Conférence de presse du Président de la République au Palais de Baabda à Beyrouth.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Palais de Baabda.

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Beyrouth, Liban, le samedi 6 avril 1996

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord saluer les représentants de la presse du Liban, je voudrais aussi remercier les journalistes français et quelques uns de vos confrères étrangers.

Je répondrais plutôt à vos questions parce que j'ai dit un certain nombre de choses, ici à la fois sur les raisons et l'objectif de mon voyage. Je rappellerais simplement que, peu de temps après mon élection, j'ai reçu le Président Hraoui pour discuter à Paris avec lui des modalités de renforcement des relations entre la France et le Liban, c'était au début juin. Fin juillet j'ai reçu le Premier Ministre Hariri, j'ai passé les premiers accords de coopération avec lui et j'ai voulu naturellement ensuite venir ici sur place.

Je l'ai voulu pour deux raisons : d'abord faire ressortir, réaffirmer au-delà des vicissitudes, au-delà des problèmes politiques la permanence des liens entre la France et le Liban et d'autre part manifester la confiance de la France dans l'avenir du Liban. Enfin appeler, si j'ose dire, sur le plan très amical tous nos amis libanais à se rassembler dans l'effort de reconstruction et de paix.

J'ai souhaité également lancer un appel à tous les Libanais qui sont hors du Liban pour qu'ils s'associent avec coeur et détermination à la résurrection du Liban de toujours.

Les principaux points des entretiens que j'ai pu avoir avec les représentants de toutes les familles libanaises ont concerné essentiellement le processus de paix, vous le savez, et les relations bilatérales sur le plan économique où le Ministre, Monsieur Arthuis, a signé un protocole avec le Premier Ministre du Liban.

Sur le plan politique, où avec Monsieur de Charette, nous avons évoqué tous les problèmes de nos relations et la volonté de la France de retrouver dans cette région du monde, notamment à partir du Liban, une présence et un rôle qui s'étaient peut-être un peu érodés avec le temps.

Dans le domaine également de l'éducation - et j'avais demandé au Ministre de l'Education nationale, Monsieur François Bayrou, d'être présent pour pouvoir avoir les contacts nécessaires - nous avons lancé l'Ecole Supérieure des Affaires qui a pour vocation de devenir un centre de formation au plus haut niveau pour l'économie et les affaires non seulement pour le Liban mais pour l'ensemble de la région. Nous avons également signé des accords, pour renforcer les relations entre la France et l'Université Saint-Joseph, et d'autre part avec l'ensemble des universités libanaises.

Dans le même esprit le Ministre de la Francophonie, Madame Sudre, a travaillé notamment dans le domaine de la qualité de l'enseignement du français ici au Liban et également sur tout ce qui touche le paysage audiovisuel libanais et la place et la présence du français dans ce domaine.

Enfin le Ministre de la Santé, Monsieur Gaymard, a eu un certain nombre de contacts avec ses homologues libanais.

Voilà l'essentiel de ce voyage qui se terminera par, je dirais, non pas la première pierre mais le premier acte de réhabilitation de la Résidence des Pins qui est un peu le symbole à la fois de l'histoire franco-libanaise et de la présence française ici qui est dans l'état que vous savez, qui a été abandonnée par force par notre Ambassadeur qui y résidait il y a de cela quatorze ans, et que nous allons réhabiliter marquant ainsi la volonté de la France d'être présente comme elle le fût dans le passé au Liban.

Mesdames et Messieurs je suis tout prêt à répondre à vos questions.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que votre visite au Liban constitue un tournant dans les relations franco-libanaises et avez-vous l'intention de visiter la Syrie au cours de cette année ?

LE PRÉSIDENT - La deuxième question n'appelle pas de réponse ici, au Liban. Je ne parlerais pas de tournant pour nos relations qui ont toujours été fidèles. Je dirais plutôt, si vous le voulez bien, un renforcement de la nature et de la force de ces relations.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce qu'au cours de vos entretiens avec les dirigeants libanais vous avez évoqué les conclusions du Sommet de Charm El Cheikh et si oui, est-ce que vous avez quelque chose à nous dire à ce sujet ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez que le Liban, et je l'ai pour ma part regretté, n'était pas présent au Sommet des Bâtisseurs de la Paix, comme l'avait joliment appelé le Président Moubarak, qui avait pour objet d'être un acte de foi dans la force du processus de paix. Alors nous avons effectivement évoqué ce sommet dans le cadre de nos discussions sur le processus de paix. Je suis vous le savez optimiste pour ce processus, peut-être parce que c'est dans ma nature, car je reconnais qu'il y a des risques très grands, mais je veux espérer. C'était cela l'essentiel du message.

QUESTION - Monsieur le Président, lors de vos entretiens avec le Patriarche Sfeir, avez-vous discuté des garanties que réclame l'opposition chrétienne et dont le Patriarche Sfeir se fait un peu le porte-voix pour participer aux élections législatives à l'automne prochain ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons évoqué ces problèmes avec Sa Béatitude, non pas que je veuille faire la moindre ingérence naturellement dans les affaires intérieures du Liban, mais tout simplement parce que je pense comme lui qu'une loi électorale doit être par définition juste et en tout les cas aussi juste que possible. Elle doit permettre à toutes les sensibilités d'être représentées en proportion de ce qu'ils sont. J'espère que la loi qui est en préparation actuellement répondra à ces exigences de justice et permettra ainsi à tous les Libanais, quel que soit leur origine, de participer à ces élections ce qui est nécessaire dans un Etat démocratique. Chacun doit prendre ses responsabilités, à la fois la volonté d'être une démocratie, de réaffirmer, de renforcer la démocratie et la volonté d'assurer le redressement national suppose que tout le monde s'engage, que tout le monde participe. Encore faut-il naturellement que la loi électorale ne lèse personne.

QUESTION - L'envoi d'un émissaire à Damas avant votre visite à Beyrouth a donné lieu à diverses interprétations. Est-ce que vous pouvez nous dire s'il s'agissait d'une sorte de visa d'entrée pour le Liban ou d'une reconnaissance tacite de l'influence de la Syrie dans ce pays ?

LE PRÉSIDENT - Je ne considère pas du tout, compte tenu des sentiments que j'ai depuis longtemps pour le Liban, qu'il me faille un visa d'entrée. Je rentre très bien tout seul et je n'ai jamais été refoulé.

En revanche la France a engagé une politique de dialogue renforcé avec la Syrie, notamment sur des problèmes que nous approfondissons aujourd'hui et qui sont les problèmes des relations financières entre la France et la Syrie. Monsieur Gaymard, dans ses responsabilités antérieures avant qu'il ne soit Ministre de la Santé, avait en charge ce dossier. Comme il avait la confiance de nos interlocuteurs syriens il a fait le voyage auquel vous faites allusion. Naturellement il en a profité pour apporter au Président Afez El Hassad un message de ma part où je lui indiquais quelles étaient mes intentions à l'occasion de ce voyage au Liban.

QUESTION - Monsieur le Président Chirac, vous avez déclaré à plusieurs reprises que vous êtes prêt à aider le Liban surtout sur le plan politique. Comment allez-vous traduire ces promesses et est-ce que vraiment la France a le pouvoir d'obliger Israël à se retirer du Liban ?

LE PRÉSIDENT - La France n'a pas le pouvoir d'obliger quiconque à faire ce qu'il ne veut pas. Mais la France a pour vocation de jouer un rôle plus important que cela ne fût le cas dans le passé dans la poursuite, le soutien, l'élaboration du processus de paix. Le processus de paix suppose naturellement l'application de la résolution 425. Cette application posera des problèmes de garanties et la France a indiqué qu'elle était prête à s'associer, et donc à aider le Liban, à la garantie de sécurité des frontières gardées.par l'armée libanaise et les forces de sécurité intérieure, je l'ai donc confirmé. Mais la France a aussi d'autres moyens d'aider le Liban et elle les met en oeuvre d'abord de façon bilatérale par la coopération économique et financière, ensuite par le rôle qu'elle joue dans l'Union européenne. Cette dernière s'est engagée notamment sur des propositions de soutien à la position de la France en ce qui concerne le Liban, tant sur le plan politique que sur le plan économique et de coopération financière. Là aussi, vous voyez que l'Union européenne aide le Liban. Enfin, la France a vocation à être un acteur important dans l'élaboration d'une grande politique méditerranéenne, tendant à développer dans l'ensemble du pourtour méditerranéen une zone de paix, de liberté, de développement et de stabilité.

Bien entendu le Liban, je dirais par son histoire, par sa situation est un élément important d'une politique méditerranéenne. Et là aussi, la France est prête à aider le Liban à assumer ses responsabilités dans le cadre de cette politique méditerranéenne.

QUESTION - : M. le Président, après avoir rencontré beaucoup de gens, et notamment des représentants de la communauté chrétienne, est-ce que vous avez ressenti dans quel état d'esprit étaient les libanais ? On dit souvent que les chrétiens ont été les grands perdants de la guerre. On dit souvent qu'il y a encore beaucoup de rancoeur, de rancune. Est-ce que vous ressentez cela, comment sont les libanais aujourd'hui ?

LE PRÉSIDENT - : Oh, c'est une question ambitieuse. J'en ai surtout parlé avec les recteurs, les six recteurs des universités. J'aurais souhaité rencontrer des étudiants, des jeunes mais les contraintes de l'emploi du temps ne l'ont pas permis. Alors, j'ai rencontré, hier, pendant une heure les six recteurs des universités et pour tout dire, je leur ai surtout demandé -puisque tous les problèmes de coopération universitaire avaient été traités par Monsieur BAYROU-, quelle était leur perception de l'état d'esprit des jeunes libanais. C'est une question que j'ai posée aussi à la plupart de mes interlocuteurs.

Je vois bien qu'il y a non seulement chez les chrétiens, mais ailleurs, une inquiétude, parfois une angoisse. Cette inquiétude tient comme pour hélas, beaucoup de jeunes aujourd'hui, aux perspectives d'emplois. Mais il y a surtout ici au Liban une interrogation sur l'avenir du pays, sur ce que sera demain. Est-ce qu'il y aura une démocratie complète avec une liberté, une indépendance qui permette aux jeunes traditionnels libanais de s'épanouir ou au contraire les contraintes que nous connaissons aujourd'hui sont elles de nature à perdurer, voire à se renforcer ?

Je vous l'ai dit, moi, je suis quelqu'un d'optimiste et je considère que rien n'est inévitable et que nous devons nous mobiliser pour atteindre des objectifs souhaitables. Et ce que je souhaite c'est dire aux jeunes libanais que leur avenir est d'une part au Liban, et que d'autre part leur avenir est celui qu'ils feront d'eux-mêmes, et que l'on ne réussit pas si l'on ne met pas sa foi.

Je souhaite ardemment un Liban fort, indépendant, retrouvant sa tradition, élément de convivialité, de tolérance, dans un monde où hélas, la tolérance est parfois contestée et même souvent. Et je pense que c'est la vocation du Liban, d'enraciner, de renforcer la tolérance et notamment la compréhension entre le monde chrétien et le monde musulman. Voilà ce que je souhaite dire aux jeunes libanais en espérant qu'ils retrouveront l'espoir, les chrétiens comme les autres.

QUESTION - : A l'issue du Sommet de Charm El Cheick, on remarque une divergence dans les points de vue, d'une part européen, et d'autre part américain. Quelle serait la réalité de la position française en ce qui concerne le processus de paix et la question du terrorisme et quelles seraient les répercussions de ces divergences sur la région et sur le sud Liban surtout ?

LE PRÉSIDENT - : Ces divergences, c'est peut-être un mot excessif. C'est vrai que la France et avec elle l'Europe, a mis l'accent sur la condamnation du terrorisme, c'est évident, mais aussi sur la nécessité de rendre là encore l'espoir aux palestiniens et donc sur la nécessité d'aider les palestiniens à retrouver des conditions de vie et de travail normales. D'où d'ailleurs, l'effort important, la France vous le savez, est le premier contributeur financier pour l'autorité palestinienne. L'Europe, l'Union européenne donnent une partie importante des fonds et nous sommes très sensibles à cet aspect des choses. Nous pensons que la paix doit également se développer dans les coeurs et pour qu'elle se développe dans les coeurs il faut qu'il y ait de l'espoir. C'est vrai que compte tenu de l'horreur des attentats qui ont été commis et qui avaient pour objectifs d'interrompre le processus de paix, de redonner toutes ses chances à la haine et à la violence, les américains ont mis l'accent peut-être un peu plus sur la lutte contre le terrorisme. Mais nous sommes attentifs à ce que le processus de paix à la fois, soit permis grâce à l'éradication du terrorisme mais aussi grâce aux rétablissements des conditions de vie normales et de l'espoir pour les populations palestiniennes.

QUESTION - : M. le Président, nous voudrions savoir si la résistance nationale au Liban sud, qui est un droit sacré à tout peuple dont le territoire est occupé, est perçue par certains comme étant purement du terrorisme. Nous voudrions savoir quelle est la position de la France par rapport à cette question. C'est à dire par rapport à la résistance armée que mène justement un peuple dont le territoire est occupé et qui est un peu l'objet de l'exaction tous les jours de la part des forces occupantes ?

LE PRÉSIDENT - : J'ai répondu à maintes reprises à cette question. Vous connaissez la position de la France. Elle est pour l'application intégrale de la résolution 425.

QUESTION - : Avez-vous évoqué au cours de votre séjour la coopération militaire avec le Liban ? Vous avez parlé tout à l'heure du rôle de l'armée libanaise dans la perspective d'un accord de paix. Monsieur MILLON en a parlé récemment ici. Est-ce que concrètement on en a parlé pendant cette visite ?

LE PRÉSIDENT - : Non pas du tout que nous ayons voulu éviter le sujet, mais tout simplement parce que cette coopération existe, elle se développe et l'affaire a été entièrement traitée par le Ministre de la Défense, M. MILLON, lorsqu'il est venu ici. Donc, il n'y avait rien de nouveau. Ce qui fait que nous n'avons pas évoqué ce problème.

QUESTION - : Est-ce que les dirigeants libanais partagent avec vous votre optimiste quant à l'avenir du processus de paix ? On sait très bien que vous avez évoqué les questions libanaises à plusieurs reprises avec les dirigeants arabes et les dirigeants occidentaux, notamment avec le Premier Ministre Israélien lors de votre visite à Beyrouth. Qu'a-t-il dit à propos du sud Liban ? Et on aimerait bien avoir quelques informations sur votre rencontre avec le Président CLINTON. Il paraît que la question libanaise a été également évoquée lors de cette rencontre ?

LE PRÉSIDENT - : Je le répète. La position de la France est très claire. S'agissant du conflit, soit que le processus de paix aille à son terme, elle condamne toutes les actions qui sont de nature à le mettre en cause. Elle est je le répète pour l'application de la résolution 425. Elle est pour un Liban ayant retrouvé -et elle pense que c'est possible- son indépendance, sa souveraineté sur l'intégralité de son territoire. Ce sont des mots que nous répétons beaucoup mais la répétition a une vertu pédagogique qu'il ne faut pas sous estimer. C'est vrai que la France n'a jamais manqué une occasion d'apporter son soutien au Liban lorsqu'elle discute au sein de l'Union européenne avec ses partenaires ou à l'étranger soit avec Israël, soit avec les Etats Unis, ce que j'ai fait à plusieurs reprises avec le Président CLINTON. Vous aurez peut-être noté, je crois, que je suis semble-t-il, le seul participant à Charm El Cheikh à avoir évoqué le problème du Liban.

Ce qui simplement traduit ma confiance profonde -peut-être difficile à expliquer -dans la force, l'originalité, l'avenir du peuple libanais. C'est pour moi quelque chose d'essentiel. Je disais tout à l'heure que nous connaissons un certain nombre de dérives d'intolérance et jusqu'à la guerre, le Liban a toujours eu pour vocation, me semble-t-il, d'enraciner dans les coeurs et les esprits les vertus de la tolérance sur lesquelles ont été fondées l'histoire de ce pays et qui sont aujourd'hui tout à fait essentielles.

Si nous retrouvons demain dans l'ensemble méditerranéen un Liban qui donne l'exemple de la tolérance, de la convivialité entre les hommes et les femmes ayant par ailleurs des convictions religieuses différentes, cela s'imposera comme un élément de paix et de stabilité partout ailleurs. Par conséquent nous sommes très, très attachés à rendre possible cette résurrection de la vocation du Liban et cela nécessite naturellement son indépendance et le redressement économique de ce pays.

Voilà pourquoi j'y suis attaché dans la mesure, je le répète, où je suis très attaché à la présence de la France dans l'ensemble du Moyen-Orient et au caractère actif de sa politique. J'aurais l'occasion d'ailleurs d'en parler demain au Caire en ce qui concerne l'ensemble de la politique arabe de la France.

Voilà, alors si je dois terminer simplement sur un voeu c'est que mon message soit compris comme un message d'amitié naturellement, mais également un message de confiance dans l'avenir du Liban et dans l'avenir des Libanais.

Je vous remercie.





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