Propos tenus par M. Jacques CHIRAC président de la République lors de sa visite au samu social de Paris

PROPOS TENUS PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, LORS DE SA VISITE AU SAMU SOCIAL DE PARIS

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Hospice Saint-Michel - Paris le mercredi 17 décembre 1997

Cher Docteur,

Il y a, c'est vrai, quatre ans maintenant, enfin quatre ans et demi, que j'ai reçu, en tant que maire de Paris, le Docteur EMMANUELLI. Il est venu me dire : "On peut faire quelque chose. Moi je fais quelque chose. J'ai des équipes de gens compétents et on ne peut pas laisser se développer la misère que l'on voit aujourd'hui, un peu partout, et qui est totalement indigne d'une société qui se veut solidaire et qui l'est si peu". Il m'avait expliqué et montré toutes sortes de choses.

Jean TIBERI et moi-même -Jean TIBERI était à l'époque premier adjoint, il s'occupait de tout naturellement, je ne prenais pas de décisions sans le consulter- avons tout de suite compris qu'il fallait faire quelque chose : soutenir l'action du Docteur EMMANUELLI. Avec Dominique VERSINI dont la passion, la foi et la compétence dans ce domaine, étaient reconnues, nous nous sommes lancés dans cette affaire, un peu difficilement au départ, car nous étions pris de vitesse par une vague de froid qui nous a amenés à lancer l'opération avec un mois d'avance ou un peu d'avance, c'est-à-dire, comme on dit dans la presse, "un peu sur le genoux". Jean TIBERI et moi-même avons été très frappés de voir la réponse immédiate des bénévoles. Nous avons demandé un matin des bénévoles pour le soir même parce que la vague de froid nous avait pris de court. Le soir même, nous avions des voitures, des bénévoles beaucoup plus qu'il n'en fallait. Les débuts ont été difficiles. Nous étions installés de façon très modeste, à René COTY. Cela a démarré ainsi.

Le Samu a aujourd'hui quatre ans. Il a fait son chemin. Il a fait école aussi, comme l'a rappelé, tout à l'heure M. EMMANUELLI. Il a permis d'aider un nombre considérable de gens brisés par la vie à reprendre leur route ou tout au moins à assumer mieux les chocs successifs généralement dont ils avaient été victimes.

Alors, le Samu continue sa route, je le disais, et je crois qu'il le fait bien. A l'entrée nous avons vu, maintenant, une maison d'accueil. Une maison pour s'asseoir, pour parler, pour boire quelque chose, pour avoir un contact sans forcer personne avec des bénévoles qui sont là, qui ne font pas d'ingérence dans la vie des gens qui viennent mais qui, simplement, répondent à leurs questions, voire à leurs besoins, et qui par conséquent, participent à un retour de ces gens qui, souvent, viennent du plus profond de l'errance à un système plus humain.

Cette maison est bien organisée. On y a mis -et j'y tenais beaucoup- un chenil parce que, depuis quelque temps, beaucoup de ces SDF ont des chiens, ce qui, d'ailleurs, ne facilite pas le contact avec eux ; parfois les gens ont une espèce de peur, généralement dépourvue de tout fondement d'ailleurs, mais enfin c'est physique. Ils n'osent pas faire le geste qui devrait être fait, parce qu'il y a un chien ou deux chiens. D'autre part, on ne peut pas enlever ces bêtes à ces gens, naturellement. Et dans la plupart de nos institutions on n'accepte pas les chiens. Cela ne marche pas naturellement. Alors ici, nous acceptons les chiens et on fait de jolies niches, ils sont bien traités.

Alors, cette équipe du Samu, est une équipe importante, qui est dirigée avec beaucoup de coeur, beaucoup de compétence par Dominique VERSINI, par le Docteur EMMANUELLI et par toute une série de gens. On se demande parfois, au fond, ce qui fait la force de cette équipe, parce que, si vous les regardez bien, si vous êtes en contact avec eux, vous verrez que ce sont des gens qui ont "l'oeil clair". Ils ont manifestement du coeur et du dynamisme. Ils se donnent plus qu'on ne se donne en général pour une cause quelconque. Ils sont volontaires. Au fond quand on se demande ce qui fait leur force, je crois, et c'est ce qui fait leur efficacité -je n'aime pas beaucoup le mot- c'est le regard qu'ils savent porter sur les gens. Je crois que c'est cela le fond du problème. Ce n'est pas un regard inquisiteur, ou interrogateur, ou questionneur, ou prétentieux ou même indifférent. Ce n'est pas un regard professionnel. C'est un regard chaleureux, et cela, est tout à fait caractéristique.

Si vous parlez à ces gens, soit au téléphone, soit dans l'action quotidienne, si vous les regardez autour d'une table de jeux, de goûter, ils ont un regard chaleureux. Et je crois que c'est cela, en réalité, le coeur du problème et, naturellement, certains s'en sortent.

Tout à l'heure nous avons rendu hommage à Monsieur GAREL. C'était un garçon qui avait connu le Docteur EMMANUELLI, qui avait eu beaucoup de problèmes de toutes natures, mais qui était une vraie personnalité. Je l'avais rencontré il y a un an, je crois. C'était une forte personnalité chaleureuse. Il était parti dans l'errance et avait été récupéré ici, d'abord chez vous. Il était devenu ensuite employé permanent, salarié de cette maison. Au téléphone, il savait trouver les mots. Il s'en était sorti. C'est formidable de sortir quelqu'un de ce type de situation. C'est au moins aussi important et valorisant que de sortir d'une grave maladie physique et c'est même beaucoup plus difficile en général. Il s'en était sorti. Il savait ce qu'il fallait dire aux gens qui téléphonaient. Malheureusement un cancer du poumon l'a emporté. Nous venons de donner son nom à un espace ici. Je me souviens de lui. C'est quelqu'un pour qui je garde une très grande estime et pour ceux qui se sont occupés de lui aussi, naturellement. J'ai salué avec beaucoup de chaleur sa compagne qui était là tout à l'heure.

Alors, aujourd'hui le Samu pourrait continuer à vivre comme cela, tranquillement, avec beaucoup de coeur et d'initiatives. Il pourrait enfin continuer à vivre sur son aire, mais le Docteur EMMANUELLI et Dominique VERSINI sont des gens qui veulent en permanence faire mieux.

D'abord on s'est installé ici. Le Docteur l'a dit tout à l'heure, et il a eu raison. Toutes nos institutions sont ou étaient en général misérables. La ville de Paris, notamment dans la période récente sous l'impulsion de son maire, Jean TIBERI, a fait de très gros efforts dans ce domaine. Au fond, accueillir la misère dans quelque chose de misérable, c'est faire un énorme contresens et c'est extraordinairement contre-productif. Il faut accueillir ceux qui ont des vrais problèmes d'insertion dans la société dans des conditions qui soient à tous les égards convenables. La Première fois que nous en avions parlé avec le Docteur EMMANUELLI, je lui avais dit : " Ce qui est important, c'est le parc, il faut qu'il y ait un parc. C'est vrai. Il faut que cela soit joli ". Nous avons trouvé, effectivement, un bâtiment dont nous avons pu observer qu'il était bien. Nous avons fait un aménagement, sinon un parc tout au moins un environnement qui était convenable. Tout cela est naturellement de qualité. Tout cela est capital.

Aujourd'hui le Samu Social a voulu faire davantage. Il a voulu continuer à innover, à chercher de nouveaux moyens pour aller au-devant de ceux qui en ont besoin et, naturellement, la Mairie de Paris et beaucoup d'autres soutiennent cette démarche.

Alors, je voudrais dire aux chefs d'entreprises qui se sont associés à cette démarche, combien je leur suis personnellement reconnaissant et combien, là aussi, je leur porte de l'estime. Parce que, après tout, rien ne les oblige à venir apporter leur contribution, ici, sous toutes les formes qui sont pratiquées. Ils pourraient faire un geste à titre personnel, étant en général des gens de coeur. Mais là, au fond, c'est leur entreprise qui est impliquée. Ce n'est pas seulement Monsieur un tel ou Monsieur un tel. C'est l'entreprise qui est impliquée et, par conséquent, c'est elle qui marque ainsi qu'elle ne veut pas fermer les yeux sur son environnement, sur les misères qui peuvent l'entourer et dont parfois, elle est elle-même responsable. Il faut en avoir conscience. Enfin l'entreprise est souvent responsable d'une part de la misère. D'ailleurs, la misère s'est accrue avec l'industrialisation de la société, l'exclusion n'existait pas avant le monde industriel.

Alors, je trouve tout à fait remarquable qu'un certain nombre de chefs d'entreprises importants aient décidé de s'engager et de signer cette charte de parrainage dont Dominique VERSINI nous a donné tout à l'heure quelques extraits. C'est une nouvelle étape de la vie du Samu Social et je voudrais donc en terminant, vous remercier très chaleureusement toutes et tous qui appartenez à ce Comité de parrainage pour votre contribution afin d'apporter un peu plus de justice, un peu plus de solidarité dans une société qui en a bien besoin !

Je vous en remercie très chaleureusement, puis compte tenu de la date de l'année, je vous souhaite pour vous et pour vos entreprises une bonne et heureuse année 1998.





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