Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Roi de Jordanie.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et Sa Majesté HUSSEIN 1er, Roi de Jordanie, au Palais Basman.

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Amman, Jordanie, le jeudi 24 octobre 1996

SA MAJESTÉ HUSSEIN 1er - Je vous souhaite la bienvenue à tous, à cette réunion. Nous sommes fiers de la présence ici d'un ami cher, d'un homme de sagesse et de courage, d'un homme de vision, et, en ce qui me concerne, d'un ami très cher depuis de nombreuses années. Je crois exprimer les sentiments de tous les Jordaniens en disant que nous sommes extrêmement fiers et heureux de sa venue parmi nous.

Cette visite est peut-être courte, mais il est plus important de voir qu'il a choisi de venir dans cette région en ce moment délicat et difficile. Les espoirs et ambitions pour un avenir meilleur dans la paix, la dignité et la sécurité pour tous sont confrontés au manque de lucidité de certains, à la volonté d'autres de détruire ce qui a été construit, d'imposer leur vision propre et d'attirer une catastrophe sur la région, Dieu nous en préserve, et ensuite au monde entier.

La paix nous est très chère. La paix qui porte en elle la justice, le sentiment qu'elle vaut la peine que l'on mène un long combat pour la réaliser.

Je crois que dans les coeurs et les esprits de la très grande majorité des peuples de cette région, non seulement en Jordanie, mais également en Palestine, en Israël, mais également ailleurs dans la région, ce sentiment prévaut.

Je vous répète, Monsieur le Président, que nous allons faire tout ce que nous pourrons pour réaliser cette paix, mais pas à n'importe quel prix. Cette paix, en effet, ne saurait exister si elle ne repose pas sur le respect mutuel et la conviction de tous qu'il faut construire ensemble l'avenir auquel ils ont droit.

La paix à laquelle nous aspirons est celle qui rassemblera tous les descendants d'Abraham, conformément à la volonté de Dieu, à l'endroit où sont nées les trois religions célestes, afin que ce lieu redevienne une source de lumière et d'espoir pour toute l'humanité.

Cette région n'a que trop souffert. Nous sommes fiers et heureux d'avoir levé les obstacles qui empêchaient les gens de se rencontrer, de se connaître et de s'apprécier mutuellement pendant trop longtemps.

Nous sommes déterminés à ce que ces obstacles ne se dressent pas à nouveau, car les peuples, où qu'ils se trouvent, ont les mêmes espoirs, les mêmes ambitions. Ils souffrent des mêmes peines. Ils ont droit à ce que nous leur laissions quelque chose de bien meilleur que ce que nous avons eu à subir dans nos vies. En ce qui concerne les relations bilatérales, la France et la Jordanie sont extrêmement fières de les voir croître tous les jours. Cette visite nous a donné une nouvelle occasion d'examiner ce qu'il nous est possible d'envisager à tous les niveaux et je crois que nous sommes face à des perspectives de plus grande coopération illimitée dans les jours qui viennent. Concernant nos conceptions, les principes et les idées qui nous sont chers et guident nos actions, et bien, elles sont absolument semblables et partagées. Je suis heureux de ce que nos points de vues et nos analyses de la situation actuelle et de la façon de la dépasser concordent en tout point.

Nous avons besoin de la France, nous avons besoin qu'elle guide. Nous avons besoin de l'Europe, des peuples et des amis qui cherchent aussi à garantir la paix dans la région et l'avenir de tous les peuples, à la réaliser et à la sauver. Nous avons besoin de partenaires pour construire l'avenir auquel nous aspirons tous.

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre visite en Jordanie, de votre gentillesse. Je vous remercie de la part du gouvernement et du peuple de Jordanie de nous avoir honorés aujourd'hui de votre si beau et si complet discours devant le Parlement. Il s'agissait véritablement de paroles importantes pour nos vies et notre démocratie aujourd'hui et pour les jours à venir. Qu'Allah soit avec vous, merci beaucoup et bienvenue.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais brièvement, parce que Sa Majesté a tout dit, et en des termes qui sont exactement ceux que j'aurais utilisés. Je voudrais, simplement, d'abord la remercier pour son accueil. Dire que j'ai été heureux de pouvoir lui rendre compte des impressions que j'avais retirées de mes passages en Syrie, en Israël, Ramallah et Gaza. Heureux aussi de constater que notre analyse des choses et nos inquiétudes en ce qui concerne le processus de paix étaient tout à fait identiques. Notre détermination à tout faire pour apporter notre contribution à la reprise du processus de paix était tout à fait les mêmes.

S'agissant des relations bilatérales, elles connaissent actuellement une amélioration importante dans tous les domaines, ce dont je me réjouis. Je ne prendrai que deux exemples, en dehors des échanges économiques qui se sont fortement redressés et dont les perspectives sont excellentes et auxquelles je suis très sensible.

Le premier, c'est l'importante croissance des émissions en français sur les radios et sur les télévisions, et ceci sous l'impulsion de Sa Majesté. Et la deuxième, que j'ai évoquée ce matin, concerne la décision prise par Sa Majesté de mettre, en réalité, le français sur pied d'égalité avec l'anglais dans l'enseignement et la formation des jeunes jordaniens.

Ces deux mesures, qui je l'espère, feront école dans les autres pays autour, j'en suis même persuadé, ont été droit au coeur des responsables français et, j'en suis sûr, de l'ensemble de l'opinion publique française.

Voilà, je crois que je n'ai rien d'autre à ajouter à ce qu'a dit Sa Majesté. Mais nous sommes tout à fait disponibles pour répondre à quelques questions.

QUESTION - (en anglais)

LE PRÉSIDENT - Vous savez, j'ai la conviction que l'immense majorité des citoyens de toutes les nations qui composent cette région soient de la paix. Ici, c'est comme en Europe, on a tellement connu la guerre que l'on connaît le prix de la paix. Bien entendu, il y a des craintes, des rancoeurs et des réactions de peur. Ce qui me paraît essentiel, aujourd'hui, c'est de faire en sorte que les discussions qui sont en cours, même si elles connaissent aujourd'hui des difficultés puissent se poursuivre et dans des conditions qui redonnent un peu de confiance aux différents interlocuteurs. Je crois que le moment est venu pour les hommes de paix de se déclarer, de se mobiliser dans cette région. Je ne doute pas qu'ils finiront par gagner.

QUESTION - Monsieur le Président, Majesté, pensez-vous que l'Irak peut être réhabilité tant que Saddam Hussein reste au pouvoir ?

LE PRÉSIDENT - Je ne dirais pas au-delà de ce que j'ai dit, c'est-à-dire que nous connaissons aujourd'hui, en Irak, une situation qui est indigne des temps modernes. Nous avons une population qui souffre de plus en plus et qui connaît une situation physiologique inquiétante. Il faut donc tout faire pour éviter que ce drame ne continue, dans la mesure où il s'accroît. Tous les témoignages, notamment les journalistes qui vont en Irak, expliquent la grande misère et la misère croissante des femmes, des hommes, des enfants, dans ce pays. Ceci est inacceptable sur le plan humain. Ceci est extrêmement dangereux sur le plan politique pour la stabilité de la région. A partir de là, l'organisation des Nations Unies a pris un certain nombre de résolutions. La communauté internationale s'efforce de faire en sorte que le gouvernement irakien les applique. Elles doivent être appliquées intégralement, toutes, mais seulement les résolutions. Il ne s'agit pas d'aller au-delà.

Deuxièmement, il y a urgence à ce que la résolution 986 soit adoptée. Je regrette qu'il y ait encore des obstacles qui empêchent qu'elle prenne effet. Ces obstacles venant d'ailleurs des deux parties, je le reconnais bien volontiers. Je souhaite que l'échange entre le pétrole, la nature et les médicaments puisse se faire le plus vite possible.

SA MAJESTÉ HUSSEIN 1er - Je partage pleinement ce que vient de déclarer le Président de la République. La Jordanie souhaite que la situation du peuple irakien s'améliore rapidement. Elle souhaite que l'Irak demeure souverain sur l'intégralité de son territoire. En ce qui nous concerne, nous souhaitons que l'occasion se présente d'un dialogue inter-irakien qui, seul, permettra de résoudre les difficultés de ce pays.

Un Irak sain est une nécessité pour la stabilité de cette région.

QUESTION - Sécurité à Jérusalem. Relations bilatérales et la coopération militaire franco-jordanienne.

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, j'ai dit ce que j'avais à dire, je l'ai dit officiellement, et je n'ai pas l'intention de revenir sur cette question, ni de faire d'autres commentaires.

Sur le deuxième point, Sa Majesté pourrait y répondre mieux que moi. Notre coopération est excellente, ancienne, amicale. Mais sur le plan technique, je laisserai Sa Majesté dire ce qu'elle en pense.

SA MAJESTÉ HUSSEIN 1er - Il existe un accord sur la coopération militaire entre les deux pays. Des exercices militaires ont eu lieu et auront lieu également dans le futur. Nos officiers et nos soldats peuvent se rendre en France pour profiter de l'expérience française. L'armée jordanienne possède des armes françaises, en particulier dans l'aviation. Nous sommes fiers d'avoir travaillé ensemble de façon étroite pour préserver la paix dans de nombreuses régions du monde. Il existe une petite unité spéciale opérant au sein du contingent français actuellement à Sarajevo. Les deux parties ont déjà travaillé ensemble dans d'autres régions du monde ainsi qu'en ex-Yougoslavie. Les relations entre les deux pays sont donc fortes et continueront à s'accroître.

QUESTION - Majesté, vous êtes l'un des dirigeants les plus respectés de la région. Face à la question de Jérusalem, que le Président de la République française a évoqué à chacune de ses interventions, est-ce que la Jordanie serait prête à accorder des bons offices, le moment venu, lorsque l'on discutera de la souveraineté de Jérusalem ? Dites-nous, quelle est votre idée à vous du statut futur de Jérusalem ?

Si la question n'est pas trop longue, je demanderai au Président de la République française, s'il accepterait que Paris serve de cadre pour une future conférence ?

SA MAJESTÉ HUSSEIN 1er - Il existe, sur la question de la souveraineté sur la ville de Jérusalem, un point essentiel du traité de paix jordano-israélien selon lequel "la Jordanie a un rôle spécial à jouer sur ce qui concerne Jérusalem". Ce point n'a pas été mis là sans réflexion, en particulier dans la perspective des discussions prévues sur le statut final de Jérusalem entre nos frères palestiniens et le gouvernement israélien. Nous avons toujours été opposés à tout changement, aux mesures prises qui touchent à la situation actuelle de la ville avant la fin de négociations sur le statut final satisfaisantes pour toutes les parties. Nous avons en même temps un point de vue que nous avons essayé de promouvoir à travers des réunions nombreuses rassemblant des représentants des trois religions célestes d'Abraham. Il faut encourager le dialogue entre religions et faire en sorte que Jérusalem soit le symbole de deux réalités, la première dans le domaine religieux : la vieille ville doit être placée au-delà de toute souveraineté. Elle doit être à nous tous de façon égale. Elle doit représenter notre unité et notre réunion. En outre, Jérusalem doit refléter une autre réalité : le partie Ouest de la ville a toujours été, même si une grande partie du monde, y compris nous-mêmes, ne le reconnaissait pas, la capitale d'Israël. L'un des termes de la balance était perdu. Quant à la partie Est, occupée depuis 1967, elle peut et doit être l'une des manifestations de la paix entre Palestiniens et Israéliens à l'avenir. C'est pourquoi la dimension politique et démographique (de cette réalité), est unique, et sur le plan religieux, je crois que la Ville Sainte doit être placée au-dessus de toutes querelles et discussions supplémentaires entre nous. D'une façon ou d'une autre, nous devons parvenir à un accord qui en fasse l'essence de la paix entre les adeptes des trois religions célestes.

QUESTION - Résultats des discussions entre le Roi et le Président Chirac au sujet du processus de paix et des derniers événements.

SA MAJESTÉ HUSSEIN 1er - Les relations entre les deux pays sont excellentes et l'ont toujours été. Elles sont aujourd'hui plus fortes. Nous pensons que cette visite sera le point de départ d'un nouveau renforcement de ces relations dans tous les domaines. Nos points de vue sur les questions de la région et les dangers qu'elles comportent sont identiques. Nous partageons une même détermination à coopérer pour tout faire pour sauver le processus de paix, et une paix juste et globale dans la région.

LE PRÉSIDENT - Vous me demandez si la position de la France est également celle de l'Europe et s'il y a eu des discussions, des échanges de vue avec les Etats-Unis. D'abord, la France a une position qui est fondée sur une longue tradition, sur une histoire, sur une conception stratégique de la région méditerranéenne, donc elle exprime sa position.

Deuxièmement, nous avons l'ambition au sein de l'Union européenne d'avoir, notamment à l'issue de la Conférence intergouvernementale, une politique étrangère et de sécurité commune, ce qui naturellement explique que j'ai tenu informé nos partenaires de mes intentions et de mes initiatives, bien entendu. Dès demain, le ministre des Affaires étrangères français réunira au Liban -puisque c'est le terme de notre voyage - tous les ambassadeurs des pays de la Communauté pour leur rendre compte de l'ensemble de ce voyage. Enfin, dès samedi à mon retour à Paris, j'écrirai à tous nos partenaires pour leur confirmer ce compte rendu. Il va de soi que nous sommes en relation régulière, constante, je dirai même au niveau de nos plus proches collaborateurs, avec les Etats-Unis, c'est-à-dire entre le Président Clinton et moi-même. Il est parfaitement informé de toutes nos initiatives.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez insisté, ce matin, dans votre discours devant le Parlement, sur le rôle important de la Jordanie dans cette région et sur l'instabilité de la Jordanie. Quand on parle de stabilité, cela veut dire aussi, stabilité économique. Vous ne croyez pas qu'il est temps d'aider la Jordanie efficacement sur le plan économique au niveau européen. Est-ce que vous entreprendrez des projets au niveau de l'Europe ou de l'Union européenne pour aider davantage encore la Jordanie, pour qu'elle puisse rester stable ?

LE PRÉSIDENT - J'ai dit effectivement que la Jordanie était une Nation clé, essentielle dans l'ensemble de la grande région. C'est un pays de paix, personne ne le conteste, qui a beaucoup apporté à la paix. C'est un pays de stabilité, ce qui est bien nécessaire dans le monde d'aujourd'hui, et, en particulier, dans cette région. C'est un pays qui a su faire une vraie démocratie. C'est un pays dont l'économie progresse vite et bien.

Il va de soi que les relations entre la Jordanie et l'Union européenne qui sont excellentes, ne peuvent que se développer. C'est dans cet esprit que la Jordanie et l'Union européenne ont décidé de passer un accord d'association, comme cela a déjà été le cas avec la Tunisie, avec le Maroc, avec Israël, et comme ce sera le cas dans les prochaines semaines avec la Jordanie. Ces accords d'association permettent un progrès économique plus rapide dans la mesure où les barrières, les difficultés entre les échanges disparaissent ou en tous les cas sont considérablement diminuées et où, par conséquent, les échanges qui créent de la richesse se développent. Je suis très heureux que cet accord d'association qui a été négocié, chacun faisant des efforts nécessaires, puisse entrer en vigueur. Je ne doute pas que ce sera pour la Jordanie, comme pour l'Europe, comme pour l'Union européenne, un avantage économique important.

QUESTION - Monsieur le Président, Majesté, comme vous le savez, Israël commémore aujourd'hui l'assassinat d'Itzhak Rabin. Est-ce que vous estimez qu'aujourd'hui cet homme manque au processus de paix ?

SA MAJESTÉ HUSSEIN 1er - Le départ de Rabin est une grande perte, en plus de ce qu'ont pu ressentir les peuples de la région. Cet événement a laissé de grandes traces sur le processus de paix, la réalisation d'une paix globale dans la région. En ce qui me concerne, j'ai perdu un ami et un collègue avec lequel nous avons réalisé ce qui existe aujourd'hui. Rabin était un homme de courage non seulement sur le champ de bataille mais dans la bataille de la paix. C'est un homme dont on pouvait prendre les paroles au sérieux. Il nous manque jusqu'à cet instant, nous éprouverons ce sentiment encore longtemps. Notre espoir est que ce qu'il a laissé derrière lui, à l'instar de ce qu'ont fait d'autres, tombés avant lui, dans la voie de la paix, reste vivant. Nous ferons ce que nous pourrons pour garantir cet objectif : une paix globale et juste, digne pour tous dans la région.

LE PRÉSIDENT - Vous savez, dans l'histoire et surtout dans les moments difficiles, il y a tout d'un coup qui apparaissent des visionnaires, des hommes d'Etat, de taille exceptionnelle ou de niveau exceptionnel, des hommes de paix. Depuis quinze ans, cette région du monde en a connu. Il y a eu le Président Sadate, Menahem Begin, Sa Majesté Hussein de Jordanie, Arafat, et puis naturellement Rabin dont vous parlez, et qui est le type même de ces hommes qui ont fait preuve dans leur vie d'un courage et d'une intelligence exceptionnelle, qui ont une conviction et une détermination et qui ont un coeur. Il fait partie de cette grande lignée. Il est évident que perdre un homme de cette qualité est d'abord une lourde perte sur le plan humain. C'est également une lourde perte de l'évolution, de la paix, dans cette partie du monde. Il était directement impliqué.





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