Conférence de presse du Président de la République à l'issue du Conseil européen informel.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue du Conseil européen informel.

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Noordwijk, Pays-Bas, le vendredi 23 mai 1997

Mesdames,

Messieurs,

Je vais vous faire un petit compte rendu de ce qui s'est passé et une petite anticipation de ce qui va se passer, je l'espère. On va dire d'abord qu'il se trouvait que tout se passait dans un climat particulier de bonne humeur. Il faut dire que la présidence hollandaise avait bien travaillé et qu'elle avait bien préparé les affaires. Donc, on a pu discuter sérieusement sur quelque chose qui était déjà bien réfléchi.

A l'occasion du déjeuner, j'ai tenu, néanmoins à faire une réflexion qui est la suivante. J'ai fait, vous savez, depuis un an quelques voyages. Je suis très frappé de voir à quel point les phénomènes d'intégration régionale sont puissants actuellement, qu'il s'agisse de l'Amérique du Nord, de l'Amérique du Sud, de l'Asie, de la Chine et l'Europe qui a donné le premier élan à cette évolution du monde, se doit d'en tirer toutes les conséquences. C'est une réflexion assez évidente.

Mais j'ai également voulu insister sur le fait que, au-delà des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de la CIG et sans vouloir mélanger les genres, on est également frappé par le fait que l'Europe est la seule région du monde où la croissance est faible. Certes, on sent actuellement une amélioration des choses. On peut l'espérer, l'escompter. Nous sommes tout de même dans une période pour l'Europe et uniquement pour l'Europe, de croissance faible. Ce qui explique d'ailleurs un certain nombre de choses, notamment dans le domaine de l'emploi et surtout, ce qui se traduit par un phénomène qui est, en quelque sorte, l'augmentation en Europe de la pauvreté et une espèce d'ouverture du ciseau social avec une augmentation de la marginalisation et de l'exclusion. Les deux d'ailleurs, étant liés : insuffisante croissance et ce phénomène social. J'ai indiqué que nous serions bien inspirés au-delà même de ce à quoi nous réfléchissons en matière d'emploi ou de ce que nous voulons faire en matière d'emploi, de réfléchir à la fois à la manière d'assurer une croissance plus forte et, en même temps, une politique de solidarité qui permet de revenir sur cette sorte de dérive sociale, qui, hélas, frappe notre continent.

Tout ceci avait pour objectif de resituer aussi un peu notre discussion sur le modèle social européen. Maintenant, on commence à en parler. Ce n'était pas dans la culture européenne jusqu'ici, lorsque j'avais fait en mars 1996, à Lille, à l'occasion d'un discours du G7 social, ma proposition d'un modèle social européen destiné à permettre de maîtriser les conséquences négatives d'une mondialisation qui, par ailleurs, comporte naturellement beaucoup de conséquences positives, j'étais tout à fait seul.

Je vois qu'aujourd'hui, pratiquement tout le monde en prend conscience. Il faut aller un peu plus loin, en s'interrogeant sur les raisons et en cherchant des solutions à ces problèmes d'insuffisante croissance et de conséquence sociale que cela comporte.

Pour ce qui concerne le reste de notre débat à l'heure du déjeuner, il en est ressorti une volonté unanime. Je crois que l'on peut dire vraiment unanime, d'arriver à une solution, à un accord à Amsterdam, un accord qui ne soit pas un accord modeste ou au rabais, mais un accord qui soit sérieux et qui soit ambitieux.

Cet après-midi en séance, nous avons essentiellement - s'agissant du futur traité - évoqué les problèmes des institutions, le volet institutionnel : la Commission, le Conseil, les parlements nationaux, le Parlement européen, les coopérations renforcées.

S'agissant de la Commission, il y a eu un long débat pour essayer de déterminer s'il fallait retenir une approche pragmatique, c'est-à-dire réaliste, qui supposait une commission avec dix ou douze membres, parce qu'il y a dix ou douze portefeuilles légitimes. Ce qui avait pour conséquence, que tous les pays ne pourraient pas avoir un commissaire. Ou bien s'il fallait retenir une approche plus politique, c'est-à-dire que chaque pays aurait droit, au moins, à un commissaire. On peut comprendre les deux thèses. J'étais plutôt favorable à la première. Mais je comprends parfaitement que la plupart des pays, je dirais presque tous, n'étaient pas du tout prêts à accepter de se priver d'un commissaire permanent qui représente, si j'ose dire, puisque théoriquement les commissaires précisément, ne représentent pas leur pays d'origine, mais enfin, qui ait la sensibilité de son pays d'origine.

Je crois qu'on va s'orienter vers une proposition que nous avons faite, le Chancelier Kohl et moi, qui a eu l'air de retenir l'attention d'un peu tout le monde, consistant à reporter un peu le problème, en disant qu'on limiterait, par exemple à vingt, ce qui est le nombre actuel de commissaires dans le traité, c'est-à-dire que l'élargissement ne conduirait pas à une augmentation du nombre de commissaires. Ce qui, chacun le voit, a pour conséquence, qu'il faudra que quelqu'un fasse le sacrifice au moment où d'autres pays entreront. Alors, on reporte simplement le problème. Mais on peut justifier une attitude de ce genre, en tous les cas, c'est un moyen de sortir de cette difficulté d'ordre politique.

Ce qui a été acquis à l'unanimité, c'est qu'un organisme doit avoir un chef, et, qu'en conséquence, le Président de la Commission, dans des modalités à arrêter entre experts, ne soit plus un primus inter pares, mais ait une véritable autorité sur les commissaires. De même, la nécessité pour la Commission de recevoir un mandat clair du Conseil, seule autorité légitime et, de l'exécuter. En cas de difficulté ou de problème, de revenir devant le Conseil pour avoir une modification éventuelle de son mandat.

Nous avons évoqué aussi le problème de la majorité qualifiée, de l'extension du champ de la majorité qualifiée. Pratiquement tout le monde est favorable à l'extension du champ de la majorité qualifiée. Cela suppose, naturellement, le réexamen de la pondération des voix. La pondération des voix se faisait jusqu'ici, je dirai un peu au détriment des pays les plus peuplés par rapport à ceux qui le sont moins. Cela pouvait s'expliquer dans un système qui était très largement dominé par la décision unanime, à partir du moment où l'on passe à la majorité qualifiée, la justice et la démocratie exigent une repondération des voix qui rééquilibre chaque pays qui pèse à peu près sa représentation d'un point de vue démographique.

Sur les parlements nationaux, nous avons une bonne base qui est celle qui a été proposée par la présidence. Vous la connaissez tous, donc je n'y reviendrai pas. A mon avis, elle fera l'objet d'un consensus. Il en va de même pour le Parlement européen.

Nous n'avons pas évoqué encore les problèmes de coopération renforcée. J'espère que nous trouverons là aussi, finalement un accord, c'est-à-dire ne pas retenir ce qu'avaient proposé certains pays, surtout l'Angleterre, il y a quelque temps, ou le principe de l'unanimité pour les coopérations renforcées, ce qui paralyserait l'évolution ou les initiatives de ceux qui voudraient, dans certains domaines aller plus vite que d'autres.

Nous avons ensuite décidé d'évoquer, à l'occasion du dîner, des autres problèmes, c'est-à-dire, après les institutions, les problèmes concernant les affaires intérieures et de justice dont chacun imagine l'importance avec l'ambition de la France. Je ne parle que de la France, mais naturellement, c'est une ambition partagée par beaucoup de créer un lien fort entre sécurité et liberté de circulation et de renforcer les moyens de lutte contre la drogue, le terrorisme et la criminalité.

De même nous examinerons sur la base déjà des propositions assez positives faites par la présidence, une Europe plus présente dans le monde, avec un acquis. Il est maintenant acquis qu'il y aura un "Monsieur" PESC. Il faut voir exactement dans quel contexte s'inscrira cette nouvelle institution. Un point qui fait encore l'objet de divergence de vues, qui demande à être examiné plus à fond, il s'agit des liens entre l’Union de l'Europe occidentale et l'Union européenne.

Enfin, le modèle social dont j'ai demandé qu'il soit également à l'ordre du jour, avec le pas en avant important fait par les Anglais dans le domaine de l'intégration du protocole social que le Premier ministre britannique, M. Tony Blair a confirmé, avec un chapitre sur l'emploi dont le projet par la présidence, et qui sera amendé naturellement, mais enfin, c'est un bon projet, avec là, une proposition de la présidence sur les services publics qui, de notre point de vue, est un minimum et qui demanderait probablement à être améliorée.

Voilà les principaux points qui ont fait l'objet de nos discussions d'aujourd'hui. Je note que la présidence hollandaise a bien organisé les choses. Tout cela s'est fait dans la bonne humeur, ce qui était bien agréable. C'est souvent le cas, mais pas toujours, mais là, c'était bien agréable.

QUESTION - Jusqu'à maintenant, est-ce que vous avez parlé sur la politique antidumping ?

LE PRÉSIDENT - Non, on n'a pas parlé de la politique antidumping. Une procédure s'est déroulée qui a pour résultat le fait qu'une nouvelle procédure va être ouverte maintenant sur ces affaires antidumping.

QUESTION - Est-ce que vous avez observé avec l'arrivée de M. Blair un changement dans l'attitude britannique ?

LE PRÉSIDENT - Dans la cordialité non, nous restons dans une relation entre l'Angleterre et l'Union extrêmement cordiale, mais sur le plan politique, oui, sans aucun doute. M. Blair a, dans ses propos, souligné qu'il souhaitait que l'Angleterre joue un rôle actif dans la construction européenne. Il faut un peu apprendre, c'est le premier jour. Incontestablement il y a un changement, me semble-t-il, sensible de l'approche britannique à l'égard de la construction européenne.

QUESTION - Auriez-vous parlé avec vos partenaires des statuts spécifiques concernant les DOM ? N'y aurait-il pas une lacune dans la proposition de la présidence néerlandaise concernant un statut spécifique dans les régions ultra périphériques ?

LE PRÉSIDENT - J'avais posé ce problème comme important pour la France. Les propositions de la présidence qui ne sont pour le moment que les propositions de la présidence nous satisfont tant en ce qui concerne les DOM, qu'en ce qui concerne la modification du statut et des liens des territoires d'outre-mer. Il faut encore que cela soit adopté par le Conseil. Nous avons dans ce contexte une précision à obtenir, qui n'est pas encore obtenue, mais nous n'avons pas évoqué encore ce problème, mais la France est très, très insistante sur ce point, c'est l'autorisation donnée à la Commission de pouvoir prendre des décisions tenant compte, en matière fiscale, du caractère spécifique des départements d'outre-mer. En un mot, c'est l'octroi de mer. Autrement dit, nous souhaitons que la Commission puisse dire si l'octroi de mer, sous réserves de telle ou telle condition, peut être accepté, parce que nous savons que la Commission l'acceptera. Tandis que si cela doit revenir obligatoirement au Conseil, à ce moment là, il peut y avoir des blocages.

Donc, si vous voulez, dans l'état actuel des choses, la proposition de la présidence nous satisfait, sous réserve de cette précision, tant pour les DOM que pour les TOM. Mais, enfin, encore faut-il défendre la proposition de la Commission jusqu'au bout.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit, et vos ministres ont répété, que vous souhaitiez des réformes ambitieuses pour cette conférence intergouvernementale. Trouvez-vous que les résultats qui sont en train de se dessiner sont à l'aube de ces souhaits ? Où sont les résultats ambitieux, notamment en matière institutionnelle ?

LE PRÉSIDENT - Je trouve que si nous arrivons au terme de ce qui est engagé, ce sera une profonde modification du fonctionnement des institutions. Le mot ambitieux est faible. Si nous avons une Commission dorénavant dirigée, mandatée, ce sera une réforme très profonde. Si nous avons un Conseil dont les voix seront repondérées et qui s'exprimera dans des domaines beaucoup plus larges à la majorité qualifiée, c'est une grande réforme. Si nous avons la proposition de la présidence en ce qui concerne le lien avec les parlements nationaux, notamment dans le domaine de la subsidiarité, c'est une grande réforme. Moi j'attends, les résultats définitifs. Si on peut faire des coopérations renforcées, c'est une grande réforme.

Donc, sur les institutions, il y aura déjà, si tout ceci est conduit à son terme, une réforme, dont honnêtement, je crois que le mot ambitieux est faible pour la définir, s'agissant de la construction européenne.

J'ajoute que pour ce qui concerne les affaires intérieures et de justice, le lien entre la sécurité et la liberté de circulation et la lutte contre les fléaux de notre temps, c'est aussi un pas en avant très important qui n'est pas encore franchi, qui suppose, notamment, que l'on puisse décider à la majorité qualifiée, la modification de certaines législations. On pense à la drogue, ce n'est pas la peine de le cacher, qui n'est pas encore quelque chose d'acquis, mais c'est un objectif. La création d'un secrétaire général de l'Union s'il se fait, comme je le pense, pour permettre à l'Union de s'exprimer d'une seule voix à l'extérieur, est un acquis extrêmement positif.

Enfin, si on a réussi à imposer à l'Union la prise en compte de la défense et de l'illustration d'un modèle social européen, cela c'est une révolution culturelle. Vous connaissez ces instances mieux que moi. Il y a encore deux ans, c'était quelque chose dont personne ne parlait.

Si on fait cela c'est ambitieux. Je vous le dirais à la fin d'Amsterdam, quel est le degré d'ambition.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez nous dire si vous avez progressé à Quinze aujourd'hui sur les domaines dans lesquels la majorité qualifiée pourrait s'appliquer ?

LE PRÉSIDENT - Non, on n'a pas encore parlé de cela. On a acquis le principe d'un élargissement de la majorité qualifiée. Ce qui supposait une acceptation de la part de tous d'une repondération. C'est déjà beaucoup. Ensuite, les ministres des Affaires étrangères vont travailler pour mettre au point le détail. Nous n'étions pas dans une formation destinée à entrer dans le détail.

QUESTION - A propos de la repondération des voix. Est-ce que les Quinze vont travailler sur le projet franco-allemand qui devait être déposé aujourd'hui là-dessus, sur les chiffres, en tous les cas ?

LE PRÉSIDENT - Je l'espère. Nous avons un accord avec l'Allemagne. Il faut faire une proposition qui nous paraît honnête. Mais cette proposition augmente les voix de la France et de l'Allemagne aussi d'ailleurs et nous est donc favorable. Par voie de conséquence, elle ne l'est pas pour des pays plus petits. Cela va être encore discuté. Enfin, c'est sur cette base que nous partons.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez nous rappeler en quelques mots, ce que vous attendez de concret de cette révision du traité sur ce que vous appelez le modèle social européen ?

LE PRÉSIDENT - J'attends de concret un certain nombre de choses. Aujourd'hui, nous le voyons bien, sommes dans un monde européen, je l'ai dit tout à l'heure, freiné dans sa croissance. Il doit y avoir des raisons. Il faut essayer de les déterminer. J'ai été frappé par le fait que le seul chef d'Etat ou de gouvernement qui se soit exprimé aujourd'hui, autour de la table, en faveur de la flexibilité - le mot n'a été prononcé que par un seul chef de Gouvernement - c'est Tony Blair, dans un silence total et sans aucune réaction de quiconque. Tout cela exige qu'on s'interroge. Il est évident que nous devons prendre conscience du fait que notre système aujourd'hui, est un système qui est beaucoup trop pesant et qui nous tire vers le bas. Donc, les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur ceux qui travaillent sont excessives. Elles sont de nature fiscale, de nature réglementaire, elles sont excessives. D'autre part, les thèses de ceux qui sont favorables à une sorte de libération totale des règles et des énergies ne font qu'accentuer les risques sociaux et les risques de fracture sociale.

Par conséquent, nous sommes aujourd'hui dans l'obligation de trouver une nouvelle politique qui permette à la fois de libérer les initiatives, les responsabilités et qui permettent aussi en contrepartie de garantir la cohésion sociale, la protection sociale, la lutte contre l'exclusion , contre la marginalisation. Il me semble que pour la première fois on commence à prendre conscience, je l'ai dit tout à l'heure, mais je ne me répéterais pas. Il est certain que l'acceptation par l'Angleterre de l'intégration du protocole social, la prise de conscience qu'il fallait intégrer l'emploi dans un chapitre particulier, ce que nous demandions depuis deux ans et ce qui va être fait, ce sont des éléments. Le modèle social européen qui maintenant pratiquement n'est plus contesté par personnes, ce sont des éléments qui répondent, je crois, à une certaine culture nouvelle de l'Union.

QUESTION - Concernant les problèmes des camionneurs français et espagnols ayant vu les toutes récentes attaques des camions et des supermarchés français en Espagne, est-ce que vous vous êtes entretenu avec M. Aznar ?

LE PRÉSIDENT - C'est même la première chose que j'ai faite en arrivant. J'ai vu M. Aznar de loin, je suis allé le voir. Je lui ai dit que j'étais désolé de ces excès et que, bien entendu, nous ferions tout ce qui était possible pour éviter que les camions espagnols ne soient attaqués. Hélas, il y a toujours des incidents ou des accidents. Je lui ai dit que j'en étais désolé.





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