Conférence de presse du Président de la République à l'occasion de la 83e session de la Conférence internationale du travail.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la 83e session de la Conférence internationale du travail à Genève.

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Genève, Suisse, le mardi 11 juin 1996

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, c'est la deuxième fois en un an que je me retrouve derrière ce pupitre et j'en suis très heureux. Je viens de parler et je ne vais donc pas me répéter en faisant une introduction. Je répondrai volontiers aux questions que vous vous voudriez bien me poser.

QUESTION - Etant donné le montant des déficits sociaux et la volonté de ne pas accroître le montant des prélèvements, est-il encore possible de garantir ce que vous venez d'appeler "la protection sociale contre les aléas de l'existence", et si oui, comment ?

LE PRÉSIDENT - Je ne voudrais pas, et je m'en excuse auprès des journalistes internationaux qui sont ici, capter ce point de presse au profit des seuls problèmes français. Je dirai simplement que parmi les missions qui sont les miennes, il y a, quoi qu'il arrive, le respect et la sauvegarde de la protection sociale et de la sécurité sociale. Et c'est une priorité absolue, ce qui ne veut pas dire naturellement qu'il ne doit pas y avoir, comme dans tous les pays du monde, d'évolution, d'adaptation, d'amélioration. Et le plan qui a été récemment adopté est de nature précisément à conduire à un système qui sera plus équilibré. Pour le reste, M. le ministre du Travail et des affaires sociales, M. Jacques BARROT, ici présent, a dit de façon tout à fait remarquable ce qu'il fallait dire. Je n'y reviendrai pas compte tenu de la composition de cette assemblée.

QUESTION - Les négociations sur l'interdiction des essais nucléaires. Nous sommes 15 jours avant la date limite, et il semblerait qu'il y ait des problèmes, alors pensez-vous que la commission fera des concessions vis-à-vis de pays comme l'Inde, le Pakistan ou l'Israël ?

LE PRÉSIDENT - C'est à la Conférence du désarmement, qui comme vous le savez, siège ici à Genève de le dire. Pour ce qui la concerne, la France a une position très claire, il faut signer le plus vite possible le Traité portant interdiction totale des essais nucléaires. Il faut le faire à l'automne et il faut le faire en fonction du principe que la France a été, je crois, la première à exprimer, qui est celui de l'option zéro, c'est-à-dire l'interdiction de tout essai nucléaire ou de toute explosion nucléaire. Voilà l'ambition de la France. Elle est partagée, je le sais, par un certain nombre de puissances nucléaires ou non-nucléaires et je souhaite que cette signature puisse avoir lieu dans les conditions que je viens de préciser. Toute autre position me paraîtrait déraisonnable.

QUESTION - Vous êtes à Genève où s'est traitée une partie des négociations sur la Bosnie. La France a été très engagée en Bosnie et l'est toujours. 3 points : pensez-vous et tenez-vous à ce que l'élection en Bosnie ait lieu avant la date butoir du 14 septembre prochain ? Deuxième aspect : comment appréciez-vous l'engagement et la préparation de l'OSCE dans la préparation de ces élections ? Enfin, comme préalable, pensez-vous que MM. KARADIC et MLADIC doivent être présentés devant le Tribunal de La Haye pour le bon déroulement de ce scrutin sur la Bosnie ? Merci.

LE PRÉSIDENT - Un certain nombre de décisions ont été prises à Dayton et ont été officialisées lors de la Conférence de Paris. Elles comportaient un certain nombre d'engagements pris par les différentes parties concernées. Parmi ces engagements, il y avait les élections qui devaient se tenir au plus tard à une date donnée; je souhaite donc que ces élections aient lieu, quoi qu'il arrive, à la date prévue, ne serait-ce que pour montrer que les différentes parties prenantes ont bien conscience des exigences de la démocratie en Europe. Je suis naturellement favorable à toute l'aide possible pour la mise en oeuvre de ces élections, et notamment l'application de l'OSCE. Pour ce qui concerne les Serbes de Bosnie actuellement poursuivis devant le Tribunal de La Haye, je souhaite naturellement que justice et sanctions soient prononcées; il n'y a pas dans mon esprit de rapport avec les élections.

QUESTION - Vous êtes à Genève pour la Conférence du BIT qui va discuter entre autres de la situation des Territoires occupés. Quelle est votre opinion sur cette question et quels sont vos rapports avec le nouveau gouvernement israélien ? Merci.

LE PRÉSIDENT - Mes rapports avec le nouveau gouvernement israélien, je vous en ferai confidence dès qu'ils auront été exprimés puisque le nouveau gouvernement n'existe pas encore. Alors si vous me demandez en revanche quelle nature je souhaite pour ces rapports, je les souhaite naturellement excellents, pour bien des raisons. Notamment pour une qui est la poursuite du processus de paix, dans l'esprit et selon les modalités qui avaient été engagées et qui ont été très largement approuvées par l'ensemble de l'opinion internationale. Je souhaite donc le maintien et la poursuite du processus de paix, et la France fera tout ce qui est en son pouvoir pour apporter sa contribution à cette évolution.

QUESTION - J'ai deux questions. La première : qu'est devenue la troisième voie que vous aviez évoquée à Lille ? Ma deuxième question : vous avez parlé dans votre discours ce matin que vous souhaitiez que soit inscrite à l'ordre du jour de la Conférence ministérielle de l'OMC à Singapour la question de la clause sociale?

LE PRÉSIDENT - La troisième voie, c'est exactement ce dont j'ai parlé ce matin, je ne vais donc pas y revenir. Les normes sociales, j'ai dit aussi ce que j'en pensais, c'est-à-dire, qu'il fallait un minimum de normes sociales et qu'il était légitime qu'elles soient appliquées.

QUESTION - Est-ce que vous souhaitez que ces normes sociales soient abordées dans le cadre de l'OMC ou du BIT ?

LE PRÉSIDENT - Les normes sociales sont abordées dans le cadre du BIT tout naturellement. J'ai même évoqué cela. Mais nous allons avoir à Singapour, avant la fin de l'année, la première réunion internationale de l'OMC qui va arrêter un certain nombre de mesures et de dispositions. J'ai donc dit, qu'à l'occasion de cette conférence sur l'OMC, il fallait naturellement que l'on parle également des normes sociales et notamment de ce qui n'est pas acceptable (en particulier, l'esclavage des adultes ou a fortiori des enfants) dans un système commercial et international, sinon à quoi sert l'organisation d'un système de cette nature.

QUESTION - Monsieur le Président, vous allez voir le secrétaire général des Nations Unies ce soir. Est-ce que votre pays le soutient pour un deuxième mandat comme secrétaire général de l'O.N.U. ?

LE PRÉSIDENT - Vous connaissez les relations très cordiales et très confiantes qui ont toujours existé entre le secrétaire général et l'Union européenne, et notamment la France. Alors pour le moment nous avons d'autant plus de facilités ou d'autant moins de mal à souhaiter qu'il fasse un prochain mandat car il n'y a pas d'autre candidat. Donc la question ne se pose pas et je souhaite qu'elle ne se pose pas trop d'ici les prochaines élections.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez employé dans votre discours deux mots un peu inhabituels : la mondialisation et " l'employabilité ". Est-ce que vous pensez que la France est prête, que les Français sont prêts à ce genre de révolution et d'effort ? Et puisque vous devez rencontrer ici l'ensemble des partenaires sociaux qui sont venus à Genève, pouvez-vous nous dire comment trouvez-vous le climat social en France en ce moment ?

LE PRÉSIDENT - La mondialisation, je le répète, est quelque chose qui est incontournable, qui est inévitable. C'est la vie, et il faut donc s'y faire. Cette évolution de surcroît est pleine de promesses, mais comme toutes les évolutions elle recèle également des dangers. Tout le problème des gens raisonnables, c'est de valoriser les avantages et de limiter ou de mépriser les inconvénients. Alors j'observe qu'en Amérique, en Asie, on met beaucoup l'accent sur tout ce qui touche la déréglementation, la dérégulation, etc., et que l'on s'enferme dans un nouveau mot, puisqu'on a toujours des nouveaux mots, qui s'appelle la flexibilité. Au nom de quoi, naturellement tout doit pouvoir se régler. Et je dis simplement qu'il ne faut pas imaginer qu'il y ait une sorte de fatalité qui conduise à ce qu'il y ait des privilégiés et des gens qui ne puissent pas suivre, ni au niveau des pays, ni au niveau des individus.

Par conséquent, il faut maîtriser les effets de la mondialisation et pour cela nous devons nous référer à notre modèle social, nous y tenir et ne rien faire qui puisse le mettre en cause. Notre modèle social, j'ai eu l'occasion souvent de le rappeler, c'est une protection minimum contre les aléas de la vie, c'est le dialogue social comme moteur du progrès et c'est le rôle de l'Etat comme garant de la cohésion nationale. Ce sont les trois assises de notre modèle social, je ne cherche pas à l'imposer à tout le monde. Je dis simplement que ce modèle social européen nous impose de maîtriser les effets de la mondialisation. Autrement dit, je n'inscris pas mon action et ma réflexion dans le courant davosien.

QUESTION - Monsieur le Président, d'après l'information que vous avez personnellement, quel pourrait être le bon moment pour que les conditions soient réunies pour de bonnes élections en Bosnie et est-ce que vos décisions seront en harmonie avec les décisions de M. COTTI ?

LE PRÉSIDENT - Je fais toute confiance à M. COTTI qui préside l'OSCE et je pense que les élections plus elles auront lieu rapidement et mieux cela vaudra. Il faut des femmes et des hommes qui soient un peu déconnectés par rapport au passé, à ses pesanteurs, et qui ont un peu une vision de l'avenir et une volonté de paix, arrivent à des niveaux de responsabilité. Donc plus vite il y aura des élections, plus vite il y aura des gouvernements issus de ces majorités nouvelles et mieux cela vaudra. Voilà mon sentiment, mais je fais toute confiance à M. COTTI naturellement.

QUESTION - Monsieur le Président, une question un peu pour la Genève internationale. La dernière fois que vous êtes venu, vous avez assuré votre soutien à la Genève internationale. Dernièrement vous le savez, nous sommes en train de discuter du siège d'ONU-SIDA. Sont en jeu, Lyon et Genève, alors comment vous situez-vous par rapport à cela ?

LE PRÉSIDENT - D'abord je tiens à vous dire que je reste dans la tradition française de soutien à la Genève internationale. Un soutien tout à fait inconditionnel, ce n'est pas par hasard si en un an je suis venu deux fois, ici. Je l'ai rappelé tout à l'heure, nous soutenons sans réserve l'ambition de la Genève internationale pour bien des raisons que vous connaissez. Alors s'agissant de la compétition entre Genève et Lyon pour un organisme particulier, vous me permettrez de laisser d'abord les choses se décanter et d'attendre d'avoir les éléments du problème pour prendre, le cas échéant, position.

QUESTION - J'ai lu, dans votre discours, que vous parliez d'aide au développement et que vous disiez que c'était important de la maintenir à un niveau suffisamment élevé et officiel. J'aimerais savoir : est-ce que vous voulez oeuvrer pour que la France et les autres pays en Europe s'approchent, par exemple, des pays scandinaves qui paient 1% de leurs revenus aux pays pauvres ?

LE PRÉSIDENT - L'aide au développement est un des soucis pour moi dans la mesure où l'on voit beaucoup de pays se désengager actuellement et c'est la raison pour laquelle j'ai imposé, le mot n'est pas excessif parce que tout le monde n'était pas d'accord, que l'aide au développement soit l'un des points importants examinés à l'occasion de la réunion à Lyon du G7; et c'est la raison aussi pour laquelle j'ai imposé, parce que là également tout le monde n'était pas d'accord, la présence au G7 pour la séance de travail sur l'aide au développement du secrétaire général de l'ONU, du président de la Banque mondiale et du directeur général du Fonds monétaire international ainsi que de M. RUGGIERO.

L'OCDE va publier très prochainement ses chiffres qui font apparaître qu' aujourd'hui le premier donateur mondial pour l'aide au développement, c'est le Japon, que le second donateur mondial, c'est la France, (c'est dire l'attachement que nous avons pour ces problèmes) ; il s'agit là de chiffres en valeur absolue ; le troisième de justesse, c'est l'Allemagne et juste derrière, (il y a photo pour dire vrai), ce sont les Etats-Unis (quatrième position), en valeur absolue, et puis loin derrière, il y a d'autres pays. Cela est en valeur absolue, mais représente un effort très différent selon les pays. Pour les Américains, cela doit représenter quelque chose de compris entre 0,1 et 0,2%. Pour le Japon ce doit être environ un petit peu plus. Pour la France, c'est près de 0,6 et vous avez raison de dire que pour certains pays nordiques c'est 1% et il est certain que si chaque pays acceptait de faire un effort portant à 1% sa contribution, ce serait une véritable révolution qui, associée avec la réorganisation nécessaire et la modernisation nécessaire des organismes en charge de l'aide internationale, pourrait permettre de trouver une solution au développement nécessaire notamment des pays les plus pauvres et je pense tout particulièrement, vous le comprendrez, à l'Afrique. Alors voilà, tout cela pour vous dire que je suis un défenseur militant de l'aide au développement.

QUESTION - Excusez-moi, Monsieur le Président, on revient au processus de paix au Moyen-Orient. Le processus de paix au Moyen-Orient passe une phase critique, risque de gel après les élections en Israël du Président du Likoud, M. Benyamin NETANYAHOU. Après les escalades de forces entre Hezbollah et Israël, est-ce que la France pense rectifier son rôle dans ce processus, et Monsieur le Président, est-ce que vous pensez envoyer bientôt le ministre des Affaires étrangères, M. de CHARETTE, dans la région ?

LE PRÉSIDENT - Je dirai d'abord que la France reste très attachée au processus de paix, je l'ai dit tout à l'heure et fera tout ce qui est possible pour permettre que le processus soit poursuivi dans l'esprit et dans la lettre de ce qui a été décidé depuis les accords d'Oslo, qui de mon point de vue ne sauraient être remis en cause. Dans toute la mesure où elle le pourra, la France effectivement apportera sa contribution. Elle a indiqué cette orientation récemment au moment de la crise en Israël et le Liban, elle le fera à nouveau. Quant à M. de CHARETTE, il ira certainement au Moyen-Orient prochainement, cela ne fait aucun doute, et je vais vous dire, moi aussi.

Je vous remercie.





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