie choisie, puisque vous parlez d’adaptation technique, et donc de Congrès, on dit que c’est au Président de la République de prendre l’initiative de demander au chef de Gouvernement ses propositions. Alors, est-ce que c’est une course de lenteur entre l’Elysée et Matignon, ou pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point ?

LE PRÉSIDENT - Monsieur Bachy, je me demande si votre intuition est tout à fait d’actualité. Il y a eu, c’est vrai, lorsque le problème s’est posé, non pas une interprétation différente des textes, bien entendu, nous avons chacun, à Matignon comme à l’Elysée, des spécialistes dans le domaine du droit, et notamment constitutionnel. Mais j’avais pensé que le Premier ministre me ferait parvenir les projets de lois et il pensait que je devais les lui demander. En réalité, pour dire la vérité c’était une époque où les perspectives étaient celles des élections régionales et au fond on n’avait pas véritablement approfondi la question. Alors depuis, j’ai dit au Premier ministre que je souhaitais, à un moment qu’il nous appartiendrait de définir en commun, recevoir ces projets de lois. Nous sommes convenus que la ratification devrait intervenir avant la fin de l’année, donc la réforme constitutionnelle également, par définition. Je lui ai dit que je lui demandais de bien vouloir préparer ces projets de lois. Il m’a dit qu’il le ferait, donc il me les enverra. C’est à partir de là que s’ouvrira le débat au Parlement, à l’Assemblée et au Sénat qui devront voter ces projets en termes identiques. Comme vous le savez, c’est ce que je disais à votre confrère de l’Humanité, ensuite j’aurai à prendre la décision d’un achèvement de la procédure par le référendum ou par le Congrès. Mais il n’y a pas d’ambiguïté.

QUESTION - Monsieur le Président, Paris est la capitale de l’un des États membres de l’Europe. Ne pensez-vous pas que la bataille qui s’y vit actuellement donne une mauvaise image de la France dans l’Europe ?

LE PRÉSIDENT - Je l’attendais... Vous avez voulu faire court, ce qui, naturellement, est une qualité pour quelqu’un qui pose une question. Mais alors du coup, il n’y a pas le moindre doute sur le terrain sur lequel vous voulez m’entraîner. Je vais vous dire une chose : c’est que Paris est depuis très longtemps l’une des principales capitales d’Europe et même du monde. J'ai essayé d'y apporter, en mon temps, mon propre effort et ma propre contribution. Mais ce dont je suis convaincu, c'est que Paris restera une grande capitale historique de l'Europe et du monde.

QUESTION - Monsieur le Président, l'euro va donc rentrer en service à partir du début de l'année prochaine mais les billets n'arriveront qu'en 2002. Ne pensez-vous pas qu'on pourrait peut-être profiter de cette période pour également, éventuellement, avancer la date de l'arrivée des billets parce que 2002 cela paraît être, quand même, une date assez lointaine et cet espace de trois/quatre ans, un peu trop grand pour que les Français aient le temps de s'habituer vraiment à manipuler cette nouvelle monnaie ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, c'est une réforme complexe et importante. Tous les experts -moi je ne suis pas un expert dans ce domaine- considèrent qu'une période de transition, dont ils ont estimé qu'elle devait durer trois ans, était indispensable. Intuitivement, je veux bien le croire. Je ne dis pas que vous avez tort, je le répète, parce que je ne suis pas en mesure de vous le démontrer. Mais je suis frappé de voir que sur ce point il n'y a pas, me semble-t-il, d'hésitation parmi tous les experts de tous les pays membres. Donc, ce sujet n'a pas été l'objet d'une véritable discussion.

Je crois qu'il faudra s'habituer et, après, la question qui peut se poser de façon plus aiguë, c'est de savoir de combien de temps on disposera pour rendre obligatoire la monnaie en euro. Alors là, je crois qu'il y a effectivement une discussion. Ce qui est prévu, actuellement, me semble-t-il, c'est six mois et c'est peut-être un peu long. Je l'affirme avec prudence.

QUESTION - Selon vous, l'union monétaire doit-elle conduire à une union politique, autrement dit le transfert de souveraineté monétaire doit-il entraîner d'autres transferts de souveraineté ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez il y a toujours eu un faux débat, je crois, sur les problèmes de transfert de souveraineté. Les transferts de souveraineté sont acquis par une décision propre de chaque Etat. C'est la volonté de mettre en commun certains moyens de façon à conduire une gestion mieux équilibrée de nos problèmes ou de nos intérêts. Un pas important a été fait pour la monnaie, je vous l'ai dit tout à l'heure. Ce pas était indispensable pour toutes sortes de raisons -que vous connaissez aussi bien que moi- mais, notamment, pour éviter de se voir imposer la loi des autres, il fallait que l'Europe, première puissance économique mondiale, ait une monnaie qui soit à l'égal du dollar américain. Cette réflexion n'étant pas le moins du monde agressive ; c'est simplement un équilibre qui était indispensable.

Alors, est-ce que cela doit entraîner une union politique plus affirmée ? Je ne le crois pas. Ce n'est pas cela qui entraînera une union politique plus affirmée. Cela pourra être la réflexion commune des partenaires qui pourra conduire à une union politique plus forte. Pour le moment, je ne le vois pas, mais ce n’est certainement pas la naissance de l'euro. Mais bien entendu, tout dépend de ce que l'on appelle une union politique. Si vous me dites que l’euro conduira à l'obligation d'avoir une gestion plus sérieuse et plus commune, notamment de nos finances publiques, oui, fort heureusement. Nous avons payé assez cher dans le passé les différentes initiatives, parfois un peu démagogiques, des uns et des autres, dont les conséquences étaient supportées par tous. Alors, cela est vrai, mais il n'y a pas de lien plus important.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez lié l'élargissement de l'Europe à la réalisation de la réforme institutionnelle. Les négociations d'adhésion des pays ont commencé mais on ne voit rien venir du côté des institutions. Comptez-vous relancer ce chantier là ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais dire d'abord que la réforme institutionnelle est indispensable et on ne peut pas imaginer que l'Europe s'élargisse complètement sans que les institutions aient été modifiées. Le système dont nous disposons, qui avait été conçu en réalité pour six, est de plus en plus inadapté à quinze et inapplicable au-delà. Je crois que tout le monde est d'accord sur ce fait. S'agissant ensuite des modalités de la réforme alors là, il y a naturellement des points de vue différents notamment, et on peut le comprendre, entre les pays les plus grands, sur le plan de leur population, les plus importants et les pays les plus petits sur le plan de leur population et cela c'est un vrai problème. Alors, vous savez quelle est la décision, c'est-à-dire que dès le Traité d'Amsterdam ratifié, c'est-à-dire certainement avant la fin de cette année, devra s'ouvrir la réforme institutionnelle. Donc, théoriquement nous n'avons pas commencé officiellement à en parler, en réalité nous avons commencé entre nous à évoquer naturellement ces problèmes. La position de la France dans ce domaine c'est que l'on ne peut pas envisager de faire entrer le ou les premiers candidats à l'adhésion avant que la réforme institutionnelle ait été faite. Alors, comme vous le savez la Commission considère, mais ces choses peuvent naturellement changer, que les premiers devraient entrer aux alentours de 2002 ou 2003, je souhaite d'ailleurs que cela puisse être plus rapide, si c'est possible, notamment pour la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et peut être d'autres, mais en tous les cas ce qui est sûr c'est que nous n'accepterons pas l'entrée sans que préalablement la réforme institutionnelle ait été faite, notamment les modalités d'élaboration de la décision.

QUESTION - L'euroscepticisme existe et il est volontiers exploité par un certain nombre de formations de l'extrême droite, Front national, à l'extrême gauche en passant par un certain nombre de formations plus traditionnelles. Je voulais savoir ce que vous pensiez de ce débat, comment vous le qualifieriez, est-ce un combat d'arrière garde et fait-il peser un risque sur le rôle moteur que doit selon vous jouer la France dans la construction européenne ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, il y a des eurosceptiques dans tous les pays, en France comme ailleurs, et ils se fondent notamment sur les peurs ou les craintes que j'évoquais tout à l'heure et dont je disais que l'on peut les comprendre. Alors certains prennent des positions très fortes dans ce domaine et se donnent un peu volontiers des allures de statue du commandeur. Il faudrait leur dire de faire attention de ne pas devenir des statues de sel.

QUESTION - Martine Aubry vient de remettre son plan national d'action pour l'emploi dans le cadre de la lutte de l'Europe contre le chômage, alors quel regard portez-vous sur ce plan et d'autre part pensez-vous que ce type d'action, puisque chaque pays reste le maître chez lui, soit suffisante pour régler le chômage en Europe ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord dire, je l'évoquais tout à l'heure rapidement, que c'est un grand progrès qui, pour une large part, a pour origine une initiative de la France ; c'est un grand progrès que d'avoir pu mettre au point ces plans d'initiative pour l'emploi et je m'en réjouis. Vous évoquez le plan de la ministre du Travail et de l'Emploi ; ce n'est ni mon rôle ni l'occasion pour moi de porter un jugement. Je dirais simplement que la France, je l'ai dit tout à l'heure, ne peut pas faire cavalier seul et qu'il est important pour elle de s'inscrire dans un courant qui est le courant de l'ensemble des pays européens et, donc, si vous voulez absolument que je donne un conseil, je dirais de faire très attention d'être bien cohérent avec les autres sinon on pourrait avoir de mauvaises surprises.

QUESTION - Je voudrais d'abord revenir sur la Banque centrale européenne : est-ce que pour vous la nomination de Monsieur Duisenberg pendant huit ans est acceptable ou absolument inacceptable ? Deuxième question concernant la BCE, cela sera le seul organe fédéral de l'Europe et en face on ne voit pas véritablement de contrepoids politique, est-ce que cela ne vous inquiète pas ?

LE PRÉSIDENT - Sur le deuxième point, je vous dirais qu'en face de ce qui n'est pas un organe fédéral, mais un organe monétaire ayant les pouvoirs qu'ont actuellement, de façon totalement indépendante par rapport aux Gouvernements, les gouverneurs des banques centrales, il n'y aura pas de changement de nature dans ce pouvoir.

J'ajoute que néanmoins, là encore, à l'initiative de la France, a été décidé un Conseil de l'euro qui donne dans les domaines qui sont les leurs, c'est-à-dire naturellement en dehors des taux d'intérêts, des pouvoirs de gestion de nos affaires financières aux gouvernements, plus précisément aux ministres des Finances. Donc il n'y a pas de changement de nature dans le système européen par rapport aux systèmes nationaux, depuis que l'on a heureusement fait les réformes nécessaires dans nos banques centrales pour éviter, là encore, des erreurs qui nous ont coûté si cher dans le passé.

S'agissant du candidat français, j'ai dit ce que j'avais à en dire et je n'ai rien à ajouter. Par voie de conséquence, je ne ferai pas de commentaire sur la candidature de Monsieur Duisenberg. Je ne ferai aucun commentaire sur sa candidature. Je vous ai dit que nous soutiendrions le candidat français, évidemment.

QUESTION - Une réforme de la politique agricole commune est à l'étude, qui s'annonce d'autant plus difficile qu'il s'agit de la rendre compatible avec l'élargissement de l'Union. Où se situe, selon vous, le bon équilibre entre la mobilisation de ressources financières nécessairement limitées en raison des contraintes budgétaires dont vous avez parlé, et le maintien du pouvoir d'achat des agriculteurs français ?

LE PRÉSIDENT - La réforme de la politique agricole commune n'a pas seulement pour objet de la rendre compatible avec le monde moderne, de la rendre compatible avec l'élargissement à des pays qui ont des terres agricoles potentielles importantes, mais aussi compatible -il ne faut pas l'oublier parce que ça va se passer en 1999, fin 99- avec l'Organisation mondiale du commerce. Si je le précise c'est parce que ça veut dire que la réforme de la politique agricole commune devra être terminée sensiblement avant l'ouverture, il y a donc une date butoir, de l'OMC. Alors dans cet esprit, la Commission a fait ses propositions. De mon point de vue, ces propositions ne sont pas acceptables en l'état et j'aurai l'occasion de le dire très clairement au Conseil européen. J'ai d'ailleurs tenu ici, il y a quelques jours, avant le Conseil des ministres de l'Agriculture précédent, une réunion avec le Premier ministre et le ministre des Finances, le ministre de l'Agriculture, etc.., pour cadrer la position de la France. Ces propositions de baisse des prix ne sont pas acceptables en l'état, les baisses sont beaucoup trop importantes, et c'est particulièrement inadapté en ce qui concerne la France dans le domaine bovin, dans le domaine laitier et d'ailleurs aussi dans le domaine des oléagineux. Il ne faut pas oublier que la France représente, à elle toute seule, la moitié de la production européenne et que l’on ne peut pas imaginer qu'elle soit traitée à la légère ou par des gens qui connaîtraient mal ces problèmes.

Deuxièmement, cette réforme ne tient pas compte de ce qui est pour nous un élément essentiel, c'est l'affirmation de la vocation exportatrice de l’Europe en matière agricole. C'est un point essentiel. Je sais qu'aujourd'hui on dit que les agriculteurs doivent tenir compte de l'environnement, etc. C'est très bien, mais les agriculteurs ne sont pas des jardiniers au profit des intérêts de citadins en quête de rêves. Ce sont des producteurs et donc il faut en avoir conscience. La position de la France dans ce domaine sera très ferme.

QUESTION - On assiste depuis quelque temps à un transfert inquiétant des activités qui appartenaient autrefois au Matif vers la place de Francfort, certains ont attribué cette situation à un manque de préparation de la place française, notamment sur le plan des alliances internationales. Mais au-delà de ce problème technique, il y a une question à poser : dans le cadre de l'union monétaire, estimez-vous qu'il sera normal que le financement des entreprises françaises ou les emprunts de l'Etat se fassent sur une place étrangère telle que Francfort et si vous estimez le contraire que proposez-vous pour y remédier ?

LE PRÉSIDENT - Le problème n'est pas tellement dans l'équilibre des places pour lequel la France n'est pas mal placée, mais le problème est surtout de savoir s’il n'y a pas un risque, et moi je crois qu'il y a un risque, de voir le capital français, qui est si insuffisant, passer entre des mains étrangères. Et ça c'est le véritable risque. Nous le voyons déjà aujourd'hui par les investissements massifs qui sont faits chez nous par l'extérieur, ce qui a des quantités d'avantages, mais dont une partie importante consiste à acquérir, pour des étrangers, des entreprises françaises. Alors je ne suis pas contre le fait que des étrangers soient propriétaires d'entreprises françaises, mais je dis attention. Quand on est propriétaire on délocalise, non pas les entreprises naturellement, mais les centres de décisions. Et quand les centres de décisions sont délocalisés à l'étranger, alors il y a un risque fort qu’en cas de crise ce soient toujours les activités extérieures qui soient sacrifiées. Et donc il y a un vrai problème de renforcement du capitalisme français ; il va y avoir là une faiblesse importante qui est dangereuse pour nos activités et pour nos travailleurs.

QUESTION - Monsieur le Président, la France est assez isolée, je crois, sur le projet de Sir Leon Brittan d’une zone de libre échange transatlantique Europe/Etats-Unis. Or, il y aura un Sommet Europe/Etats-Unis le 18 mai, je crois. Quelle sera, à ce moment-là, la position de la France ? Qu’entend-elle réaffirmer ?

LE PRÉSIDENT - Je ne suis pas sûr que tout le monde connaisse la chose. Il s’agit de ce que l’on appelle le NTM, qui est avant tout une initiative personnelle de Sir Leon Brittan qui, tout seul, comme un grand, est allé négocier avec les Etats-Unis sans aucun mandat, et notamment aucun mandat du Conseil européen, une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe. C’est quelque chose d’important. D’abord parce qu’il est inadmissible qu’un commissaire aille négocier sans un mandat précis de la part du Conseil. Et il faut clairement l’indiquer de façon à ce que cela ne se reproduise plus. D’autant que Monsieur Brittan est un récidiviste, il nous avait déjà fait le coup à Blair House, dont nous n’avons pas gardé à proprement parler le meilleur souvenir.

Ensuite parce qu’au-delà des principes et des responsabilités de chacun, il est tout à fait contradictoire d’affirmer que nous entrons dans un monde multilatéral, mondialisé, globalisé et dont les règles seront élaborées au sein de l’Organisation mondiale du commerce et que, néanmoins, l’Europe et les Etats-Unis, qui à eux seuls représentent 60% en gros du commerce extérieur, font chacun dans leur petit coin leur petite affaire en imposant, ensuite, par définition, au monde entier les intérêts qu’ils auront élaborés ensemble. C’est absurde. Et je veux dire que c’est indécent. Nous avons l’OMC, nous l’avons voulue, elle a été signée par tout le monde. Eh bien, c’est en son sein que doivent être négociés les accords commerciaux. Voilà les deux raisons qui font que j’ai pris une position très hostile à cette initiative.

Vous évoquez le Sommet euro-américain, vous savez qu’un sommet euro-américain, c’est un sommet entre le Président des Etats-Unis et le Président en exercice de la Communauté. C’est-à-dire que ce sera en réalité, cette année, un sommet entre Bill Clinton et Tony Blair, lequel représentera naturellement l’ensemble de la Communauté. C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué très nettement, à l’occasion d’une rencontre que j’ai eue à Londres, pour le Sommet Asie/Europe, avec Tony Blair en sa qualité de Président, que la France ne pouvait pas admettre que ce point NTM figure à l’ordre du jour de la discussion euro-américaine. J’en ai parlé dans les mêmes termes au Président de la Commission, à Monsieur Santer. Et naturellement ce point ne sera pas à l’ordre du jour de ce Sommet. Il n’en reste pas moins que nous ne sommes pas contre l’idée de discuter avec les Américains de certains problèmes commerciaux. Nous sommes tout prêts à le faire, bien entendu, mais dans le cadre d’une mission donnée par le Conseil à la Commission et dans le respect des obligations que nous avons souscrites avec l’OMC.

QUESTION - Merci, Monsieur le Président. Vous avez dit que l’objectif est une Europe des Nations. Et c’est une expression qui, en dehors de la France, est plus ambiguë peut-être qu’à l’intérieur. Je donne un exemple : quand on parle du tournoi des Cinq Nations que la France a remporté brillamment, en face de la France, il y a l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles, l’Irlande. Alors l’objectif, l’Europe des Nations, est-ce l’Europe des Etats tels qu’ils existent ou est-ce l’Europe des Ecossais, des Gallois, des Catalans, Basques et autres...

LE PRÉSIDENT - Je ne vais pas rallumer la vieille querelle entre l’approche fédérale ou l’approche confédérale de l’Europe, elle est dépassée depuis longtemps. D'ailleurs Georges Pompidou, qui était un homme de sagesse, disait, avec un oeil un peu piquant, que tout ceci n'avait pas de sens, et qu'en réalité, une fédération, c'était une confédération qui avait réussi, et il y a du vrai. Ce qui est plus sérieux, c'est qu'aujourd'hui, j'observe que tous les pays de l'Europe affirment clairement que leur conception de l'Europe, c'est une Europe des Nations.

Il y a quinze jours, je revenais avec Helmut Kohl, dans un autocar qui, pendant une heure et demie, nous a ramenés de Bor à Moscou pour prendre notre avion, après avoir été voir le Président Eltsine. Il me disait sa conviction que c'était un concept aujourd'hui indiscutable, mais qu'à ce titre, j'ai évoqué cela tout à l'heure et je partage son sentiment, devaient être impérativement affirmées clairement les modalités d'application du principe de subsidiarité, car il est vrai que la Commission a délibéré et décidé dans des tas de domaines où elle n'aurait pas dû le faire.

Il faut que dorénavant la règle soit claire : c'est une Europe des Nations où les Nations prennent les décisions qu'elles sont en mesure d'assumer le mieux, et où l'Europe prend les décisions qui concernent l'ensemble de façon à ce que celui-ci reste cohérent. Voilà quel est le point aujourd'hui de la réflexion.

D'ailleurs, j'évoquais tout à l'heure le nom du Général de Gaulle et j'observe qu'il avait eu cette vision le premier : il fallait faire l'Europe et malgré l'opposition générale, quand il a repris le pouvoir en 1958, il a imposé la mise en oeuvre du Traité de Rome. Il a évoqué, à plusieurs reprises, sa vision de l'élargissement de l'Europe -il appelait cela l'Europe de l'Atlantique à l'Oural-. C’était une image naturellement, mais cela voulait bien dire toute l'Europe. Il a toujours dit, lui, le premier, que cette Europe ne pouvait être qu'une Europe des Nations. Chacune conservant son identité, mais toutes mettant ensemble une énergie cohérente pour progresser et s'affirmer dans le monde.

QUESTION - Vous avez rencontré notre Premier ministre Hashimoto à Londres au début du mois, puis vous allez partir au Japon à la fin du mois. Comment estimez-vous l'effet de la crise asiatique et la récession japonaise sur l'introduction de l'euro, est-ce que vous pensez qu'il y aura des effets négatifs là-dessus ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, il y a une crise asiatique, nous la connaissons, elle a frappé l'Europe beaucoup moins qu'on ne l'avait craint lorsqu'elle a commencé. Si elle l'a frappé beaucoup moins, je crois qu'on peut dire que c'est justement à cause des perspectives de l'euro. L’euro a donné confiance. L'euro pour les grands marchés est une chose déjà quasiment acquise, qui inspire la confiance, donc qui garantit l'activité et l'emploi, si bien que les marchés n'ont pas été inquiets. Ils se sont dit : avec l'euro, l’Europe est solide, elle ne va pas vaciller, elle ne va pas être perturbée par la crise asiatique. Et c'est bien ce qui s'est passé.

C’est grâce à l'euro que nous n'avons pas souffert davantage des conséquences de la crise asiatique. Je dirais, par parenthèse, que la crise asiatique doit encore être épongée. Il faudra un an, dix-huit mois... Mais je ne suis pas du tout, pour ma part, inquiet en ce qui concerne le développement économique et la croissance des pays d'Asie. Leurs fondamentaux sont bons, leur détermination est grande et cette crise qui leur aura coûté cher, leur permettra de repartir du bon pied. J'ai toute confiance dans la capacité des pays asiatiques à se développer et à reprendre les rênes.

S'agissant du Japon, c'est vrai que le Japon connaît actuellement une période de difficultés, avec une croissance qui est pratiquement nulle. Et le gouvernement japonais doit -comment dirais-je- bousculer un certain nombre de conservatismes. Il n'y a pas que lui, c'est une règle générale. Enfin, dans une période de difficultés, cela pose des problèmes. Il a voulu le faire, dans le cadre d'une bonne concertation d'ailleurs avec la Communauté internationale, par la diminution des impôts. Je crois que c'était la seule solution. Et moi, je fais confiance au Premier ministre Ryu Hashimoto pour gagner cette bataille, je lui fais une confiance absolue.

QUESTION - Monsieur le Président, quels seront les effets de l'euro ? Que pensez-vous de l'introduction de la monnaie unique sur l'Europe et sur l'économie mondiale ?

LE PRÉSIDENT - Je croyais avoir effleuré ce sujet... Je crois que les effets seront excellents sur l'Europe et très bons pour l'économie mondiale.

Voilà, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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