Point de presse de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la Fête nationale

Point de presse de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la Fête nationale (Palais de l'Elysée)

Palais de l'Elysée - vendredi 14 juillet 1995.

Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir pour ce 14 juillet ici, par un temps superbe, ce qui est bon signe et je voudrais tout d'abord féliciter et remercier tous les soldats qui ont défilé ce matin et qui nous ont donné une belle image à la fois de la jeunesse de France et de l'armée française.

Mais je voulais surtout répondre à vos questions sur les problèmes qui nous préoccupent tous. Qu'il s'agisse de la fracture sociale qui touche notre pays qui est moralement inadmissible et qui affaiblit notre Nation, qu'il s'agisse de la Bosnie, où la barbarie est à l'oeuvre à nos portes. Qu'il s'agisse de notre défense nucléaire qui doit rester et qui restera l'élément essentiel de notre sécurité. Quels que soient les domaines, nous devons tous ensemble affronter sans crainte les difficultés, les oppositions voire même parfois les comportements hostiles parce que nous voulons vivre dans un pays qui soit prospère, qui soit plus solidaire, qui soit puissant et qui soit bien défendu.

Si nous voulons réellement lutter contre le chômage avec tout ce qu'il implique en matière d'exclusion notamment, nous devrons au fil des temps mais rapidement changer d'état d'esprit, changer nos habitudes, changer nos comportements, ceci malgré les résistances naturelles, malgré les conservatismes de toutes sortes. J'ai pris à l'occasion de la campagne électorale, devant les Français, un certain nombre d'engagements, et je voudrais vous dire que ces engagements seront tenus parce que je veux que notre société demain soit une société à la fois plus juste et je dirais plus soudée. Dès la rentrée, après le collectif qui est intervenu et qui était un pas important dans la bonne direction, des réformes importantes seront engagées ou prises, ou décidées, qu'il s'agisse de la solidarité à l'égard de nos anciens et notamment des plus dépendants d'entre eux, qu'il s'agisse des forces nouvelles qu'il faut insuffler à nos petites et moyennes entreprises ou à l'artisanat, qu'il s'agisse du statut de l'étudiant, qu'il s'agisse des hôpitaux, qu'il s'agisse du logement. D'autres réformes seront également engagées dans d'autres domaines : la famille, la sécurité des personnes et des biens, la lutte contre l'exclusion, la lutte contre les grands drames modernes que sont les grandes maladies comme le sida ou l'hépatite C, la lutte contre la drogue mais aussi les réformes qu'impose notre défense dans le domaine par exemple du service national et tout cela avec un objectif essentiel qui est de renforcer la cohésion nationale de notre pays.

Alors pour ce 14 juillet, j'ai invité 4000 jeunes venus de toute la France de métropole et d'outre-mer. Je sais qu'on s'est interrogé sur cette initiative. Ce que je voulais indiquer simplement, c'était montrer que leur avenir était l'essentiel de ma préoccupation et la priorité de toute mon action. Voilà, je voulais simplement vous dire ces quelques mots pour commencer et je suis tout disposé maintenant à répondre à vos questions.

Chers amis, je vous donne la parole, et on va vous donner un micro.

QUESTION: Monsieur le Président de la République, ce 14 juillet est un jour d'unité, vous avez présidé au défilé des troupes et ainsi inspecté une partie du dispositif de défense. Votre décision de reprendre les essais nucléaires en revanche provoque énormément de contestation dans le monde et en particulier de plus en plus auprès de nos partenaires européens. Êtes-vous sûr d'avoir pris la bonne décision au bon moment et cela ne risque-t-il pas de peser sur la politique étrangère de la France ?

LE PRESIDENT: - Sur ce dernier point, je ne le pense pas. Je peux comprendre l'émotion de tel ou tel quand elle est sans arrière pensée - même si je ne la partage pas -. La paix depuis un demi-siècle est fondée sur la dissuasion nucléaire et un grand pays moderne comme la France, qui a la chance d'avoir une dissuasion nucléaire de très haut niveau a à la fois par la même une sécurité et un poids politique dans le monde qui sont deux éléments essentiels de l'avenir d'une nation. En avril 1992, le Président Mitterrand, pour des raisons que je n'ai pas à critiquer, bien entendu, avait interrompu la dernière série d'essais et donc annulé les sept ou huit derniers essais qui étaient programmés et qui devaient être faits. Or c'est d'abord pour tester l'arme qui, dorénavant, va équiper l'ensemble de notre force sous-marine. Vous admettrez que c'est tout de même une nécessité. Ensuite pour s'assurer que les amorces de nos armes pourront vieillir normalement. C'est un problème de fiabilité, de sûreté, de sécurité de nos armes qui devaient être contrôlées et enfin pour franchir, et il fallait de son point de vue, quatre essais supplémentaires, le seuil qui nous permet d'accéder, comme les Américains, les Anglais, les Russes, à la technologie de la simulation.

Voilà quels étaient les objectifs ! Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai consulté les personnalités scientifiques, civiles et militaires - à la fois responsables et compétentes -, elles ont été unanimes à m'indiquer qu'il était nécessaire pour la France de terminer ces quelques essais. J'ai donc pris cette décision qui, je n'ai pas besoin de vous le dire, est irrévocable. Qu'est-ce qu'on nous reproche ? Certains nous disent que nous allons polluer le site du Pacifique. Mais chacun sait que nous avons toujours admis, et je les invite à nouveau, que les scientifiques du plus haut niveau ont toujours constaté que nos essais n'apportaient strictement aucune pollution dans l'environnement du site de Mururoa. On nous dit :"Mais vous risquez de donner le mauvais exemple". Mais vous savez si d'aventure des pays, qui voudraient se doter d'un armement atomique - ce qu'à Dieu ne plaise ! - voulaient faire des essais, ils ne se référeraient pas à la fin d'une série française pour prendre leurs décisions.

En revanche, ce qui était capital pour nous, c'est que le traité portant interdiction des essais nucléaires et qui sera prêt à l'automne 1996 puisse être normalement signé par la France, comme je l'espère par toutes les grandes puissances et les autres aussi, et nous serons, nous, prêts. Nous aurons terminé bien avant la fin mai prochain cette dernière série d'essais et nous serons prêts à signer, et nous signerons naturellement le traité portant interdiction des essais nucléaires.

QUESTION: Monsieur le Président, vous êtes à l'Elysée depuis deux mois et en dehors de l'aspect international, dont on va parler, on observe, y compris chez certains membres de votre majorité, un sentiment d'attente déçu. Alors est-ce que vous l'avez ressenti, vous, lors de votre déplacement en province ? Est-ce que vous le comprenez ? Et, éventuellement, comment y remédier ?

LE PRESIDENT: Vous savez lorsqu'il y a une vraie crise dans un pays et personne ne peut contester que nous avons en France à la fois une crise morale, sociale et économique, il y a, au lendemain d'une élection, une aspiration fantastique à ce que les choses changent comme avec une baguette magique. Malheureusement, cela relève du rêve et non pas de la réalité. Vous me demandez ce que j'ai vu en province, j'étais encore hier dans une entreprise qui fait une intéressante expérience d'aménagement du temps de travail et je voulais en parler avec les travailleurs de cette entreprise pour savoir exactement comment ils réagissaient. Je n'ai pas du tout ressenti ce que vous évoquez. Je suis allé beaucoup en province depuis deux mois et je n'ai pas ressenti ce climat. La situation, me semble-t-il, depuis un an, est en voie d'amélioration lente. Ce qui est important aujourd'hui, c'est d'accélérer les réformes indispensables pour nous adapter à notre temps et surtout pour bien comprendre que rien ne compte, en dehors de la lutte contre l'emploi, contre l'exclusion, contre tout ce qui est inacceptable et affaiblit notre société.

QUESTION: Monsieur le Président, vous avez dit que si les zones de sécurité en Bosnie n'étaient pas respectées, il fallait en tirer les conséquences et aujourd'hui Srebrenica, malheureusement, est perdue. Les alliés occidentaux n'ont pas encore répondu à votre demande d'engagement, enfin de plus grand engagement en tout cas. Alors, la France compte-t-elle, d'abord vraiment se retirer, et puis comment ne pas repartir humilié comme le craignait Alain Juppé ?

LE PRESIDENT: Humilié, je crois, c'est déjà fait, hélas ! Vous me permettrez d'avoir une première pensée pour ces quelques quinze, vingt, trente mille musulmans de Srebrenica, qui ont été chassés de leur ville dans des conditions parfaitement contraires aux exigences les plus élémentaires des Droits de l'Homme, qui ont été victimes d'un phénomène d'épuration ethnique. Comment peut-on imaginer cela, aujourd'hui, en Europe, avec des soldats de l'ONU, qui n'ont rien pu, qui ne pouvaient probablement rien faire pour les aider ? C'est ce qui guette les deux autres enclaves, sans aucun doute, Zepa et Gorazde, qui, au total, représentaient environ cent mille personnes victimes de la barbarie d'un autre siècle. Face à cette situation, j'avais d'abord indiqué qu'il fallait que les Nations unies se donnent les moyens de faire, au moins, d'abord, respecter leurs propres troupes. D'où la décision d'envoyer une Force de réaction rapide et ensuite devant les nouvelles attaques des Serbes de Bosnie, j'ai indiqué qu'il était inacceptable de voir ainsi fouler aux pieds, à la fois la démocratie et les Droits de l'Homme. Nos grandes démocraties font des discours, donnent des leçons aux autres en matière de Droits de l'Homme, en matière de démocratie. Et puis, face aux événements, elles sont étrangement silencieuses et modestes. Ce n'est pas admissible ! En tous les cas, elles se discréditent et n'auront plus bientôt le droit d'évoquer ces grands principes.

Alors, j'ai proposé, face à une certaine impuissance - je dirais un peu congénitale de l'ONU, je n'attaque personne là ! - à nos principaux partenaires, à ceux qui sont les plus attachés à ces règles du droit international, du droit des gens à vivre, à être respectés, de réagir ensemble, à se concerter de façon forte et limitée, en clair, de reprendre l'enclave de Srebrenica d'y restaurer les droits des gens que l'on a chassés de chez eux, que l'on a séparés entre les hommes et les femmes. Je dois à la vérité dire que jusqu'ici, les contacts que j'ai pris, que le gouvernement français a pris, n'ont pas été positifs. Je le déplore. J'avais indiqué naturellement que la France apporterait sa participation avec les moyens dont elle dispose notamment les éléments de sa Force de réaction rapide. Pour le moment nous sommes seuls. Seuls, nous ne pouvons pas agir, nous n'avons pas le mandat pour le faire et nous n'avons pas non plus les moyens de le faire. Alors, il va falloir voir ce qui se passe aujourd'hui. J'en appelle à toutes les démocraties. Nous sommes dans une situation qui ressemble un peu, toutes proportions gardées, aux entretiens qu'avaient Chamberlain et Daladier. J'appelle toujours les grandes démocraties occidentales à se ressaisir et à imposer le respect des Droits de l'Homme et du droit international.

S'il est impossible ou si personne ne veut s'engager pour reprendre la zone de sécurité de Srebrenica à tout le moins, doit-on garantir d'une part la zone de Gorazde où se trouvent d'ailleurs des casques bleus britanniques, mais en se défendant réellement ? Si c'est pour faire comme à Srebrenica c'est-à-dire partir dès que les premiers Serbes arrivent, alors il est inutile de prétendre faire un effort ; et deuxièmement, de faire en sorte que Sarajevo soit réellement protégée et par voie de conséquence, que l'accès à Sarajevo soit garanti. A tout le moins que l'on fasse cela, c'est la dernière proposition, donc conforme à l'honneur et aux principes, aux valeurs de nos pays, que je fais. Bien entendu, si nous ne voulons strictement rien faire alors on ne voit pas très bien pourquoi les forces de l'ONU, par leur présence, seraient en quelques sortes complices de cette barbarie, complices de ces pratiques d'épuration ethnique et leur présence à mon avis, serait à ce moment-là en cause.

QUESTION: - Monsieur Chirac, vous avez dit qu'en cas d'échec de cette initiative, vous en tireriez toutes les conséquences. Vous envisagez donc un retrait possible des casques bleus français de Bosnie. Je voudrais juste savoir quand et selon quelles modalités, dans l'hypothèse de l'échec de cette initiative ?

LE PRESIDENT: Chère Madame, les choses ne sont pas si simples. D'abord la France ne va pas prendre une initiative seule, elle va se concerter naturellement d'une part, avec le secrétaire général de l'ONU et d'autre part avec ses partenaires. Ensuite le retrait des casques bleus, s'il devait être fait, est une opération longue et délicate et qui implique, conformément à l'accord initial, lorsqu'on a envoyé les casques bleus, une participation forte des troupes américaines de l'ordre de 25 ou 30 000 soldats américains pour permettre d'extraire les forces des Nations unies. Mais ce que je veux dire simplement aujourd'hui c'est qu'on ne peut pas imaginer que les forces des Nations Unies restent simplement pour observer et être en quelque sorte complices de ces actions. Si tel est le cas il vaut mieux qu'elles se retirent.

QUESTION: - Vous avez fait campagne sur le changement, vous avez aussi appelé à une révolution culturelle des esprits. Avez-vous l'impression que le gouvernement, dans ses premières décisions, était inspiré par ce nouvel état d'esprit et aurait-il pu faire en sorte que le changement se manifeste plus concrètement, plus rapidement ?

LE PRESIDENT: Je crois que rien n'est pire que de confondre la hâte et la précipitation d'abord. Ensuite, le gouvernement gouverne depuis un mois. Je suis toujours un peu surpris lorsque j'entends de la bouche ou que je lis sous la plume d'observateurs politiques aussi distingués que vous, des questions de cette nature, même si je vois que vous y mettez un peu de malice. Le changement c'est une affaire d'état d'esprit et c'est une action de moyen et long terme. Ce n'est pas une improvisation. Je n'ai jamais parlé dans ma campagne de révolution. J'ai dit qu'il fallait une évolution des mentalités et c'est vrai que je ne suis pas du tout disposé à me laisser impressionner par une espèce de conformisme ambiant qui depuis, me semble-t-il trop longtemps paralyse un peu notre pays. J'ai le sentiment d'avoir été entendu et compris par les ministres. Vous verrez dans les mois qui viennent si j'ai eu tort ou si j'ai eu raison.

QUESTION: Monsieur le Président vous avez précisément hier au cours de votre voyage appelé à refuser les conformismes et les habitudes du passé. Est-ce qu'une mesure comme, par exemple, l'augmentation de la TVA qui est un impôt injuste, est-ce que le train de privatisations mis en route par le gouvernement qui ressemble comme un frère au train de privatisations précédent, est-ce que les vagues de licenciements qui se préparent dans les grandes entreprises publiques et privées est-ce que les réticences du patronat à s'engager à créer des emplois malgré la générosité publique, bref, est-ce que tout cela ne relève pas du passé révolu que vous dénoncez vous-même ?

LE PRESIDENT: Dans la situation de difficultés que nous connaissions il fallait que tout le monde fasse un effort. L'Etat a fait un effort important d'économies. Il a exigé de la part de ceux qui ont les moyens de faire un effort, des contributions substantielles, un effort de redressement et enfin il a demandé à chaque français de participer aussi à cet effort. Ça, c'est effectivement l'augmentation de la TVA qui, dans le marché tel qu'il est d'ailleurs, et on le verra, sera loin de se répercuter intégralement sur les prix et qui d'autre part, je le rappelle, ne concerne pas les produits de consommation courante mais uniquement le taux qui était et est encore à 18,6 %.

Les privatisations, j'y ai toujours été favorable. J'ai toujours observé que l'Etat n'était pas le mieux placé pour diriger une entreprise et que lorsqu'il le fait cela se traduit généralement par des déficits considérables. Ces déficits, qui les paient ? M. Cabanes, c'est naturellement tous les Français et d'abord ceux qui ont un revenu, c'est-à-dire les travailleurs. J'approuve donc la poursuite du mouvement de privatisations. Les vagues de licenciements, j'espère que vous n'aurez pas raison quand vous les évoquez, mais je reconnais bien volontiers, que c'est une espèce de réaction spontanée chez beaucoup, pas chez tous heureusement. J'ai même observé que cela avait tendance à diminuer, mais chez beaucoup de grands patrons français à la moindre difficulté, immédiatement on présente un plan social, c'est-à-dire licencier.

Je me souviens d'avoir entendu, il y a quelques jours en écoutant la radio le matin, telle grande entreprise qui indiquait qu'ayant perdu la veille un marché sur lequel elle comptait, elle ferait tant de centaines de licenciements. Ce sont des comportements inadmissibles, et là, je le reconnais bien volontiers, archaïques, car il y a des façons d'aménager les choses et notamment dans l'aménagement du temps de travail par toutes sortes de modalités. Je disais tout à l'heure à M. Bachy que j'avais été voir ce qui se passait dans une entreprise importante hier, qui faisait des choses positives. Les licenciements devant être considérés véritablement comme le geste ultime et quand tout a été essayé. Et là, il y a une révolution culturelle, comme disait Mme Pierre-Brossolette, à obtenir de l'ensemble du patronat français. C'est ce qu'on appelle l'entreprise citoyenne et j'ai été heureux de voir que de ce point de vue tout même les choses progressaient, me semble-t-il un peu.

QUESTION: Monsieur le Président, je voudrais vous demander dans le prolongement de ce que vous venez de dire, ce que vous attendez de la prochaine loi de finances qui sera présentée par le gouvernement ?

LE PRESIDENT: Quand on regarde les choses, et vous êtes un économiste par conséquent vous les appréciez peut-être mieux encore que d'autres, on voit bien que nous nous sommes laissé enfermer depuis un certain temps dans un cercle vicieux, qui sont les déficits publics et le chômage. Le chômage est directement issu des déficits publics, pas en totalité mais les déficits ont pour conséquence le chômage pour deux raisons : d'abord parce que pour les financer il faut créer des recettes nouvelles qui portent d'une façon ou d'une autre sur le travail des hommes et donc les paralysent. Deuxièmement parce qu'ils entretiennent des taux d'intérêts très élevés et chacun sait qu'aujourd'hui c'est un des freins les plus forts de l'amélioration de notre situation économique et donc de l'emploi. Le collectif a fait un pas très important dans cette direction, marquant qu'en un mois et demi les taux d'intérêts ont baissé d'un point, c'est-à-dire du tiers de la différence entre l'Allemagne et nous. C'est tout de même quelque chose de très positif. Cela fait partie d'un certain nombre d'indices positifs qui sont très clairement relevés par les marchés. Il faut poursuivre. Alors de la loi de finances 1996, j'attends deux choses : la première c'est qu'elle prenne en compte l'évolution que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire qu'elle intègre les réformes importantes nécessaires pour renforcer la cohésion sociale et que par voie de conséquence, elle remette en cause un certain nombre de dépenses qui n'ont pas une grande efficacité, mais qui existent chez nous. Deuxièmement qu'on poursuive la réduction des déficits. Alors j'entends dire parfois : "mais cette histoire de réduction des déficits c'est pour avoir les critères de convergences, comme on dit, c'est-à-dire pour la monnaie unique". Oui naturellement, mais ce n'est pas cela qui justifie la nécessité de réduire les déficits. Ce qui justifie cette nécessité c'est de lutter efficacement contre le chômage.

QUESTION: Toujours, Monsieur le Président, dans le prolongement de ce que vous avez dit précédemment, est-ce qu'il faut comprendre que le partage du temps de travail fait désormais partie des pistes prioritaires que devra désormais exploiter le gouvernement d'Alain Juppé ?

LE PRESIDENT: Je ne dirais pas le partage, parce que je crois que cela n'a pas beaucoup de signification. Qui dit partage laisse entendre qu'il y aurait une quantité donnée de travail et qu'il faudrait la partager plus équitablement entre ceux qui en ont et ceux qui n'en ont pas. Moi j'ai un raisonnement tout à fait différent. Je dis qu'il faut d'abord augmenter la quantité de travail disponible et que c'est à partir de là seulement que l'on peut raisonner. Donc je parlerais plutôt d'aménagement du temps de travail. Et si je prends l'exemple que j'évoquais de l'entreprise que j'ai visitée hier, qui a passé un accord intéressant avec l'ensemble de ses salariés, cet accord a permis dans une entreprise de 1100 emplois de créer 220 emplois supplémentaires en six mois, ce qui est tout de même très important, grâce à des méthodes d'aménagement du temps de travail qui ont été très positives.

QUESTION: Monsieur le Président de la République, une question qui a trait à la Communauté européenne. On vous a beaucoup entendu ces derniers temps, notamment au sommet de Cannes, parler de préférence communautaire entre les pays partenaires de l'Union européenne. On vient d'apprendre que la Grande Bretagne a décidé l'achat d'hélicoptères américains de type "Apache", plutôt que les hélicoptères "Tigre" construits en commun avec les Allemands et les Français. Je voudrais savoir si cette décision est pour vous un coup porté à la construction communautaire et qu'est-ce que vous pensez de cette décision ?

LE PRESIDENT: Vous savez, l'Angleterre a toujours eu sa propre originalité au sein de l'Europe et sur ces choses des liens particuliers avec les Etats-Unis. Cette décision je la déplore, et quels que soient les arguments techniques ou financiers que l'on nous produira sans aucun doute, car on peut faire dire beaucoup de choses aux chiffres et aux techniques. Je pense que l'Angleterre a commis une erreur par rapport à la nécessité d'avoir une défense européenne forte en apportant, en achetant, des hélicoptères de combat aux Etats-Unis, alors qu'il y a un grand programme Eurocopter d'hélicoptères dont chacun sait qu'il est techniquement, parfaitement au point et qui est franco-allemand, qui aurait été naturellement construit avec les Anglais et aurait eu des retombées économiques importantes pour eux. Je regrette cette décision.

QUESTION: Pensez-vous que le gouvernement ait pu être gêné, pendant ces deux premiers mois par les histoires de logement à Paris. C'est une petite question, mais est-ce qu'il y a des mesures radicales pour clore cette histoire ?

LE PRESIDENT: C'est une question intéressante que j'ai posée à beaucoup de nos concitoyens en province. J'ai eu le sentiment qu'ils ne comprenaient pas très bien de quoi il s'agissait, ils avaient d'ailleurs à mon avis des excuses. Ceci étant, il est certain que nous sommes dans un temps où la transparence est nécessaire et je crois que le nouveau maire de Paris a décidé d'une plus grande transparence dans la gestion du patrimoine, l'immobilier de la ville - je ne peux que l'encourager dans cette voie. J'avais moi-même fait un pas décisif lorsque j'avais été élu en sortant ces logements de la catégorie des privilèges dans lesquels ils étaient enfermés, et en augmentant considérablement leurs loyers. Je crois qu'il faut aller encore plus loin dans le sens de la transparence.

QUESTION: Je voudrais vous demander deux précisions sur les deux sujets de politique étrangère par lesquels on a commencé. La première, vous avez dit à propos des essais nucléaires que la France signera le traité d'interdiction. Certains de vos conseillers et pas mal des experts que vous avez rencontrés et consultés, déjà en privé, expliquent qu'il faudra inclure dans ce traité une clause autorisant des explosions de faible puissance. Quelle est votre position sur ce sujet ? Et la deuxième question, est que pensez-vous du fait que les forces musulmanes bosniaques ont refusé de défendre Srebrenica ?

LE PRESIDENT: Sur ce deuxième point, Monsieur Amalric, je dois dire que je n'ai pas d'informations qui me permettent de porter un jugement. Je constate que 3 à 4 000 musulmans soldats qui étaient là pour défendre avec 4 ou 500 Hollandais la zone de Srebrenica sont, semble-t-il, partis sans tirer un coup de feu. Ma première conclusion, c'est que nous sommes très, très mal informés. Je le déplore. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous sommes si mal informés sur ce qui se passe en réalité, sur ce qui est susceptible de se passer. Deuxièmement, je n'ai pas d'explication sur ce point. Je constate.

S'agissant du traité, la France n'est pas demandeur d'un seuil bas ou inférieur en deçà duquel les explosions pourraient se faire et il n'y aura pas de ce point de vue de difficultés avec la France pour ceux qui décideront ou arrêteront les modalités de ce traité. Il n'y aura pas de problème.

QUESTION: Monsieur le Président, deux petites questions de politique étrangère. La première, vous avez envoyé il y a quelques jours un émissaire au Zaïre. II semble qu'il était porteur d'un message, est-ce qu'on peut en savoir le contenu ? Et d'autre part, que pensez-vous de la bipolarisation de la vie politique au Zaïre ? Deuxième question : dans 6 jours, vous allez vous rendre en Afrique et plus précisément au Maroc, à Libreville, à Dakar et à Yamoussoukro. Quel est le message fort que vous entendez délivrer aux chefs d'Etat Africains, et quels sont les dossiers qui, semble-t-il, leur tiennent à coeur ?

LE PRESIDENT: Sur le premier point, je n'ai pas à porter de jugement sur la situation intérieure politique au Zaïre et donc je n'ai pas de sentiment sur la bipolarisation, comme vous le dites. J'ai effectivement envoyé un mot au général-président Mobutu pour lui expliquer qu'à l'occasion de mon voyage, je n'aurai pas la possibilité de le rencontrer mais que c'était probablement partie remise.

S'agissant d'une façon plus importante du message en Afrique, je suis très préoccupé par sa situation. Voilà un continent qui connaît une forte poussée démographique, dont on sait d'ores et déjà qu'il doublera de population dans les vingt-cinq ans qui viennent, passant de quelques 550 à 1 milliard 100 millions d'habitants. Par conséquent, si l'on ne crée pas les conditions du développement permettant à ces populations de rester chez elles, ce qu'elles souhaitent, naturellement, nous préparons les plus grands risques de déstabilisation mondiale. Il est donc à la fois des raisons humaines, morales et des raisons politiques, de stabilité de la planète, qui exigent que l'on fasse un effort important pour le développement de l'Afrique. Or, je constate, et je l'ai dit assez vivement à la fois au Président américain et peut-être surtout au congrès américain, ainsi qu'à nos partenaires, notamment anglo-saxons à l'occasion de la préparation du dernier Conseil européen, que l'on observe aujourd'hui un désengagement de beaucoup de pays riches par rapport au développement en général et au développement de l'Afrique en particulier. Je dis, c'est de la folie, et là encore un peu, comme je le disais dans la première question à laquelle j'ai répondu à M. Bromberger je crois, on ne peut pas être en permanence en train de parler des Droits de l'Homme, du respect que l'on doit aux hommes, de la liberté, de la démocratie. On ne peut pas donner des leçons à la terre entière et accepter tranquillement de se désengager lorsqu'il s'agit de la solidarité sans laquelle il ne peut pas y avoir d'égalité des droits et d'égalité des chances pour les hommes et pour les nations sur cette planète. Il y donc là une grande contradiction. Je trouve que le comportement aujourd'hui, aussi bien pour ce qui se passe en Bosnie, que pour ce qui se passe en matière de développement des grandes nations du monde est un comportement assez irresponsable et qui ne leur permettra pas longtemps de se prétendre porteuses d'un certain nombre de valeurs universelles.

QUESTION: Nous avons évoqué tout à l'heure les affaires du logement mais c'est votre Premier ministre qui a été au centre de ces affaires ces dernières semaines. Or je voulais vous poser une question à la fois personnelle et politique. Est-ce que vous l'avez senti fragilisé et est-ce que vous ne pensez pas que ces affaires viennent en contradiction avec votre discours et le discours de votre chef de gouvernement sur la fracture sociale ?

LE PRESIDENT: J'ai observé cette affaire avec une curiosité étonnée qui s'est vite transformée en un sentiment d'incompréhension et pour tout dire, j'ai été profondément choqué par l'exploitation d'un fait qui ne me paraissait nullement pouvoir être contesté. Voilà quelqu'un qui paye quinze mille francs de loyer par mois. Vous avez des dizaines et des dizaines de milliers de gens en France qui ont des logements de fonction et qui rendent infiniment moins de services à la collectivité que ne pouvait en rendre l'adjoint aux finances de la ville de Paris et quelques autres. Je veux dire, on ne se hausse pas en développant ce type d'arguments. Il faut vraiment ne pas en avoir d'autres pour développer cela. Voilà.

QUESTION: Monsieur le Président. Vous avez toujours préconisé une politique de prudence, de non-ingérence en Algérie. Il y a deux jours, il y a eu l'assassinat du co-fondateur du FIS. Comment allez-vous faire pour empêcher que la crise algérienne ne vienne en France ?

LE PRESIDENT: Je vous remercie, Madame. J'ai d'abord été là aussi choqué par cet assassinat et je puis vous dire que nous ferons tout pour retrouver et punir les assassins. Et je voudrais d'ailleurs rendre hommage à la communauté musulmane française qui, malgré tout ce qui se passe en France, en Algérie, dans le monde, malgré le développement d'un certain nombre d'intégrismes, de fondamentalismes, reste parfaitement maîtresse d'elle-même et parfaitement intégrée à notre nation. Ceci étant, je ne laisserai pas - c'est très clair - la France devenir une sorte de base arrière ou de champ clos des intégrismes. Et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les éliminer.

QUESTION: A l'occasion de la discussion budgétaire sur le thème de la fracture sociale, il est apparu que nombre de parlementaires, et également de chefs d'entreprises qui ont parlé, souhaitent un abaissement massif des charges sociales, allant au-delà sur les bas salaires, allant au-delà du contrat initiative-emploi pour résorber plus vite le chômage. Je voudrais savoir quelle est votre opinion sur le sujet. Et d'autre part, lors de vos campagnes, vous aviez prôné également plus d'imagination sur les retraites et vous aviez parlé, notamment, de retraites à la carte. Est-ce que c'est toujours une idée qui a cours ?

LE PRESIDENT: S'agissant des retraites, oui. Je crois qu'il faut de l'imagination comme je vous l'ai toujours dit, comme je l'ai dit pendant toute ma campagne. Notre système de retraite est fondé sur un principe et il ne saurait être question de le modifier. Mais, il y a probablement des avancées, comme on dit parfois, pour améliorer les choses. Je prends un exemple : je crois qu'il y a tout de même des choses positives qui se passent dans le domaine des retraites. Le récent accord qui est intervenu entre les syndicats et le patronat et qui permettra dorénavant, financé par l'Unedic, ce qui était impensable il y a encore un ou deux ans, de permettre à des travailleurs qui ont quarante annuités de prendre leur retraite avant soixante ans, est sans aucun doute un élément positif, actif. C'est une petite révolution culturelle et même une grande par rapport aux habitudes passées, et à condition que soient naturellement créés les emplois correspondants. Il y a là quelque chose de positif. De même d'ailleurs, je le dis en passant parce qu'il m'arrive de critiquer, alors il faut aussi que je puisse exprimer ma satisfaction, j'ai été heureux de voir l'accord du 24 juin dernier entre les organisations syndicales et patronales, qui a été un accord également positif, faisant preuve d'imagination pour ce qui concerne l'emploi des jeunes et commençant à bousculer un certain nombre de conservatismes, de tabous, qui existent hélas dans notre société et dans toutes ses composantes.

Voilà alors donc, imagination, oui, mais dans la limite du respect, bien entendu, du principe de notre système de retraite. Peut-être une dernière question ?

QUESTION: Monsieur le Président, juste une dernière question sur la Bosnie. Dans les jours qui viennent, le Congrès américain va voter seul la levée de l'embargo. Si ce vote est majoritaire, est-ce que ce sera le moment de déclencher le retrait des troupes françaises ?

LE PRESIDENT: Là encore, c'est peut-être un petit peu plus compliqué. Le Congrès va probablement voter la semaine prochaine, j'imagine, la levée de l'embargo. Mon sentiment personnel, qui n'engage que moi, est que le Président américain opposera son veto. Mais on peut imaginer que le Congrès rassemble nombre de voies nécessaires pour passer outre le veto du Président - je crois que c'est les deux tiers des voix - et, dans cette hypothèse, la levée de l'embargo serait effective. Dans la mesure, et cela nous l'avons toujours dit, je l'ai précisé lorsque je suis allé à Washington, aussi bien au Président qu'au Congrès, dans la mesure où l'embargo serait levé, la Forpronu se retirerait immédiatement, car on ne peut pas imaginer laisser les soldats de la Forpronu dans un système qui deviendrait alors un système de guerre totale.

Eh bien, Mesdames, Messieurs, je vous retrouverai volontiers, avec les jeunes, dans les jardins de cette maison et je vous remercie d'être venus.






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