Conférence de presse du Président de la République et du Premier ministre du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. John MAJOR, Premier ministre du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (Palais de l'Elysée)

Palais de l'Elysée, Paris le samedi 10 juin 1995.


Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d'abord remercier les journalistes britanniques, étrangers et français présents ici à l'issue de nos entretiens et leur dire que c'est bien agréable de se retrouver pour parler entre amis. Alors, je ne vous étonnerai pas en disant que nos entretiens ont été très cordiaux et nous ont permis d'évoquer un certain nombre de problèmes. D'abord la préparation du Sommet de Cannes et les questions européennes, en particulier la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996. Vous savez que nous avons un certain nombre d'approches communes, notamment pour ce qui concerne le rôle du conseil et aussi celui de l'association des parlements au travail européens, sur ces points nous avons une certaine convergence. Notre seule difficulté concerne les modalités de mise en oeuvre du Fonds européen de développement. La France souhaite un effort particulier et l'Angleterre est obligée de tenir compte de l'importance de son aide bilatérale. Nous espérons trouver avant le Sommet de Cannes une solution à ce problème de l'aide extérieure apportée par la Communauté, d'une part aux pays en développement, d'autre part aux pays de l'Europe centrale et de l'est, et aussi aux pays méditerranéens.

S'agissant des problèmes extérieurs à l'Europe, l'analyse et les propositions de l'Angleterre et de la France, s'agissant de l'ex-Yougoslavie et la Bosnie, sont, vous le savez, des analyses semblables, et les récentes initiatives prises en commun ont été d'ailleurs, hier, approuvées par l'ensemble des Quinze. Nous demandons la libération immédiate des otages, un effort diplomatique important et notamment la nomination d'un médiateur, Carl Bildt, et la mise en place de la force de réaction rapide permettant de soutenir les casques bleus, là où cela serait nécessaire. Cette force, composée de troupes anglaises et françaises, sera complétée par un contingent hollandais et probablement par deux ou trois autres contingents dans un proche avenir.

S'agissant des relations transatlantiques, nous sommes sur la même ligne concernant le renforcement du partenariat euro-américain dans le respect de l'identité de l'Europe.

Sur le plan bilatéral enfin, nous n'avons pas de difficultés majeures et nous avons la volonté de renforcer notre coopération dans un certain nombre de domaines, notamment dans le domaine militaire.

Nous avons décidé de nous voir le 29 juillet, probablement en France, à l'occasion d'un voyage du Premier ministre en France. Et nous avons fixé, le 30 octobre, pour le Sommet franco-britannique à Londres, Sommet qui sera précédé par un dîner et un entretien amical la veille au soir.

Le Premier ministre britannique va, maintenant, vous parler et ensuite nous répondrons à quelques questions.

M.JOHN MAJOR: - Je vous remercie. Le Président vous a présenté le détail de nos conversations de ce matin et je commencerai par dire que je le soutiens sur tout ce qu'il a dit. Nous avons tenu des conversations pendant près de deux heures et je m'attendais, tout à fait, à ce que nous couvrions énormément de sujets et que nous débattions de questions fortes intéressantes et je n'ai pas été déçu.

Permettez-moi de parler, tout d'abord, de la Bosnie où nous sommes, tous les deux, très préoccupés de ce qui s'y passe à l'heure actuelle. Depuis trois ans, le Royaume-Uni et la France, ensemble, ont eu la part du lion et soutenu à eux deux, la plus grosse part des troupes qui constituent la Forpronu. Et la coopération franco-britannique est devenue très manifeste sur le terrain, puisque des troupes britanniques ont été sous commandement français et l'inverse également, des membres de la Légion étrangère et des troupes de marine ont été sous commandement britannique, ce qui montre bien la nature de notre coopération dans ce domaine.

Je voudrais, à ce stade, rendre hommage aux trente-neuf soldats français qui ont perdu leur vie au court des trois dernières années en Bosnie. Nous sommes très admiratifs de ce qu'ils ont fait, et nous aimerions aussi rendre hommage à ce que la France a fait concernant le pont à Sarajevo.

Permettez-moi de vous rappeler, une fois de plus, pourquoi les troupes françaises et britanniques sont en Bosnie : nous y sommes pour des raisons humanitaires, pour sauver des vies, pour nourrir ceux qui ont faim. Mais nous y sommes également pour un certain nombre de raisons stratégiques. Il faut que nous contenions ce conflit qui, à mon sens, pourrait provoquer, s'il n'était pas contenu, une véritable déflagration dans toute la région. C'est pour cela que je dirai que les troupes britanniques pourront servir à quelque chose, pourront empêcher cette déflagration, sans qu'il y ait, bien évidemment, un niveau de risques trop élevé, pour ces troupes, et bien tant que nous pourrons contribuer à la Forpronu, nous le ferons. Maintenant, j'aimerais ajouter une chose. Si les parties prenantes sur le terrain rendent impossible la tâche de la Forpronu, si la situation devient telle que la Forpronu ne peut pas remplir et accomplir son mandat, et bien là nous serons bien obligés de nous retirer. Mais je répète qu'il ne s'agit pas du tout, pour nous, d'envisager cette possibilité sauf dans une optique très particulière.

J'aimerais dire une chose très clairement, s'il s'avère nécessaire à l'avenir que la Forpronu se retire, et je répète j'espère que tel ne sera pas le cas, et bien je pense profondément, je suis convaincu, que tout le monde en souffrira, qu'il s'agisse des Serbes, des Croates ou des Musulmans.

La Grande-Bretagne et la France coopèrent très, très étroitement et sur une base quotidienne à tous les niveaux : militaire, diplomatique, politique. Quelle qu'elle soit la coopération est très intense. Et je crois que nous avons trois tâches immédiates à accomplir : tout d'abord d'utiliser ces renforcements britanniques et français pour permettre à la Forpronu et aux Nations unies de mieux accomplir la tâche qui leur incombe, de renforcer donc la Forpronu et le rôle de la Forpronu. Je l'ai annoncé hier, une troupe 5000 hommes, aéromobile, va être bientôt déployée sur le terrain, dès que nous aurons réglé un certain nombre de problèmes logistiques qui seront réglés par les Nations unies. Voilà le premier objectif. La deuxième c'est qu'il ne s'agit absolument pas pour nous d'y aller dans un esprit d'agressivité ou de combativité, telle n'est pas notre tâche. Nous sommes là, non pas pour faire la guerre, mais au contraire pour maintenir la paix et pour étayer la paix. Le Royaume-Uni, ceci étant dit, a toujours su réagir avec vigueur à toutes provocations, toutes formes de provocation à son égard, et nous continuerons de le faire si nécessaire. D'ailleurs, toujours sur ce deuxième objectif, je crois qu'il est fondamental pour nous de faire passer le message très clairement aux Serbes qu'ils doivent absolument relâcher dans les plus brefs délais les otages qu'ils continuent à retenir. Troisième objectif majeur c'est qu'il faut, bien sûr, que tout cela se fasse en vue d'un règlement négocié et d'une solution négociée à ce problème.

Très brièvement j'aimerais toucher aux autres points qui ont été soulevés au cours de ces entretiens. Tout d'abord s'agissant de la préparation du Sommet de Cannes, nous avons eu une excellente conversation à ce sujet. Nous avons parlé de beaucoup de dossiers notamment le chômage, la subsidiarité, la déréglementation, la compétitivité et le relancement du groupe d'études. Là-dessus il n'y avait aucun différent sur ces questions entre nous.

Il n'y a qu'un domaine où il y ait un désaccord entre nous, et le Président en a déjà parlé, mais j'espère que nous pourrons trouver, ou régler ces difficultés avant la tenue du Sommet de Cannes. Nous partageons les mêmes objectifs quant au flux d'assistance nécessaire. C'est simplement sur les mécanismes et les moyens d'atteindre ces objectifs qu'il y a un léger différent, mais je pense que nous arriverons à le régler d'ici Cannes.

Nous sommes tout à fait d'accord sur les objectifs de la tenue de la réunion du G7 à Halifax, et nous sommes également d'accord sur une série de questions ayant trait aux relations transatlantiques.

Avant d'entendre vos questions, j'aimerais simplement vous dire combien cette visite m'a paru positive et constructive. D'ailleurs je remercie le Président de l'hospitalité qu'il nous a accordé, je crois que c'est une visite qui a été positive pour la France, pour la Grande-Bretagne et également pour l'Europe.

QUESTION: - Deux questions à Monsieur Chirac. Vous avez souligné les convergences entre la France et la Grande-Bretagne à propos de la préparation de la CIG 96. Je voudrais savoir s'il n'y a pas, quand même, quelques points de divergences entre vous, notamment en ce qui concerne l'extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres ? Deuxième question, concernant le lien transatlantique, est-ce que tous les deux vous avez la même vision de la zone de libre échange qui est actuellement proposée par Sir Leon Brittan ?

LE PRESIDENT: - S'agissant des modalités de vote à la majorité qualifiée, nous entrons là dans les modalités d'application des décisions qui seront prises à la conférence internationale et naturellement, nous n'avons pas parlé de cela, il faut d'abord que les experts étudient et fassent des propositions. Mais je ne suis pas sûr que ce sera un point de difficulté entre la France et la Grande-Bretagne, je suis même persuadé du contraire.

S'agissant de la proposition de zone de libre échange, évoquée par Sir Leon Brittan, tout ce qui permet de faciliter le commerce est naturellement positif. La France est néanmoins attentive à ce que l'organisation commune du commerce soit bien mise en place avant que l'on aille plus loin dans des mesures de libre échange.

Donc, sur ce point, il n'y a pas de projet précis, il y a une orientation générale que nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau.

QUESTION: - M. Chirac, est-ce que vous étiez d'accord avec le Premier ministre sur le fait que la Force de réaction rapide était un petit peu la dernière chance que vous ayez pour maintenir en place et sur le terrain la Forpronu. Deuxièmement savez-vous comment vous allez aborder cette question avec le Président Clinton, qu'allez-vous lui dire ?

LE PRESIDENT: - Nous avons exactement le même point de vue, le Premier ministre britannique et moi sur les objectifs et la nécessité d'avoir cette Force de réaction rapide. J'observe d'ailleurs que ni le Président Clinton, ni le Président Eltsine n'ont émis de véritables réserves sur cette initiative. Vous savez, il y a une situation qui ne pouvait pas durer. Les soldats de la Forpronu sont répartis sur l'ensemble du territoire avec leur mission de paix et très peu de moyens militaires. On a donc vu se développer des phénomènes d'agression, d'humiliation, et ceci nous ne pouvions pas l'accepter davantage. Donc l'idée d'avoir une Force de réaction rapide, c'est aussi les moyens de ne pas mettre nos soldats, les soldats de la Forpronu dans la situation d'être humiliés. Ils peuvent se battre, ils peuvent hélas être blessés, voire tués, ils ne peuvent pas être humiliés, et la Force de réaction rapide répond aussi à cette exigence au-delà de ce que le Premier ministre britannique vient d'indiquer.

M.JOHN MAJOR: - Je ne pense pas que qui que ce soit ait proposé ou ait pensé que la Force de réaction rapide soit effectivement la dernière chance. Ce n'est pas d'ailleurs l'objectif, ni le propos de l'établissement de cette Force de réaction rapide. Cette force est là pour protéger les troupes sur le terrain, pour soutenir la Forpronu dans l'exercice de son mandat mais pas du tout pour faire la guerre ni pour entamer des initiatives qui seraient agressives. Ce n'est vraiment pas une question de dernière chance, c'est une question de savoir pourquoi cette Force de réaction rapide a été créée. De toute façon, je l'ai déjà dit, la solution n'est pas sur le champ de bataille, et ce n'est pas sur le champ de bataille que nous la trouverons. La solution est dans un règlement négocié ; un règlement politique à cette question, et c'est à çà aussi que nous nous employons et que nous allons continuer à nous employer. C'est cela aussi le sens de la création de cette Force de réaction rapide qui constitue effectivement une étape importante, un pas dans une certaine direction, mais certainement pas j'y reviens, une question de dernière chance. Nous serons là pour essayer de faire en sorte que les combats aillent s'amenuisant, qu'il y ait le maximum d'aide humanitaire fourni aux populations sur place, que les gens soient à même d'avoir accès à cette aide humanitaire, et bien évidemment, pour protéger nos troupes et les troupes qui constituent la Forpronu, cela va sans dire. Mais quant à la dernière chance, il n'en est pas question.

QUESTION: - Pour M. John MAJOR. A la lumière de ce que vous nous avez dit vous-même et le Président, pensez-vous que vous venez de trouver un nouvel allié en France, à Paris en particulier, sur les questions ayant trait à l'Union européenne. Pensez-vous que la résultante de cela soit que le Royaume-Uni se trouve moins isolé sur ces questions européennes qu'il ne l'était par le passé ?

M.JOHN MAJOR: - Si je ne vous connaissais pas mieux que je ne vous connais, Paul, je penserai que vous m'avez posé cette question exprès, mais plus sérieusement, je dirai que dans mes relations, dans toutes mes relations et rencontres que j'ai pu avoir avec des gouvernements et des chefs d'Etat français, les conversations se sont produites toujours de façon tout à fait cordiales très franches, très ouvertes, et toujours avec en tête la préoccupation majeure sur des questions françaises ou britanniques et aussi sur des questions européennes. C'était tout à fait le cas avec le Président Mitterrand, c'est tout à fait le cas avec le Président Chirac Il y a énormément de domaines de convergence sur énormément de dossiers, vous vous en êtes aperçu de toute façon même à partir des questions que vous nous avez posées ce matin. Nous parlons d'une même voix, nous sommes tout à fait d'accord sur ces questions importantes. Je ne peux pas dire que ce sera toujours le cas sur toutes les questions, dans tous les domaines, à l'avenir, mais ce qui vaut pour la France, vaut pour n'importe quel partenaire et pays européen, il se trouve que sur les choses importantes, nous sommes fondamentalement d'accord, d'ailleurs nos relations remontent, je dirai, à la nuit des temps. Nous avons toujours entretenu d'excellentes relations avec la France, et ce qui est essentiel, ce qu'il faut retenir, c'est que sur les questions vraiment importantes, nous sommes d'accord. Je ne dis pas que nous ne serons jamais en désaccord à l'avenir, qui peut le dire, mais ce que je peux garantir, c'est que même si nous sommes en désaccord sur certaines choses à l'avenir, cela ne pourra aucunement entamer les profondes et excellentes relations entre nos deux pays.

LE PRESIDENT: - Je voudrais ajouter quelque chose. Je pense que la construction européenne, c'est-à-dire le renforcement sans cesse des liens qui unissent les pays européens, est une nécessité absolue pour la survie de l'Europe.

L'Europe étant ce qu'elle est, la qualité de la relation franco-allemande est essentielle pour la faire progresser. La relation franco-allemande est donc nécessaire pour la construction européenne mais elle n'est pas suffisante. Nous ne ferons pas l'Europe sans l'Angleterre. Il est donc essentiel de comprendre les problèmes spécifiques de l'Angleterre. Je pense que la France peut jouer un rôle pour trouver la synergie indispensable à la construction européenne entre l'ensemble des pays de l'Union et notamment entre l'Angleterre, l'Allemagne et la France.

QUESTION: - Monsieur le Président, j'ai deux questions. S'agissant du débat qui va se tenir à Cannes sur les préparations techniques en vue d'une monnaie européenne unique, pensez-vous que lors de ces discussions à Cannes il faille se mettre d'accord sur un nom, une nomenclature, pour cette monnaie unique de façon à pouvoir l'annoncer suffisamment tôt aux différentes populations européennes pour qu'elles puissent se faire à l'idée. Et d'ailleurs à cet égard, quel serait votre choix préféré ou personnel ? Et par ailleurs, le Premier ministre a annoncé cette semaine, ou a déclaré devant la Chambre des communes, qu'à son avis les circonstances ne seraient jamais toutes réunies pour franchir le pas et passer à une monnaie unique. Est-ce que, pour vous, cela a été source de déception ?

LE PRESIDENT: - Sur le premier point, je dirai que le nom de la monnaie unique n'est pas à l'ordre du jour à Cannes. Sur le deuxième point, je connais et je comprends l'analyse britannique concernant la monnaie unique. Et il y a au moins un point sur lequel John Major et moi sommes d'accord : c'est que les conséquences d'une monnaie unique entre 5, 6, 7 pays de la Communauté sur la situation économique de l'ensemble de l'Union, donc avec des pays qui n'auraient pas cette monnaie unique ces conséquences n'ont pas été jusqu'ici suffisamment étudiées. Et donc il est nécessaire d'étudier cette situation de façon très objective et aussi rapidement que possible.

Pour ma part je suis favorable, bien entendu, au respect par la France des engagements de Maastricht et la France fera les efforts nécessaires pour remplir les conditions d'entrée dans la monnaie unique conformément aux exigences du Traité, C'est-à-dire au 1er Janvier 1999.

M.JOHN MAJOR: - J'aimerais réagir en disant une chose, par rapport à cette question puisque le Président et moi-même, en avons tout de même assez longuement discuté ce matin. Je commencerai par dire que l'une des hypothèses qui n'a pas vraiment été officiellement avancée mais qui a retenu, tout de même, l'attention d'un certain nombre de personnes au début, c'était que tout le monde serait prêt simultanément à engager ce processus. Mais bien évidement l'Union européenne est en plein changement, elle connaît un élargissement, de nouveaux membres la rejoignent. Donc il n'est plus vraiment pratique ou réaliste de partir du principe que tous les membres de l'Union seront, s'ils le souhaitent, à même d'engager simultanément ce processus et de se lancer dans une monnaie unique.

Et comme le Président l'a très justement dit il faut que nous examinions, nous analysions cette situation et que nous en comprenions les implications. Et ces implications sont nombreuses, pas simplement en ce qui concerne l'Union monétaire elle-même, mais en ce qui concerne tous les autres aspects de la vie de l'Union européenne. Et personnellement, je trouve cela très rafraîchissant que ces questions si fondamentales, si importantes soient enfin soulevées très clairement, très directement. Et je me félicite donc de ce processus et j'attends avec impatience les résultats.







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