Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Premier ministre français et du Président du Gouvernement d'Espagne.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Lionel JOSPIN, Premier Ministre. et de M. Jose Maria AZNAR, Président du Gouvernement du Royaume d'Espagne.

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Salamanque, Espagne, le 1er et 2 décembre 1997

M. AZNAR - Avant de passer la parole au Président de la République française et au Premier ministre français, je voudrais faire quelques commentaires sur cette réunion et sur les relations entre la France et l’Espagne.

Je tiens à dire tout d’abord que je remercie la Ville de Salamanque et le Gouvernement autonome de Castille et Léon. L’accueil a été extraordinaire et je voudrais remercier personnellement tous les hôtes. Le cadre qu’offre la ville est remarquable. Je tenais absolument à la faire visiter au Président de la République et au Premier ministre, car elle appartient à notre histoire espagnole et je la tiens un peu pour mienne, car vous savez que j’ai été le Président de cette communauté autonome. L’accueil des autorités de Salamanque - le Maire, le Recteur de l’Université - et l’accueil du Président du Gouvernement autonome, ont été exceptionnels et je les remercie encore de leur gentillesse.

Je tiens également à remercier le Président CHIRAC qui a annoncé hier son appui à la candidature de Salamanque comme capitale culturelle de l’Europe en 2000, un geste très important.

Du point de vue des relations bilatérales franco-espagnoles, je voudrais dire que ce sont des relations très solides, dans tous les sens. Les rapports sont excellents et notre souhait est qu’ils perdurent dans un cadre de confiance entre les gouvernements et de relations étroites entre les nations.

Du point de vue commercial, les relations sont denses et profondes. La balance des échanges favorise la France mais elle paraît raisonnablement équilibrée entre les deux pays plus que nous croyons nous autres Espagnols. Les investissements sont importants. La présence française est très profonde en Espagne, nous le savons. La France est pour l’Espagne le premier client et le premier fournisseur, inversement nous sommes les 4ème et 5ème pour la France. En un mot les relations sont très intenses.

Nous en avons parlé et nous avons parlé aussi des perspectives d’avenir et du resserrement des liens de travail puisque, Français et Espagnols, nous partageons un même projet visant à réaliser une nation européenne politique plus parfaite, une nation économique et monétaire qui fasse que la voix de l’Europe, qui est plurielle et diverse, et qui doit intégrer les différences, se fasse entendre de façon solidaire dans les enceintes internationales et monétaires.

Nous avons parlé enfin de nos relations culturelles. Salamanque était bien sûr un cadre idéal pour cela et nous avons abordé des problèmes spécifiques mais je ne voudrais pas en parler en détail ici. Simplement je tiens à rappeler certaines idées.

Tout d’abord la coopération antiterroriste. Le Gouvernement espagnol est très satisfait de la collaboration française. La coopération est excellente, du fait de la volonté du Président de la République et du Gouvernement français, elle se traduit aussi par des faits qui démontrent à quel point elle est solide. Cela contribue de façon déterminante à combattre le principal problème qui frappe l’Espagne naturellement.

Nous avons noté également les engagements que prend la France en ce qui concerne les agriculteurs ou les problèmes qui peuvent surgir autour des questions de transports. Nous avons convenu de travailler ensemble sur ces thèmes, comme sur d’autres thèmes comme la sécurité, ou la préparation du prochain Conseil à Luxembourg et le processus de construction européenne auquel nous prêtons toute notre situation et toutes les ressources d’un dialogue permanent.

Nous avons également évoqué la possibilité de tenir, dans le premier semestre 1998, le premier Sommet euro-latino-américain. Nous avons également abordé le Proche-Orient. Enfin une série de points que nous pouvons commenter ensuite si vous le voulez bien.

Mais je voudrais m’arrêter à deux questions qui figurent sur le calendrier de ces jours-ci. D’abord, le rendez-vous de Kyoto sur les émissions contaminantes, les changements climatiques, etc. Nous tenons à appuyer les travaux de cette réunion, tout en soutenant la position exprimée par l’Europe à cette occasion. C’est un point déterminant, il y va de nos obligations fondamentales que de faire, chacun en ce qui le concerne, tous les efforts utiles à la protection de l’environnement et obtenir que se limite résolument, clairement, par des engagements au niveau international, la détérioration qui a lieu actuellement dans l’atmosphère.

En deuxième lieu, je tiens à exprimer notre soutien et appui à la signature à Ottawa de la Convention visant à interdire la fabrication, la commercialisation et l’utilisation des mines antipersonnel. L’Espagne et la France vont signer cette Convention et nous nous sommes naturellement engagés à démarrer un processus de destruction de ces mines dans un délai aussi bref que possible. Nous voyons avec beaucoup de satisfaction la signature définitive d’une telle convention et nous engageons à s’y associer tous les pays qui n’ont pas encore rejoint le processus.

Ceci, sans compter les thèmes concrets qu’ont évoqué, de leur côté, les ministres de l’intérieur, les ministres de l’économie et des finances et les autres ministres, est le résumé d’une coopération excellente, d’une attitude profonde de confiance et d’un travail tourné vers l’avenir qui vont, je le crois, apporter une contribution décisive à la relation franco-espagnole pour laquelle nous oeuvrons côte à côte intensément.

Si vous en êtes d’accord, nous allons maintenant donner la parole au Président de la république avant de nous mettre à la disposition de tous ceux qui auraient des questions à poser.

LE PRÉSIDENT - Monsieur le Président du Gouvernement,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d’abord m’associer aux remerciements exprimés à juste titre par José-Maria AZNAR à l’égard du Gouvernement autonome de Castille et de Léon, du recteur de l’Université de Salamanque et plus généralement aux habitants, et notamment aux étudiants, de Salamanque qui nous ont réservé hier un accueil si sympathique et chaleureux, faisant de ce Sommet probablement l’un des plus agréables auxquels nous ayons assisté depuis bien longtemps.

Je constate qu’au moment où elle aborde 1998, une date symbolique, l’Espagne a retrouvé à la fois son élan et sa grandeur. Elle occupe à nouveau une place éminente et historique en Europe et dans le monde et la France, qui n’a jamais été aussi proche de l’Espagne, s’en réjouit profondément.

Le Président du Gouvernement a dit ce que nous avions fait. Je souscris à tout ce qu’il a dit, notamment, dans le domaine européen où nos positions sont relativement convergentes, sur le plan bilatéral pour notre coopération dans la lutte contre le terrorisme, et je voudrais saluer le courage et la détermination des autorités espagnoles dans ce domaine. Nous avons aussi renforcé notre coopération pour éviter des incidents malheureux comme ceux dont ont été victimes dans le Sud de la France les producteurs espagnols de fruits et de légumes. Bien entendu, nous sommes tout à fait sur la même ligne en ce qui concerne la Conférence de Kyoto. J’avais déjà pris ces positions, très fermement, au moment du Sommet de Denver, vous vous en souvenez, de même que pour la Conférence d’Ottawa.

Je voudrais dire un mot qui s’adresse plus généralement au peuple espagnol. L’Espagne et la France sont deux pays qui ont marqué l’histoire de l’Europe et du monde. Nous l’avons vu ici, aujourd’hui et hier, ce sont deux grands peuples qui ont une vocation naturelle à être des moteurs, des éléments d’impulsion dans un certain nombre de domaines. J’en retiendrai quatre principaux.

Il y a d’abord l’Union européenne, naturellement, où nous avons la même approche, notamment pour ce qui concerne l’euro.

Il y a l’espace méditerranéen, où l’Espagne et la France ont la même préoccupation de création d’un espace de développement, de paix, de démocratie, de stabilité et c’est tout le processus de Barcelone.

Il y a, et Monsieur AZNAR l’a évoqué, le renforcement de la relation entre l’Europe et l’Amérique Latine. Pour des raisons qui sont à la fois culturelles et économiques. Et c’est ensemble, naturellement, que nous préparons cette grande Conférence, première historique mondiale, entre les pays d’Amérique latine et les pays de l’Union européenne.

Et puis, il y a un domaine essentiel, celui qui consiste à maintenir la diversité culturelle du monde et donc sa diversité linguistique, et qui conduit l’Espagne et la France, mais aussi d’ailleurs le Portugal, à affirmer la force de leur culture par l’organisation de l’hispanophonie, de la francophonie et aussi de la lusophonie. C’est tout à fait capital.

Le deuxième point concerne l’Europe. Je voudrais que les Européens soient conscients d’une ou deux choses.

D’abord, l’importance du prochain Conseil de Luxembourg, puisque cela va être le Conseil de l’élargissement, donc le Conseil qui va lancer un processus qui permettra à la famille européenne de se retrouver, dans la démocratie, la stabilité et la paix. C’est donc capital. Cette Europe qui va s’élargir, je souhaite naturellement qu’elle soit dynamique, qu’elle ait la capacité de se gouverner elle-même et de s’imposer comme un pôle de puissance économique, politique, culturelle dans le monde.

Je ferais donc pour terminer deux observations : la première, c’est que nous devons avoir le courage de réformer nos institutions avant d’engager l’élargissement, ou plus exactement avant que l’élargissement ne prenne réellement effet, c’est-à-dire que des pays nous rejoignent concrètement parce que nos institutions qui étaient adaptées à six ne marchent pas très bien à quinze et seront tout à fait incapables d’assurer la responsabilité de l’Union à 20 ou à 25.

La deuxième observation, c’est que le Chef du Gouvernement espagnol m’a dit qu’il y avait, et je le comprend parfaitement, des sujets sur lesquels il ne pouvait pas transiger, notamment sur la place de l’Espagne dans l’Union européenne aujourd’hui, et demain et en particulier sur certaines caractéristiques de la politique européenne à l’égard de l’Espagne comme à l’égard des autres pays.

Je le comprends parfaitement et je voudrais indiquer que, moi non plus, je ne suis pas décidé à accepter une Europe, une organisation européenne qui remettrait en cause les intérêts de la France ou les intérêts des Français, je pense en particulier à ceux de nos paysans.

Voilà. Mais je suis sûr qu’au Conseil européen de Luxembourg, tous ensemble, nous aurons la possibilité de trouver la bonne voie pour l’Europe et de ce point de vue, comme le Premier ministre espagnol, je suis très optimiste.

Monsieur le Premier Ministre, vous voulez peut-être rajouter quelque chose ?

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président du Gouvernement,

Mesdames, Messieurs,

Comme le Président de la République, j’ai ressenti ainsi que les Ministres comme un privilège le fait de pouvoir tenir ce sommet à Salamanque, dans ce lieu prestigieux, et je me suis fait la même réflexion que je me faisais à Weimar lorsque nous étions sur les traces de Goethe. Ici à Salamanque, sur les traces de très grands penseurs et notamment dans la ville d’Unalmo, je me suis fait la réflexion que même si Salamanque était au coeur de l’Espagne, c’était un lieu qui avait pour nous la même résonance. C’était un lieu dans lequel en tant qu’Européen et en tant que Français nous nous retrouvions, comme si cela faisait partie de notre patrimoine. Je voudrais dire puisque c’est mon premier Sommet franco-espagnol au côté du Président de la République que je me réjouis des relations qui ont été nouées entre les ministres français et les Ministres espagnols en six mois dans la prolongation naturellement des liens noués avant avec d’autres Ministres. C’est de la même manière que nous avons pu, José Maria AZNAR et moi-même, apprendre à nous connaître en ces six mois et commencer à travailler ensemble au côté du Président de la République française. Je ne vais pas reprendre les thèmes qui ont été évoqués, sans doute voudrez-vous les aborder dans les questions, j’insiste simplement sur le fait que la coopération entre la France et l’Espagne dans la lutte contre le terrorisme n’est plus aujourd’hui un problème, je dirais qu’elle est un symbole de la façon dont deux grandes démocraties, deux Etats de droit travaillent ensemble face à une violence dont les méthodes ne peuvent pas être acceptées dans les démocraties. Quand il y a des problèmes par contre et là, il peut s’agir de problèmes, je pense au problème posé par les arraisonnements de camions de fruits et légumes, nous nous efforçons de trouver une méthode qui permette de répondre à ces difficultés. Nous l’avons fait dès le séminaire ministériel d’Ibiza, et la commission mixte franco-espagnole réunissant des professionnels et des membres de l’administration va se réunir le 18 décembre pour avancer dans cette direction. J’ai moi-même contribué à rendre conscient le milieu agricole français des conséquences que cela pouvait avoir, non seulement sur nos relations, mais aussi sur les intérêts de nos exportateurs en Espagne qui sont très importants. En ce qui concerne le conflit des routiers, j’ai pris l’engagement que pour les dossiers d’indemnisation considérés comme agréés, l’indemnisation se ferait dans un délai de trois mois. Les instructions ont donc été données aux préfectures pour que l’on agisse dans ce sens. Et en ce qui concerne le conflit de 1997, nous nous sommes efforcés, vous l’avez vu, d’informer nos gouvernements amis qui pouvaient être concernés, notamment le gouvernement espagnol, dès le déclenchement du conflit et même parfois avant. Nous avons dégagé une voie de sortie immédiatement vers l’Espagne et enfin nous avons pu régler ce conflit dans des délais tels et des conditions telles que je crois que beaucoup moins de camions espagnols n’auront été pris en quelque sorte dans la nasse. Donc, quand il y a des problèmes, nous les réglons dans un esprit de coopération, et le gouvernement français fait des efforts dans ce sens sur nos relations bilatérales, au sens plus large ; nous en avons discuté de façon tout à fait positive et en ce qui concerne les questions européennes, le Président de la République vient de tracer notre approche, je n’y reviendrais pas, sauf si des questions précises m’étaient adressées.

M. AZNAR -

Merci. Nous allons donc commencer.

QUESTION - Je voulais demander au Président de la République s'il avait l'impression que dans les différents entretiens avec M. le Président AZNAR, il y avait l'émergence, les prémisses d'une politique étrangère commune ? Je voudrais dire sur certains dossiers, comme par exemple, le Proche-Orient où on peut imaginer, qu'entre Madrid et Paris, il y a des possibilités communes.

LE PRÉSIDENT - Il y a plus que des possibilités communes aujourd'hui entre l'Espagne, qui acquiert un rôle de plus en plus important sur le plan diplomatique dans le monde, et la France. Vous avez cité le Proche-Orient, c'est vrai que nous avons une volonté d'action commune et des objectifs communs, notamment pour ce qui concerne le processus de paix.

Le Président AZNAR a évoqué tout à l'heure notre position commune pour la Conférence de Kyoto ou celle d'Ottawa. Nous nous sommes concertés, je vous l'ai dit, pour ce qui concerne la politique entre l'Europe et l'Amérique latine, où nous sommes ensemble le moteur d'un rapprochement naturel, légitime. Sur le plan européen, notre vision des choses est la même et notre action sera la même. C'est vrai, en particulier, pour le geste essentiel qui concerne la création de l'euro ou celui qui implique l'élargissement. Je pourrais multiplier les exemples.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre JOSPIN, je m'éloigne, permettez-le moi, de ce Sommet pour poser une question à Monsieur le Président du Gouvernement espagnol qui a trait également à la lutte anti-terroriste. Monsieur AZNAR, que pensez-vous de la sentence de la Cour d'hier quant à la tête d’Herri BATASUNA ?

M. AZNAR - J'ai eu l'occasion de parler de ceci avec le Premier ministre et le Président de la République. Obéir à la loi me semble très bien. C'est un progrès très positif que tous les citoyens espagnols sachent que dans un Etat de droit, il n'y a pas d'impunité. Il n'y en a pour personne. Ce sont des citoyens qui ont commis un délit. Ils ont été jugés et condamnés, cette foi-ci, par la Cour de Cassation espagnole. C'est l'Etat de droit et c'est la loi.

Donc, je crois que les Espagnols aujourd'hui peuvent se sentir très sûrs, sereins et confiants dans l'avenir parce qu'ils savent que la loi n'exclut personne. Pour un citoyen, pour un démocrate et pour quelqu'un dans le Gouvernement, c'est très satisfaisant de voir que l'Etat de droit fonctionne quand on obéit à la loi et que les problèmes trouvent une solution grâce à la loi. C'est tout ce que je voulais dire quant à cette question.

QUESTION - Une question tout d'abord pour Monsieur le Président du Gouvernement espagnol. Je voudrais savoir s'il y a eu un accord, ou pas, quant au financement de l'élargissement de l'Union européenne. Et une deuxième question pour le Président de la République française : croyez-vous que l’Espagne avec un Gouvernement conservateur, peut être, petit à petit, isolée dans des décisions importantes de l'Union européenne face à une grande majorité de gouvernements socialistes ?

M. AZNAR - Je répondrai à la première question, mais j'ai envie de répondre également à la deuxième question, je l'avoue, mais vous l'avez posée au Président de la République.

Je voudrais vous dire qu'il est difficile de se mettre d'accord sur quelque chose quand on ne sait pas exactement de quoi il s'agit. Nous ne savons pas quel va être le coût de l'élargissement de l'Union et donc, il est difficile de se mettre d'accord sur ce point là. Mais, nous savons que nous devons parler de ces mécanismes. Il y a des objectifs communs à ce sujet, des principes communs. Il existe également des stratégies communes.

Il peut y avoir des visions différentes quant au délai, le court terme, mais du point de vue institutionnel, comme le disait auparavant Monsieur le Président CHIRAC, le cadre européen ne sert plus à grand chose. Dans le traité d'Amsterdam, on a dit qu'avant de faire l'élargissement, quelle que soit la dimension de l'élargissement, il faudrait faire une réforme institutionnelle dans le cadre de l'Union européenne. C'est logique, c'est cohérent, absolument. Il faut également aborder les perspectives financières, non seulement à partir de cet élargissement, mais également face aux nouvelles perspectives financières entre 2000 et 2006.

L'Union européenne, me semble-t-il, a suivi un processus très logique, très cohérent pendant ces dernières années. Il y a eu un accord pour commencer la Conférence intergouvernementale pour réformer les traités. Cela a eu lieu, il y a eu un nouveau traité à Amsterdam. L'étape suivante a été de mettre en oeuvre, de mettre en marche, les mécanismes de cet élargissement. Il faut discuter sur le nombre, je ne vais pas en parler moi-même, je crois qu'il faut en parler avec tous les candidats. Il y a certaines nuances que l'on pourra discuter plus tard. Il faut établir après les conditions, les rythmes différents qui vont affecter tous les candidats.

Nous sommes sur le point de conclure la deuxième phase et de commencer la troisième phase de la monnaie unique. Et puis, il faut prévoir les perspectives financières pour quinze et prévoir qu’elles seront pour les autres. J'espère que nous arriverons à des conclusions positives dans ce domaine, qui permettent que l'élargissement ait lieu, qui permettent que l'ensemble des

équilibres financiers et politiques, dans le cadre de l'Union des quinze, continue à exister dans une Union plus large et que les éléments essentiels de la solidarité continuent également.

Il faut donc travailler clairement vers l'avenir pour pouvoir progresser. On ne peut pas rentrer dans les détails maintenant. Chaque pays sait ce qui va l'affecter plus particulièrement et nous voulons tous avancer vers l'avenir, mais on ne peut pas rentrer dans les détails actuellement. Sans aucun doute, l'Espagne et la France sur ce point et sur la question institutionnelle vont être en contact pour commencer à travailler dès demain à ce sujet.

LE PRÉSIDENT - Sur l'isolement éventuel de l'Espagne, je voudrais d'abord dire que c'est une illusion de croire que les choix de politique intérieure ont leur répercussion sur le plan de la politique européenne, qui est fonction des intérêts des Etats, qui s'imposent quels que soient par ailleurs les choix politiques internes.

Deuxièmement, l'Espagne aujourd'hui, compte tenu de son extraordinaire progrès et sa grandeur retrouvée que j'évoquais tout à l'heure, ne peut être isolée par personne en Europe et si, par hypothèse d'école, la question se posait, en tous les cas je peux vous dire que la France ne le permettrait pas.

QUESTION - Deux questions, l'une pour le Président de la République et l'autre pour le Président du Gouvernement espagnol.

Monsieur CHIRAC, croyez-vous qu'il serait nécessaire, peut-être en France, peut-être grâce à l'intermédiation du Gouvernement français, que le Gouvernement espagnol ait certain contact avec la bande terroriste de l'ETA pour essayer de trouver la paix ?

Monsieur le Président du Gouvernement espagnol, croyez-vous qu'avant la fin de l'année, nous arriverons à un accord pour débloquer la question de l'OTAN avec la Grande-Bretagne ? Avez-vous prévu personnellement de parler avec le Premier ministre Tony BLAIR pour trouver une solution à ce problème ?

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, je n'ai pas de commentaire à faire. Le Chef du Gouvernement espagnol a dit ce qu’il pensait pour ce qui concerne le terrorisme et je partage tout à fait son sentiment.

M. AZNAR - Sur cette question, je parlerai un peu plus parce que vous savez qu’actuellement l’Espagne a trois éléments déterminants, ou quatre plutôt, quant à la sécurité et qui sont très importants. Tout d’abord, la mise en marche de nos forces armées complètement professionnelles, un processus qui a subi un essor très important et qui continuera son essor en 1998. Je souhaite que ces forces armées professionnelles soient une réalité en Espagne dès le début du XXIème siècle.

Puis, nous avons le renouvellement de nos forces armées qui va de pair avec le processus de professionnalisation et qui affecte différents domaines, différents secteurs de la défense. Par exemple, depuis un certain temps déjà, je parlais avec le Président CHIRAC qui m’avait dit qu’il s’intéressait à la Marine. C’est une question dont nous avons parlé pendant longtemps dans le cadre du processus de renouvellement de nos forces armées. Je peux vous dire également que la Marine espagnole est arrivée à la conclusion suivante : dans un bref délai, on va renouveler les sous-marins, qui vont être des sous-marins scorpene français et qui vont être achetés par la Marine espagnole. C’est la décision qui semble la plus appropriée du point de vue de l’évolution de notre Marine.

Nous avons pris des décisions également pour les forces aériennes et avec l’armée de Terre et c’est une décision que nous devons affronter à l’avenir. Ce sont des questions dont on a parlé depuis longtemps et donc j’ai déjà discuté avec le Président CHIRAC. Nous continuons ce processus de renouvellement.

Troisième processus : l’incorporation de l’Espagne à la structure de commandement de l’OTAN. Nous voulons que cela ait lieu et sans problème. Il y a différentes façons de traiter certaines questions, certains problèmes qu’un dirigeant politique, un Premier ministre ou un Président, essaie de discuter.

Moi, je préfère traiter des questions plus discrètement en essayant de trouver des solutions. J’ai la sensation, et je répète, j’ai la sensation que vous n’aurez pas longtemps à attendre pour trouver une réponse à cette question. J’ai cette sensation. Je ne veux pas réchauffer certains problèmes. Je n’ai qu’une impression et c’est une question que nous partageons pleinement avec nos amis français. C’est le développement de l’identité européenne de sécurité défense, de l’Union européenne occidentale, que nous voulons voir renforcer en plein essor dans notre cadre de responsabilités.

LE PRÉSIDENT - Juste un mot pour exprimer au Président du gouvernement espagnol toute notre reconnaissance, la reconnaissance de la France pour la décision que le gouvernement vient de prendre en ce qui concerne le Scorpene. Cela va être un élément de coopération essentiel entre nos deux pays. Chacun construisant ces sous-marins, qui sont ultramodernes, pour sa propre armée et ensemble, notamment en direction de certains pays d’Amérique latine produisant ces sous-marins en commun. C’est un dossier dans lequel je m’étais beaucoup investi et dont nous avions souvent parlé avec

José Maria AZNAR, notamment depuis qu’il est Chef de gouvernement. Je me réjouis que cette coopération, très importante pour nos deux pays, ait pu être finalement arrêtée et décidée. Je voudrais remercier le Président et le Gouvernement espagnols à ce sujet.

QUESTION - J’aimerais savoir du Premier ministre français, du Président de la République si le dossier de la nomination de M. TRICHET a été évoquée et si le gouvernement espagnol a donné une opinion ; et aussi, j’aimerais savoir si vous avez des craintes après la décision, hier soir, de procéder avec un Conseil de l’Euro, craintes d’une division en Europe ?

LE PREMIER MINISTRE - Pour ce qui me concerne et nous avions à l’instant un conciliabule éclair avec le Président de la République, je crois que c’était la même chose, nous n’avons pas évoqué le problème de la candidature à la présidence du directoire de la Banque centrale européenne.

En ce qui concerne le Conseil de l’Euro, les discussions ont eu lieu encore hier. Les deux ministres de l’économie et des finances sont d’ailleurs arrivés dans la nuit. Nous, nous pensons qu’il est logique, qu’à partir du moment où l’Union a un espace commercial et une monnaie unique pour -les pays participant dès le départ à l’Euro- qu’il doit y avoir une instance de concertation sur les politiques économiques, dans le respect de l’indépendance de la Banque centrale pour ce qui est de la gestion de la monnaie, afin de permettre aux représentants des gouvernements de discuter de la politique d’investissements, de la politique budgétaire, de la politique fiscale, (on a avancé hier sur l’harmonisation fiscale, c’est une bonne chose), discuter de la politique salariale, de celle de l’emploi, non pas pour se substituer au gouvernement car la politique économique est de la compétence nationale, mais pour concerter leur politique. Or, on ne peut pas imaginer qu’il y ait une monnaie unique, un espace commercial unique et en même temps que cette concertation n’existe pas. C’est cela le sens du Conseil de l’Euro que nous avons proposé, nous avons vu que cette idée progressait et était apparue comme logique à tout le monde.

A partir de là se pose effectivement la question de savoir de ce qui peut être fait pour des pays qui, soit parce qu’ils ne peuvent pas, soit parce qu’ils ne le veulent à ce stade même s’ils envisagent d’adhérer à la monnaie unique plus tard, soit parce qu’ils n’ont pas encore décidé s’ils le feraient effectivement, se trouvent hors d’un éventuel Conseil de l’Euro. Nous pensons qu’il est un petit peu difficile, à un certain nombre de nos partenaires, de vouloir décider, pour ceux qui vont faire l’Euro, des conditions dans lesquelles ils vont débattre entre eux. Alors, je crois que les ministres de l’économie et des finances, en particulier espagnol et français, ont tout à fait admis l’idée que des informations devaient être données et des contacts pris. Les membres des gouvernements qui vont participer à ce Conseil de l’Euro, même si le nom n’est pas encore, je crois, choisi, sont aussi des membres de l’Ecofin, et donc ont une habitude des discussions avec leurs collègues. Il a été, je crois, évoqué l’idée que ces réunions autour de l’Euro pourraient se tenir dans la même journée, sans doute, que les sessions de l’Ecofin. Nous sommes donc couverts, je crois, en tout cas du côté du gouvernement, à ces contacts, à cette information. Nous avons un peu une hésitation à admettre l’idée que quelqu’un ne soit pas dedans et qu’en même temps il veuille fixer, d’une façon un peu rigide, les modes de fonctionnement de ce Conseil. Alors, il faut encore trouver des solutions, semble-t-il, d’ici le prochain Sommet de Luxembourg. Je crois que ces solutions seront trouvées, mais autour d’idées de bon sens naturellement.

QUESTION - Je voudrais savoir si M. AZNAR est satisfait des explications et des accords auxquels on est arrivé à ce Sommet sur les routiers, le problème des routiers et des marchandises espagnoles. M. CHIRAC a dit que " la situation avec les routiers pouvait se répéter, avoir lieu une fois de plus " ?

M. JOSPIN, vous avez eu un entretien avec M. AZNAR, est-ce que vous avez parlé des efforts que fait votre gouvernement pour la création de l’emploi, et surtout quant à la réduction de la journée de travail à 35 heures ?

M. AZNAR - Par rapport à la première question, comme vous pourrez le comprendre, Monsieur le Président CHIRAC dont je n’ai pas à faire l’éloge, ici et maintenant, mais qui a été prudent, discret et intelligent, n’aurait jamais eu l’idée de s’engager à ce que plus jamais il n’y aura plus jamais d’incident nulle part en France par rapport à tout ce qui a trait ou affecte l’Espagne. Monsieur le Président CHIRAC et le Gouvernement français qui ont la responsabilité, ont la volonté bien décidée d’affronter ces décisions. Il est évident qu’il faut parler de ces questions avec beaucoup de décision et on doit aller contre les attitudes violentes hors la loi, et il faut respecter la libre circulation des personnes et des marchandises sur le territoire français. Comme le fera et l’a fait le Gouvernement espagnol dans tous les cas. Cela, c’est l’attitude du Gouvernement français, je n’en ai aucun doute, c’est l’attitude du Président de la République, je n’ai aucun doute à ce sujet. J’ai toutes les garanties que s’il y avait certains de ces problèmes, de ces circonstances qui ont déjà eu lieu, je sais parfaitement quelle va être l’attitude du Gouvernement français à ce sujet.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais confirmer tout à fait ce que vient de dire le Président AZNAR et ce qui a été confirmé par le Premier ministre français sans ambiguïté. Quant à la deuxième question du journaliste de la télévision espagnole concernant le problème de la réduction du temps de travail, cette question a été traitée lors du Conseil européen sur l’emploi de Luxembourg. En revanche, elle n’était pas à l’ordre du jour de notre Sommet bilatéral, et c’est pourquoi il n’y a pas lieu de traiter de ce problème ici, en Espagne.

LE PREMIER MINISTRE - J’ai compris que sur le temps de travail, la question m’était aussi posée. Je dois dire que le Gouvernement français a montré dans le récent conflit des routiers qu’il faisait face à ses responsabilités, à ses engagements internationaux, il s’est efforcé d’agir vite et en prenant en compte les problèmes de nos voisins et amis.

Je ne voudrais pas cacher que pour nous le secteur des transports routiers reste un secteur fragile dans notre économie et aussi, je dirais, par ces implications sociales et nous souhaitons poser au niveau européen la question d’une meilleure harmonisation des règlements et des législations touchant le secteur routier.

En ce qui concerne le temps de travail, le Président de la République a raison. Cette question de la réduction du temps de travail n’était pas à l’ordre du jour naturellement de notre Sommet. Disons, simplement, pour que vous soyez correctement informés que dans l’entretien que nous avons eu ce matin avec M. José Maria AZNAR, nous avons eu un échange bref sur ce point pour nous informer mutuellement.

M. AZNAR - Je voudrais ajouter un petit point à ce sujet. J’ai la sensation que parfois, je ne dis pas pour cette question concrète, nous avons des positions un peu enfantines par rapport au Gouvernement.

Il y a une position enfantine dont je parlais ce matin pendant le petit déjeuner avec Monsieur le Premier ministre JOSPIN. M. JOSPIN et moi-même, forcément, il faut que nous soyons toujours en désaccord parce qu’il est du parti socialiste et moi pas. Mais non. Cela n’a rien à voir. C’est absurde et de plus, non seulement c’est absurde mais c’est ridicule. Il ne faut construire sur ceci aucune théorie et on ne doit pas penser que cela doit affecter les positions des pays dans un Conseil européen. C’est absurde. Je le répète, c’est absurde. Je ne vais jamais être socialiste, que voulez-vous que je vous dise, mais je suis sûr que les relations entre la France et l’Espagne sont des relations, je l’ai déjà expliqué, qui vont continuer à être excellentes et à se renforcer quelles que soient les personnes qui sont au Gouvernement, c’est ce qui fait que les nations soient fortes, sérieuses et qu’elles veulent parier sur l’avenir et ont une grande tradition derrière elles.

QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, pourriez-vous nous informer avec une certaine perspective historique quant aux effets qu’a eu sur la politique française l’approbation de la loi du point final des partis politiques. Est-ce que cela va avoir une importance sur la vie politique ?

Monsieur AZNAR, croyez-vous que l’expérience française est applicable en Espagne ou comme l’a dit un dirigeant espagnol, il appelait cela la politique du point final ? Qu’est-ce que cela veut dire, la réglementation des partis politiques ?

LE PREMIER MINISTRE - C’est le problème du financement public des partis politiques.

LE PRÉSIDENT - Voilà un problème qui est strictement français. Je vous dirai que la situation que nous connaissons à cet égard dans notre pays me paraît satisfaisante et vous comprendrez que je n’ai pas d’autres commentaires à faire à ce sujet.

M. AZNAR - De mon côté, je crois qu’il ne faut pas mélanger les problèmes. Actuellement au Parlement espagnol, il y a un projet de loi de financement de partis. Moi, j’aimerais qu’on arrive à un accord. Le Gouvernement est disposé à arriver à cet accord et c’est une procédure normale sur laquelle il faut travailler avec les engagements parlementaires de législation interne de chaque pays. Le reste évidemment s’il y a des problèmes auprès de la justice, c’est la justice qui doit agir d’après la loi.

Avant de lever la séance, je voudrais parler de deux questions. On a parlé de beaucoup de questions, des Ministres de l’industrie, de coopération industrielle mais il y a une question dont je voudrais parler parce que sinon on court le risque que l’on nous dise : " ah ! Vous n’avez pas parlé de... " Une question importante, c’est la question des Iles Canaries et la banane pour la France. il y a un total accord entre la France et l’Espagne au moment de la défense des intérêts des producteurs européens par rapport à la banane. Et nous avons aussi parlé des connections différentes entre l’Espagne et la France soit à travers les chemins de fer à grande vitesse qui sont en train d’être construits de grande vitesse à travers la frontière de l’Est et à travers la Catalogne et également les nouveaux travaux d’infrastructures dans les Pyrénées à travers la partie espagnole de l’Aragon. Il y a d’autres questions donc qui ont été traitées.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais juste dire une chose pour conclure. Ce Sommet restera en tous les cas dans ma mémoire et je pense que je peux le dire également pour ce qui concerne le Premier Ministre et les Ministres français, d’abord parce qu’il a bien fait apparaître la nouvelle puissance de l’Espagne. C’est important, dans le cadre notamment de la construction européenne. Ensuite parce qu’il nous a fait apprécier naturellement la beauté historique de Salamanque, et enfin parce que nous avons pu apprécier une vrai convergence fondée sur l’intérêt mais aussi sur l’amitié entre nos deux pays.

Mais tout cela n’est rien à côté, à mon sens, de ce que nous avons ressenti hier, notamment hier soir pendant toutes ces promenades au milieu de tous ces étudiants, en particulier beaucoup d’étudiant français qui étaient là, dont un grand nombre au titre du programme européen Erasmus. C’est grâce à Erasmus, grâce à l’Europe que des étudiants français ont le privilège de venir recevoir un enseignement dans l’une des premières, des plus anciennes, des plus prestigieuses des universités de ‘l’Europe. Nous avons tous parlé avec ces étudiants hier soir. Nous avons regardé, nous avons observé leurs yeux et ils m’ont paru, tous, courageux et optimistes. En tous les cas, c’est ce qu’ils exprimaient directement ou indirectement et cela m’a beaucoup impressionné car au fond, c’est pour eux que nous faisons l’Europe. Alors je voudrais remercier, de ce point de vue, l’Université de Salamanque qui nous donne un bel exemple de ce que doit être l’Europe de demain.





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