Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Premier ministre à l'issue du conseil européen d'Amsterdam.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre à l'issue du conseil européen d'Amsterdam..

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Amsterdam, Pays-Bas, le mercredi 18 juin 1997

LE PRÉSIDENT - Vous êtes moins nombreux que tout à l'heure... Bien, écoutez, je voudrais remercier particulièrement celles et ceux qui ont poussé le sens du devoir jusqu'à attendre la fin du Conseil. Ce n'est pas une critique à l'égard de ceux qui sont allés se coucher naturellement, mais je tiens à vous dire toute mon estime, toute notre estime.

Cela m'a rappelé un peu les marathons agricoles dans les années 70, mais quand on regarde un peu les choses en perspective, et pour ceux qui, comme moi, ont pratiqué les discussions européennes il y a 20 ans, on est tout de même extraordinairement frappé de voir les progrès qui ont été faits en 20 ans. Quand on voit ce que l'on discutait, et comment on le discutait il y a 20 ans, et 20 ans c'est tout de même très court, et ce que l'on discute aujourd'hui et comment on le discute, c'est extraordinaire comme approfondissement de cette idée européenne, en très peu de temps finalement.

Enfin, nous ne sommes pas là pour faire de la philosophie. Alors, ceci étant, le côté marathon tient au fait que nous avons perdu plus de 2 heures, 3 heures, je crois, à discuter d'un problème technique difficile qui était celui de la pondération des voix au Conseil. Comme vous le savez, chaque pays se voit attribuer un nombre de voix, qui n'est pas tout à fait proportionnel à sa population, et, dans la perspective de l'élargissement, de la limitation nécessaire du nombre des commissaires qui va conduire les grands pays à abandonner leur deuxième commissaire, au moment de l'élargissement, il se posait un problème de pondération des voix.

Alors, il y avait deux écoles : il y avait ceux qui voulaient simplement repondérer les voix, comme je parle là des experts, je ne rentre pas dans le détail, et puis il y avait ceux qui voulaient une autre technique, ils étaient les plus nombreux, notamment tous les pays, curieusement les plus petits, - je dis curieusement parce que ce n'est pas leur intérêt- qui souhaitaient le maintien du nombre de voix affectées à chacun et une décision prise en deux temps, d'une part avec le nombre de voix, inchangé, et d'autre part avec un nouveau critère qui était un critère proportionnel à la population.

C'est pourquoi, je vous dis que les petits pays étaient en réalité désavantagés par cette affaire, et curieusement c'est eux qui la soutenaient. Cette deuxième technique de pondération de voix était, de notre point de vue, et du point de vue de quelques-uns de nos partenaires minoritaires, un danger. Vous le comprendrez tout de suite, si, dans le cadre d'une décision à prendre, par exemple les prix agricoles, on avait une minorité pour une décision au titre des voix affectées à chaque pays, et une majorité, ou le contraire, au titre de la population, alors qu'est-ce que l'on faisait ? Eh bien, on était bloqué.

Alors, nous avons essayé d'expliquer à nos partenaires que c'était un système qui conduisait forcément à un risque important de blocage. Ils ont bien voulu s'en rendre compte, et finalement nous avons décidé de reporter le choix du système, qui n'a d'ailleurs rien d'urgent puisque c'est à partir de l'élargissement, de façon à pouvoir en parler de manière plus approfondie. Vraiment, on a perdu 3 ou 4 heures avec cela.

Alors, pour le reste, on a fait ce que l'on avait à faire. Il y a évidemment ceux qui étaient très contents, ceux qui étaient très mécontents, c'est tout à fait naturel, la vérité est toujours naturellement dans un juste milieu. On a quand même pris un certain nombre de décisions fortes dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice, en particulier en transférant un certain nombre de matières, comme l'asile, le visa, l'immigration, les contrôles aux frontières dans ce que l'on appelle le pilier communautaire, c'est d'abord la compétence communautaire, ce qui permettra une plus grande sécurité avec le renforcement de la coopération policière, le rapprochement des législations, la création d'un espace judiciaire européen, bref tout un ensemble de dispositions, et, pour la première fois, à l'initiative d'ailleurs de la France, le Traité contient des dispositions relatives aux droits fondamentaux de la personne humaine, et nous étions très satisfaits de cette décision, qui, par les temps qui courent, a son importance.

C’est, deuxièmement, une Europe qualifiée par le Conseil de plus proche des citoyens : c'est tout ce qui concerne le renforcement des mesures relatives à l'environnement et à la santé humaine, le chapitre sur l'emploi naturellement, un chapitre ambitieux, et l'intégration du protocole social que nous souhaitions depuis longtemps et qui enfin est devenu une réalité. Ce sont des mesures pour améliorer notre politique étrangère et de sécurité commune, on a fait un pas, pas un pas considérable, mais enfin un pas que l'on n'aurait pas fait il y a encore 2 ou 3 mois, pour ce qui concerne l'Europe de la défense, en rapprochant l'Union européenne de l'UEO. Comme vous le savez, la Grande-Bretagne avait des réserves et même plus que des réserves à l'égard de ce processus qui est fortement poussé par la France, dans le cadre de la conception qui est la nôtre de la défense européenne, mais enfin, le nouveau Premier ministre britannique s'est montré, je dois le dire, nettement plus ouvert à cette préoccupation que son prédécesseur, ce qui nous a permis de faire un premier pas dans la bonne direction.

De la même façon, nous avons amélioré un certain nombre de procédures, notamment liées aux actions militaires de l'Europe, en particulier dans le domaine humanitaire et dans le domaine du maintien de la paix, par des décisions qui seront dorénavant prises à l'unanimité lorsqu'il s'agit des principes, mais à la majorité lorsqu'il s'agit de la mise en oeuvre, de la mise en application des décisions prises sur le terrain.

Enfin, vous savez que la France y était très attachée, on a décidé la création d'un haut représentant qui se distingue de l'ex-secrétaire général, il sera secrétaire général, haut représentant, et il aura comme adjoint, un personnage, qui sera, lui, le secrétaire général, chargé du fonctionnement du Conseil. Enfin, on a décidé de doter l'Union d'un outil d'analyse et de prévision, qui était tout à fait indispensable.

Alors, s'agissant des institutions : d'une commission à vingt membres, elle aura même probablement moins de vingt membres lorsque le premier élargissement interviendra puisque les grands pays perdront leur deuxième commissaire, et il y aura probablement une première vague, trois pays entrant, ce qui fait qu'il y aura une période où la commission n'aura que dix huit postes, une extension du vote à la majorité qualifiée - alors là encore il fallait trouver le juste milieu entre ceux qui souhaitaient que tout soit fait à la majorité qualifiée et ceux qui, notamment, pour des raisons constitutionnelles ou de tradition chez eux, étaient beaucoup plus réservés -, élargie sensiblement. Ce sont des choses qu'il faut faire d'ailleurs par étapes, rien n'est pire que la précipitation qui conduit généralement à faire des erreurs et on est obligé ensuite de les reprendre.

Donc, je trouve que l'on a fait quelque chose que plusieurs de nos collègues ont trouvé insuffisant, mais cela c'est de la théorie. C'est de la théorie. Ce qui est important, c'est de progresser et donc de faire des choses raisonnablement, je crois que cela a été le cas. De même, un certain élargissement de la codécision avec le Parlement, une grande innovation à laquelle la France était très attachée, qui est la reconnaissance du rôle des parlements nationaux, une affaire à laquelle nous tenions beaucoup, une meilleure application du principe de subsidiarité, et surtout un grand acquis de cette conférence, c'est le principe des coopérations renforcées décidées à la majorité qualifiée, car naturellement l'unanimité était la négation même de la capacité de progresser dans ce domaine. Les Anglais qui avaient là aussi des réserves ont pu accepter cette formule en raison de l'existence du compromis de Luxembourg qui permet toujours à un pays d'invoquer les intérêts essentiels pour refuser une décision.

Enfin, nous avons eu trois domaines où nous avons obtenu des satisfactions que nous souhaitions : c'est celui des DOM et des TOM. Pour nous c'était très important, nous avons eu un peu de mal à convaincre un certain nombre de nos partenaires, mais enfin cela s'est bien passé, nous avons été aidés par la Présidence ; les services publics, vous savez que c'est en France un sujet sensible et nous étions très attachés à avoir une protection raisonnable de nos services publics, ce qui est fait ; et, enfin, la reconnaissance de Strasbourg, qui jusqu'ici, comme siège du Parlement, était reconnue par la déclaration d'Edimbourg, que nous avions demandée depuis un certain temps, et nous avons obtenu aujourd'hui que la déclaration d'Edimbourg, reconnaissant la qualité de Strasbourg comme siège du Parlement, soit intégrée dans le Traité, ce qui met un terme à un certain nombre de discussions.

Enfin, dernier point, nous avons fait adopter une mesure, mais j'en ai parlé tout à l'heure, je n'y reviendrai pas, sur le processus de paix au Proche-Orient et une autre sur l'interdiction du clonage humain. Voilà, Monsieur le Premier ministre, si vous avez quelque chose à ajouter, ensuite on répondra à quelques questions.

LE PREMIER MINISTRE - Non, je n’ai rien à ajouter.

LE PRÉSIDENT - Alors, on va répondre aux questions.

QUESTION - Êtes-vous réellement satisfait de cette réforme, Monsieur le Président, vous appeliez à une réforme de grande ampleur, en l’occurrence on n'a pas de repondération des voix, la commission réduite à dix membres qui avait été abandonnée à Noordwijk s'est confirmée aujourd'hui, on renvoie cela au futur élargissement dans quelques années ? Donc, êtes-vous satisfait de cette réforme, et pensez-vous qu'elle soit suffisante pour intégrer de nouveaux pays membres à l'horizon, je ne sais pas, 2000, 2002, 2005 ?

LE PRÉSIDENT - Je suis cette affaire européenne - je l'évoquais en plaisantant un peu et en parlant des marathons agricoles - je suis cette affaire européenne depuis très longtemps. Et cette expérience m'a convaincu qu'il ne fallait pas confondre hâte et précipitation. Dans une affaire aussi complexe que la mise en oeuvre d'une politique à la fois d'approfondissement et d'élargissement de la Communauté, ce que l'on fait depuis vingt ans ou plus, on a fait à la fois l'élargissement et l'approfondissement.

Alors tout ce que l'on peut dire sur les ambitions à réaliser tout de suite, je crois qu'il faut se méfier de cela, dans la réalité, comme de la peste ! J'étais pour une révision du Traité qui ait une certaine ambition. Dans certains domaines, je suis un peu frustré, dans d'autres, je suis satisfait. Mais au total, c'est un pas raisonnable qui nous met en mesure, effectivement, de commencer l'élargissement de la Communauté, c'est-à-dire à partir de 2000, 2001, 2002, de recevoir déjà deux, trois, quatre pays supplémentaires. Ce qui nous met en mesure, également, de tenir nos engagements en ce qui concerne l'euro, nos engagements et nos intérêts. Donc tout cela est raisonnable. Vous savez le "n'y-a-qu'à", ça ne marche pas bien.

QUESTION - Je voudrais demander à Monsieur le Premier ministre quelle impression il retire de ce premier Conseil ?

LE PREMIER MINISTRE - Cela m'a rappelé d'autres nuits de négociations qui finissent, à un moment ou à un autre, par aboutir.

QUESTION - Un Traité raisonnable est-ce un qualificatif suffisamment enthousiasmant pour un nouveau Traité ? C'est ma première question. Et la deuxième question : dans quelles conditions ce Traité d'Amsterdam sera-t-il ratifié ?

LE PRÉSIDENT - Il doit être signé au mois d'octobre, si j'ai bien compris...

LE PREMIER MINISTRE - Effectivement, la Présidence luxembourgeoise a évoqué début octobre, mais ne souhaitait pas arrêter dès maintenant une date précise.

LE PRÉSIDENT - Il sera ratifié ensuite soit par les Parlements, soit par référendum selon les traditions de chacun.

Raisonnable, oui, c'est bien le mot qui convient pour une affaire comme l'Europe qui doit avancer avec détermination, mais aussi prudence, et qui le fait. Je trouve que raisonnable est un bon adjectif et, à mes yeux, flatteur pour un travail sérieux.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que le texte adopté pour les régions ultrapériphériques reconnaît vraiment la spécificité de ces régions ? Est-ce que vous êtes satisfait des engagements que vous avez pris à Turin ?

LE PRÉSIDENT - Oui. Nous sommes tout à fait satisfaits. Nous avons eu de la difficulté pour obtenir satisfaction, parce que d'abord les différentes régions ultrapériphériques sont de natures diverses : les Açores, les Canaries, ce n'est pas la même chose que les DOM ou les TOM. Donc nous avions un peu de mal à se comprendre et il y a un certain nombre de pays qui, n'ayant aucune région ultrapériphérique, ont du mal à comprendre ce dont il s'agit. Et puis, il y a la Grèce qui est composée de quantités formidables de petites îles et qui est un problème évidemment différent de celui de la Polynésie. Alors nous avons eu un petit peu de mal. Nous sommes satisfait dans la mesure où ce que nous voulions, c'est-à-dire l'intégration dans le Traité, d'une part, du régime des DOM et, d'autre part, la possibilité pour la Commission de décider de dérogations permettant à ces régions de conserver ou de prendre l'initiative de certains avantages, notamment en matière économique - suivez mon regard : c'est l'octroi de mer naturellement - ou d'autres mesures fiscales, le cas échéant. La Commission peut décider de maintenir ces avantages ou ces traditions, tout cela étant tout à fait conforme à ce que nous souhaitions. De même que pour les TOM, nous avons pu obtenir une situation qui sera financièrement améliorée. Donc nous sommes contents.

QUESTION - Si l'on excepte le domaine des coopérations renforcées, qui est quand même un bon résultat, quels sont les domaines plus exactement où le couple franco-allemand a tiré vraiment dans le même sens ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez le couple franco-allemand tire pratiquement toujours dans le même sens et dans tous les domaines. A chaque fois que le problème s'est posé, il s'est immédiatement, hier ou aujourd'hui, et comme d'habitude, mis en branle. Je lis régulièrement, je lis surtout dans la presse allemande, qu'il y a des difficultés ou des problèmes. Moi je ne m'en suis jamais rendu compte. A chaque fois que nous avons besoin de l'appui de l'Allemagne, nous l'avons et réciproquement. Oui vraiment, vraiment. Ne vous laissez pas, dans ce domaine, je vous le dis très franchement, influencer par la presse allemande, dont je ne connais pas les motivations et que je ne me permettrai certainement pas de critiquer, naturellement, mais dont j'observe qu'elle a une espèce de propension naturelle à évoquer des difficultés, entre la France et l'Allemagne, qui sont purement imaginaires et qui, du coup, de temps en temps, reviennent chez nous, comme ça, en forme d'écho.

Encore deux questions, peut-être ? Comme vous avez attendu très tard...

QUESTION - Monsieur le Président, la création d'une fonction de haut représentant, couplée à celle de secrétaire général, va-t-elle permettre de nommer à cette fonction une personnalité d'un niveau politique suffisant pour représenter l'Europe, comme vous le souhaitiez ?

LE PRÉSIDENT - Je le souhaite. On n'a pas prononcé de nom. Mais je souhaite que ce soit quelqu'un qui ait la capacité de nous représenter, d'être reçu, de pouvoir développer nos arguments et défendre nos intérêts. Alors je ne peux pas vous en dire plus. On verra. Nous n'avons absolument pas évoqué de candidat.

QUESTION - Monsieur le Président, parmi les critères de réussite de cette Conférence, il y avait l'extension d'une série de domaines au vote à la majorité qualifiée, où en sommes-nous ? Et je voudrais revenir sur la question d'une consoeur à laquelle vous n'avez pas répondu : est-il envisagé, avez-vous déjà un accord politique, malgré le retrait apparent sur cette affaire de M. le Premier ministre, pour la ratification ? Y aura-t-il un congrès ou un référendum ?

LE PRÉSIDENT - Pour ce qui concerne la ratification, nous verrons cela en temps voulu, je n'ai pas le sentiment, aujourd'hui, que cela doit susciter un changement tel qu'un référendum soit justifié. Nous verrons cela le moment voulu. Il faut d'abord signer le texte, ensuite donner toute la publicité nécessaire, que chacun sache de quoi il est question.

La deuxième question, c'était... Ah oui. Je vous demande de reprendre les textes.

Monsieur le Premier ministre.

LE PREMIER MINISTRE - En tout cas ce n'est pas un domaine dans lequel la France n'a pas facilité les choses ; parmi les points qui étaient mentionnés, les deux seuls domaines pour lesquels la France n'était pas favorable, ne croyait pas pouvoir accéder à la majorité qualifiée, pour des raisons qui ne tiennent pas simplement à ses intérêts, mais parfois à l'interprétation du droit. Ce sont deux points sur lesquels un nombre relativement significatif de pays ont eu la même attitude. Alors qu'au contraire, on a constaté que sur toute une série d'autres points , ce sont souvent un ou deux pays qui y ont fait obstacle. Donc on peut dire que l'attitude de la délégation française a été une attitude qui allait plutôt dans le sens d'une extension significative de l'utilisation de la majorité qualifiée. Et si effectivement le champ de celle-ci a été finalement réduit, ça n'est pas de notre fait.

LE PRÉSIDENT - Voilà. Nous allons vous remercier parce qu'il est maintenant l'heure de rentrer.

Je vous remercie, à moins que le Premier ministre ait quelque chose à ajouter.





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