Conférence de presse du Président de la République au club de la presse au Japon.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au club de la presse au Japon.

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Tokyo, Japon, le mercredi 29 avril 1998

Monsieur le Président du Club de la Presse, je voudrais d'abord vous remercier de votre accueil, saluer et remercier tous les journalistes japonais, qui ont répondu à votre invitation et les remercier aussi de leur accueil, et puis saluer naturellement les journalistes français qui ont bien voulu, une fois de plus, m'accompagner à l'occasion d'un voyage à l'étranger.

Je vais très rapidement vous dire les quelques raisons qui ont motivé ce voyage et les impressions que je retire de ce voyage.

C'est, je pense, ce que l'on peut qualifier de visite d'amitié et de confiance. Cette visite montre d'abord la priorité que la France entend donner à sa relation avec l'Asie en général et avec le Japon en particulier.

J'accorde à nos relations avec votre pays une très grande importance (relations entre l'Europe et le Japon et notamment entre la France et le Japon). Cela se caractérise notamment dans les relations entre nos responsables, j'ai depuis longtemps une relation constante avec le Premier ministre japonais, les ministres se rencontrent, le ministre français des Affaires étrangères était là, il a dû partir hier soir ; le ministre français de l'Agriculture est ici présent et nous avons ensemble inauguré le salon de l'agriculture et de l'agro-alimentaire qui sera je crois une réussite. Donc, j'ai pu avoir des contacts intéressants, de même d'ailleurs que les membres du Gouvernement, avec les autorités japonaises.

J'étais venu aussi naturellement pour inaugurer "l'année de la France au Japon" qui se présente très bien. "L'année du Japon en France", l'année dernière, a été une très grande réussite, je veux dire par là très supérieure à ce que l'on avait imaginé et je pense qu'il en sera de même pour "l'année de la France au Japon", hier soir l'inauguration et l'illumination de la statue de la Liberté, aujourd'hui le Salon agricole, 400 manifestations qui vont s'échelonner sur un an et qui se termineront comme elles ont commencé, c'est-à-dire par la liberté à laquelle nos deux pays sont très attachés, puisqu'après avoir commencé par la statue de la Liberté nous terminerons, ici, par la venue d'un trésor national français le tableau d'Eugène DELACROIX "La Liberté guidant le peuple".

Je voulais aussi à cette occasion me rendre à nouveau devant le Keidanren pour dialoguer avec les responsables économiques japonais et leur donner mon sentiment sur l'entrée de l'Europe dans une phase nouvelle, celle de l'élargissement et celle de la monnaie unique.

Vous me permettrez de dire, ceci à titre personnel, combien j'ai été heureux et honoré de déjeuner, je dirais de façon familiale, avec l'Empereur, l'Impératrice et la Princesse SAYAKO avec lesquels j'ai eu un échange, comme toujours extrêmement agréable.

Je voulais aussi remercier le Prince héritier pour sa présence, ainsi que la Princesse MASAKO, à l'occasion de l'inauguration d'hier.

Je crois que l'on peut dire que les objectifs que je m'étais fixés ont été atteints dans le cadre de la crise financière qui a ébranlé un peu l'Asie et qui avait été traitée au cours de la réunion euroasiatique de Londres, réunion qui avait fondé deux principes : celui de la solidarité entre l'Europe et l'Asie et celui de la confiance, confiance de l'Europe dans l'Asie.

Nous avons également, bien sûr, parlé avec les mêmes sentiments de solidarité et de confiance, de la situation économique du Japon parce que la deuxième puissance économique du monde qu'est le Japon a naturellement des conséquences automatiques lorsque son économie connaît un problème, sur l'ensemble de l'économie mondiale.

Nous avons pu aussi, avec Monsieur HASHIMOTO, évoquer l'ensemble des questions qui sont traitées au G7-G8, puisqu'il y aura à la fois un G7, c'est-à-dire sans la Russie, pour les questions strictement financières et un G8 pour les autres problèmes, notamment politiques et économiques à Birmingham d'ici trois semaines. Nous avons longuement parlé de cela avec Monsieur HASHIMOTO pour constater d'ailleurs une fois de plus que la France et le Japon étaient tout à fait sur la même ligne.

Monsieur HASHIMOTO en a profité pour me faire part de ses commentaires sur la grande réforme qu'il a lancée et dans laquelle je fais toute confiance quant au résultat qu'elle devrait avoir sur la reprise de la croissance au Japon.

J'ai été heureux de rencontrer des personnalités éminentes, notamment deux anciens premiers ministres, Monsieur NAKASONE et Monsieur TAKASHITA, que je connais bien, avec lesquels j'ai eu des entretiens et qui m'ont fait part aussi de leur confiance puisqu'on évoque maintenant une reprise de la croissance qui pourrait porter le taux de croissance, entre mars 98 et mars 99, à quelque chose qui se situerait autour de 2 %. Ce qui serait un très bon résultat.

Maintenant il ne me reste qu'à souhaiter que l'année de la France au Japon soit une année très réussie qui permettra ainsi d'abord d'augmenter nos échanges qui sont déjà considérables mais qui peuvent connaître un essor permanent.

Cette année de la France s'articule autour de quatre thèmes : la France éternelle, et en cela la place de la France dans le monde, la France terre d'invention, c'est-à-dire une France moderne, avec la capacité d'innovation, ses hautes technologies, la France terre de culture, cela va de soi, et ceci est sensible au Japon qui est une autre grande terre de culture et la France partenaire du Japon. Je pense que ces quatre thèmes résument bien la nature des liens que nous pouvons créer entre nous. Je voudrais remercier à la fois le Gouvernement japonais, les administrations locales, les administrations nationales japonaises, les grands industriels, les grands moyens de communication, la presse, la télévision et les grands magasins, enfin toutes celles et tous ceux qui se sont associés et qui ont conjugué leurs efforts pour que cette année de la France soit une réussite.

Enfin je suis heureux d'accueillir bientôt en France, après le grand succès qu'a été celui de Nagano, l'équipe japonaise de football et heureux de voir qu'ainsi le coup d'envoi sera donné pour la préparation de la prochaine Coupe du monde qui chacun le sait aura lieu au Japon et à laquelle je souhaite la même réussite que les jeux de Nagano, avant d'arriver en 2005 à la grande manifestation internationale de l'exposition universelle dans la préfecture d'Aïshi.

Voilà, je vous remercie de votre attention et je répondrai maintenant à quelques questions.

QUESTION - Je voudrais vous poser une question sur le poste de premier gouverneur de la Banque centrale européenne. La Banque centrale est une organisation indépendante comme vous l'avez dit pendant votre discours devant le Keidanren. Pourquoi la France continue à soutenir Monsieur TRICHET ? A votre avis quelle sera la solution convenable ?

Ma deuxième question sur les relations Europe-Etats-Unis : vous avez déclaré que le nouveau marché transatlantique ne sera pas à l'ordre du jour du prochain sommet Europe/Etats-Unis. Quelle est votre opinion sur le NTM ?

LE PRÉSIDENT - Je vois que vous vous passionnez pour les relations franco-japonaises et je vous en remercie.

Permettez-moi de vous dire que la nomination du premier gouverneur de la Banque centrale européenne est une affaire qui intéresse et qui concerne les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne, et eux seuls, par conséquent il leur appartiendra de décider. La France a un candidat. Elle soutient son candidat et l'Union européenne décidera.

Quant aux relations euro-américaines, elles sont tout à fait excellentes, je vous remercie. Sur le plan commercial effectivement, à l'initiative d'un commissaire et non pas à l'initiative des Etats, on avait envisagé des négociations pour un accord euro-américain de libre-échange. La France effectivement, et moi-même, sommes opposés à cette procédure, d'abord parce qu'il n'appartient pas à un commissaire de prendre seul l'initiative, il doit prendre des initiatives en fonction d'une directive qui lui est donnée par le Conseil des ministres, par le Conseil européen, ce qui n'était pas le cas ; d'autre part, ce n'est pas au moment où l'on a créé l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, c'est-à-dire un organisme qui privilégie les procédures multilatérales intéressant le monde entier, chaque pays ayant par définition les mêmes responsabilités que les autres, ce n'est pas à ce moment là qu'il faut commencer à faire du bilatéral. C'est tout à fait une procédure un peu arrogante à laquelle la France ne s'associe pas.

QUESTION - On a vu qu'au Japon l'euro est assez bien compris. Comment expliquez-vous qu'il soit parfois mieux compris, que l'utilité de l'euro soit mieux comprise à l'étranger, par exemple au Japon, mieux qu'elle ne l'est en France et par certains ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, d'abord, on voit toujours mieux les choses de loin. Oui, je veux dire que c'est une constatation quasi physique : de près l'arbre a tendance à cacher la forêt. Ceci étant, je ne crois pas qu'en France on voit mal l'euro, je ne le crois pas. Je crois qu'une majorité de Français, qui d'ailleurs a approuvé, par la voie de référendum, cette réforme y est favorable.

Ceci étant, au Japon, voyant les choses d'ailleurs de loin, on a d'abord constaté que l'anticipation par les marchés de la création de l'euro avait préservé l'Europe des conséquences de la crise asiatique. Donc cela a beaucoup impressionné tout le monde et, ayant été préservée des conséquences de la crise asiatique, l'Europe a pu s'engager beaucoup plus aux côtés du Japon et ses moyens ont aussi été mis en oeuvre pour maîtriser la crise et, par conséquent, tout le monde a à y gagner, l'Europe, donc les pays qui la composent, le système monétaire international et les pays qui en dépendent. Alors, les Japonais on parfaitement compris que ce n'était pas quelque chose qui était dangereux mais un élément supplémentaire important de la stabilité monétaire internationale, qui est, de plus en plus capital puisque les économies se mondialisent, se globalisent, etc.

QUESTION - J'espère que vous avez fait un très bon séjour au Japon. Ma question est très simple. Hier, quand vous avez vu la Statue de la Liberté à la Japonaise à Daiba qu'en avez-vous pensé et qu'avez-vous pensé d’elle d'aujourd'hui ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord vous dire que j'ai fait un excellent séjour, comme toujours, quand je viens au Japon je fais d'excellents séjours mais je les trouve trop brefs. Je trouvais que la Statue de la Liberté était superbe hier soir. La Statue de la Liberté est, probablement, l'un des monuments les plus visités au monde comme la tour Eiffel, en France. Et je me réjouis qu'elle soit maintenant, pour quelque temps, dans la baie de Tokyo, qui est superbe et symbolise le Japon moderne. J'ai connu, il n'y a pas si longtemps, ce quartier de Tokyo dans un état beaucoup moins agréable qu'aujourd'hui. J'ai trouvé que c'était un beau geste que de voir la relation entre la grande démocratie japonaise et la démocratie française, symbolisée par l'échange de la Statue de la Liberté.

Le Salon de ce matin m'a, aussi, beaucoup impressionné. D'abord parce que beaucoup d'entreprises japonaises ont soutenu cet effort et, quand je dis soutenu je veux dire financièrement, et je leur exprime toute ma reconnaissance. J'ai trouvé qu'il était très bien organisé, qu'il donnait une belle image de la France, de ses produits agro-alimentaires, de façon sympathique, conviviale. Je pense que quelques trois cent mille visiteurs, théoriquement, sont attendus, puisque c'était l'objectif des organisateurs ; je suis prêt à imaginer qu'il y aura plus du double de visiteurs, donc je m'en réjouis beaucoup.

QUESTION - Monsieur le Président, il y a un peu plus de deux ans, je crois, vous avez fixé pour objectif un triplement des parts de marché françaises en Asie. Depuis, bien entendu la crise asiatique est intervenue. Depuis, me semble-t-il, notre part de marché, au Japon en particulier, a stagné. Notre déficit commercial s'est même un peu accru l'an dernier. Compte tenu de ces évolutions, est-ce que cet objectif vous paraît toujours atteignable dans les huit ans qui viennent ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, je n'avais pas parlé de tripler, j'avais parlé de doubler, ce qui est déjà un objectif important. Je maintiens cet objectif tout en l’adaptant, année après année naturellement. C'est un objectif glissant comme diraient les économistes. Les résultats des deux ou trois dernières années sont allés largement dans ce sens. Nos échanges, soit financiers -c'est-à-dire en terme d'investissement du nombre d'entreprises installées ici, il y en a aujourd'hui plus de trois cent cinquante-, soit commerciaux ont connu un accroissement très sensible. Alors, est-ce qu'on atteindra le doublement dans la période de cinq ans que j'avais évoquée ? Je n'en sais rien. Vous savez, il faut se fixer, en tous les cas, des objectifs ambitieux. C'est la raison même, des objectifs, d'être ambitieux.

Il y a eu la crise, bien entendu, cela a diminué un petit peu les capacités de développement pour l'ensemble de l'Asie de nos parts de marchés. Le phénomène avec le Japon c'est que l'augmentation de la relation a été très nette, très sensible. Cette année nous voyons, à nouveau, après qu'il ait baissé, notre déficit commercial réaugmenter mais à partir de bases plus élevées. C'est-à-dire qu'on importe nettement plus, on exporte nettement plus, mais depuis quelques mois on voit le déficit qui se développe à nouveau. Comme il n'est pas question de réduire nos importations, alors il faut faire donner une impulsion pour augmenter, encore, sensiblement nos exportations. Tout l'effort des pouvoirs publics français, la présence ici du ministre de l'Agriculture ce matin et moi-même, sur le site du Salon, tout cela, à participer de cette volonté, de cette détermination à soutenir le développement des activités économiques françaises en Asie et notamment au Japon.

QUESTION - Le Président CHIRAC a déclaré qu'en Europe on ne s'intéresse pas beaucoup au Japon, mais le Président CHIRAC est déjà venu quarante quatre fois au Japon, c'est un Européen, un Français, qui connaît bien le Japon. Donc c'est un Européen exceptionnel. En ce moment, les Japonais, eux-mêmes, ont beaucoup perdu confiance dans leurs propres capacités économiques. Pourtant le Président CHIRAC, au cour de sa visite au Japon, a dit qu'on peut toujours avoir confiance dans le Japon, dans ses capacités économiques. Alors, par ce genre de discours, ce genre de soutien, le Président CHIRAC a beaucoup encouragé les Japonais.

Sur quoi vous basez-vous pour dire avoir confiance dans les capacités du Japon et des Japonais ?

LE PRÉSIDENT - Le Japon, depuis quelque temps, connaît en effet une crise, je dirais, le mot est probablement excessif, qui se traduit par une croissance insuffisante. Alors que peut-on dire de cela ? Je crois qu'il ne faut pas regarder les choses à courte vue. Ce qui fait et ce qui a toujours fait la force du Japon reste présent. La qualité des hommes et leur formation, des hommes et des femmes, l'importance considérable de l'épargne, des réserves d'actif, notamment à l'étranger, la puissance des entreprises japonaises qui l’ont en quelques années porté au rang de deuxième puissance économique du monde. La capacité d'innovation, tous ces éléments restent exactement les mêmes. Ce sont eux qui ont fait la croissance japonaise mais aujourd'hui il faut bien comprendre qu'ils sont toujours là et donc je ne vois aucune raison d'être inquiet, d'être pessimiste pour l'avenir.

Deuxièmement, les autorités japonaises, les responsables économiques, les autorités politiques ont pris un certain nombre de décisions. Des entreprises continuent à investir, à se développer y compris à l'étranger. Pour ne citer qu'un exemple je parlerai de l'implantation de Toyota, à côté de Valenciennes en France, est pour nous une grande satisfaction. Le Gouvernement japonais vient de prendre un ensemble de mesures, qui vont, me semble-t-il, tout à fait dans le style de la reprise de la croissance. Je suis persuadé que ces mesures permettront à la croissance japonaise de repartir.

Alors, voilà pourquoi, je ne suis pas pessimiste. Voilà pourquoi je confirme ma confiance. Je voudrais dire que c'est le sentiment qu'exprime également les Européens. Il n'y a pas d'inquiétude chez les Européens, on l'a vu notamment lors de la dernière réunion de l'ASEM. Il n'y a pas d'inquiétude pour les deux raisons que je viens de dire. Naturellement, il y a toujours des risques ; une crise est toujours une crise. Vous savez -ce n'est pas à vous que j'ai besoin de le dire- l'idéogramme "crise" associe deux caractères, c'est vrai en japonais, c'est vrai aussi en chinois. Le premier caractère signifie : risque, mais le second caractère signifie : opportunité. Alors, il faut naturellement gérer les risques, c'est normal, et cela c'est notre rôle à tous, notamment, le rôle de la solidarité eurasiatique. C'est aussi le rôle des institutions internationales, et en particulier, du fonds monétaire international. Cela c'est la gestion du risque, le premier caractère de l’idéogramme. Puis il y a évidemment les opportunités qui doivent être saisies. Alors, il ne faut pas se laisser entraîner par les éternels grincheux ou les pessimistes professionnels. Le moment est venu, précisément, de saisir les opportunités. C'est le message que j'adresse, pour ma part, aux grandes entreprises japonaises, européennes, américaines ou d'ailleurs. Ainsi je crois qu'une fois de plus, dans cet idéogramme, on voit que la sagesse orientale est quelque chose qu'il faut toujours avoir présent à l'esprit lorsqu'on veut porter un jugement sur l'avenir.

QUESTION - Monsieur le Président, je voulais savoir si vous aviez déjà répondu au mécontentement du Kremlin concernant des déclarations que vous auriez faites à Monsieur NAKASONE à propos de l'état de santé de Monsieur Boris ELTSINE ?

LE PRÉSIDENT - Je ne vous cache pas que j'ai été surpris par ces déclarations, et quand je dis "surpris" le mot est faible. Je ne mets pas un seul instant en doute la qualité des interprètes mais dans le cas particulier je pense qu'il a dû y avoir une interprétation approximative. Je le dis d'autant plus facilement qu'il ne s'agissait pas de l'interprète de la délégation française.

Je n'ai absolument pas porté un jugement sur la santé du Président ELTSINE, et tout le monde connaît les sentiments d'estime et d'amitié que j'ai pour le Président ELTSINE, et tout le monde j'en suis sûr a bien conscience que ce propos n'a pas été tenu par moi.

QUESTION - En ce moment en Europe un grand vent souffle très fortement, à la fois la croissance et la puissance de la social-démocratie. A la suite de la Grande-Bretagne et de la France et l'Allemagne aussi, la popularité de la gauche est considérable. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que cette vague va continuer ?

Concernant la politique intérieure de la France, lors des élections régionales en mars la puissance du Front national a augmenté très considérablement. Que pensez-vous de ce problème ?

Et enfin, sur le procès de Monsieur Maurice PAPON, le verdict a reconnu sa culpabilité de complicité de crime contre l'humanité, quelle influence a-t-il eu sur les Français ordinaires ?

LE PRÉSIDENT - Je crains, Cher Monsieur, de vous décevoir. J'ai toujours eu pour habitude de ne pas commenter les problèmes de politique intérieure française quand je suis à l'étranger. Ce n'est pas une réponse de circonstance, vos confrères français pourraient vous confirmer que c'est une règle à laquelle je n'ai jamais dérogé. D'ailleurs, je crois que c'est une règle qu'appliquent tous les hommes politiques français avec raison.

Par ailleurs, comme de plus en plus nous sommes français mais aussi européens, je serai presque tenté de vous dire que je n'ai pas de commentaire à faire non plus sur les problèmes de politique intérieure européenne.

Je voudrais simplement souligner une chose, s'agissant de l'Europe, c'est que, quelques soient les alternances qui ont pu se produire dans les différents pays européens, la politique européenne n'en a jamais été affectée. Il y a une espèce de consensus pour ce qui concerne la construction européenne, que les gouvernements soient de droite ou de gauche. Il peut y avoir naturellement quelques nuances mais en gros c'est la même politique. Donc quelles que soient les évolutions intérieures de ces pays cela ne remet pas en cause la construction européenne et je m'en réjouis c'est un signe important de maturité des opinions publiques européennes.

QUESTION - La France et le Japon sont très attentifs à la situation au Cambodge : alors après la mort, annoncée en tout cas, de POL POT, quel sentiment avez-vous sur l'évolution de cette situation politique et en avez-vous parlé avec Monsieur HASHIMOTO parce que le Japon est très impliqué dans ce dossier ?

LE PRÉSIDENT - Oui la France, je le rappelle notamment pour vos confrères japonais, a toujours été très proche du Cambodge et très traumatisée lorsqu'il y a eu les événements dramatiques auxquels vous faites allusion dans ce pays.

La France s'est beaucoup réjouie de l'implication du Japon si bien que nous avons une relation permanente sur le Cambodge entre le ministère japonais et le ministère français des Affaires étrangères. Je crois que je n'ai pas dû voir Monsieur HASHIMOTO une seule fois sans que nous ne parlions du Cambodge.

Pour dire la vérité j'espère surtout que tous les moyens sont et seront mis en place pour que les élections puissent se dérouler dans des conditions normales et qu'il puisse en sortir un système stable. Je le souhaite. Nous faisons tout, les Japonais et nous-mêmes, pour arriver à cet objectif. J'espère que nous l'atteindrons.

J'en ai effectivement parlé et nous partageons, là aussi, comme sur presque tous les sujets de politique étrangère nous partageons, le Japon et la France, la même analyse et nous avons les mêmes ambitions.

QUESTION - Sur les rapports entre le Japon et la Russie, Monsieur ELTSINE a visité récemment le Japon et, au cours de son entretien avec Monsieur HASHIMOTO, il a été question de conclure un accord de paix avec la Russie.

Le problème des territoires du Nord constituent un obstacle pour arriver à une conclusion de traité de paix avec la Russie. Est-ce que vous pourriez nous donner des conseils pour que nous puissions arriver le plus tôt possible à la conclusion de cet accord de paix avec la Russie ?

LE PRÉSIDENT - Les problèmes des relations entre la Russie et le Japon, qui naturellement ne sont pas de ma compétence et dans lesquels je ne voudrais pas faire d'ingérence, ces problèmes tout de même, il faut le reconnaître, ont été marqués par un certain nombre de malentendus.

On a créé, ce sont les choses qui se sont faites ainsi, une sorte de situation où il est difficile aux uns ou aux autres de changer de position sans perdre un peu la face ou sans provoquer en tous les cas des réactions de nature un peu passionnelle dans leurs opinions publiques. C'est vrai pour le Japon. C'est vrai pour la Russie.

Il n'en reste pas moins que cette situation n'est pas normale et qu'il y a au Japon, aujourd'hui, une volonté de paix qui est indiscutable naturellement. Le Japon est un pays pacifique et démocratique. Il en est de même de la Russie et notamment le chef de l'Etat russe, Boris Nicolaïevitch ELTSINE est un homme qui est un homme de paix, qui est un démocrate et qui est un homme de paix.

Je ne doute pas que l'on puisse dans ce contexte espérer la signature d'un traité de paix aussi vite que possible.

Il y a naturellement le problème des Kouriles, je le comprend bien. Il ne m'appartient pas, là encore, de porter un jugement mais mon intuition c'est que c'est un problème qui, si l'on arrive à limiter les passions, devrait pouvoir trouver une solution acceptable par les deux parties. Je le souhaite vivement.

QUESTION - Monsieur le Président, vous connaissez bien notre culture, notre littérature et nos idéogrammes. Vous avez démontré tout à l'heure votre talent.

Lors de votre visite, quarante-troisième visite, il y a un an et demi, au cours d'une cérémonie d'attribution du titre de docteur honoris causa à l'Université de Keyo vous avez lancé un appel solennel à tous les représentants des grandes langues de l'humanité à s'unir pour défendre ce qu'ils ont de plus précieux : leur langue. " L'uniformisation culturelle est l'une de nos grandes menaces du troisième millénaire " où en est-on maintenant ? Quel serait votre message aujourd'hui au peuple japonais ?

LE PRÉSIDENT - D'abord je le répète, les progrès et les moyens de communication font courir au monde, à l'humanité toute entière, à sa culture, à son expression, de très grands risques qui sont effectivement les risques d'uniformité. La richesse de la culture du monde c'est sa diversité bien entendu. Chaque fois que, pour une raison ou pour une autre, une culture disparaît c'est une grande perte pour l'ensemble de l'humanité.

Une culture cela s'exprime ou cela disparaît, cela s'exprime au travers d'une langue naturellement. Il faut donc sauvegarder les langues.

Je prends l'exemple de l'Amérique du Sud où cohabitent des cultures différentes et je me réjouis que depuis quelques années on voit les uns après les autres les pays d'Amérique du Sud inscrire dans leur constitution le bilinguisme. Ce qui les oblige, ce qu'il ne font pas toujours parce qu'il n'ont pas les moyens parfois, mais ce qui est une orientation qui se confirme année après année, à enseigner, dès l'école primaire, à la fois la langue amérindienne et l'espagnol ou le portugais selon le cas.

Ceci simplement pour dire qu'en Amérique latine on a parfaitement compris l'importance qu'il y avait à maintenir des langues qui elles-mêmes sont porteuses de culture et de civilisation. C'est vrai que j'avais déclaré cela à l'université de Keyo.

Depuis il s'est passé déjà une chose importante, c'est qu'il y a eu le Sommet francophone de Hanoï où cinquante-trois pays se sont réunis partageant la même ambition culturelle, celle d'avoir un espace politique francophone qui a été créé à Hanoï et qui a maintenant un secrétaire général, c'est la première fois, Monsieur Boutros BOUTROS-GHALI.

Nous avons donc fait un pas de plus, nous francophones dans la direction de la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que le français ne soit pas appelé à disparaître.

Les hispanophones ont fait de même. Ils ne sont pas encore allés aussi loin que nous parce qu'ils ont commencé plus tard mais il y a maintenant une hispanophonie, c'est la langue qui se développe le plus en ce moment dans le monde. Il y a un espace hispanophone qui est en train de se créer d'ailleurs en liaison étroite avec l'espace francophone. Il en va de même pour ce qui concerne le portugais

Mais c'est un début et la Francophonie a un peu pour vocation, parce qu'elle a commencé plus tôt, à être le moteur de la défense de la diversité linguistique et culturelle.

Vous me demandez ce que je peux conseiller aux Japonais. Je n'ai pas de conseil à donner mais le Japon est, je le répète, la deuxième puissance économique du monde, c'est une très vieille culture, c'est une culture très forte et elle doit défendre sa culture et donc sa langue et donc être très attentive aux conséquences que pourrait avoir le développement excessif d'une langue étrangère, qui traduit d'ailleurs très mal la réalité de l'esprit et de la culture du Japon. Il en va de même pour la Chine, il en va de même pour les grandes langues de l'Inde et notamment pour l'ourdou, il en va de même pour la Russie, il en va de même pour les pays de langue arabe.

Mais je crois que c'est une appréciation qui est maintenant comprise et qui devrait permettre de rééquilibrer les choses. On ne peut pas imaginer un monde dont la plupart des gens parleraient très mal une langue qui ne serait pas leur langue maternelle.





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