Conférence de presse du Président de la République à Brazzaville.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République à Brazzaville.

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Hôtel Sofitel, Brazzaville, Congo, le jeudi 18 juillet 1996

Mesdames, Messieurs,

Je suis un petit peu en retard et je vous prie de bien vouloir m'en excuser : nous sortons du déjeuner à l'Ambassade de France, à la résidence de l'Ambassadeur. Je voulais avoir l'occasion de répondre à quelques unes de vos questions.

Mais avant, et compte tenu des circonstances, vous me permettrez de dire mon émotion devant l'accident aérien qui s'est produit aux Etats-Unis et de renouveler au peuple américain, et plus particulièrement aux victimes et à leur famille, mes sentiments de solidarité dans cette épreuve cruelle, et d'avoir une pensée particulière pour les victimes françaises, d'autant qu'il se trouve que je connaissais l'une d'elles. Permettez-moi aussi de dire à la fois notre inquiétude et notre désir de savoir dans les meilleurs délais techniquement possibles quelle a été l'origine d'un accident aussi effroyable.

Pour ce qui concerne mon voyage ici, au Congo, j'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises. Je ne vais donc pas faire un long propos d'ouverture, mais en revanche, je suis tout prêt à répondre aux questions que vous voudrez me poser sur ce voyage ou sur autre chose.

Je remercie les journalistes congolais, les journalistes français, les autres aussi de leur présence et de leur assiduité pendant ce voyage africain.

QUESTION - Monsieur le Président, de quelle manière précise entendez-vous mettre en place l'observatoire de la démocratie dont vous avez annoncé la création ce matin ?

LE PRÉSIDENT - C'est une idée que j'ai proposée et qui doit faire maintenant l'objet de discussions au sein de la francophonie, de l'espace politique francophone qui est en train de se constituer. J'ai demandé au Ministre chargé de la Francophonie de recueillir le sentiment des chefs d'Etat et de gouvernement des pays francophones pour voir ce qu'ils pensent de cette idée et comment elle pourrait être mise en oeuvre.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez prononcé un discours économique à Libreville et un discours plutôt politique à Brazzaville. Qu'est-ce qui justifie le choix de Brazzaville pour prononcer ce discours ? Est-ce que vous pouvez nous dire quelle lecture politique vous faites du processus de démocratisation au Congo ?

LE PRÉSIDENT - Brazzaville est un nom qui est fort dans le coeur des Français. J'ai pensé qu'il était légitime d'y prononcer un discours plutôt politique. Quant au processus de démocratisation au Congo, comme dans bien d'autres pays africains, je ne puis naturellement, en le constatant, que m'en réjouir. Les racines de la démocratie ici commencent à s'implanter, à s'inscrire dans cette terre et je m'en réjouis.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé ce matin de la lassitude de la communauté internationale, beaucoup d'Africains pensent que la démocratie est arrivée trop vite, trop tôt peut-être. L'Afrique est un continent qui a son rythme, on le sait. Comment convaincre cette communauté internationale de la nécessité d'attendre l'Afrique ?

LE PRÉSIDENT - En expliquant les raisons de toute nature que j'ai évoquées, aussi bien à Franceville que ce matin à Brazzaville, les raisons qui justifient de la part de la communauté internationale une main amicale tendue à l'Afrique. J'ai dit qu'il y avait à cela des raisons morales. On ne peut pas indéfiniment se dire porteur d'humanisme, respectueux des droits de l'homme, et ne pas en tirer des conclusions.

J'ai indiqué également que la stabilité politique de l'Afrique était une nécessité pour le monde de demain, et qu'il était dans l'intérêt de l'ensemble du monde de faire en sorte que cette stabilité soit assurée, ce qu'elle ne peut être que dans la mesure où l'Afrique aura les moyens de renforcer sa situation économique et sa capacité à donner à tous ses enfants un travail et une vie normale.

J'ai indiqué aussi que, si nous voulions ne pas subir d'émigration, que nous n'avons plus, je parle de l'Europe, les moyens d'assumer, il fallait faire en sorte que l'économie puisse se développer ici, et donner aux Africains, aux jeunes Africains, la possibilité comme ils en auront le désir de rester chez eux, à condition, naturellement, qu'ils aient les moyens d'y vivre normalement.

Voilà ce que j'ai tenté d'expliquer, depuis que je suis élu, aux pays les plus industrialisés tentés par un certain désengagement à l'égard de l'Afrique, ce qui me paraît une injustice et une erreur.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit ce matin également que la démocratie ne s'exporte pas que chaque pays choisit son rythme et sa voie. Est-ce que vous ne trouvez pas, que les institutions financières internationales qui aident ces pays à bâtir leur démocratie, n'imposent leur modèle qui est le leur et non pas celui d'ici ?

LE PRÉSIDENT - Non, je ne crois pas que les institutions internationales imposent un modèle politique, elles imposent un modèle économique. Ce modèle économique est tout simplement celui de la bonne gestion. On a choisi comme thème d'une prochaine réunion la "bonne gouvernance", c'est un joli mot qui dit bien ce qu'il veut dire. Qu'il s'agisse de l'Europe ou qu'il s'agisse de l'Afrique, ou de tout autre continent, le fait de renoncer à des mauvaises habitudes, qui consistent en réalité à dépenser plus qu'il n'est possible, ça, c'est un modèle économique qu'imposent les organisations financières internationales. Ce n'est pas un modèle politique. Elles ont raison de le faire, que l'on soit en Afrique ou que l'on soit en Europe, on ne peut pas, si l'on ne veut pas tomber en faillite, dépenser plus que l'on peut.

QUESTION - Monsieur le Président, ce matin vous avez mis en cause le comportement des puissances occidentales vis-à-vis de l'Afrique dans le passé, y compris la colonisation. Est-ce que pour vous la colonisation a globalement eu un effet positif ou un effet négatif ?

LE PRÉSIDENT - Un effet positif. J'ai toujours beaucoup respecté la période de l'empire colonial français. Je pense qu'il s'agit là d'une belle page de notre histoire et je la renie en aucun cas. D'ailleurs, je ne suis pas quelqu'un qui renie son histoire ou l'histoire de son peuple ou de son pays. Ceci étant, il y a eu des conséquences graves, non pas à la colonisation, mais à l'histoire qui la précédait essentiellement, et je les ai soulignées ce matin, en disant que l'on ne pouvait pas bien comprendre la situation actuelle, les difficultés, les retards de l'Afrique, si l'on n'avait pas à l'esprit les conséquences de ces quatre siècles pendant lesquels l'Afrique a subi une véritable hémorragie, à la fois de ses hommes, mais par là même de ses capacités d'initiative, et qu'il faut s'en souvenir.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez été actif dans le traitement des problèmes qui se posent aujourd'hui aux pays en voie de développement. Il y a la question de la dette. Vous avez voulu vous démarquer du traitement qu'apporte Naples à la question de la dette, vous avez proposé autre chose. Qu'est-ce qu'apportera finalement Lyon par rapport au traitement prévu par Naples ?

LE PRÉSIDENT - Eh bien tout simplement une augmentation sensible du pourcentage de la dette qui pourrait être annulée. Il y avait ce qu'on appelait les termes de Naples, il y aurait dorénavant les termes de Lyon. Et avant hier, vous avez pu voir que le Club de Paris, s'agissant du Congo, avait appliqué cette nouvelle règle et augmenté sensiblement la part de la dette qui peut être apurée.

Je sais qu'il y a dans les pays riches, occidentaux, qui connaissent par ailleurs bien des problèmes, des difficultés, des misères, une espèce d'incompréhension, parfois, à l'aide qui pourrait être apportée à l'extérieur. Je voudrais que la France comprenne qu'au-delà des raisons morales ou politiques que j'ai soulignées et que je rappelais à l'instant, il y a aussi des raisons économiques. Le chiffre d'affaires que la France fait avec l'Afrique, ses exportations en l'Afrique sont considérables et, par conséquent, font travailler beaucoup de Français. Il ne faut pas l'oublier non plus.

Lorsque nous aidons l'Afrique, ce que nous devons faire, les Français ne doivent pas oublier que nous nous aidons aussi nous-mêmes, notamment je le répète, par l'importance de nos exportations. Nous sommes un pays où un travailleur sur quatre travaille pour l'exportation, c'est dire le caractère capital de la production de ce que nous exportons. C'est dans cet esprit aussi que l'action que nous menons en Afrique est une action qui est également une action positive sur le plan intérieur.

Vous savez, quand, au lendemain de la guerre, il y a eu le plan Marshall pour l'Europe, qui était à l'époque dévastée, très nombreux ont été les Américains qui n'ont pas compris et qui ont protesté, qui se sont demandés pourquoi l'Amérique dépensait tant d'argent pour redresser la situation d'une Europe lointaine pour eux, alors qu'il y avait des besoins importants aux Etats-Unis.

Quand on regarde ce qui s'est passé en dix ans, on s'aperçoit que l'Amérique a bénéficié sensiblement des retours du plan Marshall, et que dans le plan Marshall elle a au total, ce qui n'enlève rien naturellement aux mérites qu'elle a eu, gagné plus qu'elle n'a dépensé. C'est aussi un raisonnement économique qui doit être présent à l'esprit, notamment, des citoyens des grands pays industrialisés. Il y a solidarité et complémentarité.

QUESTION - Monsieur le Président vous avez évoqué les putschs, les coups de force, "il faut en finir" avez-vous dit, beaucoup d'auditeurs ont pensé au Niger et à la Centrafrique...

LE PRÉSIDENT - Ecoutez je ne voudrais surtout pas que l'on mette des noms. Je me suis situé au niveau des principes et au niveau de l'histoire des cinquante dernières années. Je ne pensais pas à quelque chose de particulier, je le répète c'était une observation historique et non pas naturellement d'actualité ou polémique. C'est absurde.

QUESTION - Mais après ce qui s'est passé à Bangui, est-ce que l'on peut penser que la France aura désormais une position, une attitude, si un gouvernement légitime lui demande de l'aide ?

LE PRÉSIDENT - Il est tout à fait légitime que la France qui a des liens politiques mais aussi des accords de défense avec un certain nombre de pays africains respecte à la fois sa signature et l'esprit dans lequel ces accords sont passés. Bien sur c'est ce qui s'appelle le respect de la parole donnée.

QUESTION - Monsieur le Président, ce matin vous avez dit que la démocratie est plurielle. Est-ce que vous pensez qu'un putsch qui aboutit à l'organisation des élections est une voie qui peut aussi aboutir à une démocratie dans un pays africain ?

LE PRÉSIDENT - Cela c'est vu, mais ce n'est pas la voie la plus directe et donc ce n'est pas celle que je retiendrais en priorité pour accéder à la démocratie.

QUESTION - Monsieur le Président, Loick Le Floch Prigent a été retenu en détention cet après-midi. Est-ce que vous pensez qu'il peut rester à la tête de la SNCF ou est-ce que le Gouvernement doit nommer quelqu'un d'autre ?

LE PRÉSIDENT - Cela c'est le problème du Gouvernement.

QUESTION - Monsieur le Président, je reviens sur la notion de bonne gouvernance. Est-ce que cette notion remplace désormais, dans les relations entre la France et l'Afrique, la conditionnalité politique ?

LE PRÉSIDENT - Je serais tenté de dire oui. Je ne suis pas très favorable à la conditionnalité politique car cela intègre, dans un mouvement qui doit être celui de la solidarité, une dimension qui n'est pas à mon avis obligatoirement justifiée car elle est subjective.

En revanche la conditionnalité économique, c'est-à-dire le respect de certaines règles, définie par les organisations internationales cela me paraît plus important.

Alors j'entends bien que pendant longtemps les organisations internationales ont été accusées, et probablement à raison - pour une part d'un excès, d'incompréhension. C'est vrai que souvent ce qu'ont exigé les experts, qui siègent à Washington ou à New York, de la part des pays africains était le résultat de ce qui sortait de leurs ordinateurs, est tout à fait incompréhensible pour beaucoup de pays, notamment africains ou plus généralement de pays en voie de développement. Cela fait très longtemps que j'essaie d'expliquer aux responsables des organisations internationales qu'il y a une dimension humaine qui n'est jamais dans les ordinateurs et qu'il faut donc intégrer après avoir diagnostiqué le mal et déterminé la thérapeutique.

Je pense que depuis quelques temps aussi bien la Banque Mondiale que le Fonds Monétaire International intègrent mieux qu'avant cette dimension humaine et je m'en réjouis.

QUESTION - Monsieur le Président, pour en revenir à l'explosion de l'avion de la TWA, vous nous avez dit avoir envoyé un message au Président américain. Est-ce que vous avez eu dans la journée des contacts téléphoniques avec les autorités américaines et est-ce que vous auriez d'autres informations à nous donner sur l'origine de cette explosion ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai strictement aucune information qui puisse me permettre de parler de cette affaire et pour dire la vérité j'ai le sentiment que personne au stade actuel n'a d'informations. Il faut certainement un peu de temps pour recueillir les indices nécessaires et trouver les pistes qui nous conduirons à l'explication de cette explosion. Je n'ai aucune information.

QUESTION - Monsieur le Président, on vous a vu ce matin aller pratiquement sur les traces du Général de Gaulle; Est-ce que la dimension historique de tout cela pèse dans les relations entre le Congo et la France ?

Vous avez également eu des entretiens officiels avec votre homologue congolais qu'est-ce qui a été privilégié au cours de ces entretiens ? Quels commentaires faites-vous des relations entre le Congo et la France aujourd'hui ?

LE PRÉSIDENT - Il est évident et normal que l'histoire ayant été ce qu'elle a été, Brazzaville et le Congo aient une place un peu particulière dans le coeur des Français. Ce qui fait que lors de mes entretiens avec le Président Lissouba, nous avons évoqué de la façon la plus vive, la plus amicale l'ensemble des problèmes bilatéraux mais également plus généralement africains. Quant aux relations entre la France et le Congo je puis vous dire qu'elles sont excellentes et qu'il n'y a pas de difficultés ou de nuages entre nos deux pays.

QUESTION - Monsieur le Président, vous venez de rendre visite à deux pays pétroliers. Est-ce que l'un de vos interlocuteurs officiels s'est enquit auprès de vous du sort de M. Le Floch Prigent ou a fait un quelconque commentaire sur l'affaire Elf-Bidermann ?

LE PRÉSIDENT - Strictement aucun. Je puis vous assurer que cela n'est venu à l'esprit de personne, en tous les cas dans les entretiens que j'ai pu avoir avec les dirigeants, aussi bien du Gabon qu'au Congo. Je m'étonne même que cette idée puisse venir à l'esprit.

Je vous remercie





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