Conférence de presse du Président de la République à l'hôtel Palace à, Pékin.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'hôtel Palace.

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Pékin, Chine, le vendredi 16 mai 1997

Mesdames,

Messieurs,

Je voudrais d'abord saluer et remercier l'ensemble des journalistes, des journalistes chinois, des journalistes étrangers, et puis naturellement, des journalistes français qui, une fois encore, ont eu le mérite de m'accompagner ce qui, je le reconnais, une fois de plus, n'est toujours pas une sinécure. Je les en remercie d'autant plus chaleureusement.

Avant tout, je voudrais vous dire ici, que comme dans tous mes voyages à l'étranger, je suis frappé par l'intérêt que suscite notre pays, je dirais, par la confiance qu'on lui fait à nouveau. La France est en train de se donner les moyens de ses ambitions. Les succès que nous remportons à l'extérieur, en sont un fort témoignage. Pensant aux hommes d'affaires, aux entrepreneurs petits, moyens ou grands qui m'ont accompagné et qui ont noué d'importants contacts, je voudrais rendre hommage à cet esprit de conquête qu'ils incarnent, l'esprit d'une France qui veut se battre, d'une France qui gagne sur les grands marchés du monde et je m'en réjouis.

Je ne ferai pas d'introduction puisque vous avez toutes et tous suivi mon voyage et vous êtes parfaitement informés de ce que j'ai fait. Il vaut mieux que je réponde à vos questions.

Vous me permettrez simplement avant de le faire, de saluer l'une de vos consoeurs, Caroline Puel, correspondante de Libération à Pékin, qui vient de se voir attribuer la récompense suprême dans votre métier, avec le prix Albert Londres, je voudrais ajouter aux vôtres qui ont été déjà, j'en suis sûr formulées, mes félicitations très sincères.

Voilà, je suis prêt à répondre à vos questions.

QUESTION - Monsieur le Président, comment appréciez-vous cette visite et quelle est la perspective de la coopération économique et du commerce entre la France et la Chine ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord exprimer ma gratitude aux autorités chinoises qui avaient remarquablement préparé et organisé mon voyage. L'objectif essentiel de ce voyage était de relancer une coopération politique qui avait pu connaître dans le passé des hauts et des bas. Cela c'est traduit par la signature d'une déclaration politique que le Président Jiang Zemin et moi nous avons signé aujourd'hui et qui est le texte politique le plus important qui ait été signé entre la France et la Chine depuis 1964. Cela constitue naturellement un cadre pour l'ensemble de nos coopérations, notamment sur le plan international, culturel ou économique.

Sur le plan économique, nous avons pu effectivement développer ou intensifier notre coopération, soit en terme d'investissements, soit en terme d'échange, dans les domaines essentiels que sont l'aéronautique, l'énergie et notamment l'énergie nucléaire, mais également le gaz liquéfié et l'utilisation du charbon propre, l'agroalimentaire et un certain nombre d'autres domaines dans lesquels nous avons pu faire des progrès non négligeables.

Je me suis en particulier réjoui de l'accord qui a été passé sur le plan aéronautique, avec la mise en place définitive de notre projet d'avion de cent places dans le cadre de la gamme Airbus et d'une production sino-européenne qui, de mon point de vue, est très prometteuse pour cet avion et pour la suite qui pourra être donnée à cette production.

Je me suis également réjoui de la décision prise par les autorités chinoises d'acheter des Airbus et des ATR. Cela représente naturellement un marché important de l'ordre de 8 milliards 250 millions de francs. Cela représente du travail pour 4 000 travailleurs français pendant trois ans. C'est donc loin d'être, vous le voyez, négligeable, mais c'est surtout un pas de plus dans l'affirmation dans la qualité des ailes Airbus dans le ciel de la Chine, et cela, je dirai que c'est encore plus important que le marché lui-même.

Cela me donne l'occasion de rendre un hommage, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est mérité, à tous les cadres, les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers du consortium Airbus qui ont montré véritablement leur capacité à développer une production qui est au premier rang de la qualité mondiale. Je tenais à leur rendre témoignage à l'occasion de ce nouveau succès qui est leur succès bien entendu.

QUESTION - Monsieur le Président, dans la déclaration politique de ce matin, on parle de l'universalité des Droits de l'homme et on parle aussi des particularités de chacun. Cela signifie-t-il à vos yeux que les Droits de l'homme ne sont pas les mêmes partout ? Est-ce que ce relativisme culturel n'est pas la porte ouverte à des abus ici ou ailleurs ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, il y a aujourd'hui dans l'état actuel de nos sociétés, ceux qui considèrent qu'il y a une notion universelle des Droits de l'homme et d'autres qui le contestent. Je vous dis tout de suite que j'appartiens à la première catégorie et depuis longtemps. Nelson Mandela, quand il est venu faire son voyage en France, a commencé sa première intervention en disant que j'étais probablement un des rares hommes politiques qui n'avait jamais accepté, malgré toutes les invitations dont j'avais été l'objet, de mettre les pieds en Afrique du Sud tant qu'il serait en prison. C'est vous dire que ma conception de la valeur universelle dans notre société telle qu'elle existe aujourd'hui, dans le monde d'aujourd'hui, en ce qui concerne les Droits de l'homme. A partir de là, tout doit être fait pour que cette conception soit respectée. Lorsque tel n'est pas le cas, tout doit être fait pour inciter, expliquer et convaincre.

S'agissant de la Chine, puisque j'imagine que c'est à elle que vous faites allusion finement, je vous dirais qu'il y avait deux stratégies, si j'ose dire, possibles : la stratégie de confrontation, chacun sait qu'elle est vouée à l'échec et que, par conséquent, elle ne pouvait avoir pour résultat que de se faire plaisir, mais certainement pas de faire progresser la conception universelle des Droits de l'homme, la preuve en a été faite depuis bien des années ; puis une stratégie de dialogue, c'est celle à laquelle je crois. Je constate qu'elle a permis en peu de temps des progrès non négligeables.

Je m'en suis entretenu avec le Président Jiang Zemin, longuement avec le président de l'Assemblée nationale populaire aujourd'hui, tout à l'heure avec M. le Premier ministre Li Peng. Cela a eu pour résultat, ce dialogue, quelque chose qui, à mes yeux, à une valeur considérable, c'est la décision prise par les autorités chinoises de signer et de ratifier le Pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Président de l'Assemblée nationale me disait tout à l'heure que tout avait été fait pour qu'il soit ratifié avant la fin de l'année, que soient étudiées dans les brefs délais, la signature et la ratification du pacte, que tout le monde n'a pas signé, sur les droits civils et politiques.

Par rapport à ce qui est la culture et la tradition de ce grand pays qui est la Chine, c'est une décision historique et considérable que les autorités chinoises ont décidé de prendre et d'assumer. Vous noterez que cela s'est fait précisément au moment où l'on a décidé de substituer une stratégie de dialogue à la stratégie de confrontation. C'est tout à fait dans mon état d'esprit. Alors, je me réjouis de tout cela.

QUESTION - Monsieur le Président, dans votre allocution devant l'Ecole nationale d'administration chinoise, cet après-midi, vous disiez que l'Etat des lois n'est pas encore l'Etat de droit. Comment doit-on interpréter, justement cette signature de pacte récent, dans la perspective de ce discours ?

LE PRÉSIDENT - La Chine est parmi les pays qui se développent très rapidement. Celui qui, depuis quelques années, produit sans aucun doute le plus de droit. Il faut le souligner et lui rendre hommage à ce titre. La coopération franco-chinoise, dans ce domaine est extrêmement importante. Je l'ai souligné tout à l'heure devant l'ENAC. C'est vrai qu'une chose est l'Etat de loi et une autre chose est l'Etat de droit qui intègre une psychologie, un état d'esprit, un comportement, une réaction spontanée, naturelle. Le fait de signer et de ratifier, donc de reconnaître les pactes auxquels je faisais allusion permet effectivement d'ancrer solidement, ou plus solidement, l'Etat de droit. D'où le fait que, je le répète, c'est un progrès important. Je ne vous cache pas que lorsque j'ai, pour la première fois évoqué ces problèmes à Bangkok avec M. Li Peng, au moment de la réunion de l'ASEM, il ne me paraissait pas évident que les progrès puissent être aussi rapides au regard des préoccupations qui sont légitimement les nôtres.

QUESTION - Monsieur le Président, vous prônez un dialogue euro-chinois, en même temps qu'un dialogue franco-chinois dans tous les domaines. Or, sur le domaine précis des Droits de l'homme que vous évoquiez tout à l'heure, certains pays européens, je pense au Danemark, n'ont pas la même approche que vous. Est-ce à dire que l'Union européenne sur ce point précis a du mal à exister ?

LE PRÉSIDENT - Je ne dirais pas qu'elle a du mal à exister. Il est exact que la position française a été soutenue par la plupart des pays européens, notamment l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne et qu'elle a été contestée par le Danemark, la Hollande et peut-être d'autres, je ne sais pas. Mais je veux dire que les pays européens ne sont pas forcément alignés sur toutes les questions et sur tous les problèmes. Chacun voit les choses à sa façon. Je vous ai expliqué les raisons qui ont justifié le choix, tout de même, des principaux participants de l'Union européenne, ainsi d'ailleurs, vous le noterez que le Japon, je crois le Canada, l'Australie, c'est-à-dire tout de même un certain nombre de pays que l'on ne peut pas sérieusement contester au regard de leur conception des Droits de l'homme.

QUESTION - Monsieur le Président, pour continuer le suivi de la question de mon confrère, est-ce que vous pensez oeuvrer pour la levée de l'embargo européen sur les armes pour la Chine ?

QUESTION - Pour continuer la question de mon confrère, est-ce que vous penser oeuvrer pour la levée de l'embargo européen sur les armes pour la Chine ?

LE PRÉSIDENT - Le problème n'est pas d'actualité.

QUESTION - Dans quarante jours, la Chine recouvrera sa souveraineté sur Hong-Kong. Comment voyez-vous cet événement historique? Par ailleurs, la Chine mettra en application la politique "un Etat, deux systèmes" à Hong-Kong. Pensez-vous que cette politique intensifiera les relations commerciales et économiques entre la France et Hong-Kong et les échanges entre les deux parties ?

LE PRÉSIDENT - Vous avez utilisé le mot d'événement historique, je crois qu'il est légitime. C'est une page qui se tourne, et je dirais qui se tourne heureusement pour ce qui concerne l'avenir de Hong-Kong. Le Président Deng Xiaoping avait très clairement montré ses intentions en parlant " d'un pays, deux systèmes ", et j'ai la conviction que c'est ce qui va se passer. Je n'ai donc pour ma part aucune inquiétude. J'observe d'ailleurs que la France qui a beaucoup d'intérêts à Hong-Kong et beaucoup de Français habitent à Hong-Kong, j'observe qu'ils ne sont pas du tout inquiets ou perturbés. J'ai néanmoins, chacun le comprendra, évoqué ce problème avec le Président Jiang Zemin ce matin en séance restreinte, et je dois dire que si j'avais été inquiet, mais ce n'est pas le cas, j'aurais été rassuré.

QUESTION - Avez-vous demandé aux dirigeants chinois ou fait demander par l'un de vos ministres aux dirigeants chinois la libération de Wei Ji Gsheng et de Wang Dan, qui a eux deux forment au moins un Mandela entier, et si vous ne souhaitez pas en parler pour des motifs de discrétion, quel délai verriez-vous à leur libération de manière à ce que vous puissiez considérer que votre action ou l'action de la France a été déterminante dans leur libération ?

LE PRÉSIDENT - La France n'est pas la seule à intervenir, je ne sais pas si son action sera déterminante. Ce que je peux vous dire, c'est qu'effectivement le ministre des Affaires étrangères a fait la démarche que vous imaginez et à laquelle vous faites allusion. Oralement et par écrit.

QUESTION - Quand Jiang Zemin et vous-même écrivez dans votre déclaration commune qu'il faut instaurer un nouvel ordre international politique et économique juste qui doit s'opposer à toute tentative de domination dans les affaires internationales, sont-ce les Etats-Unis que vous visez directement ou indirectement plutôt ?

LE PRÉSIDENT - Chacun peut l'interpréter à sa façon, c'est un principe que nous affirmons. Nous avons vécu dans un monde bipolaire, ce monde a échoué. Aujourd'hui, chacun voit qu'un certain nombre de régions sont en train de s'organiser, de se créer en puissances économiques et donc en puissances politiques. C'est vrai de l'Amérique du Nord, c'est vrai de l'Amérique du Sud, c'est vrai de la Chine naturellement, c'est vrai de l'ASEAN c'est vrai de l'Union européenne. Il est donc évident que le monde, dans les vingt ans qui viennent, sera un monde multipolaire, comme on dit aujourd'hui. Ce monde multipolaire peut être la meilleure des choses à condition que son développement soit harmonieux, que personne n'ait un comportement agressif, et que la dialogue et la concertation entre les différents pôles soient aussi bonnes et efficaces que possible. C'est ce que nous souhaitons, c'est ce que souhaite la Chine et c'est ce que nous indiquons dans notre déclaration commune.

QUESTION - Nous savons que vous n'aimez pas parler de la France à l'étranger, mais à l'inverse, est-ce que vous avez envie, au terme de ces trois jours, d'adresser un message aux Français de Chine ?

LE PRÉSIDENT - Un message aux Français de Chine...

QUESTION - Un message aux Français à partir de la Chine.

LE PRÉSIDENT - Non. Je n'ai aucun message à adresser aux Français à partir de la Chine. En revanche, j'adresserais volontiers un message aux Français de Chine pour leur dire mes sentiments de soutien, de respect, d'estime et d'amitié.

QUESTION - En ce qui concerne la multipolarité, en Chine maintenant, comment voyez-vous la multipolarité de la Chine ? Est-ce que le monde chinois dominé par un seul parti politique se verra appliquer à lui-même la multipolarité ?

LE PRÉSIDENT - Là, la question est différente. Je vais vous dire : la Chine est un très vieil empire, un très vieux pays, c'est la plus ancienne civilisation vivante, avec des vicissitudes diverses. Elle a pratiquement régné sur l'ensemble des fils de Hang, depuis bien longtemps, depuis plus de deux millénaires, et j'imagine mal qu'elle puisse aujourd'hui se défaire. En tous les cas, je ne le lui souhaite pas.

QUESTION - Est-ce que vous estimez que les différends entre la Chine et la France à propos de Taiwan sont complètement levés, et est-ce que la France se réserve le droit de commercer de manière totalement indépendante avec Taiwan?

LE PRÉSIDENT - S'agissant du commerce civil, bien entendu, s'agissant du commerce des armes, la France a pris un engagement en janvier 94, si j'ai bon souvenir, dans le cadre d'un accord qui a été signé par la Chine à la France. Et la France respectera au pied de la lettre cet accord qui est public et que vous devez connaître.

Je vous remercie.





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