Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Président du Burkina-Faso.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Blaise COMPAORE, Président de la République du Burkina-Faso.

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Ouagadougou, Burkina-Faso, le vendredi 6 décembre 1996

M. COMPAORE - Je me réjouis de la présence de tant de journalistes à ce Sommet, comme vous le savez, ce cadre informel de dialogue entre la France et l'Afrique. C'est l'occasion pour résumer l'essentiel des débats qui ont lieu au cours de nos discussions. Il n'y a pas de cérémonie de clôture. Les Chefs d'Etat généralement mandatent le Président Africain qui accueille le Sommet lorsque c'est en Afrique, et le Président de la République Française, pour vous donner le contenu des conclusions et en même temps avoir un échange avec vous sur des préoccupations qui sont celles, bien sûr, des journalistes de la presse nationale et internationale.

Comme vous le savez, nous avons abordé deux grands thèmes. Il y avait un thème c'était la bonne gouvernance et le développement mais très vite nous avons senti que la question de sécurité en Afrique, la question de la paix est une étape première dans la formulation des stratégies de gouvernance, si bien que longuement nous avons échangé hier sur la question des Grands Lacs, le conflit dans l'est du Zaïre et la région, juste donc après nous avoir indiqué un ensemble de repères sur les comportements des Etats et des dirigeants par rapport aux attentes des populations africaines sur cette question de gouvernance et aussi les besoins de développement de notre continent. Nous sommes là ce matin avec le Président de la République Française pour donc vous éclairer davantage sur tous ces aspects qui ont été évoqués avec les Chefs d'Etats.

LE PRÉSIDENT - Je n'ai rien à ajouter au compte rendu du Président Blaise Compaoré, si ce n'est l'expression d'une reconnaissance que chacun comprend pour l'organisation d'un Sommet, qui a été le plus important par sa participation de tous les Sommets depuis qu'ils existent, puisque tous les pays africains, à quelques rares exceptions près, étaient présents. Ce qui est un grand succès pour le Président Compaoré. Et pour dire que je l'ai été, je le répète, frappé par la synthèse entre ce qui avait été préparé et qui tournait autour des deux thèmes de la bonne gouvernance et de la sécurité et d'autre part les échanges spontanés, intéressants, contradictoires notamment sur la situation dans les Grands Lacs. Au total, je pense que cette réunion a été dans ces deux domaines extrêmement positive.

Je pourrais peut-être maintenant répondre à quelques questions si vous le souhaitez.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez déclaré hier que l'avenir de l'Afrique, l'avenir du monde ne se ferait pas sans l'Afrique. A la vérité, en tant qu'Africain, ces propos me vont droit au coeur et nous font même chaud au coeur, parce qu'ils posent le problème et cela sent comme un appel à la non-marginalisation de l'Afrique, je crois qui est de vous.

Alors, aujourd'hui, on peut estimer, en tout cas, c'est notre sentiment profond, que la France a du mal à remplir son rôle de partenaire privilégié de l'Afrique, sans doute à cause de nombreuses sollicitations qui s'adressent à elle. Est-ce qu'à l'orée du XXIème siècle, pour vous en tant que Président de la République Française, en tant que Président d'une démocratie sans doute en avance sur les démocraties naissantes de l'Afrique, l'urgence c'est quoi, aujourd'hui, Monsieur le Président ? Est-ce que c'est la priorité ? Est-ce que l'urgence, c'est la défense de la démocratie, des droits de l'homme ou la quête absolue du développement même au mépris d'une certaine dérive antidémocratique, si l'on peut se permettre l'expression ?

LE PRÉSIDENT - Voilà une question qui fait bien le tour des problèmes. J'ai dit, c'est vrai, que le monde ne pourrait pas évoluer en ignorant l'Afrique. Je ne parle pas du problème moral qui impose, cela va de soi, la solidarité tant sur le plan intérieur pour chaque pays que sur le plan international entre les pays, les régions, les continents ; mais si je me réfère au simple fait politique, j'observe que l'Afrique est un pays qui connaît un fort développement démographique. Dans les vingt cinq ans qui viennent, l'Afrique doublera de population. Il y aura probablement un milliard cent ou un milliard deux cent millions d'habitants en vingt cinq ans, à peu près. N'oublions pas qu'en 1900, ce n'est pas si loin, on estimait la population africaine à cent millions. Et par conséquent un tel développement démographique, s'il n'est pas accompagné par un développement économique, risque de créer une perturbation politique majeure dans le monde. Il y a déjà des problèmes, tout le monde le sait, liés à l'immigration de celles et de ceux qui, ne trouvant pas la possibilité de vivre sur leur terre, ce que naturellement, ils souhaiteraient mais ne les trouvant pas, sont déjà obligés de s'expatrier. Ce phénomène risque de se développer considérablement si l'on ne crée pas en Afrique les conditions économiques et sociales permettant aux Africains de vivre normalement sur leurs terres.

Par conséquent, je le répète, le monde ne se développera pas, l'histoire du monde n'évoluera pas en ignorant l'Afrique. C'est impossible, moralement et politiquement.

Deuxièmement, vous dites : mais le développement comment doit-il se faire ? Y a-t-il une contradiction entre les exigences de la démocratie, du respect des droits de l'homme, la liberté et le développement. On a pu imaginer dans le passé qu'il y avait des contradictions de cette nature. A l'époque où certains pays africains, en particulier, étaient très influencés par les doctrines collectivistes ou marxistes, il était d'usage de dire que le développement exigeait un système politique qui était incompatible avec les droits de l'homme et que, en quelque sorte, l'homme était au service de la collectivité et non pas la collectivité au service de l'homme.

On a bien vu que ces systèmes ne marchaient pas, et ne pouvaient conduire qu'à une situation inacceptable sur le plan humain mais également inacceptable sur le plan économique. Tout simplement parce que le développement surtout dans un monde qui est surtout globalisé, suppose des échanges, il n'y a pas de développement sans échanges et pour qu'il y ait des échanges il faut qu'il y ait la confiance, la confiance des citoyens qui ne se mobiliseront que s'ils ont confiance, confiance dans leurs institutions, confiance dans leurs dirigeants, confiance dans leur avenir et puis la confiance de l'extérieur, si l'on veut que s'exprime notamment par l'aide au développement la solidarité internationale comme il est nécessaire, si l'on veut que les investissements privés se fassent en Afrique comme ils se font ailleurs. Il faut que les agents extérieurs économiques ou politiques aient confiance. Or, il n'y aura pas de confiance s'il n'y a pas respect des principes démocratiques, des droits de l'homme, des libertés, etc., c'est évident. Donc, aujourd'hui personne ne peut contester qu'il ne peut pas y avoir le développement économique, s'il n'y a pas développement de la démocratie ou approfondissement, enracinement de la démocratie.

QUESTION - (en Anglais) Monsieur le Président, lors d'un récent voyage en Afrique du Secrétaire d'Etat américain, M. Warren Christopher a mentionné la possibilité de mettre sur pied une force d'intervention africaine pour calmer la crise et les conflits sur ce continent. Que pensez-vous personnellement de ce projet ? Et si cela devait se réaliser, pensez-vous que se serait un succès sans la participation de pays tels que le Nigeria, l'Afrique du Sud et l'Egypte qui ont émis quelques réserves à ce sujet ?

Et finalement, Monsieur le Président, Monsieur Christopher aurait mentionné qu'il semble que le Président français considère les pays africains francophones comme son domaine particulier. Qu'en pensez-vous ? Merci, Monsieur le Président. J'apprécierais beaucoup si vous pouviez me répondre en anglais.

LE PRÉSIDENT - Je vais vous répondre en français car "vous avez un instrument spécial pour avoir la traduction"... Mais pourquoi parlez-vous en anglais alors que vous comprenez le français.... ?

L'idée d'une force africaine de prévention des crises est une idée qui existe déjà depuis un certain temps. Le précédent Sommet des pays africains et de la France avait déjà décidé de faire des propositions pour la mise en oeuvre d'une force de cette nature. Hier, le Président Henri-Konan Bédié de Côte d'Ivoire a fait un rapport sur ce point, c'est d'ailleurs également le point sur lequel le Président Eyadema est intervenu puisqu'il avait été chargé également d'une étude dans ce domaine.

Sur l'idée, la conception qui est celle des Etats Africains présents au Sommet et celle du Secrétaire d'Etat Warren CHRISTOPHER est la même. Ensuite, il y a des modalités d'application. Il me semble que la quasi totalité des Etats Africains considère que les unités qui pourraient composer cette force doivent être équipées, entraînées et capables d'un déplacement rapide, mais doivent être stationnées dans leur pays d'origine et rester sous commandement national jusqu'à ce qu'elles soient, le cas échéant, affectées à une force de prévention qui aurait un Etat-major préparé et léger pour les mettre en oeuvre. Là où je crois qu'il y a eu un petit malentendu entre les pays africains et le Secrétaire d'Etat américain, c'est dans l'organisation du commandement de ces forces parce que le Secrétaire d'Etat avait imaginé -je crois- un commandement indépendant de tout, à mettre au point. Alors qu'il me semble que l'on peut dire que tous les Etats Africains considèrent que ces forces ne peuvent être mises en oeuvre que sous la responsabilité de l'O.U.A. et de l'O.N.U.

Pour vous dire la vérité, je crois que l'Afrique a totalement raison. A la question qui doit y participer. Ma conviction est que tous les pays africains doivent participer. Si c'est une force d'intervention africaine, elle doit avoir un consensus général qui se matérialise par une participation de tous les Etats, chacun à la mesure de ses moyens, mais de tous les Etats.

Je le répète, le point essentiel est de savoir qui commande et qui met en oeuvre et cela ne peut être que l'O.U.A. et l'O.N.U. Je pense qu'il y a une espèce de consensus général dans ce domaine, il n'y a donc pas de ce point de vue, de divergences de vues particulière entre les thèses du Secrétaire d'Etat et celles, me semble-t-il, des Africains que soutient la France.

Cela me conduit à répondre sur un point de la question précédente que je n'avais pas évoqué. Vous me dites que la France ne remplit pas son rôle en Afrique, c'est un point de vue que j'ai lu ici ou là, c'est un point de vue dans le vent... Il est de bon ton aujourd'hui, de faire ces commentaires, mais vous savez, être dans le vent, je l'ai déjà dit, c'est un peu avoir un destin de feuille morte. Il vaut mieux avoir une réflexion un peu plus sérieuse. La France n'a pas à se substituer aux Etats. La France adapte naturellement son comportement à l'égard de l'Afrique, à l'évolution de l'Afrique, nous ne sommes plus dans la période coloniale. Par conséquent, le rôle de la France est, de très loin, le premier donneur d'aide à l'Afrique.

La France, malgré ses difficultés et pour des raisons à la fois morales et politiques, est aujourd'hui le deuxième donneur d'aides en valeur absolue après le Japon et très loin devant l'Allemagne puis les Etats-Unis qui s'intéressent très peu à l'Afrique sur le plan économique et financier. La France est de très loin le premier donneur d'aide mondiale, s'il s'agit du pourcentage par rapport à sa richesse nationale. Elle entend conserver, parce c'est sa vocation, cette position, mais aussi parce que c'est son intérêt. De ce point de vue il n'y a aucune évolution, je veux dire, nous maintenons un cap clairement fixé.

Deuxièmement, le rôle de la France est d'alerter en permanence des responsables internationaux dont un certain nombre, pour des raisons qui tiennent à leurs problèmes internes, sont tentés par le désengagement à l'égard du développement en général et en Afrique en particulier. La France a pour vocation, je le crois, de soutenir activement la thèse selon laquelle, l'exigence morale, et intérêt politique de la planète, est que les pays riches continuent à exprimer leur solidarité avec les pays en développement.

C'est un combat difficile, cela a été tout le combat en particulier du G7 à Lyon. Je ne dirais pas que la France a été isolée parce que le Japon l'a toujours soutenue, mais elle a eu beaucoup de difficultés à faire admettre son point de vue, ne serait-ce que pour faire inscrire le problème du développement à l'ordre du jour de cette réunion du G7, et ensuite pour obtenir des décisions concrètes. Voilà le rôle de la France, et de ce point, des difficultés particulières.

M. COMPAORE -

Je voudrais ajouter à ce sujet d'ailleurs que l'esprit de cette rencontre de Ouagadougou, c'est justement de mieux préciser les rôles des uns et des autres. Si vous avez suivi, nous avons beaucoup parlé de la gouvernance, un obstacle au développement de l'Afrique, la mal gouvernance. Dedans, nous n'avons pas une responsabilité de la France, mais nous avons une responsabilité des sociétés africaines, des dirigeants africains. C'est justement pour indiquer que, par rapport à nos ambitions, par rapport à nos besoins, aux sollicitations des uns et des autres, aux revendications de nos populations. Ce que la France peut faire, nous l'avons dit, le Président Chirac nous l'a répété hier, c'est de nous accompagner au regard de ce que nous avons fixé comme objectif pour nos sociétés et nos populations, la France le fait si bien.

Nous avons suivi le Président Chirac à Lyon, au G7, à Halifax. Nous connaissons aussi le niveau d'engagement de la France en matière de coopération, d'engagement financier. Je crois que ce que nous pouvons aujourd'hui souligner, c'est que le grand rôle revient surtout aux Africains.

Le monde, vous le savez, est très ouvert, et d'ici deux à trois ans la France sera dans une grande Europe et je ne sais pas si en ce moment, nous allons nous demander quel va être le rôle de l'Europe, mais ce qui est certain aujourd'hui, c'est que nous avons des responsabilités à prendre et c'est ce que nous avons voulu au niveau de ce Sommet, préciser les questions qui ont été à l'ordre du jour de notre réunion, pour faire en sorte que les Africains prennent davantage conscience de la nécessité de s'organiser, en comptant sur leur énergie, sur leur intelligence, sur leur potentialité, mais en attendant toujours de la communauté internationale une grande solidarité, un apport plus poussé des moyens dont nous ne disposons pas, des technologies, de la science, pour nous faire avancer. C'est ce que je voulais préciser sur cette question et appuyer le Président Jacques Chirac.

QUESTION - C'est une question sur la République Centrafricaine qui s'adresse à tous les deux. Monsieur le Président de la République française, d'abord hier l'armée française a été obligée de riposter face aux mutins, est-ce qu'il serait temps, à vos yeux, d'envisager le rapatriement de nos expatriés sur place, et quel regard portez-vous sur la mission des Chefs d'Etat africains qui vont se rendre à Bangui, et pour compléter ma question, Monsieur Compaoré, très concrètement, comment est-ce que vous envisagez cette mission ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez que l'armée française est présente à Bangui depuis longtemps, dans le cadre d'une base qui a été, bien entendu, négociée entre les autorités centrafricaines et la France.

Deuxièmement, la Centrafrique est un pays qui dispose aujourd'hui d'institutions qui sont à la fois légales et légitimes, et je souhaite qu'on ne retombe pas dans des errements du passé consistant à contester par la force des institutions légales et légitimes.

Troisièmement, il va de soi que la France n'a pas d'ingérence à faire dans les affaires intérieures du Centrafrique et que l'armée française ne peut en aucun cas être partie prenante au débat politique interne.

Quelle est sa mission ? Premièrement une mission de coopération avec l'armée centrafricaine, deuxièmement, au terme des accords franco-centrafricains, défendre la République Centrafricaine contre une éventuelle agression extérieure, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. A partir de là, les forces françaises aujourd'hui -auxquelles les autorités centrafricaines ont fait appel- ne peuvent que, dans la mesure du possible, participer au maintien de l'ordre pour éviter des dérapages qui pourraient avoir des conséquences humaines fâcheuses. Coopération avec les forces de l'ordre légale, mais très limitée, juste pour éviter le pire si celui-ci se présentait. Troisièmement, protéger les communautés étrangères : française, européenne, américaine, japonaise -parce qu'il y a à Bangui une communauté japonaise-. Voilà c'est cela le rôle de l'armée française, et cela ne peut pas être autre chose.

Je me réjouis qu'à l'initiative du Président Compaoré, quatre Chefs d'Etat ou plus exactement trois Chefs d'Etat, sous la Présidence du Président Compaoré -c'est-à-dire le Président du Gabon, le Président du Mali, le Président du Tchad, sous l'autorité du Président Compaoré- vont accomplir dans les heures qui viennent une mission de conciliation, d'ouverture, de dialogue, entre les différentes parties prenantes au débat politique à Bangui.

M. COMPAORE -

Là dessus, ce qu'on peut dire, -nous n'avons pas toutes les informations- il semble qu'il s'agit d'une question de lutte pour le pouvoir. Ce qui est certain, nous Chefs d'Etat réunis à Ouagadougou, nous avons réaffirmé notre soutien aux institutions démocratiques librement instaurées par le peuple Centrafricain, et notre mission c'est d'abord une mission d'investigation pour savoir exactement quelle est la situation, et ensuite nous adresser à Monsieur Ange-Félix Patassé, aux autorités centrafricaines, au Premier ministre, et en même temps discuter avec la classe politique, car il nous faut traiter la question à un niveau du respect de la légalité.

C'est cette question qui sera pour nous prioritaire ; comment amener les uns et les autres à mieux s'organiser pour que les institutions coopèrent dans l'esprit républicain. Maintenant, il reste que, par rapport à d'autres informations, il se peut qu'un mouvement non désigné oeuvrant aussi par des voies illégales pour l'accès au pouvoir, qu'un tel mouvement soit en quelque sorte en train de se manifester dans certains quartiers de Bangui. Mais sur place, nous verrons aussi par rapport à la situation ce qu'il faut faire : qu'est-ce qu'il faut proposer aux autres Etats africains, qu'est-ce qu'il faut proposer à la France et ce que nous pouvons faire ensemble pour éviter un dérapage complet dans ce pays.

Nous avons voulu aller très vite, parce que, comme vous le savez, l'expérience nous a montré que dans ce genre de situation, un incident s'il n'est pas maîtrisé très tôt peut aller très vite et enflammer toute une région. C'est ce que nous avons vécu tout dernièrement autour des Grands Lacs. J'ai eu des entretiens téléphoniques avec le Président Patassé, avec certains centrafricains, mais pour l'instant je ne peux pas vous dire exactement ce que nous allons pouvoir faire. Mais nous avons l'ambition, la conviction qu'il faut y être pour écouter, pour conseiller, pour suggérer, pour proposer.

QUESTION - Ma question s'adresse au Président Compaoré. Un des thèmes abordés au cours de ce Sommet concerne le franc CFA par rapport à l'arrivée de l'Euro, sur lesquels les pays africains ne s'étaient pas exprimés jusqu'à présent ; est-ce que les garanties apportées par la France que la convertibilité du Franc CFA sera toujours maintenue par le trésor français, a levé toutes les inquiétudes que les pays africains pouvaient avoir vis-à-vis de l'arrivée de l'Euro ?

M. COMPAORE -

.. mais puisqu'on parle du trésor français....

LE PRÉSIDENT - Notre coopération est suffisante pour que le Président Compaoré puisse donner son avis sur le trésor français.

M. COMPAORE -

Alors ce que je dirais, c'est qu'effectivement nous sentons l'Europe bouger, s'organiser, aller vers une monnaie unique à l'horizon 2000. En raison des relations, des mécanismes de coopération monétaire qui existent entre les Etats de la zone franc et la France, bien sûr nous avons essayé de poser nos préoccupations au Président Jacques Chirac, qui nous a affirmé que dans le cadre des accords du traité de l'Union Européenne, il est précisé que l'entrée de la France dans un ensemble européen, sur le plan monétaire, laisse encore la place pour une coopération monétaire du genre que nous avons.

Maintenant il restera, entre nous et la France, à voir quelles seront encore les modalités, les mécanismes nouveaux à mettre en place. Mais ce que nous pays membres de la zone franc nous avons souligné à la France, c'est que, parallèlement à cet effort que la France va déployer pour continuer cet coopération monétaire avec nous. Il nous revient d'organiser au mieux nos économies car tous les problèmes d'une coopération d'un partenariat de ce type c'est bien sûr la santé des économies, la santé des finances publiques. Là-dessus, nous nous organisons, nous espérons être au rendez-vous c'est-à-dire pouvoir disposer au moment venu d'assez de réserves à notre compte d'opérations au trésor français pour éviter que le contribuable français ne soit appelé à participer à des efforts alors qu'on sait qu'il a certainement d'autres domaines qui intéressent aussi les efforts des Français. Mais je voudrais laisser la parole donc au Président Chirac qui était avec nous, avant hier, pour préciser ce qui c'est dit et ce qui a été arrêté.

LE PRÉSIDENT - J'ai simplement indiqué au Chef d'Etat de la zone franc que la mise en oeuvre de la monnaie unique européenne, 1er janvier 1999, ne comportait aucune espèce de conséquence pour la zone franc. Le traité de Maastricht prévoit que chaque monnaie peut avoir des relations monétaires avec d'autres monnaies puisque les mouvements qui représentent ces relations monétaires sont des mouvements qui touchent la trésorerie et donc le domaine national et non pas le budget et donc les critères de bonne gestion.

Par conséquent, qu'un certain nombre de pays étrangers appartiennent à la zone franc et donc soient, par là-même, rattachés à l'Euro dans le cadre d'une parité par définition fixe, n'a aucune conséquence ni pour la zone franc ni pour la monnaie unique européenne. Et cela ne change rien à la situation actuelle pour ce qui concerne le compte du trésor et je sais que là encore des propos avaient été tenus par des experts suffisamment expérimentés. Ce qui d'ailleurs est toujours fâcheux, parce que ces affaires sont délicates et il est bon de les traiter avec compétence, ce qui n'est pas toujours le cas, et un certain nombre d'autorités de la zone franc aussi bien politiques qu'économiques s'interrogeaient. Mais je le répète, il n'y a pas lieu de s'interroger. Alors du coup, à la demande du Président Compaoré, je vais envoyer, en début de semaine prochaine, une lettre détaillée à chaque Chef d'Etat de la zone franc pour leur préciser très exactement la situation et leur expliquer qu'il n'y a pour eux aucune conséquence, sauf que, au lieu d'être rattachés en parité au franc français seulement, ils seront désormais rattachés en parité par l'intermédiaire du franc français à une monnaie internationale forte et, par conséquent, ils y trouveront un avantage certain en matière de crédibilité et de confiance.

QUESTION - Monsieur le Président, vous nous avez parlé des échanges spontanés et intéressants que vous avez eu sur la région des Grands Lacs. Est-ce que ces échanges débouchent ou peuvent déboucher rapidement sur des initiatives concrètes et lesquelles ?

LE PRÉSIDENT - Je laisserai le Président Compaoré donner son sentiment sur ce point..... Bon, alors, le Président Compaoré dit qu'il y a une dame qui voulait poser une question.

QUESTION - Est-ce que le Sommet France-Afrique a amorcé hier un dégel des relations entre la France et le Rwanda, puisque pour la première fois il y a eu une rencontre au plus haut niveau entre M. de Charette et des responsables rwandais ?

LE PRÉSIDENT - Un mot sur la partie de la réunion. Le Président Compaoré a pris l'initiative, alors que ce n'était pas à l'ordre du jour, je dirais d'interrompre les rapports qui avaient été travaillés, préparés par les experts puis les ministres des Affaires étrangères, qui avaient débouché sur deux motions importantes communes pour laisser se dérouler un débat spontané sur la situation dans les grands lacs. Je crois qu'il y a eu tout à fait raison et nous avons eu ainsi l'intervention de beaucoup de participants notamment de tous ceux qui sont dans cette zone, de façon très intéressante.

J'ai été frappé par l'absence totale d'agressivité, par l'écoute de chacun, notamment à l'égard de ceux qui n'avaient pas la même thèse qu'eux et si je devais tirer une simple conclusion, je dirais que chacun est reparti avec, probablement, une meilleure compréhension des arguments des autres et qu'à ce titre peut-être l'idée, qui est depuis longtemps celle de la France, de la nécessité d'une conférence internationale regroupant au moins les cinq parties concernées de la zone et tenue sous l'égide ou sous la responsabilité -parce que j'ai remarqué qu'il y avait un débat sémantique sur ce point dont je n'ai pas d'ailleurs compris très exactement la réalité, mais peu importe-, donc sous l'égide ou sous la responsabilité de l'OUA et de l'ONU. Et bien, je pense que cette idée, au total, a du progresser quelque peu, si j'en crois notamment les conversations bilatérales qui ont eu lieu entre le ministre français des Affaires étrangères et les représentants de cette zone y compris naturellement le représentant du Rwanda.

M. COMPAORE - Je dois dire que ce que nous avons apprécié surtout, c'est la qualité de la participation à ce débat. Imaginez, au même moment, trois, quatre heures, on a passé en question : l'Erythrée, l'Ethiopie; le Zimbabwé, le Congo, le Zaïre, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, qui interviennent sur la question. On pourrait comprendre combien nous avons bien sûr, avancé par les points de vue des uns et des autres, mais l'essentiel, c'est qu'ensemble nous avons appelé à une meilleure concertation entre les pays. Il faut éviter d'isoler telle ou telle personne et c'était surtout le cas du Burundi. Nous avons écouté le Président du Burundi qui a donné son point de vue, d'autres pays ont contesté, polémiqué, ont ajouté...

LE PRÉSIDENT - Je ne dirai pas polémiqué. Ont contesté mais pas polémiqué, c'est ce qui m'a frappé.

M. COMPAORE - C'est pour cela que j'ai précisé à des moments donnés, qu'il fallait éviter la polémique et je crois qu'effectivement, beaucoup sont revenus à des points de vue très sains et là-dessus je dis donc que le dialogue, nous avons tous revendiqué pour cette région beaucoup de dialogues, beaucoup de concertation entre les Etats.

Je crois que nous nous sommes aussi mieux compris sur certaines questions, notamment une question sensible, c'est la force internationale dans la région. Ce que nous avons dit là-bas c'est que pour nous -peut-être que nous sommes loin de la région- ce qui compte c'est quoi ? C'est qu'on nous dit qu'il y a une partie, une moitié de réfugiés qui est retournée au Rwanda. Mais il reste non seulement une grande partie, une autre moitié, mais il y encore des populations zaïroises qui, du fait du conflit, sont éparpillées dans la nature, aujourd'hui.

Et pour nous, il n'y a pas d'autres moyens pour la communauté internationale d'intervenir auprès de ces populations, de ces réfugiés, que d'aller sur place, et aller sur place dans ces montagnes, dans ces forêts. Il faut essentiellement une force d'intervention pour appuyer l'action des associations et organisations humanitaires. C'est ce que nous avons précisé. Mais dans l'ensemble, je dois dire que les gens se sont parlés, ils ont répondu aux préoccupations des uns et des autres sans, bien sûr, revenir sur des détails, sur la légitimité de telle ou telle personne, et je crois que c'est ce qui a été, de notre point de vue, intéressant. J'ai discuté peu après avec le Premier ministre du Rwanda, qui par exemple m'a dit toute sa satisfaction pour cette rencontre d'hier après-midi. Je crois que c'est ce que vous avez aussi pu avoir comme point de vue.

LE PRÉSIDENT - Tout à fait. Je dirai également deux choses, c'est qu'il y a eu une unanimité pour affirmer que, en aucun cas, le principe de l'intangibilité des frontières devait être mis en cause, en aucun cas. Et deuxièmement, j'ai été frappé aussi par la condamnation unanime de l'idée qui avait été évoquée ici ou là, -unanime- la condamnation des parachutages de vivres ou de médicaments, pour des raisons à la fois morales et pratiques. Ce sont deux points supplémentaires.

Avant de terminer, je voudrais simplement dire un mot. J'entends qu'on s'interroge sur la politique africaine de la France, il est légitime de s'interroger sur tout, faut-il, là encore, le faire sans être soumis à des influences extérieures et pas toujours désintéressées. Je voudrais faire observer qu'il y a une continuité de la politique africaine de la France. Depuis longtemps la politique africaine que je suis, est dans le droit fil de celle qui a été suivie par Monsieur Mitterrand, qui n'était pas fondamentalement différente de celle de ses prédécesseurs, sous une seule réserve c'est que, chaque fois, ces politiques s'adaptent aux réalités, naturellement. On est passé d'une époque coloniale à une époque de partenariat et de coopération. Et on n'y est pas passé du jour au lendemain. On y est passé avec une évolution des choses, des esprits, et qui a exigé en permanence des adaptations. C'est ce qui fait que, sans cesse, nos relations, nos rapports, notre coopération, notre politique s'adaptent à l'évolution des choses.

La bonne gouvernance est un élément capital. Le respect de la démocratie s'est tout de même très largement étendue en Afrique et la nature des relations que nous pouvons avoir, en est modifiée. Elle n'en est que plus confiante naturellement, mais elle en est modifiée dans sa nature. Il n'appartient plus à un pays étranger à l'Afrique, quel qu'il soit, de faire de l'ingérence, il doit faire du partenariat, les choses évoluent. Et c'était également très net dans le sommet.

Je vous remercie.





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