Point de presse du Président de la République au Palais de l'Emir du QATAR.

Point de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Palais de l'Emir du QATAR.

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Palais de l'Emir du Quatar, le lundi 8 juillet 1996

Je voudrais tout d'abord regretter que vous ayez dû attendre si longtemps, mais nos entretiens ont été aussi sympathiques que chaleureux et donc, comme il arrive dans ces cas là, plus longs que prévu.

J'espère aussi qu'aucun d'entre vous n'a pris froid au moment de la cérémonie d'arrivée à l'aérodrome !

Je suis venu au Qatar en voyage officiel sur l'invitation de l'Emir du Qatar en raison des relations anciennes, et qui ont toujours été excellentes, entre nos deux pays. Relations politiques, puisque sur la plupart des sujets de politique étrangère nous avons des analyses convergentes, je l'ai encore vérifié pour ce qui concerne la situation de la région, notamment bien entendu, sur le processus de paix ; relations d'ordre économique aussi puisque, tant sur le plan civil et notamment pour tout ce qui touche le gaz, que sur le plan militaire où notre coopération est très importante, nos relations là aussi sont sans nuage.

Enfin, sur le plan culturel j'ai là encore insisté sur la nécessité qu'il y avait de développer cet aspect de nos relations avec tous les pays arabes et notamment avec le Qatar, sur le plan multilatéral, au travers de la relance de l'activité de l'Institut du monde arabe à Paris, comme sur le plan bilatéral. Nous avons aussi décidé de mettre au point des journées culturelles, une année en France une année au Qatar, pour échanger nos réflexions, nos artistes, nos créations dans le domaine culturel.

Voilà ce qu'à été l'essentiel de nos discussions et je suis naturellement tout prêt à répondre à vos questions.

QUESTION -

Monsieur le Président, l'Emir du Qatar que vous venez de rencontrer a engagé tout récemment son pays sur la voie de la normalisation de ses relations avec Israël, comment jugez-vous cette attitude, estimez-vous qu'elle peut contribuer à faire progresser le processus de paix, et encouragez-vous les pays de la région à suivre l'exemple qatari ?

LE PRÉSIDENT -

Je n'ai pas à encourager qui que ce soit, en revanche l'approche du Qatar pour ce qui concerne le processus de paix est la même que celle de la France donc je me réjouis de cette convergence de vue et je ne peux qu'approuver l'attitude du Qatar.

QUESTION -

Monsieur le Président, un accord de coopération dans le domaine de la défense lie le Qatar à la France, avez-vous signé d'autres accords dans d'autres domaines, et en cas de menaces sur le Qatar, la France serait-elle prête à envoyer des troupes ?

LE PRÉSIDENT -

Nous n'avons pas signé d'autres accords, ce n'était pas l'objet de mon passage ici. Sur le plan de la coopération militaire nous avons depuis 1994, vous le savez, vous venez de l'évoquer, un accord de défense, et il va de soit que la France entend respecter au pied de la lettre cet accord de défense, qui prévoit un certain nombre d'obligations réciproques que je n'ai pues que confirmer avec la plus grande détermination bien sûr à l'Emir du Qatar, qui ne doutait pas que la France tiendrait ses engagements.

QUESTION -

Vous avez indiqué que la coopération économique était satisfaisante entre nos deux pays, vos entretiens ont été beaucoup plus longs que prévu est-ce que vous avez le sentiment que les dossiers à venir ont avancé notamment au niveau des gisements de gaz et la part que la France pourrait prendre dans ce traitement-là ?

LE PRÉSIDENT -

D'abord au-delà de l'économie pétrolière, l'avenir du développement du Qatar repose pour une part importante sur le développement de l'économie gazière. La France dans ce domaine, et nous en avons longuement parlé vous l'imaginez, a une expertise importante et souhaite, bien entendu, participer activement, et de la façon la plus importante possible, au développement de l'économie gazière du Qatar.

LE PRÉSIDENT -

Il appartiendra ensuite naturellement à nos entreprises, qui sont d'ailleurs ici parfaitement intégrées dans l'économie et dans le pays, de faire des propositions aussi avantageuses que possible et par conséquent de gagner les différents appels d'offres. Je dirais simplement que, compte tenu de l'expertise de nos compagnies, compte tenu de la nature de nos relations, la France a naturellement toutes ses chances de participer à ce développement.

QUESTION -

En ce qui concerne le processus de paix et les non-Israeliens face à ce processus, y-a-t-il une stratégie française précise ou des contacts français avec les autorités israéliennes afin de faire progresser le processus de paix ?

LE PRÉSIDENT -

Je vous ai dit que nous étions tout à fait en phase avec le Qatar en ce qui concerne le processus de paix. J'ajoute que - j'ai déjà eu l'occasion de le dire - c'est une position commune à l'ensemble des quinze pays de l'Union européenne, que nous avons exprimée de la façon la plus claire lors du Sommet de Florence il y a une dizaine de jours. C'est une position que nous avons renouvelée lors du Sommet de Lyon avec les sept pays les plus industrialisés et la Russie. C'est une position qui a été également adoptée, la même, au Sommet du Caire entre les nations arabes, donc il y a là une convergence de vue.

J'ajoute qu'il est tout de même intéressant de voir que, s'agissant du processus de paix, nous avons pu tous signer la même déclaration pratiquement au Caire, à Lyon et à Florence, c'est-à-dire tous les pays européens, la Russie, les pays arabes. Alors vous me dites les non-israéliens, moi j'attends qu'il y ait une position prise clairement par le gouvernement israélien et je ne veux faire de procès d'intention à personne, surtout pas au gouvernement israélien.

J'attendrai donc que ce gouvernement, qui vient juste de se former - et qui a tout de même le droit de réfléchir un peu - se soit clairement exprimé et ait engagé une politique que nous ne connaissons pas encore, pour voir s'il y a lieu et comment il y a lieu d'intervenir pour essayer de faire en sorte que le processus de paix puisse être continué comme nous le souhaitons tous. Ce qui veut dire en réalité tout le monde attend avec intérêt le résultat des discussions qui auront lieu le 8 juillet à Washington et nous verrons après ce qu'il conviendra de faire.

QUESTION -

Des sources officielles européennes estiment qu'il y a une compétition entre les Etats-Unis et la France depuis que vous êtes Président de la République, puisqu'il y a un rapprochement entre la France et les pays arabes, ce que Washington voit comme une menace pour ses parts de marchés et ses intérêts dans la région. Washington estime que la France fait beaucoup de choses au Proche-Orient pour contrecarrer la présence américaine, qu'en pensez-vous ?

LE PRÉSIDENT -

Je ne sais pas à quelles sources autorisées vous faites allusion. Je voudrais vous dire que la France n'est pas en compétition avec les Etats-Unis. Politiquement nous poursuivons le même but, c'est-à-dire la paix et le développement. Simplement c'est vrai que la France a l'intention d'apporter toute sa contribution à l'évolution de cette partie du monde. C'est une action qui est d'ailleurs souhaitée, je l'ai observé, par l'ensemble des pays concernés dans cette région, je ne vois pas en quoi cela pourrait être interprété comme une compétition avec les Etats-Unis, mais il faudra bien que tout le monde s'habitue à ce que la France défende à la fois ses intérêts et surtout ses idées partout dans le monde et en particulier dans cette région.

QUESTION -

Les Etats-Unis ont annoncé que la responsabilité des affaires du Golfe est du ressort américain, que pensez-vous de cette déclaration ?

LE PRÉSIDENT -

Je ne pense pas que la déclaration ait été faite de cette manière-là, parce que la responsabilité des affaires du Golfe, c'est le problème des nations du Golfe d'abord et avant tout. Que ces nations souhaitent entretenir des relations étroites avec les Etats-Unis, avec l'Europe, cela fait partie de la diplomatie internationale, que les américains suivent ces affaires avec beaucoup d'intérêt, c'est à la fois normal et souhaitable. Mais l'Europe est également un ensemble politiquement et économiquement considérable dans le monde d'aujourd'hui et qui doit tout à fait naturellement être également présente un peu partout dans le monde. J'ajoute que l'Europe et en particulier la France, entretient avec les pays arabes, depuis longtemps, des relations qui sont très étroites et qu'il est naturel qu'elle force ces liens d'amitié. Ces liens avaient été un peu perturbés lorsqu'il y avait la guerre entre Israël et les Palestiniens, depuis que le processus de paix est engagé, il y a l'espoir de voir tout le monde travailler ensemble à la solution des problèmes qui se posent. Donc nous avons, je le répète, l'intention être présents ici.

QUESTION -

Avez-vous discuté avec Son Altesse le Prince de son éventuelle visite en France suite à votre invitation ?

La France et le Qatar entretiennent d'excellentes relations qui peuvent peut-être jouer un rôle pour faire revenir l'Irak dans le giron international et faire baisser la tension qui existe entre les pays arabes et l'Iran, quel est votre sentiment à ce sujet ?

LE PRÉSIDENT -

Sur le premier point, j'ai renouvelé, parce que je l'avais déjà fait, à l'Emir du Qatar mon invitation à venir en France en voyage officiel. Il a accepté et je me réjouis à l'idée de le recevoir à Paris. La date n'a pas été arrêtée et j'ai dit à l'Emir que, dès que son agenda le lui permettrait, nous serions heureux de le recevoir.

Sur le deuxième point, s'agissant de l'Iran, vous savez que l'Europe a pris une position qui n'est pas éloignée de celle du Qatar, cette position c'est la poursuite d'un dialogue critique avec l'Iran et donc le refus d'isoler l'Iran. Et je dois dire que notamment à l'occasion des récents événements au Liban, j'ai pu observer que cette politique de dialogue critique avait des résultats positifs. Le Qatar lui-même a un dialogue de la même nature avec l'Iran.

S'agissant de l'Irak, comme vous le savez, la France a été active au sein des Nations Unies pour que la mise en oeuvre de la résolution 986 puisse se faire. Cela n'a pas été facile, il a fallu convaincre les uns ou les autres, mais cette initiative a été couronnée de succès, grâce d'ailleurs, je dois le dire pour l'essentiel, à l'action extrêmement positive du secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros Boutros-Ghali. Et nous nous sommes réjouis de cette solution qui permettra, je l'espère, au peuple irakien de souffrir un peu moins que ce n'est le cas aujourd'hui.

QUESTION -

Monsieur le Président, est-ce que l'accord de défense entre la France et le Qatar pourrait concerner des affaires de famille à l'intérieur de l'Emirat, notamment la tentative de coup d'Etat du père pour retrouver son trône ?

LE PRÉSIDENT -

Il s'agit là d'affaires intérieures du Qatar, un sujet sur lequel je n'ai aucun commentaire à faire, bien entendu.

QUESTION -

Bienvenu à Doha, Monsieur le Président. Selon certains observateurs, la France concurrencerait les Etats-Unis d'Amérique dans la région du Golfe, surtout en matière d'approvisionnement en armes ; qu'en dites-vous ? S'agissant de la reconduction de M. Boutros-Ghali au poste de secrétaire général des Nations Unies, on sait que Washington y est opposé, mais pas la France. Quel sera le plan d'action français pour soutenir la candidature de M. Boutros-Ghali ?

LE PRÉSIDENT -

Je dirais que le soutien à la candidature de M. Boutros-Ghali dépend d'abord et avant tout de M. Boutros-Ghali. Deuxièmement, nous avons effectivement pour le secrétaire général et pour l'action qu'il a conduite depuis qu'il a été élu, beaucoup d'estime et de considération. Nous considérons qu'il a très bien travaillé, notamment pour réformer l'ONU et diminuer ses dépenses, ce qui n'était pas facile, puisque, comme vous le savez, un certain nombre de pays ont des retards de paiement considérables à l'égard des Nations Unies et, deuxièmement, par l'action politique de médiation permanente et partout qu'il a pu conduire grâce à sa forte personnalité. D'autre part, M. Boutros-Ghali est un Africain, et la tradition veut que l'on change de continent et que chaque secrétaire général fasse deux mandats. Donc nous trouvons légitime que M. Boutros-Ghali soit candidat pour un deuxième mandat, et nous estimons souhaitable que l'Afrique ne soit pas privée d'un mandat, ce qui ne serait justifié par rien. Voilà la position de la France.

S'agissant des ventes d'armes, il faut dire que d'abord elles sont moins importantes que par le passé, tant mieux. Cela veut dire que les tensions internationales sont moins vives, ce qui n'empêche pas, cela va de soi, la compétition entre les grandes nations productrices, les Etats-Unis, la Russie, l'Angleterre, la France, l'Allemagne et d'autres encore. Et cela est la compétition économique normale.

QUESTION -

Deux questions : la première vous a été posée lors de votre visite en Arabie saoudite, et porte sur le partenariat politique, économique et culturel, celui-ci concerne-t-il les autres pays du Golfe ?

Deuxièmement, beaucoup de partis ne vont pas participer aux élections libanaises ; quel est le sentiment de la France qui porte un intérêt particulier au Liban ?

Enfin, en ce qui concerne l'Algérie, quelle est votre analyse et quel est le futur des relations entre la France et l'Algérie ?

LE PRÉSIDENT -

Les futures relations de la France et de l'Algérie, je peux vous dire une chose, c'est que je les souhaite aussi bonnes et aussi amicales que possible. Pour beaucoup de raisons, d'abord parce que nous avons des relations amicales avec l'Algérie depuis longtemps, ensuite parce que nous avons une communauté algérienne en France très importante, et enfin parce que l'Algérie est notre voisin, de l'autre côté de la Méditerranée, et un partenaire très important de ce que nous souhaitons, c'est-à-dire un pacte de stabilité, de paix et de développement en Méditerranée.

S'agissant du Liban, vous me dites que beaucoup de partis libanais ne vont pas voter.

Cela, je vous en laisse la responsabilité, ce ne sont pas les échos, ni les informations dont je dispose. Je souhaite en tous les cas, que tous les Libanais prennent leurs responsabilités. Le Liban est une vieille démocratie, est une vieille terre de civilisation et chaque Libanais doit prendre ses responsabilités. Dans les moments difficiles, les absents ont toujours tort.

Enfin, s'agissant du partenariat à la fois politique, économique et culturel, entre la France et les pays du Golfe, il s'adresse, et je le propose naturellement, à l'ensemble des pays. Je ne fais pas un choix, je le propose à l'ensemble des pays, et je souhaite que la France ait un partenariat aussi actif que possible avec tous les pays du Golfe.

QUESTION -

Deux questions : je voudrais savoir, Monsieur le Président, si vous avez contacté le président américain pendant votre actuel voyage, pour parler effectivement de sa rencontre avec M. Netanyahou ?

Vous avez adressé un message, semble-t-il à l'Emir du Koweit, comptez-vous vous rendre au Koweit prochainement ?

LE PRÉSIDENT -

Alors tout d'abord, je n'ai pas eu depuis deux jours de contacts avec le président américain, mais vous savez que j'en ai eu beaucoup la semaine précédente, puisque nous nous sommes beaucoup vus à Lyon et ensuite nous avons passé une soirée ensemble à Paris.

Pour ce qui concerne le Koweit, je n'ai encore rien de prévu. D'ailleurs j'observe que je ne peux pas non plus toujours être à l'étranger, on me le reproche, on a un peu le sentiment que je vais faire du tourisme, ce qui est excessif. Encore que, quand on est ici, c'est agréable, mais enfin.

Les obligations internationales d'un Président de la République sont importantes. D'abord, parce que les procédures multilatérales se sont énormément développées, donc il y a énormément de réunions multilatérales auxquelles, par définition, on ne peut échapper.

LE PRÉSIDENT -

Et ensuite, parce qu'il faut bien aussi de temps en temps avoir un minimum de contacts bilatéraux. Alors je n'ai pas de projets s'agissant du Koweit, j'ai effectivement envoyé un message d'amitié comme il est d'usage, puisque je vais dans la région, à l'Emir du Koweit mais je n'ai pas de voyage prévu.

QUESTION -

Il est clair, Monsieur le Président, que la France a la nostalgie de son ancien empire et du rôle qu'elle jouait dans le Moyen-Orient et en Europe. La France souhaite toujours être sur la scène internationale, les essais nucléaires l'ont démontré, ainsi que la politique qu'elle mène. Que pensez-vous de tout cela ?

LE PRÉSIDENT -

Vous dites que la France est nostalgique de son ancien empire, je dirais que d'abord l'Empire français ne couvrait pas le Moyen-Orient, il était essentiellement africain. Je vais vous dire une chose, la France, en tous les cas moi, je suis fier de l'Empire français et de ce que la France a fait, à une période qui n'est pas celle d'aujourd'hui, dans l'Empire français. J'en suis très fier, c'est pour moi une page d'histoire, une belle page d'histoire de notre pays.

Deuxièmement, vous me demandez si la France a l'intention de s'affirmer, pas par nostalgie mais par nécessité. La France a des intérêts dans le monde et elle entend les défendre. La France a un message comme d'autres mais elle a l'intention de le délivrer et par conséquent elle a effectivement l'intention d'être active.

QUESTION -

En tant qu'arabe, je vous remercie Monsieur le Président en ce qui concerne le monde arabe. La France a indiqué qu'elle peut avoir un rôle particulier dans la région, au sein du monde arabe et au sein de l'Union européenne la France suit de près le déroulement du processus de paix. Les observateurs notent qu'il n'y a pas concrétisation de cette position. Qu'en pensez-vous ?

LE PRÉSIDENT -

Vous savez, s'agissant du processus de paix, vous dites nous avons besoin de positions concrètes. Je crois que la position qui a été prise par l'Europe au Sommet de Florence et plus largement par le G7 à Lyon est une position tout à fait concrète, qui indique clairement que l'ensemble des pays européens, la Russie et les Etats-Unis, ont la volonté de faire en sorte que le processus de paix soit poursuivi dans l'esprit et dans la lettre des accords qui ont été passés à Oslo et à Taba. Donc, c'est tout à fait concret.

LE PRÉSIDENT -

Et bien entendu, je le répète, je ne veux faire de procès d'intention à personne, et il faut attendre de connaître quelle est exactement la position d'Israël sans en préjuger - au nom de quoi nous préjugerions de ce qu'Israël fera demain - pour voir quelles sont les initiatives diplomatiques qu'en liaison avec Israël, nous pourrions prendre bien entendu. Ce sont bien des positions tout à fait concrètes.

Voilà, Mesdames, Messieurs, je suis encore désolé de vous avoir fait attendre, et je vous remercie beaucoup.





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