Conférence de presse du Président de la République à Halifax.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République.

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Halifax, Canada, le jeudi 15 juin 1995

Mesdames,
Messieurs,

Je vais faire deux petites réflexions préalables. La première pour vous exprimer ma reconnaissance car je sais qu'il n'est pas toujours facile de faire ce genre de voyage sur le plan matériel, ni d'y exercer ses fonctions de journaliste de façon aisée. La deuxième est une réflexion sur le G7 lui-même.

D'abord, je trouve qu'après quelques excès que l'on a pu enregistrer dans le passé le Premier ministre canadien a tout de même engagé un processus pour conduire le G7 à un peu plus de modestie. Il a eu raison et puisque l'année prochaine la réunion aura lieu en France à Lyon, je poursuivrai dans la voie engagée par le Premier ministre canadien, c'est-à-dire plus modeste.

Je trouve qu'en effet il n'y a pas lieu de faire des excès, les entretiens que permet le G7 sont des entretiens positifs, intéressants surtout dans la mesure où ils sont relativement conviviaux, entourés d'un minimum d'apparat et où ils permettent de véritables échanges. C'est vrai que lorsque l'on dit que les hommes discutent ensemble, les hommes ou les femmes, les choses apparaissent de façon différente et ne sont pas les mêmes que lorsqu'ils discutent au travers de courriers ou de notes. Donc, le principe est bon, il avait donné lieu à des excès sur lesquels il faut sans aucun doute revenir et je dois dire que je trouve que les choses ici au Canada ont été très remarquablement organisées. Je pense que tous les chefs d'Etat et de gouvernement présents ont été sensibles à la qualité de l'organisation canadienne.

En ce qui concerne les sujets évoqués tout n'a pas encore été fait parce que vous le savez nous avons encore des entretiens lors du dîner de ce soir. Les dîners sont très intéressants parce que l'on y parle de façon très libre de sujets importants et puis il y a encore des sujets qui sont abordés demain.

Aujourd'hui, si j'excepte la Bosnie qui naturellement a occupé une partie de nos entretiens notamment hier soir à l'occasion du dîner et beaucoup plus rapidement aujourd'hui simplement pour confronter nos informations réciproques sur la situation, nous avons pu évoquer de façon sérieuse, plusieurs sujets préoccupants. Nous avons consacré une partie non négligeable de nos entretiens à l'emploi de façon à essayer de déterminer comment nous pourrions ensemble avoir une approche plus efficace des problèmes de l'emploi.

Vous savez que le G7 avait tenu à Détroit l'année dernière une conférence sur l'emploi qui avait ouvert un certain nombre de voies intéressantes. Que peut-on attendre d'une telle initiative, d'une telle conférence ? Plusieurs choses.

La première, des échanges d'expérience. J'ai pour ma part eu, avant hier à Washington, des entretiens avec le secrétaire d'Etat au Travail américain qui est un homme particulièrement expérimenté dans ce domaine, particulièrement intelligent sur ces choses et il est évident que des échanges d'appréciation ou d'expériences sur ces problèmes sont profitables. Il y a aussi la manière de concevoir des actions communes et tout ceci m'a conduit après avoir étudié en détail les résultats de la première conférence de Détroit, qui a essuyé un peu les plâtres, naturellement a proposé une deuxième conférence du G7 sur l'emploi. J'ai proposé qu'elle ait lieu à Paris au printemps de l'année prochaine et cette proposition a été acceptée, elle réunira les ministres chargés de l'emploi et les ministres des finances pour essayer de progresser dans ce que tout le monde reconnaît aujourd'hui comme devant être la préoccupation majeure de toutes les politiques économiques des Etats membres.

Nous avons également évoqué plusieurs problèmes importants. La coopération économique et surtout monétaire. Chacun voit bien que s'il est positif d'aborder ou de rechercher l'élimination des entraves au commerce, des entraves techniques, fiscales, douanières, financières et cela a été l'objet de l'Uruguay-Round, s'il est essentiel de mettre de façon efficace en place l'Organisation mondiale du commerce tout ceci est peu de choses finalement par rapport aux distorsions créées par les évolutions monétaires. Par conséquent, il faut une coopération monétaire renforcée. Il fut un temps où le G5, à l'époque, et le G7 ensuite avait une efficacité qui s'était traduite notamment au moment des accords du Plaza ou les accords du Louvre par des résultats très intéressants. Il est vrai que l'institution aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était hier, et que les flux financiers internationaux ont connu une expansion considérable qui rendent, naturellement, leur maîtrise infiniment plus difficile.

John Major citait une anecdote, je veux dire amusante a priori, mais dramatique dans ce qu'elle recouvre. Il disait que son ministre des Finances indiquait qu'il avait, je ne me souviens plus quand, quarante milliards de livres pour défendre la livre et qu'il discutait avec un financier international qui avait quatre cents milliards pour l'attaquer. Ce sont des situations évidemment très différentes de ce que nous connaissions, il y a dix ou quinze ans, et qui exigent, tout de même, une vraie réflexion.

Je trouve, pour ma part, qu'on accepte un peu facilement ces situations et on a un peu trop tendance à considérer que face à ce phénomène, nous sommes en réalité désarmés que nous ne pouvons rien faire. Je ne suis pas tout à fait de cet avis, et je suis persuadé que nous devons, ensemble, rechercher des initiatives et des moyens qui permettent de limiter les conséquences de la spéculation internationale.

Nous avons parlé et évoqué le niveau des salaires, accusés par certains - car ce sont des domaines où il y a naturellement des divergences de vues - d'être à l'origine des difficultés en matière de croissance et donc de chômage, ce qui n'est pas du tout mon analyse. Je constate que depuis dix ans, sur le plan international comme d'ailleurs sur le plan national, on a systématiquement privilégié la spéculation. Je ne dirai pas qu'on l'a fait exprès, je dirais qu'on a laissé le mouvement se créer en acceptant les thèses des techniciens qui considéraient qu'il n'y avait rien à faire.

On a donc privilégié la spéculation par rapport au travail, et le résultat est que naturellement on a découragé le travail. Quand on gagne davantage d'argent en spéculant qu'en investissant, il ne faut pas s'étonner si on n'investit pas et si, par conséquent, la croissance est insuffisante et l'emploi en mauvaise situation. Si l'on ajoute à cela les progrès de productivité qui sont inévitables on s'aperçoit qu'on est dans une espèce de système en tenaille dont il faut absolument sortir.

Ce sont des sujets sur lesquels les différentes délégations ont des avis qui ne sont pas convergents, raison de plus pour redonner au G7 des ministres des Finances plus de réalité, plus de pouvoir un peu comme ils en avaient dans le passé pour essayer de dégager les mesures qui permettraient de maîtriser cette spéculation même si, j'en ai conscience, le problème est difficile.

Cela suppose, notamment, que nous ayons ensemble, et cela ne peut être que collectif, une meilleure prévention contre les crises. Chacun a dans l'esprit ce qui s'est passé au Mexique, il y a peu de temps et qui a été à la fois une surprise qui n'aurait pas dû être une surprise, ce qui veut dire que nous n'avions pas les moyens d'observation pour prévenir à temps une crise et ce qui, pour certains pays, a été un véritable drame pour des raisons que personne ne peut définir. Les opérateurs ont vendu de la Hongrie et de la Turquie, pourquoi ces pays plutôt que d'autres et qui, tout d'un coup, sans y être pour rien naturellement dans l'évolution des affaires mexicaines, ont été très fortement pénalisés. Je reconnais que le Fonds monétaire international a réagi avec rapidité et efficacité.

Mais il n'est pas normal qu'une crise de cette nature ait pu intervenir sans qu'on ait pu la prévenir à temps. Je dirais la même chose de telle banque, qui tout d'un coup à partir d'un opérateur agissant à Singapour, met en cause les bases du système monétaire international. Il y a là donc un effort à faire ensemble pour avoir une meilleure coopération monétaire et ça, les représentants des délégations présentes, ici, du G7 en ont parfaitement conscience. Nous sommes décidés à renforcer très sensiblement les moyens de prévention des accidents et notamment grâce au Fonds monétaire international.

Un deuxième sujet a été abordé, d'ailleurs surtout par moi, mais qui fera l'objet de développement plus important demain, concernant l'aide aux pays en développement.

Nous sommes dans une situation paradoxale. Les pays en développement pour certains d'entre eux, notamment en Afrique connaissent une dégradation sensible de leur situation, ceci étant dû à une insuffisante capacité de développement et à une démographie extrêmement importante. Cela présente des risques considérables d'abord à l'égard bien entendu de la morale. Nous ne pouvons pas être des pays prétendant défendre en toute occasion les Droits de l'Homme, la démocratie donc la solidarité et l'égalité des chances et ne pas accepter les conséquences de ces affirmations.

Or, nous sommes dans un moment où l'aide au développement est de plus en plus, je dirai contestée, notamment par la majorité actuelle du Congrès aux Etats-Unis et dans d'autres pays aussi. Je crois que c'est une erreur à la fois morale et politique qui peut conduire à des déstabilisations profondes du monde de demain car si l'on ne trouve pas les moyens de permettre aux pays en développement de fixer leur population par une activité sur place, il y a fort à parier qu'il y aura des conséquences graves sur le plan de la stabilité politique dans les décades qui viennent.

D'où l'importance que la France attache pour des raisons, je le répète, à la fois politiques et morales à l'aide au développement. Nous avons obtenu, dans le communiqué qui a été distribué, qu'un effort soit fait et que notamment la reconstitution des moyens de la Banque mondiale, en ce qui concerne l'Aide internationale au développement, soit adoptée non sans mal. J'espère que nous obtiendrons de la même façon que la procédure de fonds de relance du Fonds monétaire international, qui avait été adoptée à Venise, sur proposition française d'ailleurs au Sommet de Venise du G7, puisse être poursuivie car elle a donné des résultats extrêmement positifs.

Tout le problème, en réalité, est de fournir aux pays qui en ont besoin des prêts à très longs termes et à faible taux d'intérêt car c'est le seul moyen de provoquer le mécanisme du développement. Je pense que l'ensemble des représentants du G7 aura peut-être en partant de Halifax une conviction plus assurée de la nécessité de répondre à ces exigences.

Nous avons également évoqué les réformes des institutions internationales. Il va de soi que les institutions internationales ne sont pas parfaites, rien n'est jamais parfait et tout peut être amélioré, c'est l'évidence. Il ne faudrait pas non plus que nous donnions le sentiment que nous allons tout régler ici, à sept, et pour tout le monde, les institutions internationales dépendent de l'ONU. Je sais que l'ONU n'a pas bonne presse dans la majorité du Congrès américain actuel, je le déplore même, si je suis persuadé que l'on peut effectivement améliorer un certain nombre des moyens des institutions internationales. Mais je pense que c'est au niveau de l'ONU que doit être mené ce débat même si l'on peut admettre que le G7 donne son avis et éventuellement dessine quelques orientations.

Et cela me conduit en conclusion, à indiquer que le communiqué que nous avons adopté et qui je pense vous a été distribué, communiqué de dix pages qui donne satisfaction à la délégation française, et aux autres naturellement, puisque tout le monde l'a adopté, mais qui toute de même, de mon point de vue, est trop long et rentre un peu trop dans le détail. Cela présente un certain nombre d'inconvénients, d'abord un texte long n'est pas lu alors qu'un texte court par définition peut avoir un impact plus fort.

Ensuite, s'il est dans la vocation du G7 compte tenu de la part qu'il prend dans les responsabilités économiques internationales d'indiquer des directions, de donner une vision des choses, il ne lui appartient pas de se substituer à la communauté internationale ou d'apparaître comme une espèce de directoire des pays du monde. Le G7 n'est pas un directoire et donc il n'est pas naturel ou légitime qu'il entre trop dans le détail, cela ne devrait pas être sa responsabilité. J'essaierai d'obtenir l'année prochaine à l'occasion de la réunion de Lyon que l'on centre beaucoup plus sur l'essentiel. Déjà sous l'impulsion du Premier ministre Chrétien, un progrès indiscutable a été fait mais il faut poursuivre dans cette voie et c'est ce que j'ai l'intention de faire.

Voilà quelques-unes des réflexions. Nous avons encore des sujets à étudier notamment tout ce qui touche à la sécurité et à la lutte contre la grande criminalité, le blanchiment de l'argent sale, la drogue etc. Je souhaite évoquer demain les problèmes liés à la lutte contre le Sida qui n'étaient pas inscrits à l'ordre du jour mais que l'on compte évoquer aussi. En ce qui concerne la lutte contre la grande criminalité, nous sommes convenus, lors du déjeuner -cela c'était au déjeuner, cela demande encore à être formalisé- de créer un groupe de travail de haut niveau pour permettre de donner plus de consistance à la synergie de nos actions.

Il y a un problème d'échange d'information et de coordination qui déjà a fait l'objet de progrès sérieux mais qui n'est pas encore bien résolu et qui pose un petit problème. Je l'ai dit à l'occasion du déjeuner au Président américain. Les Etats-Unis ont tendance à souhaiter qu'en réalité leur législation s'applique à l'extérieur, à l'étranger, et notamment que l'étranger accepte leurs lois lorsqu'il s'agit de poursuivre quelqu'un qui est sur leur sol. Ce n'est pas possible naturellement. Alors je comprends très bien leur désir d'efficacité, mais il faut bien naturellement que les actions conduites sur un territoire soient conformes à la législation de celui-ci. Il y a donc là un problème un peu délicat et qui mérite qu'un groupe d'experts de très haut niveau à la fois technique et politique puisse essayer de trouver les solutions qui permettent d'améliorer l'efficacité pour la lutte contre la grande criminalité et le blanchiment de l'argent sale, et la drogue etc.

Voilà quelques-unes des réflexions qui ont eu lieu aujourd'hui, je crois que je n'ai rien oublié. Peut-être ai-je oublié quelques sujets. Nous avons également évoqué, cet après-midi, la coopération entre le G7 et la Russie ; vous savez que le Président Boris Eltsine est arrivé tout à l'heure - pour ma part j'ai un entretien à 18 h avec lui - et ensuite à 19 h nous avons le dîner de ce soir, qui je le répète est une bonne formule ; ce sont des dîners très restreints, où l'échange d'idées est à la fois facile et amical.

Voilà quelques réflexions générales avant de répondre à quelques questions.

QUESTION - Monsieur le Président, apparemment vous avez de très bonnes relations avec le Président Clinton, il l'a dit lui-même tout à l'heure, alors qu'est-ce qu'il vous répond lorsque vous lui parlez de ce désengagement des Etats-Unis à propos de l'aide au développement étant entendu qu'il y a non seulement le Congrès américain, mais que le Président Clinton a présenté un programme d'économies drastiques pour réduire son déficit. Est-ce que cela veut dire que lorsqu'il signe le communiqué sur l'aide au développement, ce ne sont que des mots ?

LE PRÉSIDENT - L'idée que le Président des Etats-Unis puisse signer quelque chose, en considérant que ce ne sont que des mots, est une idée inconvenante. Le Président des Etats-Unis, comme tout le monde, a ses difficultés et ses problèmes. Les Etats-Unis ont à faire face à un déficit considérable qui est nuisible pour l'ensemble des nations du monde et qui explique, en particulier, la faiblesse du dollar qui ne rend service à personne. Donc la lutte contre le déficit américain est une exigence absolue. Et le Président américain a présenté, effectivement, il y a deux jours un projet dont l'objectif est de résoudre ce problème sur une certaine période de temps, une dizaine d'années, pour arriver à l'équilibre. Nous ne pouvons, naturellement, dans son principe qu'approuver, qu'apprécier, son initiative. Alors, ceci étant, il convient maintenant de voir quels seront les efforts qui seront faits. Je veux dire sur quelle action portera la réduction de l'effort.

La tâche n'est pas facile non plus en raison de cette situation de cohabitation aux Etats-Unis et il est certain qu'à un an de l'élection américaine, un certain nombre de responsables du Congrès ont tendance à politiser tous les débats sur les sujets importants et les initiatives du Président. Je n'ai pas l'intention de faire la moindre ingérence naturellement dans ses affaires, je dirais simplement que le Président Clinton, et je le connais suffisamment pour pouvoir l'affirmer, est parfaitement conscient qu'il faut maintenir et même augmenter l'aide au développement sous diverses formes. D'abord il y a les formes essentielles qui ne coûtent pas d'argent au budget américain, je pense, par exemple, à la reconstitution des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international.

La seule objection qu'on pourrait faire et qui a d'ailleurs, je crois, été faite par les Allemands à un moment donné - pas aujourd'hui ni hier - c'est que c'est la création monétaire qui peut engendrer des tendances à l'inflation. Je pense que le risque n'est rien à côté de l'avantage et de la nécessité qu'il y a à reconstituer les droits de tirage spéciaux qui sont un élément essentiel de l'aide au développement. Il en va de même pour les fonds du Fonds monétaire international. On a même évoqué, aujourd'hui, l'éventualité de gager par l'or du Fonds monétaire international certains des crédits que l'on mettrait à la disposition des pays en développement.

Alors, il appartiendra aux américains de faire leur choix compte tenu de leur situation politique ; je suis persuadé que le Président américain sait très bien que s'il cédait, s'il se désengageait, ou s'il suivait l'avis de ceux qui veulent que les américains se désengagent, il ferait, à tous égards, une mauvaise action. Notamment parce que les Américains veulent être porteurs d'une certaine idée de la démocratie, d'une certaine idée des droits de l'homme. Ils veulent par ailleurs exercer un certain "leadership" mondial, et il y a, à l'évidence, une contradiction totale entre le fait de se désengager sur le plan financier dans le domaine du développement et le fait de vouloir apparaître toujours comme ceux qui défendent les Droits de l'Homme, la démocratie et qui veulent commander. Le Président Clinton en a parfaitement conscience. Alors j'espère qu'il aura les moyens ou qu'il saura convaincre, dans cet équilibre délicat qui existe entre le Congrès dans la constitution américaine, entre le Congrès et la présidence, j'espère qu'il saura convaincre le Congrès que ce n'est pas sur ce plan qu'il faut faire des économies.

Vous savez sur le plan du développement, actuellement l'Union européenne et les Etats-Unis ont à peu près un PNB équivalent, c'est-à-dire une richesse équivalente. C'est à peu près deux pays qui ont, enfin deux régions, qui ont la même richesse. Aujourd'hui l'aide au développement américaine est de l'ordre de neuf milliards de dollar par an. Et l'aide au développement de l'Union européenne est de l'ordre de trente milliards. Voyez qu'il y a déjà une différence considérable.

Il ne faut pas oublier que l'Europe, enfin l'Union européenne, est devenue aujourd'hui et de loin le premier bailleur de fonds dans le monde. Et on ne peut pas imaginer que subsiste longtemps un système où l'Union européenne paye et les Etats-Unis assument la responsabilité politique des choses. Cela ne peut pas durer, je veux dire que ce n'est pas une question de réaction c'est une question d'équilibre. Cela ne peut pas durer. Et je crois que le Président en est tout à fait conscient.

QUESTION - Le Président russe, Boris Eltsine, dit souvent qu'il n'exerce qu'une influence parfois difficile sur Monsieur Milosevic, encore moins sur Monsieur Karadjic ; visiblement je ne sais pas ce qu'on peut attendre de lui dans ce domaine. La Tchétchénie, c'est la façon dont ils gèrent les affaires. Qu'est-ce qu'on peut attendre de lui véritablement aujourd'hui ? Lui il veut de l'argent, mais à part cela ?

LE PRÉSIDENT - Le Président Boris Eltsine veut d'abord et avant tout redresser la situation de son pays. La Russie est une très grande Nation, c'est un très grand peuple, et s'il connaît aujourd'hui une période difficile, comme il arrive à toutes les nations ou d'ailleurs à toutes les familles, une situation très difficile, ce n'est pas pour autant que nous devons sous-estimer ce que représente la Russie et qui est considérable dans l'histoire de l'humanité, par son apport à la culture et à la civilisation du monde et dans son potentiel économique pour demain. Donc la première erreur capitale qui pourrait être faite serait de sous-estimer la Russie, de considérer que l'on doit la mettre au niveau des pays de deuxième rang, bref de l'humilier. Je crois qu'il n'y aurait pas d'erreur plus grave. Et j'observe que les membres du G7 sont unanimes à considérer cette exigence. Il en va de même, d'ailleurs, pour l'Union européenne en tant que telle qui, comme vous le savez, progresse dans l'élaboration des accords avec la Russie qui représente pour nous un client considérable d'ailleurs et aussi un fournisseur important.

Quelle est l'influence du Président russe sur les affaires yougoslaves ? Je ne me prononcerai pas sur ce point. Mais je ne crois pas que nous soyons fondés à lui demander plus qu'il ne peut donner. L'opinion publique russe, pour des raisons tout à fait naturelles tout à fait légitimes, est une opinion qui est totalement, qui soutient sans réserve les Serbes. Et ce n'est pas un problème politique, c'est un problème de civilisation, c'est un problème de religion, c'est un problème d'histoire et on ne peut pas le leur reprocher.

Or, le Président Eltsine a déjà beaucoup de difficultés chez lui ; il ne peut pas ignorer ce paramètre de son équation politique. Il ne peut pas prendre de mesures ou de décisions qui iraient totalement à l'encontre de l'unanimité de son peuple. Vous vous promenez à Moscou ou à Leningrad et si vous interrogez les "babouchkas", tous les gens qui ont soutenu Eltsine, ils sont unanimes. Alors c'est ainsi. Ceci étant, il a fait ce qu'il pouvait et ce qu'il devait. Alors vous pourriez me demander pourquoi la Russie, contrairement à toute attente, n'a pas voté "oui" hier à la résolution. Il semble qu'un diplomate américain dont on n'a pas donné le nom ait raconté des histoires sans fondement sur cette affaire. Je crois moi que l'explication est la suivante : les diplomates, et notre ambassadeur auprès des Nations unies me l'a confirmé tout à l'heure, les diplomates russes avaient reçu consigne de voter "pour" et ce n'est qu'à la dernière minute qu'à leur grande stupéfaction ils ont reçu instruction de s'abstenir. Ils n'ont pas compris.

Moi, je crois que cela vient d'un malentendu, je compte en parler tout à l'heure avec le Président Eltsine. Nous avons été conduits hier soir, compte tenu des informations dont nous disposions en provenance de Bosnie à élaborer, je dirai rapidement et sur la base d'un texte préparé par la France, un communiqué du G7 qui était un communiqué d'ordre politique. Alors, nous l'avons élaboré très rapidement parce que des informations nous laissaient penser qu'une offensive de grande ampleur de la part des Bosniaques devait s'engager dès ce matin donc il fallait que nous ayons une réaction immédiate. Je pense que le Président Eltsine a considéré et, d'une certaine façon, à juste titre qu'il aurait dû être associé à l'élaboration de ce texte. Je crois que c'est parce qu'il n'a pas - c'est mon interprétation je vous la donne pour ce qu'elle vaut - et c'est parce qu'il n'a pas été associé à ce texte à mon avis que, en réaction il a été demandé au diplomate russe de s'abstenir. C'est le type même du malentendu.

Mais je crois que lorsque l'on a élaboré ce texte qui est sorti trois heures avant la réunion spéciale convoquée par la France du Conseil de sécurité à neuf heures et demi du soir ou à dix heures du soir à New York, le Président Eltsine était en avion, en tous les cas il était difficile de le joindre. Je ne suis pas tout à fait sûr que l'on y ait pensé aussi pour dire la vérité parce que l'on était sous une certaine pression des événements et on considérait qu'il fallait prendre rapidement une initiative. Je crois que c'est cela qui explique ceci et qu'il n'y a pas lieu d'en tirer d'autres conclusions mais j'en profite pour vous indiquer qu'il faut dans ces affaires surtout dans le milieu de l'ONU toujours faire confirmer une information. Il y a toujours un diplomate qui donne son avis tout d'un coup sur quelque chose, cela crée une information et en réalité c'est dépourvu de toute réalité. Vous savez cela mieux que moi !

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez évoqué la discussion que vous avez eue sur la spéculation et vous avez évoqué votre volonté de passer outre le défaitisme des techniciens pour essayer de freiner cette spéculation ; est-ce que vous avez donné quelques pistes et est-ce que ce sujet sera l'un des sujets importants du prochain Sommet de Lyon ?

LE PRÉSIDENT - Je souhaite que ça le soit. J'ai effectivement donné quelques pistes que je ne développerai pas parce que je ne suis pas certain que, compte tenu de la sensibilité des marchés, ce soit des sujets qu'il faille traiter de façon trop publique. Mais j'ai eu le sentiment qu'il y avait une prise de conscience de la nécessité de prendre des dispositions et, en tous les cas, c'est un sujet, avec l'aide au développement, dont je souhaite qu'il soit au premier rang de nos débats de Lyon. D'ailleurs mon idée pour ce qui concerne Lyon - vous savez qu'au fond, chaque Président de G7 donne un peu sa marque au G7, il y a une certaine liberté - mon idée, c'est que l'on ait beaucoup moins de sujets à l'ordre du jour de façon à pouvoir faire passer un message plus fort. L'idéal serait presque de n'en avoir qu'un. Alors un c'est peut-être difficile, mais je voudrais essayer qu'il n'y ait qu'un, deux ou au maximum trois sujets à l'ordre du jour, quitte à être accusé de ne pas avoir parlé de chose importante, mais de façon à concentrer notre réflexion et notre effort sur des sujets particuliers et pouvoir faire ainsi passer un message plus fort.

QUESTION - On a l'impression que sur un certain nombre de sujets économiques, que ce soit la coopération monétaire, le commerce international, il y a peut-être quelques difficultés à avoir des engagements communs. Est-ce dû à votre avis à des différences de situations notamment entre peut-être Européens et Américains ou à une certaine désillusion sur la capacité des Sept à agir ensemble ?

LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas une désillusion. Les Sept ont à la fois conscience de leur responsabilité et conscience de leur capacité à agir ensemble. Mais il y a, sans aucun doute, des situations et des intérêts divergents, cela va de soi. Et s'il n'y en avait pas, on n'aurait pas besoin de se réunir n'est-ce pas ! Tout l'art de la chose, c'est précisément d'essayer de réduire les divergences. Elles existent et aux Etats-Unis, en plus, elles existent entre la Présidence et le Congrès. La politique est l'art du possible.

QUESTION - Monsieur le Président, il semble que dans le communiqué de demain, il serait fait état de la situation en Algérie ?

LE PRÉSIDENT - Le ministre des Affaires étrangères était là tout à l'heure. Nous n'en avons pas encore parlé. J'ai évoqué les problèmes de l'Algérie, mais en tête à tête avec la plupart des chefs d'Etat et de gouvernement. J'ai donné mon sentiment et mon inquiétude sur la situation en Algérie, mais nous n'avons pas encore abordé le sujet. Il paraît qu'effectivement il sera abordé et donc il y aura quelque chose mais je ne peux pas vous dire quoi.

QUESTION - Monsieur le Président quelle est votre réaction au fait que sur l'insistance américaine la question du financement de l'opération de la force de réaction rapide a été laissée de côté dans la résolution qui a été adoptée par le Conseil de sécurité ?

LE PRÉSIDENT - Je crois que d'abord il y a eu ce que je pense être un malentendu, probablement entretenu, entre le Président et les responsables du Congrès. Les responsables du Congrès avec qui je me suis entretenu, et qui, vous le savez, ne sont pas favorables à l'intervention des forces de l'ONU, souhaitent de surcroît, pour beaucoup, la levée de l'embargo sur les armes en faveur de la Bosnie. Ils ont imaginé que c'était là une troupe supplémentaire en casques bleus et voitures blanches, sous les ordres de l'ONU. Ils ont donc exprimé très clairement leur hostilité à cette thèse et j'ai eu beaucoup de mal à convaincre, avant-hier soir, Monsieur Dole et Monsieur Gingrich que cette approche était une approche à la fois fausse et dangereuse : fausse parce que ce n'est pas la vocation de la Force de réaction rapide.

La Force de réaction rapide combat sous son propre uniforme, contrairement aux forces des Nations unies, elle est dotée de moyens militaires sérieux et efficaces en artillerie, en chars et en hélicoptères et sa vocation est de porter instantanément aide et assistance à tout groupe de soldats de la Forpronu dont la liberté serait mise en cause ou qui seraient agressés ou qui seraient humiliés. Bref qui auraient besoin d'une aide immédiate que nous n'avons pas, pour le moment, le moyen de leur apporter. Donc j'ai expliqué cela aux dirigeants de la majorité républicaine. Je les ai convaincus de donner leur accord politique, non sans mal, mais naturellement ils n'ont pas voulu pour des raisons qui me paraissent d'avantage liées aux problèmes intérieurs américains qu'à une conception stratégique du rôle que les Etats-Unis doivent avoir dans l'ex-Yougoslavie, ils n'ont pas voulu pour autant dire qu'ils allaient participer au financement. Alors cette affaire a donc été reportée pour qu'ils aient le temps de l'examiner.

Ma conviction est que ce problème se réglera sans difficulté. Et donc ce qui était important c'est que politiquement il y ait un vote positif des Etats-Unis conformément à ce que souhaitait le Président Clinton. Ce qui a été fait.

QUESTION - Monsieur le Président, comment la lutte contre les déficits qui passe aussi par une augmentation de la fiscalité pour rééquilibrer les budgets peut être favorable à l'emploi ?

LE PRÉSIDENT - Je prendrai la question dans l'autre sens. Les déficits augmentent la dette, par définition. Nous sommes en un temps où les taux d'intérêt sont élevés. L'augmentation continue de la dette en raison des déficits fait que nous sommes obligés, tous les pays endettés notamment ceux qui sont très endettés comme la France, de consacrer une part croissante de nos moyens au financement de la dette. C'est autant de moyens non consacrés à des actions de développement de l'économie et donc de création d'emplois. Et donc c'est une espèce de boulet qui tire l'ensemble de notre économie vers le bas. Il faut en sortir. Les déficits, la dette, sont les premiers éléments créateurs de chômage, donc à contrario, et contrairement à une appréciation purement superficielle des choses, la réduction des déficits est un préalable à la relance d'une économie et à la création d'emplois.

Peut-être une dernière question.

QUESTION - Je voudrais revenir sur l'aide aux pays pauvres. Vous avez dit que les fonds de la Banque mondiale vont donc être reconstitués après ce G7 d'Halifax mais que ceux-ci ont été obtenus non sans mal. Dans une dizaine de jours il y a le Sommet de Cannes et le Fonds européen de développement lui aussi, s'il est reconstitué, de toute évidence cela se fera non sans mal également. Alors les pays africains sont très inquiets de ces difficultés et en plus ils s'inquiètent de cette ruée des capitaux vers l'Est. Est-ce qu'après le G7 d'Halifax vous pensez qu'ils ont de bonnes raisons d'être moins inquiets ou continuer à l'être ?

LE PRÉSIDENT - Je crois que le G7 aura montré aux pays africains qu'il y a quelques responsables qui sont déterminés à faire ce qu'il faut pour que l'aide au développement, non seulement, continue mais s'accroisse. Et vous me permettrez de me situer au premier rang de ces responsables. Alors, pour le moment, cela traduit une volonté politique ce n'est pas encore entré dans les réalités financières. La première épreuve, comme vous le dites, c'est effectivement la définition du huitième FED qui sera arrêté à Cannes. Nous avons sur ce point un gros souci, car il y a une importante divergence de vues franco-britannique. Il paraît que l'on ne dit pas cela généralement dans les conférences de presse ou dans les commentaires, mais je ne vois pas pourquoi on se cacherait derrière son doigt. C'est un fait, quelle que soit l'excellente relation franco-britannique, qui ne fait que s'améliorer, il y a des sujets où nous sommes en divergence de vues profonde et c'est le cas. Quel est le problème ?

Le problème est que la France considère que l'on devrait augmenter le montant du huitième FED par rapport au septième et que la quasi totalité des autres pays de l'Union européenne considère qu'il faudrait le diminuer. Je crois que c'est 13,3 milliards de francs si je ne m'abuse. Vous savez que les deux principaux contributeurs sont la France et l'Allemagne qui, a eux deux, paient 48 ou 49 % de l'aide apportée par les quinze, puisque maintenant nous sommes quinze, au titre du FED. Nous avons pris une position très ferme sur le maintien, nous avons réussi à obtenir l'accord de l'Allemagne qui, pour se faire, doit un peu augmenter sa cotisation et qui n'est pas très satisfaite. Non pas du tout qu'elle veuille se désengager, mais elle trouve que ce n'est pas normal qu'à nous deux nous fassions la moitié de l'effort. Elle n'a pas tout à fait tort. En revanche le gouvernement britannique est tout à fait déterminé à diminuer sensiblement sa participation au FED. Cette diminution, ne pouvant pas être compensée par d'autres augmentations, se traduirait par une diminution globale du FED qui serait un signal négatif fâcheux.

Je ne dis pas que cela aurait des conséquences dramatiques mais cela serait un signal négatif fâcheux. Nous n'avons pas encore réglé le problème et je compte d'ailleurs en parler ce soir à nouveau, une fois de plus. J'ai parlé très longuement samedi dernier avec le Premier ministre britannique et j'espère que nous finirons par trouver une solution. Naturellement tout le monde nous dit qu'il faut trouver une solution dans les couloirs de façon à ne pas faire apparaître de divergences de vues en séance plénière car cela ferait désordre. Moi j'ai pris une position tout à fait simple : je suis Président à Cannes et donc je peux donner mon point de vue. Si nous n'avons pas trouvé un accord convenable qui respecte le maintien de l'effort du huitième FED par rapport au septième, et bien il faudra qu'on le dise publiquement et que chacun prenne ses responsabilités à l'occasion de la séance plénière du Sommet de Cannes.

Voilà, je vous remercie.





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