Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Chancelier d'Allemagne et du Premier ministre

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Helmut KOHL, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre.

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Poitiers, Vienne, le vendredi 13 juin 1997

Mesdames, Messieurs,

Voilà un Sommet franco-allemand de plus qui se termine comme d'habitude, dans la bonne humeur et après que nous ayons pu évoquer la totalité des sujets qui nous étaient proposés. C'est un Sommet qui a également permis à la nouvelle équipe gouvernementale française de prendre contact avec ses homologues d'outre-Rhin.

Nous avons évoqué naturellement les problèmes de la préparation de la Conférence intergouvernementale d'Amsterdam. Je vous dis tout de suite qu'a été notamment évoqué, car vous ne manquerez pas de poser la question, le problème soulevé par le complément social des aspects économiques du Pacte de stabilité et de croissance et il y a tout lieu d'imaginer qu'une solution positive pourra intervenir à Amsterdam.

Nous avons évoqué le reste des problèmes qui seront soumis à la Conférence intergouvernementale pour constater que nos points de vues étaient très largement convergents et, quand tel n'était pas le cas, qu'une solution facile pouvait être trouvée.

Et enfin, nous avons évoqué rapidement, car cela ne soulevait pas de problème particulier, les problèmes bilatéraux et notamment notre coopération militaire en général, et en particulier, dans l'ex-Yougoslavie.

Voilà, je crois qu'aucune difficulté n'est intervenue et que ce Sommet, une fois de plus, c'est passé dans l'amitié et la sérénité.

Je voudrais simplement remercier le Président du Sénat, M. René Monory, qui nous a accueilli sur ce Futuroscope superbe, en plein développement, et qu'il a créé de ses mains. J'étais venu en 1987 pour poser une première pierre dans une petite guérite entourée de boue, avec comme perspective deux ou trois engins de travaux publics et je dois dire qu'à l'époque, je n'avais pas imaginé l'ampleur et le développement que prendrait le Futuroscope et la place qui serait la sienne dans la haute technologie et le tourisme français.

Je voudrais remercier naturellement toutes celles et tous ceux qui, au Futuroscope, ont facilité notre réunion et remercier naturellement le Président René Monory.

M. KOHL - Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames, Messieurs,

Tout d'abord, je tiens à exprimer mes plus sincères remerciements au nom de la délégation allemande pour les témoignages d'amitié que nous apporte la délégation française à l'occasion de ces réunions et, à nouveau aujourd'hui, à Poitiers.

J'ai été très heureux de retrouver, ici, mon vieil ami, le Président du Sénat, René Monory. Je tiens à le remercier pour son hospitalité. Je tiens à le remercier également et à le féliciter d'avoir effectivement réalisé ce Futuroscope qui est vraiment quelque chose de remarquable.

Mesdames, Messieurs,

Ces consultations franco-allemandes s'inscrivent dans toute une série de rencontres extrêmement intenses. Nous nous sommes vus à Paris très récemment, fin mai, à l'occasion de la signature du Traité établissant les relations entre l'OTAN et la Russie. Nous avons eu un Conseil européen exceptionnel à Noordwijk et, lundi et mardi prochains, nous nous réunirons, à nouveau, à Amsterdam.

Aujourd'hui, se tient la première rencontre officielle entre le Gouvernement allemand et le nouveau Gouvernement français, sous la direction du Premier ministre, Lionel Jospin. Le Premier ministre, Lionel Jospin et moi-même, nous nous connaissons également depuis plusieurs années, depuis l'époque où il est entré pour la première fois au Gouvernement, sous François Mitterrand.

Je tiens à souligner, à cette occasion, à quel point cette époque, cette période est importante. Tout le monde a les yeux tournés vers nous et pour mes amis français, comme pour moi-même, il est extrêmement important que ce bien qu'est l'amitié franco-allemande, que ce bien qu'est le partenariat franco-allemand, pour lequel tant de personnes ont oeuvré, se poursuive à l'avenir. Sur ce point, je suis en parfait accord avec le Président de la République et le Premier ministre.

L'Europe vit actuellement une période intense, une période de bouleversement dans la construction de la maison européenne. Conformément au Traité de Maastricht, après la conclusion de l'accord d'Amsterdam, mardi prochain, nous aborderons au mois de janvier la question de l'élargissement et beaucoup de nos voisins et partenaires et amis d'Europe de l'Est et d'Europe du Sud, ont les yeux fixés sur nous et se demandent si nous allons les faire bénéficier de ce dont nous avons bénéficié, nous en Europe, après la guerre.

Nous savons parfaitement quels sont nos engagements moraux, quelles sont nos missions, nos devoirs moraux vis-à-vis de ces populations à Prague, à Varsovie, à Budapest ou ailleurs. C'est pourquoi, il est important qu'ensemble nous menions à bien les missions qui sont les nôtres.

Nous avons de nombreux souhaits qui ont été exprimés en prévision du Sommet d'Amsterdam. Nous avons entendu beaucoup de souhaits, de désirs, de propositions exprimés aujourd'hui. Dans le courant de la nuit, la délégation française nous a fait parvenir un certain nombre de propositions que nous allons étudier de plus près. Et demain et après-demain, nous allons y travailler de façon intense pour que lundi et mardi, les ministres des Finances et les chefs d'Etat et de Gouvernement puissent s'entendre à Amsterdam.

Je suis certain, comme cela a été le cas par le passé, que nous parviendrons à trouver des solutions communes qui aillent dans le sens de l'intérêt de tous en Europe.

Nous avons un certain nombre d'objectifs communs. Nous avons fixé un calendrier que nous souhaitons respecter pour la réalisation de l'Union économique et monétaire et puis, il y a les critères également que nous souhaitons respecter. Nous souhaitons donc participer activement à l'organisation de ce futur commun dans tous ces domaines.

Ce sont des missions très importantes pour nous tous. Nous sommes tous confrontés au problème d'un chômage très élevé. Cela a des conséquences sur la dimension sociale de la construction européenne. En un mot, je dirais simplement que je suis heureux de ce qu'est aujourd'hui la coopération franco-allemande. Je suis heureux que nous puissions poursuivre nos discussions et je suis certain qu'elles s'orienteront dans la bonne voie.

LE PRÉSIDENT - Merci Monsieur le Chancelier.

Monsieur le Premier ministre.

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Chancelier,

A ce stade, je voudrais simplement dire que je suis heureux avec le nouveau Gouvernement d'avoir participé à ce nouveau Sommet franco-allemand. Pour certains d'entre nous, c'était renouer avec une expérience et des travaux qui ont été fructueux dans le passé, pour quelques autres ministres, c'était quelque chose de plus nouveau.

Nous avons collectivement constaté que le chemin, le mouvement s'était poursuivi sans nous, il va se poursuivre désormais avec nous dans la mesure où les relations franco-allemandes transgressent les alternances politiques, les considérations partisanes et continuent à vivre au coeur de ce qui est aussi notre préoccupation essentielle la construction et l'avenir de l'Europe pour ses peuples.

QUESTION - C'est une question pour le Chancelier KOHL, Monsieur le Chancelier fédéral, vous êtes un expert en cohabitation française ?

M. KOHL - Oui

QUESTION - Que pensez-vous de celle-ci d'une part, et deuxième question, le Président Chirac a parlé du complément social au Pacte de stabilité, quelles sont les limites, de votre point de vue, de ce complément social ?

M. KOHL - La première question, eh bien, c'est vous qui êtes le mieux à même d'y répondre. Vous êtes français, vous êtes démocrate. Il y a eu une élection, dans cette élection, les électeurs ont pris leurs décisions et c'est la raison pour laquelle il est tout à fait évident qu'il faut respecter la décision, la volonté des électeurs. Ils ont amené au pouvoir un nouveau gouvernement, et il est tout à fait évident également que nous travaillons avec ce nouveau gouvernement. J'ai l'avantage, c'est peut être un inconvénient, c'est comme vous voulez, d'être effectivement un spécialiste dans ce domaine, un expert en cohabitation française, mais je n'écrirai pas de mémoire, je me le suis promis depuis très longtemps, mais un jour, lorsque je serai à la retraite, j'écrirai sûrement un article sur le sujet de la cohabitation.

QUESTION - Le Président de la République a parlé de complément social au Pacte de stabilité. Quelles sont pour vous les limites à ce complément social. Jusqu’où souhaitez-vous aller, notamment dans le domaine financier ?

M. KOHL - Hier soir, je vous le disais, nous avons reçu des propositions du Gouvernement français, très tard bien sûr. Je les ai lues, en venant ici, dans l'avion et comme je vous le disais, des deux côtés, nos deux pays vont s'en occuper de façon détaillée dans les jours à venir, l'objectif étant, bien sûr, un degré d'accord, d'unanimité, le plus complet possible. Ce que nous voulons en tout cas, c'est éviter, cette modification du Pacte de stabilité. Nous ne voulons pas d'ailleurs non plus créer de nouveaux fonds, de nouvelles compétences ou, plus exactement, transférer ce genre de compétences vers Bruxelles. Mais je ne crois pas d'ailleurs que les propositions aillent dans ce sens et, bien sûr, nous allons discuter les uns avec les autres. Je ne peux pas parler ici de limite à ne pas franchir lorsque je n'ai pas pu regarder en détail les textes. Je suis en tout cas absolument convaincu que lors de nos entretiens nous trouverons des solutions.

QUESTION - Monsieur le Président, vous êtes gaulliste. Monsieur le Premier ministre vous êtes socialiste, et Monsieur le Chancelier, vous êtes démocrate-chrétien. Est-ce que vous êtes parvenu, aujourd'hui, à trouver ensemble un dénominateur commun puisque vous devrez cohabiter encore pendant un moment ?

LE PRÉSIDENT - Oui, mais ce dénominateur commun c'est tout simplement l'Europe. Le Chancelier veut répondre aussi.

M. KOHL - Oui, bien sûr, et je souhaiterais en fait étayer votre réponse. Je suis un être humain, et à l'occasion aussi je suis un homme. Ce qui signifie qu'avant d'être chrétien démocrate je suis un être humain tout à fait normal et que je suis un fervent Européen et ce, depuis très longtemps. Donc, je suis surtout un être humain qui a des préférences, plutôt que d'être en premier lieu un chrétien démocrate.

LE PREMIER MINISTRE - Si l'on considère que l'interpellation s'adresse aux trois, je dirais que pour cohabiter, il faut d'abord ne pas fusionner. Par ailleurs, plus sérieusement je rappellerai le rôle historique que les socialistes ont joué dans la construction européenne.

QUESTION - On comprend que vous n'avez pas réussi à atteindre un accord sur le Pacte de stabilité, est-ce que vous pouvez nous dire ce que sont les choses dont il faut discuter en plus ?

LE PRÉSIDENT - Si vous avez compris que nous n'étions pas arrivés à un accord sur le Pacte de stabilité, vous avez mal compris. Et si vous souhaitez que l'on vous donne les détails d'un accord qui est encore en voie de finalisation, et bien-là, vous risquez de ne pas comprendre car nous ne vous donnerons pas les détails. Tout ce que je peux vous dire, chère Madame, c'est que la question a été approfondie. Elle l'a été à Paris avec le Président en exercice de l'Union européenne. Elle l'a été avec le Premier ministre britannique. Elle l'a été aujourd'hui entre la France et l'Allemagne, et ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes sur la bonne voie. Cela ne fait à mon sens aucun doute. Pour ce qui concerne ensuite les détails, permettez aux experts de les finaliser avant de les livrer à l'extérieur ce qui ne pourrait que compliquer les choses si on le faisait avant d'avoir trouver un accord définitif.

QUESTION - Sans entrer dans les détails, est-ce que vous pouvez nous dire en gros, quelles sont les propositions que vous avez faites au Chancelier ?

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, Mesdames et Messieurs, il y a dans la vie économique des préoccupations qui concernent la monnaie, particulièrement quand il est question de réaliser une monnaie unique et le gouvernement français est favorable à la monnaie unique. Il est favorable à ce que cette monnaie unique soit réalisée à la date prévue et des questions qui touchent autour des questions monétaires aux problèmes de stabilité, des grands équilibres. En même temps, nos économies ne peuvent pas se développer et ne peuvent pas répondre aux exigences de nos peuples uniquement autour des questions d'équilibres, et uniquement autour des préoccupations monétaires.

Si on se réfère à ce que sont les fondements même de la Communauté, puis de l'Union européenne, si l'on considère les engagements pris par les chefs d'Etat et de Gouvernement dans le passé, les dimensions de la croissance, les dimensions de l'emploi, de la lutte contre le chômage, le besoin de coopération ou de concertation dans l'ordre des politiques économiques sont des exigences.

Plus de 4 millions de chômeurs en Allemagne. Plus de 3 millions de chômeurs en France, 18 millions de chômeurs à l'échelle de l'Union européenne. La précarité qui progresse, les inégalités, le sentiment dans les peuples qu'ils ne trouvent plus tout à fait leur compte dans la construction européenne telle qu'elle se conduit. Tout cela fait que d'autres exigences existent.

Et au fond, la démarche du gouvernement français consiste tout simplement à dire, que dans le prolongement des préoccupations de leur devancier, pas simplement en France mais même ailleurs en Europe, ces exigences touchant l'emploi, la croissance, la coopération économique sont également très importantes. Et c'est donc dans cet esprit que, après en avoir naturellement parlé avec le Président de la République en France, dans les contacts avec le Président en exercice de l'Union européenne, notre collègue Wim Kok, par des contacts avec d'autres Premiers ministres en Europe et par ces contacts, aujourd'hui, avec le Chancelier Kohl, nous avons fait un certain nombre de propositions qui vont dans ce sens et qui sont peut-être un autre éclairage économique et social, fondamental par rapport aux perspectives auxquelles nous restons attachés, les perspectives de la stabilité monétaire, du contrôle des dépenses publiques, de la maîtrise des prélèvements et de trouver des conditions adéquates pour arriver au rendez-vous de la monnaie unique dans de bonnes conditions.

Voilà la dimension de nos propositions. Elles ne peuvent pas surprendre. Elles sont d'ailleurs au coeur des préoccupations des Français, elles sont au coeur des préoccupations qu'ils ont exprimées tout récemment, et dont je suis, et dont mon Gouvernement est, d'une certaine façon, le produit. Voilà de quoi il s'agit essentiellement.

QUESTION - Monsieur le Président, au sujet de l'élargissement de l'OTAN, je voudrais vous demander si vous vous êtes mis d'accord sur une méthode commune pour soutenir la Roumanie pour un élargissement avec notre pays ?

LE PRÉSIDENT - Nous soutiendrons, en effet, la candidature de la Roumanie malgré les réticences exprimées par le gouvernement américain, si j'en crois les dernières informations qui ont été publiées dans la presse.

M. KOHL - Pour la question de l'OTAN, j'aimerais peut-être ajouter quelque chose. Je crois qu'il n'y a aucun doute quant à l'adhésion de trois Etats. La discussion était engagée pour savoir si au lieu de trois, cinq entreraient en considération, à savoir la Roumanie et la Slovénie en plus. Et à Madrid, il conviendra de prendre une décision sur cette question. Il n'y a pas de décision préliminaire qui a été prise. Je suis, quoi qu'il en soit, de l'avis suivant : il faut adresser aux Etats dont il s'agit ici, donc les trois plus les deux, en l'occurrence la Roumanie et la Slovénie, un message très clair à savoir que notre volonté à nous est de les impliquer dans cet élargissement.

Deuxième chose que j'aimerais ajouter sur l'avant avant dernière question qui a été posée et de façon à dissiper tous les doutes. La dame qui a posé la question tout à l'heure a formulé sa question peut-être de façon à susciter une petite confusion. Le Pacte de stabilité est un fait désormais. Mais au-delà, nous discutons également de l'accord d'Amsterdam et nous nous entretenons aussi sur les propositions de la Présidence néerlandaise concernant le marché du travail et la croissance, donc la relance de la croissance ainsi, nous étudions donc les documents qui ont été proposés par la France. M. le Premier ministre vous a dit quelle était la situation en Europe, nous essayons de voir ce que concrètement nous pouvons faire pour arriver à raviver la conjoncture, l'économie, pour réduire le chômage, pour recréer des emplois. Et il n'y a pas là de contradictions avec le Pacte de stabilité. Il faut que cela soit bien clair.

QUESTION - Je voudrais demander au Premier ministre ce qu'il fait de la proposition transmise hier au Chancelier Kohl et au gouvernement allemand s’il souhaite que cette proposition figure sur la table du Sommet d’Amsterdam, comme base de négociation et s’il conditionne la signature du Pacte de stabilité à l’acceptation des propositions présentées par la France ?

LE PREMIER MINISTRE - Ce serait une singulière façon de procéder et en tout cas peu conforme à l’amitié qui lie les responsables d’Etat français et allemands, à l’état d’esprit même dans lequel se déroulent généralement les discussions dans l’Union européenne, que de penser que les problèmes sont posés en terme d’exigences ou de conditions. Ce n’est pas ainsi que les choses se posent.

Il est bien évident que les idées que nous avons avancées, les préoccupations que nous avons exprimées, d’une façon ou d’une autre, seront à l’ordre du jour et donc sur la table du Sommet d’Amsterdam. Mais nous n’avons pas à ce stade, alors que la Présidence néerlandaise a, elle-même, fait des propositions en écho à nos demandes, alors que nous venons d’engager une discussion avec le Chancelier Kohl, alors qu’un certain nombre de contacts est prévu dans les jours qui viennent, nous n’avons pas à nous exprimer comme vous vous exprimez vous-même, au moins à travers l’interpellation.

Donc, notre méthode est différente. Notre méthode est de conviction. Notre méthode est d’exigence pour des problèmes qui nous apparaissent tout à fait importants. C’est dans un autre style que nous abordons ce Sommet.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, nous avons entendu le Chancelier Kohl, tout à l’heure, dire qu’il était favorable à ce que l’on parle de l’emploi, de la croissance, mais qu’il ne souhaitait pas que cela ajoute des dépenses financières supplémentaires ou des compétences supplémentaires pour la Commission européenne, etc. Estimez-vous, de votre côté, qu’au contraire pour aller dans le sens de la croissance, de la coordination économique que vous demandez, il va falloir, dans les mois ou les années qui viennent, mettre en place des moyens supplémentaires ?

LE PREMIER MINISTRE - Il me semble, puisqu’on se réfère beaucoup au passé et ce qui a déjà été entendu, qu’il y a eu dans le passé déjà des décisions très importantes. Il me semble qu’il y a eu un Sommet à Essen, dans lequel un certain nombre de décisions, de principes très importants touchant l’activité économique, les grands projets d’infrastructures, ont été prises. Donc, il y a déjà des dynamiques, des références. Le problème ensuite est une question de volonté politique. C’est une question de persuasion. C’est aussi une question de réponse à des conjonctures qui ne sont pas toujours les mêmes.

Moi, je constate simplement que nos conjonctures, aujourd’hui, ne sont pas des conjonctures inflationnistes. Ce sont des conjonctures de croissance relativement faible, même si on peut espérer une progression. Ce sont des conjonctures de chômage fort. Je ne doute pas que les responsables d’Etat, les responsables politiques, partout en Europe, veuillent saisir les problèmes tels qu’ils sont et non pas à partir de tel ou tel présupposé, et non pas à partir de telle ou telle idéologie, en tenant compte chacun de son expérience historique de ce à quoi on est profondément attaché.

Mais en même temps, quand il y a des réalités, il est de notre devoir d’y faire face. C’est tout ce que je peux dire, et il y a déjà dans le passé donc des décisions européennes très importantes, qui se sont peut-être un peu engourdies, mais qui peuvent servir de base à des actions déterminées. C’est tout ce que je veux dire aujourd’hui. Je n’ai pas à m’exprimer, arrivant dans ce Sommet franco-allemand, arrivant ou réarrivant dans le concert européen à dire " cela sera ainsi, nous allons prévoir cela ". Cela n’est pas ma méthode et de toute façon pour agir, vous le savez bien, nous avons tous la durée.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, je voudrais savoir si, à votre avis, les préoccupations sociales exprimées par le gouvernement français seront difficiles à faire comprendre à l’opinion allemande. Monsieur le Premier ministre, je voudrais savoir s’il était évident, depuis longtemps pour vous, que le Président Chirac, à propos de ces préoccupations sociales, était tout à fait d’accord avec vous.

M. KOHL - Je crois que l’opinion publique allemande ne me pose pas de problème lorsqu’il s’agit de la convaincre des préoccupations sociales. Cela appartient à notre politique. Nous nous trouvons là dans une situation de bouleversement de l’économie mondiale. L’Allemagne est une grande nation exportatrice et à l’avenir il faudra que cette position nous la défendions. Nous pourrons la défendre seulement si nous continuons de pouvoir jouer avec nos partenaires. Autrement dit, on ne peut jouer une coupe du monde que si on a une bonne stratégie, une bonne équipe avec tout ce que cela comporte.

Si vous regardez le monde, eh bien, vous constaterez que de nouveaux centres économiques ont émergé. Il y a bien sûr les Etats-Unis, mais il y a aussi, pour nous, l’Asie. Il y a également aussi tout ce qui est Ukraine, Russie. Ce sont autant de pays qui sont en route et nous ne pouvons pas faire comme si les choses allaient rester en l’état, telles qu’elles étaient de par le passé. Il faut qu’on le sache en Allemagne, en Europe.

Autrement dit, il faut changer notre façon de penser, de façon à ce que notre société ne soit pas une société à deux classes. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas laisser tout le monde, et notamment les travailleurs, dehors, devant la porte. Il est clair que, chez nous, c’est le problème numéro 1 et nous ne pouvons résoudre ce problème que si nous créons de nouveaux emplois, et il est clair qu’il nous faut travailler véritablement en collaboration intime en Europe.

Il faut que nous apprenions les uns des autres. Il faut que nous nous soutenions les uns les autres. Je crois que c’est quelque chose de tout à fait bien, de tout à fait raisonnable et il n'y a aucune objection à soulever contre cela. Nous en avons parlé et il est tout à fait évident qu’il nous faut en discuter mais l’idée en fait qu’on essaye de dépenser deux fois l’argent qu’on a de disponible, n'est pas la mienne. L’argent qu’on a, on le dépense une fois et après c’est fini et j’ai compris mes amis français dans ce sens. Il y a une coopération entre nous et dans le domaine de l’Union européenne. Nous allons essayer d’améliorer encore les résultats obtenus et nous allons essayer de le faire dans les jours à venir et pour tout vous dire, cela ne me pose pas le moindre problème.

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président, je ne sais pas si j'ai déjà fait tout le tour des devoirs de ma charge, mais je ne suis pas sûr qu'il relève de ma mission que d'interpréter la pensée du Président de la République, surtout en sa présence. De façon plus sérieuse, je dirais que par rapport aux préoccupations que nous avons exprimées, le Président ayant dit, je crois assez clairement, qu'il estimait que la France était engagée dans sa parole par l'action qu'elle a conduite dans le passé que par rapport aux préoccupations que le nouveau gouvernement a exprimé, j'ai eu l'impression que le Président de la République dans ce qu'il a dit à nos interlocuteurs avait accompagné l'action du Gouvernement français mais quand je dis cela, je le dis parce que je le crois, mais je vais au-delà même peut-être de ce qu'il conviendrait que je dise.

LE PRÉSIDENT - Vous voyez, Monsieur Artz, pour terminer, puisque nous allons maintenant clore ce point de presse. Je remarque une chose qui suggère une vraie réflexion : l'Europe, je parle de l'Union européenne, est aujourd'hui la région du monde où la croissance est la plus faible. On peut tout de même s'interroger sur ce qui justifie cette situation. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Deuxièmement, contrairement à toute sa tradition historique depuis le XIXe siècle, et depuis plus longtemps en réalité, pour la première fois, l'Europe, l'Union européenne connaît une situation étrange où la pauvreté augmente, s'accroît. Avec tous les phénomènes que cela implique de marginalisation, d'exclusion de toutes natures.

Voilà deux observations qui doivent nous amener à réfléchir. Pourquoi, est-ce que la situation européenne est ainsi faite ? Je pense que l'Europe a tardé à s'adapter et qu'elle n'a pas assez vite, en tant que région nantie, réalisé que le monde d'aujourd'hui n'était pas celui d'hier et qu'il fallait donner un élan à l'initiative que chacun d'entre nous porte en lui. Renforcer la responsabilité des citoyens et leur donner plus de liberté pour travailler, pour produire et pour permettre ainsi de créer des richesses grâce auxquelles dans le passé le progrès social s'est installé.

Je crois qu'au total, il y a une espèce de période de transition, un peu difficile que nous devons aujourd'hui gérer et ce n'est pas facile dans un monde, plus exactement dans une Europe ou plus ou moins les structures, je ne dis pas les hommes, les structures sont terriblement conservatrices.

Alors moi, je comprends parfaitement que le nouveau Gouvernement qui vient de s'installer en France faisant ce constat, se dise : mais enfin, il faudrait tout de même que l'on ne donne pas l'image d'une Europe exclusivement préoccupée de problèmes monétaires ou financiers si importants qu'ils fussent, naturellement.

C'était effectivement dans cet esprit que j'avais proposé la mise en oeuvre d'un modèle social européen qui petit à petit chemine. C'est la raison pour laquelle, à plusieurs reprises, c'est vrai, j'avais essayé de pousser les idées qui sont aujourd'hui celles du gouvernement français et que j'ai accepté bien volontiers de relayer notamment auprès de nos partenaires et auprès de la Commission. Parce qu'effectivement, je crois qu'il faut essayer d'élargir nos vues. Mais ce qui est essentiel, je pense, c'est d'avoir une certaine vision de l'Europe de demain. Et que cette vision ne peut être qu'une vision dynamique et qu'une vision dynamique de l'Europe de demain suppose que nous n'ayons plus des labyrinthes monétaires.

Et quand le Chancelier évoque, alors qu'en Allemagne même, la chose peut être contestée par certains, la nécessité d'une monnaie unique, il a raison. C'est une vision de l'Europe de demain dans l'intérêt de tous les Européens. C'est pourquoi il y a au moins un point sur lequel nous sommes tous d'accord c'est que nous devons tout faire, y compris les sacrifices nécessaires, pour que nous puissions ensemble et dans les délais qui ont été prévus mettre en oeuvre cette monnaie unique.

Je crois que cela peut être le point de départ d'une nouvelle période économique, d'une nouvelle ère de développement à condition que parallèlement nous sachions faire les réformes qui s'imposent dans l'ensemble de nos pays.

Je vous remercie.





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