Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Premier ministre du Royaume-Uni.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. John MAJOR, Premier ministre du Royaume-Uni.

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Bordeaux, le vendredi 8 novembre 1996

LE PRÉSIDENT - Monsieur Alain Juppé et moi-même avons été très heureux d'accueillir John Major et sa délégation à Bordeaux pour ce Sommet annuel. Ce Sommet intervient à un moment où les sujets d'actualité ne manquent pas : l'avenir de l'Europe, ses institutions et sa sécurité ; les problèmes internationaux, Proche-Orient, Afrique ; une coopération bilatérale qui ne cesse de se développer.

Nous avons eu un échange très approfondi sur l'avenir de l'Union européenne.

Sur l'Union européenne et monétaire, le Premier ministre britannique a réaffirmé sa position bien connue. J'ai, pour ma part, exposé les efforts de la France, qui sera au rendez-vous de la monnaie unique en 1999. Nous souhaitons qu'un grand nombre de pays européens soient à nos côtés, y compris la Grande-Bretagne, si tel est son choix, en toute souveraineté, le moment venu.

Nous avons longuement évoqué les perspectives de la Conférence intergouvernementale et sommes d'accord :

- Pour conclure cette Conférence à Amsterdam, en juin 1997, ce qui suppose que des progrès substantiels soient accomplis à Dublin, dans un peu plus d'un mois. Selon la France, un document-cadre retraçant les points d'accord et les options possibles devrait être adopté par le Conseil européen.

- Pour constater nos convergences sur un grand nombre de points : subsidiarité, parlements nationaux, repondération des voix au Conseil, taille de la Commission, renforcement de la PESC, notamment par la nomination d'une personnalité pour représenter l'Union ; et dans une certaine mesure, relations économiques extérieures, rôle du Parlement européen et de la Cour de justice.

- Pour observer que nos positions sont encore divergentes sur le vote à la majorité qualifiée, la place de la défense européenne dans la CIG, les affaires intérieures et de justice. Sur cette dernière question, nous partageons cependant l'objectif de réaliser des progrès concrets, à l'image de notre coopération bilatérale dans le domaine de la lutte contre la drogue.

- Pour décider d'approfondir notre concertation sur l'ensemble de ces sujets, mais aussi sur la question des coopérations renforcées. La Grande-Bretagne parle de flexibilité, mais il s'agit bien du même problème. Dans une Europe à 20 ou 25, tous les Etats ne pourront pas tout faire au même rythme. Ceux qui le peuvent et le veulent devront pouvoir aller plus loin, sans que les coopérations qu'ils institueront soient fermées et affectent les intérêts des autres Etats-membres. Selon la France, il faut qu'une clause soit inscrite dans le Traité à cette fin, mais nous devons poursuivre la discussion sur les modalités.

Enfin, il y a un sujet sur lequel il y a encore un peu d'ambiguïté, et qui exige, là aussi, un approfondissement, dans les semaines qui viennent, de nos réflexions, c'est tout ce qui touche à la coopération renforcée et à ses conditions de mise en oeuvre.

S'agissant de l'élargissement, nous avons également constaté notre accord : égalité de traitement au départ pour tous les pays. J'ai proposé une Conférence européenne, - se substituant à la réunion avec les représentants des onze nations candidates qui a lieu, généralement, après le Conseil dans des conditions qui ne sont pas tout à fait satisfaisantes - une Conférence pour que l'on puisse examiner avec plus de calme et de sérénité, avec nos futurs partenaires, l'évolution des choses. Il ne s'agit pas du tout naturellement d'une conférence destinée à se substituer au processus d'entrée dans l'Union, bien entendu, mais simplement d'une conférence de dialogue.

Nous avons constaté notre identité de vue pour réagir contre les initiatives unilatérales dans le domaine du commerce. Etaient particulièrement visées, naturellement, les lois votées par le Congrès américain, Helms Burton et d'Amato, d'où la nécessité de réagir avec fermeté pour la Communauté.

Nous avons une fois de plus affirmé notre point de vue, identique, en ce qui concerne la nécessité de renforcer la lutte contre la drogue afin d'obtenir le plus rapidement possible une législation européenne à la fois unifiée et ferme.

Nous avons, vous vous en doutez, évoqué le problème de la vache folle, de l'ESB, notamment pour noter que des informations qui avaient fait la "une" de la presse il y a quelques jours, s'agissant de la remise en cause par les Anglais de l'accord de Florence, étaient totalement dépourvues de fondements. Ce que j'avais eu, d'ailleurs, l'occasion de préciser, à peine ces informations étaient-elles diffusées.

Enfin, le Premier ministre britannique a bien voulu me confirmer l'appui total de l'Angleterre pour ce qui concerne les préoccupations de la France concernant le marché de la banane.

Nous avons ensuite évoqué les problèmes politico-stratégiques. Nous nous sommes réjouis que la convergence de vues et l'action ensemble de l'Angleterre et de la France aient permis d'arriver, avec l'Allemagne aussi d'ailleurs, à des conclusions positives au Sommet de Berlin pour ce qui concerne la réforme de l'OTAN.

Nous avons discuté de la situation actuelle, notamment des problèmes qui subsistent encore pour la mise en oeuvre d'une réforme générale à laquelle la France pourrait se rallier.

Nous avons, enfin, parlé de l'élargissement de l'OTAN auquel nous sommes l'un et l'autre favorables, sous une condition, c'est que cela se fasse avec des modalités qui soient considérées comme acceptables par la Russie, même s'il ne s'agit pas, naturellement, de donner un droit de veto à la Russie. Il ne faut pas redécouper l'Europe en deux. Il faut avoir une architecture de sécurité européenne qui couvre l'ensemble de l'Europe et qui, véritablement, permette de tourner la page de Yalta.

Nous avons également constaté que notre approche du Sommet de l'OSCE à Lisbonne était tout à fait identique.

Nous avons ensuite parlé des questions internationales. Là encore, pour constater notre identité de vues qu'il s'agisse de la Yougoslavie, de la prochaine Conférence à ce sujet à Paris, puis à Londres, de ce qui doit se passer après l'échéance de l'IFOR.

Nous avons évoqué nos préoccupations et nos inquiétudes dans les mêmes termes pour ce qui concerne le processus de paix au Moyen-Orient. Nous avons une approche identique pour les relations entre nos pays et la Russie.

Bien entendu, mais je ne le dis qu'en dernier parce que nous avons commencé par cela et que vous le savez. Nous avons arrêté une position commune en ce qui concerne le drame que connaît actuellement le Zaïre, ou plus exactement, les populations réfugiées, chassées de leur camp dans des conditions inhumaines dans la région du Kivu. Nous avons publié un communiqué, c'est la raison pour laquelle, je n'ai pas commencé par ce point.

S'agissant enfin des questions bilatérales, nous avons constaté que notre coopération militaire prenait de plus en plus d'ampleur, et ceci de façon très amicale et très efficace. C'est dans cet esprit que nos deux ministres de la Défense ont signé un accord de coopération navale. C'est ainsi aussi que le groupe aérien anglo-français va être élargi, d'un commun accord, à l'Allemagne et à l'Italie.

S'agissant du domaine de l'armement, nous avons également constaté des progrès importants dans notre coopération. L'Angleterre va adhérer à l'Agence européenne d'armement qui, pour le moment, ne comprend que l'Allemagne et la France. Nous avons plusieurs accords importants, notamment, le dernier entre British Aerospace et Matra.

Pour ce qui concerne Eurotunnel, nous avons constaté qu'il y avait un problème et que nous devions ensemble étudier la solution la mieux adaptée à ce problème, compte tenu de nos propres contraintes, en Angleterre comme en France.

Nous avons constaté que les initiatives, notamment, s'agissant de la drogue et des échanges scolaires que nous avions prises à l'occasion de mon voyage d'Etat en Angleterre en mai dernier, étaient parfaitement bien engagées et, par conséquent, nous nous en sommes réjouis.

J'ajoute deux choses qui ne sont pas négligeables. Nous avons constaté notre parfaite coopération pour la mise en oeuvre des conclusions du G7, pour ce qui concerne la dette multilatérale, et également pour la stabilité, la sécurité du système financier international en vue de la réunion de Denver. Là encore, nous avons une approche et des comportements qui sont tout à fait identiques.

Enfin nous avons évoqué, dans le même esprit, la lutte anti-terroriste et contre le crime organisé avec l'intensification de la coopération entre nos services de police, - qui déjà est importante - mais qui se développe encore de façon efficace.

Voilà ce que nous avons fait aujourd'hui, c'est un pas de plus dans une coopération franco-britannique qui est marquée essentiellement au coin de la confiance et de l'amitié.

M. MAJOR - Laissez-moi simplement ajouter quelques mots à ce qu'a dit le Président. Permettez-moi tout d'abord de commencer par remercier le Président et le Premier ministre pour leur hospitalité hier et aujourd'hui à Bordeaux, et aussi les habitants de Bordeaux. La vie normale est toujours perturbée lorsqu’un sommet comme celui-ci a lieu, mais nous avons eu droit ici à une réception très chaleureuse et je voudrais vous en remercier très vivement.

Je pense que nous avons eu aujourd'hui un excellent sommet. Il est fondé sur une relation très solide et sur un grand nombre d'intérêts mutuels, bilatéraux et multilatéraux.

Le Président a présenté en détail les nombreux sujets dont nous avons débattu et je vais simplement revenir peut-être brièvement sur un certain nombre de points. Nous avons consacré un certain temps hier et ce matin à parler du Zaïre, comme l'ont fait évidemment nos ministres des Affaires étrangères. C'est un sujet complexe. Je pense que personne ne doute des difficultés humanitaires créées par cette situation ni de la nécessité d'aider la région. Nous avons l'intention de travailler de manière constructive avec nos collègues français et avec le reste de la communauté internationale, et d'essayer de jouer notre rôle pour que des décisions claires soient prises - là où cela semble le plus approprié, à l'ONU - quant à l'action internationale la mieux adaptée. Le Royaume-Uni a déjà des engagements humanitaires importants vis-à-vis des pays africains, le Zaïre y compris, et je suis certain que nous prendrons part d'une manière ou d'une autre aux décisions qui seront prises et il est évidemment important que les décisions concernant le Zaïre soient claires et prises rapidement, et nous sommes tous deux convenus que ce devrait être le cas.

Nous avons passé un certain temps ce matin à discuter des problèmes de l'Union européenne. Le sujet à la mode est naturellement de se concentrer sur les sujets de divergence entre les partenaires européens. Nous en avons discutés, bien sûr, nous avons aussi noté des sujets d'accord : sur la souveraineté nationale ; sur le rôle des parlements nationaux ; sur la subsidiarité ; sur le fait qu'il est souhaitable et même nécessaire de rééquilibrer les voix au sein de l'Union européenne ; sur la nécessité de réduire la taille de la Commission ; sur la politique étrangère et de sécurité commune où il y a un très large accord, pas un accord total, mais un très large accord ; sur l'élargissement ; sur les pouvoirs du Parlement européen ; et sur notre souhait commun de revoir les pouvoirs de la Cour européenne de Justice, notamment dans les domaines où ils donnent lieu à des jugements rétrospectifs qui modifient le droit européen et qui aboutissent à des dépenses nationales importantes dans différents Etats. Parmi ces sujets, nombreux sont ceux sur lesquels nous nous concertons et nous nous efforcerons autant que faire se peut d'avoir une position commune sur ces sujets d'ici le Sommet de Dublin et en tout cas, d'ici la fin de la Conférence intergouvernementale.

Au cours des deux ou trois dernières années, notre coopération en matière de défense a connu un essor spectaculaire, et aujourd'hui, parallèlement aux discussions entre nos ministres de la Défense, il y a eu également des entretiens entre toute une série de ministres en charge de tel ou tel dossier, et je les remercie tous de leur participation au sommet.

En ce qui concerne la défense, nous avons conclu un accord aérien que le Président et moi-même avons déjà signé. Nos ministres de la Défense ont signé une lettre d'intention sur la coopération navale ce matin qui développe la coopération militaire importante - notamment dans le domaine nucléaire- que nous avons déjà. Nos ministres de la Défense examineront les possibilités d'une coopération encore plus concrète et détaillée en ce qui concerne nos armées de terre, à l'image de ce qui existe avec les forces aériennes et les forces navales.

Ensemble, nous travaillons aussi beaucoup sur la question de la drogue et j'ai pu voir hier le travail des services de répression de la drogue à Bordeaux. Voilà un domaine, comme disent les Français, où nous pensons qu'il faut continuer à faire campagne en Europe pour une meilleure méthode de travail en commun, une meilleure coordination et un certain renforcement des peines infligées pour les délits liés à la drogue dans l'ensemble de l'UE. Nous avons déjà des peines très lourdes au Royaume-Uni, et nous serions heureux d'être suivi dans ce domaine par tous les pays d'Europe sans exception.

Nous avons aussi consacré un peu de temps au terrorisme, qui est un problème auquel nous sommes l'un et l'autre confrontés de temps à autre. Et d'ailleurs la salle dans laquelle nous nous sommes réunis ce matin a été l'objet d'un attentat à la bombe il y a juste quelques mois.

En ce qui concerne les questions internationales, nous avons bien entendu parlé des suites des élections américaines, du processus de paix au Proche-Orient, de la Bosnie, de l'Irak et d'une série d'autres sujets.

Nous avons noté avec grand plaisir les énormes progrès accomplis par le consortium Airbus. Beaucoup étaient sceptiques lors de son lancement mais je pense qu’il s’est probablement révélé comme la plus efficace de toutes les co-entreprises industrielles européennes que nous connaissons. Il a conquis une part très importante du marché international de l’aviation et il a l’ambition de devenir le plus gros fournisseur d’avions du monde. Donc, la situation est excellente et nous sommes ravis des commandes passées hier par les Etats-Unis à Airbus.

Nous avons également discuté, comme l’a dit le Président, des domaines où nous ne sommes pas complètement en accord. Il est inévitable qu’il y en ait. Nous avons une relation telle que nous pouvons discuter des domaines d’accord et de désaccord avec une totale franchise. Nous avons effectivement des perceptions différentes sur certaines affaires européennes et nous avons pu en discuter pour voir comment nous pourrions atténuer ces divergences et faire en sorte qu’il n’y ait aucun malentendu entre nous.

Nous avons également examiné une série d’initiatives bilatérales, dont la plupart se passent très bien, les échanges d’étudiants et un éventail d’autres sujets sur lesquels je ne m’attarderai pas.

Donc, j’ai trouvé que cet échange de vues avait été extrêmement utile. Je crois que c’est la septième fois que nous avons l’occasion, avec le Président, d’échanger nos opinions de cette manière, et je pense que ces séries de réunions apportent un grand nombre de résultats en matière de développement et d’approfondissement des relations entre le Royaume-Uni et la France. Je suis donc très satisfait de la réunion que nous avons eue aujourd’hui et je pense que le Président et moi-même serons heureux d’essayer de répondre aux questions que vous souhaiterez nous poser.

LE PRÉSIDENT - On va d'abord donner la parole à un journaliste britannique, ensuite à un journaliste français, après à un journaliste qui n'est ni français, ni britannique, s'il y en a.

QUESTION - Je voudrais demander au Président Chirac s'il a parlé de la Conférence intergouvernementale. Monsieur Major a dit que si la Cour européenne est contre la Grande-Bretagne sur la directive des 48 heures, il cherchera à faire modifier le traité. Est-ce qu'il obtiendra votre soutien en cherchant à obtenir de telles modifications ? Deuxième question, dans le communiqué sur le Zaïre, pourquoi est-ce qu'on ne parle pas d'actions militaires étant donné que la France l'avait suggéré, est-ce dû au fait que la réaction des autres pays était plutôt molle à l'égard de cette idée ?

LE PRÉSIDENT - Sur le contentieux entre l'Angleterre et la Cour de justice, je ne voudrais pas naturellement m'immiscer dans cette affaire, mais je suis très proche de John Major et tout à fait disposé à lui apporter mon soutien.

S'agissant du Zaïre, la France n'a jamais proposé de s'engager militairement au Zaïre. Elle a indiqué, que s'il devait y avoir une force internationale demandée par les Africains et contrôlée par l'ONU et l'OUA, alors elle-même était prête à apporter sa contribution pour permettre le retour des réfugiés et le transfert de l'aide humanitaire, qui se trouve d'ailleurs déjà sur place - et qui hélas pour le moment, n'est pas accessible aux réfugiés. Il y a eu hier, une réunion des quinze de l'Union, il y a eu une réunion du Conseil de sécurité, il y a eu toute une série de contacts pris entre les pays de l'Union et les Etats-Unis, - malgré le fait que cela se passait en pleine journée d'élections. Et la France, effectivement, souhaite que, dans les conditions que demanderont les Africains, une intervention de ce type puisse avoir lieu, dans les conditions que souhaiteront les Africains.

QUESTION - Est-ce qu'on peut vraiment parler d'une position commune sur le Zaïre alors que la France, en effet, soutient un projet de résolution et que le Premier ministre britannique, lui, semble plus que réticent. Est-ce que vous ne craignez pas vous, Monsieur le Président, qu'on perde encore beaucoup de temps alors que le temps presse ?

LE PRÉSIDENT - Vous avez vu le communiqué commun franco-britannique, ou anglo-français. Il n'indique pas de divergences de vues. Nous souhaitons tous arriver le plus rapidement possible à une solution humaine de ce problème. Ceci, pour autant, ne permet pas de faire n'importe quoi.

J'avais hier, vers 20 heures, un long coup de téléphone du Président Mandela qui cherchait à joindre le Président Mobutu, lequel a lui-même indiqué qu'il serait favorable à la venue au Zaïre - parce qu'il faut bien comprendre que tout ceci se passe sur le territoire zaïrois -, d'une force neutre dans des conditions indéterminées.

Donc tout cela suppose une certaine réflexion, un certain accord de la part des Africains. Nous n'avons pas vocation à nous immiscer contre leur gré dans les affaires des Africains. Dieu sait que nous dénonçons ce qui se passe sur le plan humain, que nous faisons tout ce que nous pouvons pour résoudre ce problème. Mais il y a quand même une réalité, c'est que cela ne se passe pas chez nous. Et que, donc, il faut que ce soit en accord avec les Africains pour que cela puisse se passer, sinon cela ne se fera pas.

M. MAJOR - Permettez-moi simplement d’ajouter un point sur cette question car il n’existe aucune divergence entre la France et la Grande-Bretagne quant à la nécessité de rechercher une aide internationale au Zaïre, la France et la Grande-Bretagne l’apportent déjà. Nos deux pays ont une tradition de très longue date et très glorieuse, selon moi, d’assistance dans des situations humanitaires.

Le problème est de décider de ce qu’il faut faire précisément et de la manière de le faire et cela requiert des discussions internationales plus poussées. Par exemple, vous avez notamment évoqué la question des soldats. Il nous faut savoir ce qu’en penseraient les gouvernements d’accueil, qu’en pensent les gouvernements des pays voisins, préféreraient-ils des soldats africains, souhaitent-ils un engagement européen, veulent-ils un soutien logistique des Européens, souhaitent-ils uniquement un soutien financier de l’Europe, comment cela sera-t-il réglé par l’intermédiaire des Nations Unies, quel est l’avis de l’Organisation de l’unité africaine ?

Il n’existe aucun désaccord entre le Président et moi-même en ce qui concerne l’urgence et la nécessité impérative de tenter d’obtenir une aide supplémentaire dans cette région. Tous ceux qui voient les images en provenance de la région des Grands Lacs ne peuvent en douter et tous ceux qui connaissent l’histoire de la France ou celle du Royaume-Uni en matière d’assistance pour des problèmes humanitaire de ce type ne peuvent douter de notre volonté d’aider mais ce que nous devons faire, c’est veiller à nous coordonner avec d’autres pour fournir une assistance appropriée. S’il est judicieux à un certain stade d’envoyer des soldats, quelle devra être leur mission ? Cela requiert une discussion et une décision, sur la structure de commandement.

Je ne plaide pas en faveur d’un délai plus long, ce que je dis, c’est qu’il nous faut obtenir des réponses à ces questions avant de prendre des décisions. La France a évoqué l’urgence de ces questions, elles sont maintenant discutées aux Nations Unies, la France a des plans, Mme Ogata a des plans, d’autres personnes ont des plans. Maintenant, la tâche urgente, et la France a présenté sa propre résolution, c’est de faire en sorte que cela soit discuté et que les décisions soient prises rapidement et sur ce point fondamental, l’accord est total entre le Président et moi-même, entre la France et le Royaume-Uni.

QUESTION - Monsieur le Président, dans le domaine plus général de la politique sociale, est-ce que vous êtes convaincu par un taux plus faible du chômage en Grande-Bretagne ? Est-ce que vous êtes convaincu que la France peut introduire une plus grande flexibilité dans son marché du travail pour faire baisser les taux du chômage, qui sont plus élevés en France ? Deuxièmement, vous avez parlé d'Eurotunnel, est-ce que vous êtes toujours favorable à une extension, une prolongation, de la concession Eurotunnel pour faciliter le problème financier ?

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, bien entendu, je constate les résultats positifs du Gouvernement britannique en ce qui concerne le chômage en Angleterre. Mais je ne suis pas absolument certain que ces résultats soient dus à plus ou moins de flexibilité. Je crois qu'ils sont davantage dus à la rigueur de la gestion, depuis déjà un certain nombre d'années, et notamment à la maîtrise des déficits et à une gestion financière sérieuse.

Ma conviction c'est qu'il n'y a pas de lutte possible contre le chômage s'il n'y a pas une gestion sérieuse, qui seule permet d'avoir de la croissance, laquelle n'est pas naturellement suffisante pour diminuer le chômage mais qui en revanche permet d'obtenir les marges de manoeuvres financières nécessaires pour avoir une lutte plus efficace contre le chômage.

S'agissant de la flexibilité à laquelle vous faites allusion, vous savez que nous sommes très attachés, en France, à un certain modèle social, à des acquis sociaux qui, à nos yeux, ne doivent pas être remis en cause. Et si je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'en permanence les choses doivent s'adapter, elles ne sauraient s'adapter par la remise en cause de la Sécurité sociale au sens général du terme, c'est-à-dire, de la sécurité des travailleurs, de ce qu'ils ont acquis dans le passé. Cela fait partie de ce que nous appelons le modèle social français, que nous souhaitons voir affirmer comme un modèle social européen. Nous nous battons pour cela et je ne vois rien qui nous conduise, naturellement, à remettre en cause cette approche des choses.

En revanche, nous avons beaucoup à apprendre en matière de gestion de la part des britanniques qui, par la rigueur de leur gestion, ont permis le redécollage de leur économie.

A propos de d'Eurotunnel, oui, nous avons toujours cette demande d'allongement de la concession, tout en étant conscient du fait que cela pose aux autorités britanniques des problèmes ; alors, nous n'avons pas naturellement d'exigence, nous souhaitons qu'une solution soit trouvée. Celle-ci si possible, c'est notre proposition ou une autre, si celle-ci n'est pas possible.

QUESTION - Monsieur le Président, une question de politique intérieure en cette fin de Sommet. Le Président de l'UDF, François Léotard, affirme que dans votre esprit c'est réglé, autrement dit, que vous allez changer de Premier ministre. Est-ce que c'est ce que vous allez faire ?

LE PRÉSIDENT - Je ne suis pas sûr que cette question soit d'une grande élégance devant le Premier ministre britannique qui va se demander où il est tombé. Ce n'est pas à proprement parlé le sujet de notre conférence de presse, mais mon petit doigt m'a dit que plusieurs journalistes français se posaient cette question, alors, je ne vois pas pourquoi, au fond, je n'y répondrai pas.

Je suis extrêmement attentif, personne, je crois, ne le conteste, à ce que disent les Français, tous les Français. Je les écoute. J'écoute aussi en permanence les réflexions, les propos qui émanent de leurs représentants syndicaux, patronaux, politiques et, je le répète, j'y attache le plus grand prix. En revanche, je ne veux pas m'attarder sur quelques déclarations plus ou moins grincheuses.

Il nous faut agir aujourd'hui, ensemble, et à la mesure des problèmes de la France et aussi d'un intérêt général qui, seul, doit nous guider. Je connais, comme vous, les difficultés de nos compatriotes, alors que notre pays est engagé dans un effort difficile, ingrat, mais inévitable pour redresser la situation économique de notre pays, ce qui est la condition de la restauration de sa cohésion sociale, de la lutte contre les fractures sociales et donc le seul moyen d'assurer à l'avenir la sécurité matérielle et morale des Françaises, des Français, de leurs enfants.

Eh bien, je vais vous dire : je fais toute confiance à la lucidité et au courage, je dis bien au courage, du Premier ministre, mais aussi du Gouvernement, de la majorité et de tous les Français pour mener à bien cet effort difficile. La solidarité aujourd'hui, notamment dans une majorité qui entend soutenir l'action du Gouvernement et qui le dit en toute occasion au sein du Parlement, la solidarité est un véritable devoir moral et il ne faut pas l'oublier.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, puis-je revenir à la question de la semaine de travail de 48 heures et vous demander de réagir aux déclarations de M. Chirac en nous disant quel est votre espoir de faire annuler cette décision si elle vous est défavorable mardi ?

M. MAJOR - Pour l'instant, concernant la semaine de 48 heures, nous avons l’opinion de l’avocat général, une opinion défavorable. Nous ne disposons pas encore de la décision de la Cour européenne que nous aurons, je pense, la semaine prochaine. J’espère qu’elle sera favorable mais si elle suit l’opinion de l’avocat général et est défavorable, alors évidemment, nous demanderons son annulation.

Nous demanderons son annulation pour plusieurs raisons. D’abord, nous pensons qu’elle n’a pas été présentée en se référant à la rubrique appropriée du traité. Elle a été présentée en se référant à la partie du traité relative à la santé et à la sécurité en sorte qu’elle peut être adoptée par un vote à la majorité qualifiée. Nous ne pensons pas que cela soit l’endroit approprié pour des décisions qui touchent effectivement aux conditions de travail. Nous pensons tout d’abord qu’elle ne se trouve pas au bon endroit du traité et qu’une fois que la Charte sociale aura été acceptée, elle y sera mieux à sa place, bien qu’elle n’y ait pas été placée, et deuxièmement, ce sont des questions qui concernent principalement les employeurs et les salariés, troisièmement, nous ne pensons pas, en tout état de cause, que ce soit une question qui doit faire l’objet d’un jugement normatif de la part de Bruxelles à l’encontre d’Etats nations individuels et donc pour ces raisons, nous pensons qu’elle doit être annulée.

Ce n’est pas simplement la teneur de la directive sur la durée du travail, c’est le principe de cette directive et le fait que si nous devions l’accepter après un jugement de la Cour de Justice européenne, nous craignons que la même rubrique du traité soit utilisée pour faire passer d’autres textes législatifs qui devraient aussi entrer dans le cadre de la Charte sociale pour laquelle le Royaume-Uni dispose d’une option de non participation de sorte que si nous perdons, il nous faudra alors demander une modification du traité et je l’ai précisé clairement - il y a un certain temps - j’ai précisé il y a plusieurs mois de cela que dans ces conditions, nous nous tournerions à nouveau vers nos homologues et leur dirions que nous ne pensons pas que cela soit approprié, nous ne pensons pas que cela aille dans le sens de ce qui aurait dû être fait à la suite de l’accord obtenu sur l’option de non-participation du Royaume-Uni en ce qui concerne la Charte sociale et nous dirons à nos homologues européens que nous souhaitons que cette question soit examinée et modifiée lors de la Conférence intergouvernementale et qu’il s’agit d’une affaire très importante pour nous, nous la soumettrons à la discussion et escomptons une réponse de la part de nos homologues européens. Ils savent à quel point cette question me préoccupe, je l’ai évoquée lors de précédents Conseils européens. Ce que je vous dis aujourd’hui n’est nullement une surprise pour la Commission ou l’un quelconque des chefs de gouvernement européens : ils savent depuis un certain temps le vif intérêt que nous portons à cette question. Il s’agit d’un thème d’une importance primordiale pour nous, et nous demanderons la modification du traité que j’ai évoquée.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, vous avez dit dans votre article paru dans " Le Monde " que vous étiez un Européen convaincu. Chacun sait que si vous êtes un Européen convaincu dans votre pays, dans votre parti, vous avez des Euro-sceptiques qui vous donnent souvent du fil à retordre. A terme, pensez-vous arriver à les persuader de devenir de bons Européens ou que la situation continuera à être incertaine pendant un certain temps encore ?

M. MAJOR - Je dois dire que la définition d’un bon Européen est tout à fait intéressante, et je ne suis pas sûr que de nombreux personnes seraient d’accord sur la définition exacte d’un bon Européen. Je suis un Européen convaincu, je n’ai aucun doute sur le fait que la place de la Grande-Bretagne est au sein de l’Europe mais cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec chaque aspect de l’évolution de l’Europe, d’ailleurs, ce n’est pas le cas et selon moi, un bon Européen ne s’aligne pas gentiment derrière ses collègues en disant : " Eh bien, je n’aime pas cela mais je vais suivre le troupeau ! ", le bon Européen, s’il pense que quelque chose ne va pas, tire la sonnette d’alarme et c’est ainsi que je vois le rôle du Royaume-Uni.

Dans les domaines où nous ne sommes pas d’accord avec nos collègues, et il y en a certains, nous exprimerons ce désaccord, non parce que le gouvernement britannique adopte une position anti-européenne mais parce que dans certains domaines, le gouvernement britannique pense que l’Europe s’engage dans la mauvaise direction et que si c’est la mauvaise direction, je pense que nous avons le devoir, l’obligation de le dire et de faire valoir nos arguments auprès de nos partenaires européens et c’est ce que nous ferons.

Vous avez évoqué ceux qui ont une opinion différente, les Européens moins convaincus dans mon parti. Eh bien, il y en a dans chaque pays. Si vous regardez certains sondages dans toute l’Europe, sur certaines questions d’actualité, vous constaterez de forts clivages dans l’opinion publique dans un certain nombre de pays. Je ne pense pas que cela soit nécessairement une mauvaise chose, je pense qu’il est important que nous ayons un débat européen adéquat, constructif, sur les grandes questions auxquelles nous sommes directement confrontés.

Je m’efforcerai de persuader les gens, au Royaume-Uni et dans les autres pays d’Europe, du bien fondé de notre préoccupation ; d’abord pour construire une Europe qui fonctionne et ensuite pour éviter de commettre des erreurs dans la construction de l’Europe qui, selon moi, lui porteraient préjudice à court terme et à long terme, donc ce sont des questions dont je débats avec mes partenaires européens. Je ne le fais pas dans un esprit obstructionniste, je ne le fais pas dans un esprit anti-européen, je discute des domaines de divergences avec eux lorsque je pense qu’il y a une meilleure manière de procéder pour l’avenir et je continuerai à le faire. Il reste à voir si je serai entendu ou non par mes collègues européens ou même dans mon pays.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, concernant l’UEM, quelle est votre réaction au rapport de la Commission de cette semaine qui laissait entendre que les douze pays rempliraient les critères de convergence à l’exception de la Grande-Bretagne ? Considérez-vous cela comme une prévision relativement juste ?

Monsieur le Président, comment répondez-vous aux critiques relatives à la manière dont la France pourrait remplir le critère de 3 % en utilisant le transfert de la dette de France Télécom ? Considérez-vous ces critiques comme justifiées et quelle est votre réaction au rapport de la Commission ?

M. MAJOR - Si vous me permettez de répondre le premier, étant donné que la première question m’était adressée, très franchement, je ne souscris pas à votre description du rapport de la Commission. La Commission a énoncé un éventail de critères en matière de déficit budgétaire - pour le moment, nous ne remplissons pas ces critères bien que nous nous en approchions. Il y a un éventail d’autres critères particuliers dont certains pays s’écartent très nettement. Concernant les critères en matière d’endettement, certains pays atteignent des chiffres deux fois plus élevés que ces critères et rien n’indique qu’ils soient susceptibles de les ramener au niveau de ces critères avant longtemps et s’ils veulent adhérer à une monnaie unique, cela ne serait possible qu’en adoptant l’interprétation selon laquelle ils progressent dans la bonne direction et non celle qui voudrait qu’ils remplissent les critères de Maastricht au sens strict.

Dans la plupart des domaines, la Grande-Bretagne remplit les critères de convergence et lorsque cela n’est pas le cas, au-delà de la nécessité de les remplir pour des raisons européennes, nous nous efforçons de nous rapprocher de ces critères de convergence parce qu’il s’agit de mesures économiques sensées qu’il convient de suivre, et le Chancelier de l’échiquier les suit rigoureusement. Je pense donc que la Grande-Bretagne progresse très rapidement en direction des critères qui lui permettront d’opter ou non pour l’adhésion selon la décision qu’elle aura prise à ce moment-là.

Personnellement, je serais surpris qu’au 1er janvier 1999, la presque totalité des pays remplisse les conditions de l’UEM, si on se fonde sur une stricte interprétation des critères. Si les critères sont interprétés souplement, alors bien sûr, davantage de pays pourront les remplir, s’ils sont interprétés strictement, alors je serais très surpris qu’à l’échéance fixée, il y ait autant de pays qui soient en mesure de remplir les conditions.

LE PRÉSIDENT - S'agissant de la question qui m'est adressée, je voudrais vous dire que, lorsque nous avons élaboré notre projet de budget, nous avons bien entendu consulté les experts français les plus compétents qui nous ont dit que nous avions raisons pour ce qui concerne la dette des Télécom. Ce n'est évidemment pas suffisant alors nous avons soumis la chose aux experts de l'Union européenne, qui ont examiné notre présentation très en détail et qui ont confirmé que c'était parfaitement justifié et que notre prévision budgétaire était parfaitement honnête et transparente.

Alors, je ne peux pas vous en dire plus, je ne me substituerais certainement pas à eux et j'imagine, vous non plus.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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