Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC et de M. Carl BILDT à l'issue du dîner des chefs d'Etat et de Gouvernement du sommet européen de Cannes

Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC et de M. Carl BILDT à l'issue du dîner des chefs d'Etat et de Gouvernement du sommet européen de Cannes


Cannes - Alpes-maritimes, le lundi 26 juin 1995.


Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie d'être restés si tard, ce n'est pas seulement les délices de la table qui nous ont retardés, c'est une journée de travail qui a été bien remplie. Vous en connaissez l'ordre du jour et je n'y reviendrai pas et j'aurai l'occasion de l'évoquer demain lors de la conférence de presse qui terminera la réunion du Conseil.

Toutefois, ce soir, après le dîner, les ministres des Affaires étrangères et le médiateur du groupe des cinq, du groupe de contact et de l'Union européenne, Monsieur Carl Bildt, ont rejoint les chefs d'Etat et de gouvernements pour, d'une part, un compte-rendu de la part du médiateur, de Monsieur Carl Bildt, sur la mission qui lui a été confiée et pour un débat permettant de dégager les axes de la mission de paix qu'il est chargé de poursuivre dans l'ex-Yougoslavie ; et nous avons pensé que le mieux c'était que la Présidence puisse en informer la presse dès ce soir. Je vais donc vous dire ce que nous avons dans ce domaine décidé et nous pourrons répondre, Carl Bildt et moi, à deux ou trois questions. Vous aurez demain un texte officiel qui sera la même chose que ce que je vais vous dire ce soir mais un peu plus développé.

Nous sommes unanimes à vouloir dans l'ex-Yougoslavie une politique qui soit à la fois claire et ferme. Cette volonté s'est traduite, comme vous le savez, par le regroupement des casques bleus sur des positions plus solides, afin d'éviter que trop nombreux soient ceux qui étaient en réalité dépourvus de moyens et des otages potentiels et d'autre part par la mise en place de la Force de réaction rapide par la France, la Grande-Bretagne avec d'ailleurs un contingent hollandais, et probablement demain quelques autres contingents.

Cette politique a permis (cette politique de fermeté, qui n'est dirigée contre personne, mais qui a pour objectif de faire respecter les soldats de la Forpronu - si l'on veut être entendu, il faut d'abord être respecté) cette politique a permis la libération, sans aucune contrepartie, je le répète et je le confirme, de tous les otages de la Forpronu, qui est aujourd'hui en mesure d'accomplir mieux sa mission, assurée qu'elle est, que dans la mesure où elle se verrait empêchée, humiliée, privée de sa liberté ou agressée, il y aurait immédiatement la réplique de la Force de réaction rapide, dont les derniers éléments sont en train en ce moment même de se mettre en place. Cette mise en place sera finie dans les jours qui viennent.

Alors cette fermeté sur le plan militaire doit s'accompagner d'une fermeté sur le plan diplomatique, tel est donc la signification de la désignation par l'Union européenne, confirmée par le groupe de contact de Monsieur Carl Bildt comme médiateur. Alors nous avons entendu le compte-rendu des premiers contacts de Monsieur Carl Bildt en ex-Yougoslavie et nous lui avons demandé de retourner immédiatement sur place avec les cinq missions suivantes :

- Premièrement, obtenir, ce qui est primordial à nos yeux et préalable à tout, la levée du siège de Sarajevo avec notamment l'établissement tout de suite d'un corridor d'accès terrestre, d'une route d'accès.

- Deuxièmement, renouer le dialogue avec toutes les parties bosniaques sur la base du plan de paix actuel , c'est à dire le plan du groupe de contact, le plan qui prévoit le partage 51-49 mais qui, vous le savez, a des zones d'ombre qui demandent encore à être négociées et discutées (quel est exactement ce partage sur le terrain ? et quelle est ensuite la nature institutionnelle de la Bosnie ?)

- Troisièmement, rétablir le dialogue entre le gouvernement de Zagreb et les responsables serbes de la Krajina

- Quatrièmement, reprendre la négociation sur la reconnaissance mutuelle de la République fédérale de Yougoslavie, c'est-à-dire de Belgrade, dont Monsieur Milosevic, comme vous le savez, est le chef, et de la Bosnie-Herzégovine. Ceci étant considéré comme une première étape vers une reconnaissance générale de tous les Etats issus de l'ancienne Yougoslavie. Il va de soi que nous avons là, dans nos possibilités de négociations celle de jouer sur la levée, ou plus exactement les aménagements à apporter aux sanctions qui pèsent actuellement sur la Serbie.

- Cinquièmement, et enfin, obtenir le plus vite possible, bien que ce soit naturellement une grande ambition et que ce soit difficile, obtenir un moratoire de quatre mois sur toutes les opérations militaires en Bosnie, c'est naturellement notre objectif.

Il a été demandé à Monsieur Carl Bildt de rendre compte de ses efforts aux ministres des Affaires étrangères qui vont tenir la prochaine réunion ministérielle des Quinze à l'occasion de leur Conseil du 17 Juillet et le Conseil européen a invité (je l'avais déjà fait à Halifax en obtenant satisfaction) les Etats-Unis et la Russie à soutenir sans réserve cette initiative de paix et à appuyer naturellement l'action menée par le Médiateur européen.

Je ne sais pas si Carl Bildt veut ajouter un mot ou si nous passons à quelques questions.

QUESTION: M. le Président de la République, vous avez fixé comme premier objectif la levée du siège de Sarajevo. S'agit-il de l'obtenir par des moyens purement diplomatiques ou peut-on envisager l'ouverture d'un corridor par la force ?

LE PRESIDENT: Vous savez qu'il y a une solution qui exigerait la mise en place définitive de moyens importants. Ouvrir un corridor est une chose. Le maintenir ouvert en est naturellement une autre, et qui exige un nombre de soldats non négligeable, j'évalue moi pour le corridor, c'est-à-dire la route ouest de Sarajevo qui fait une quinzaine de kilomètres, moi j'évalue à 4 ou 5000 hommes les contingents nécessaires pour maintenir un tel axe ouvert. Donc dans l'état actuel des choses, j'ai cité la levée du siège de Sarajevo parmi les objectifs à obtenir par la voix d'une diplomatie plus ferme. Je pense qu'aujourd'hui, dans le cadre d'une négociation avec l'ensemble des parties bosniaques, on devrait pouvoir obtenir la levée du siège de Sarajevo ce qui est naturellement le préalable à la suite.

QUESTION: Monsieur le Président ce que je voudrais savoir, c'est que à la fois la levée du siège de Sarajevo, l'établissement du corridor, le dialogue entre les différentes parties, tout cela ce sont des choses dont on a déjà parlé souvent et on a proposé maintes solutions, sur quoi fondez-vous votre espoir que maintenant vous allez arriver à quelque chose de concret, qu'y a-t-il de nouveau ?

LE PRESIDENT: Ce qu'il y a de nouveau c'est un comportement totalement différent de la communauté européenne et du groupe des cinq, qui jusqu'ici avait une attitude qui consistait à avoir envoyé sur place des soldats désarmés ou quasiment et à subir en espérant que leur répartition sur l'ensemble du territoire dans un environnement hostile serait suffisant pour dissuader. Je ne fais aucune critique sur le passé naturellement, mais c'était une toute autre stratégie. Alors l'élément nouveau c'est à la fois une volonté de se faire respecter, cela c'est la partie militaire, je dirais qu'elle s'analyse dans deux choses : la première c'est des ordres qui ont été donnés aux soldats et notamment aux soldats français de riposter chaque fois qu'ils l'estimaient nécessaire, ça c'est fondamentalement nouveau, enfin depuis un mois ; et la deuxième c'est la création de la force de réaction rapide franco-britannico-hollandaise. Donc sur le plan militaire un comportement nouveau, tout à fait différent du comportement préalable. Sur le plan diplomatique la même chose, nous avons engagé une action diplomatique qui consiste également à nous faire respecter.

Alors je ne vous dis pas pour autant que les choses vont se régler, chacun a conscience de la complexité de la situation et combien elle est psychologiquement délicate donc je ne prétends pas que nous avons des assurances mais à partir d'une plus grande fermeté militaire, d'une plus grande fermeté diplomatique et de la volonté de se faire respecter nous re-situons des objectifs qui naturellement sont les mêmes qu'auparavant c'est à dire l'établissement de la paix.

L'établissement de la paix cela passe par un ensemble, par une chaîne dont le premier maillon c'est la levée du siège de Sarajevo et le début de la levée du siège de Sarajevo c'est l'ouverture d'un corridor, puis le pas suivant c'est la liberté de l'aérodrome, puis la certitude que les convois humanitaires pourront passer définitivement et sans problème etc. On engage un processus et pour cela notre médiateur prendra contact avec l'ensemble des parties concernées en Bosnie, en Croatie, en Serbie, en Krajina, partout, et il a le feu vert de la Communauté pour prendre ces contacts.






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